Cet interview a été réalisé au début d’un confinement inédit suite au COVID-19 qui aura des conséquences psychologiques importantes, majorées dans le domaine gériatrique.
L’institulien (I) : Quel est ton parcours professionnel ?
France Mourey (FM) : J’ai eu mon DE en 1976 à Dijon, puis j’ai passé mon monitorat de cadre en masso-kinésithérapie à Bois-Larris en 1980 avec une promotion qui comptait entre autre Michel Pillu, Bernard Petitdant et Michel Dufour. Dans la forêt de Chantilly, je croise un grand Monsieur de la kinésithérapie, Eric Viel, avant-gardiste en matière d‘initiation à la recherche, qui avait su créer une ambiance d’immersion propre au partage des connaissances. J’ai travaillé au pôle gériatrique du CHU Dijon ou j’ai croisé 2 grandes pointures de la gériatrie, le professeur Michel Gaudet qui constituait un des 3 piliers de la gériatrie du grand est (avec le Professeur Cuny de Nancy et le Professeur Kuntzmann à Strasbourg) puis Pierre Pfitzenmeyer décédé beaucoup trop tôt avec qui j’ai beaucoup appris et partagé. J’ai passé un DEA puis un doctorat à l’université de Bourgogne en 1997. J’ai été nommé professeur des universités en 2016. Suite à l’arrêté de la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation en date du 6 décembre 2019, je suis nommée membre du Conseil national des universités (CNU) avec 5 autres membres puis élue présidente de cette CNU pour 6 ans (encadré 1).
Professeurs des universités et assimilés Jean-René CAZALETS, docteur en neurosciences PhD HDR - directeur de l’Institut des neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine - Université de Bordeaux.
Peggy GATIGNOL, PhD HDR orthophoniste APHP - Sorbonne université.
Maîtres de conférences des universités et assimilés
Chantal CHAVOIX, filière ergothérapeue, Institut national de la santé et de la recherche médicale-université de Caen.
Anaïk PERROCHON - STAPS université de Limoges.
James RIVIERE - psychomotricien Université de Rouen.
I: Quelles sont les missions de la CNU 91 et comment cela fonctionne ?
FM : Le monde de la kinésithérapie connait peu le monde de l’université et son fonctionnement. La CNU 91 a été créée à la suite de la parution au journal officiel du 31 octobre du décret n° 2019-1107 du 30 octobre 2019 relatif au CNU pour les disciplines médicales, odontologiques et pharmaceutiques, elle est intitulée « sciences de la rééducation et de la réadaptation ». Le même décret officialisait la création de la CNU 90 « ma eutique » et de la CNU 92 « sciences infirmières ».
La mission de chaque section est d’évaluer à partir du dossier de chaque candidat son aptitude à être qualifié au grade de Maitre de conférence ou de professeur des universités. Ce qui veut dire d’emblée afin de lever toute ambiguïté, qu’il n’y a pas de porosité entre une section de qualification et un comité de sélection (qualification et poste). Le 5 mars 2020, la liste des premiers qualifiés était publiée, liste disponible sur le site galaxie (https://cutt.ly/KlWHE4B). A ce jour, il y aurait 3 postes ouverts en France. Il reste un vide entre le début de l’universitarisation et la création de la CNU 91, l’absence de laboratoire de recherche spécifique à la kinésithérapie et donc concrètement un candidat qui veut sa qualification restera associé pour l’instant à une autre spécialité (STAPS, science de l’éducation,…).
I: En quoi le décret instituant la CNU 91 consiste en une avancée historique pour le système de formation français ?
FM : C’est un tournant historique en matière de reconnaissance et c’est un début qui va permettre de faire le lien entre l’universitarisation et la mise en action d’une filière propre avec la création d’un doctorat. Il correspond à l’apparition de la place des rééducateurs dans le monde des enseignants chercheurs puisque le titre de la CNU est bien sciences de la rééducation et de la réadaptation (SRR). Cette section est interdisciplinaire, avec un champ de qualification interdisciplinaire, ce qui fait de cette CNU un modèle unique en son genre en France mais aussi dans le monde.
En cela c’est un vrai tournant historique pour la profession mais aussi pour la profession d’ergothérapeutes, de psychomotriciens ou d’orthophonistes. C’est la première marche de l’universitarisation, la seconde reste à créer avec le doctorat. La démarche sera longue et difficile.
Mon rôle est de construire l’avenir avec une grande liberté de manœuvre puisque je suis en fin de carrière n’ayant rien à gagner ni rien à perdre ; de mettre des valeurs partagées par mes 5 collègues, comme l’interdisciplinarité. Les critères de qualification, écrits rapidement cette année pour répondre au calendrier, seront précisés l’année prochaine ; ils ne tiennent pas compte du métier d’origine.
I: Quelles conséquences pour les IFMK français ?
FM : Pour l’instant cela ne change strictement rien car nous sommes en phase de transition. Les actuels formateurs dans les IFMK font des masters et doctorats, ils demanderont dans un second temps leur qualification puis deviendront les enseignants chercheurs de demain avec une montée en puissance progressive avec la mise en place d’une filière.
I: Comment s’adapter à ce changement pour investir collectivement l’Université et la recherche ?
FM : Dans cette notion d’adaptation à ces nouvelles perspectives avec la création des départements universitaires. Il faudra vaincre des barrières financières et culturelles, il faudra réaliser des choix. Les IFMK sont dans l’ensemble en lien avec les UFR de santé, ils ont une culture de la recherche. Mais le problème réside dans l’absence de laboratoire de recherche.
La présence des directeurs au côté des doyens dans la construction des départements et demain dans la suite. C’est à partir d’initiatives régionales que le gouvernement généralisera un texte national.
I: En quoi cela pourrait contribuer à faire évoluer les pratiques en rééducation, car il est bien question d’améliorer les pratiques, in fine ?
FM : C’est la base de mon engagement depuis toujours. La recherche doit se garder de mettre des barrières et doit avoir une vision large des choses avec le besoin de laboratoires pour comprendre les mécanismes, l’exportation au lit du patient avec des expérimentations afin de valider ou non l’intérêt de tel ou tel apport thérapeutique sans oublier les sciences humaines. Ces résultats amélioreront les pratiques.
Dans cette période de crise sanitaire où la place et les méthodes scientifiques sont interrogés, un collègues disait nous ne sommes plus en 1919 (pandémie de grippe espagnole), avec des pratiques basées sur les convictions ou des croyances mais que nous sommes en 2020 avec la notion de niveau de preuve suffisant pour décider et surtout éviter les effets secondaires de certaines thérapeutiques. La kinésithérapie doit suivre des règles similaires, en reposant sur des bases sérieuses.
I: Et pour la filière gériatrique qui t’est chère ?
FM : Je considère que ma présence au sein de la CNU peut donner du poids à la rééducation en gérontologie et l’aider à atteindre sa maturité. Cette discipline m’a permis de faire de la recherche, de publier, de pratiquer l’interdisciplinarité et de réfléchir dans le champ de l’éthique. Cette approche transversale prend tout son sens à travers la CNU 91.
I: Ta diapo du lundi ?
FM : La procédure de qualification des enseignants chercheurs est très mal connue du monde de la kinésithérapie, ma diapo du lundi serait de faire acquérir une culture du fonctionnement de l’université, du sens des mots, des parcours afin de relever ce défi. Un autre point serait d’ouvrir les œillères pour un champ de recherche interdisciplinaire translationnel et des pratiques interdisciplinaires.
I:Merci France pour cet échange.
Article paru dans la revue “Syndicat National de Formation en Masso-Kinésithérapie” / SNIFMK n°11