Interview d’expatriés : Nos voisins les Suisses

Publié le 06 Jul 2022 à 15:23

On se demande de temps en temps comment ça se passe ailleurs ? Est-ce que l’herbe est plus verte ? Ou alors par simple curiosité ! Certains l’ont tenté et d’autres l’ont adopté ! Il s’agit de Maryame EL GANI qui a fait un interCHU en Suisse, d’Océane PÉCHEUX qui fait un clinicat à Genève après un internat à Lille et de Damien GROHAR qui a fait son internat à Lausanne après un externat en France. Ils nous racontent, chacun à leur manière, leur expérience et leur vision de la Suisse.

À quel moment dans ton parcours es-tu arrivé en Suisse ? Et qu’est-ce qui t’as amené là-bas ?
DAMIEN : J’ai quitté la France en deuxième année d’internat pour la Suisse.

Pourquoi la Suisse ? Un pur hasard, je suis allé avec mon ex à un mariage à Cognac en France (complètement à l’opposé de la Suisse), nous nous sommes arrêtés à une station-service et deux nanas distribuaient de la docu sur la Suisse. Et là, c’était vraiment le coup de cœur ! Le lac, les montagnes, la nature, un truc que je n’avais pas à Lille (hormis les terrils).

Pourquoi partir ? Mon couple battait des ailes, et je n’arrivai pas à dire stop, alors je me suis dit qu’une expérience à l’étranger pouvait me faire du bien !

De retour de ce mariage, j’ai donc postulé en Suisse, plus précisément à Lausanne (je ne connaissais même pas le nom de cette ville, et pensais même que Genève était la capitale !).

J’envoie ma candidature en juin. Puis, en juillet on m’offre un poste pour novembre, tellement rapide. J’ai obtenu exceptionnellement une dispo (j’étais déjà hors délai) pour un remplacement de 6 mois. Et j’ai tellement adoré que j’ai enchaîné sur la deuxième puis troisième puis quatrième puis stop la France ! Et entre-temps, je me suis séparé et j’ai rencontré mon nouveau mec (un Suisse breton).

OCÉANE : L’opportunité d’un clinicat en Obstétrique s’est présentée et j’ai pris mes fonctions en janvier 2022. J’ai donc emménagé en Haute-Savoie. Un grand changement pour moi qui étais née à Lille et y avais passé toutes mes études ! Mais aussi et surtout, une réelle expérience à l’étranger !

Comment s’est déroulé ton arrivée là-bas ? Pas trop dur de s’adapter ?
DAMIEN :
On m’avait dit que les Suisses étaient très “sectaires”, et qu’il était très difficile de se faire accepter en tant que français ! Mais finalement, pas du tout ! Je pense que tout dépend de ton caractère et ta volonté d’aller vers les autres. Je suis assez extraverti alors je n’ai absolument pas eu de problème pour m’adapter et me faire un cercle d’amis. Le plus dur au début, c’est surtout l’administratif. On te demande une multitude de papiers dont tu ne connais même pas l’existence ! Mais après deux-trois mois, tu t’habitues vite et tu comprends tout le jargon.

D’ailleurs au point de vue administratif, comment ça se passe l’internat là-bas ?
DAMIEN :
Une des particularités quand tu postules pour l’internat en Suisse, c’est que tu vas passer par un réseau (celui qui t’engages… ou pas !) Et ce fameux réseau te permet de connaître ton planning pour 5 ans (chaque hôpital dans lequel tu vas bosser). Et ça, c’est chouette ! Tu n’as pas le stress de la repart tous les 6 mois en fonction de ton classement ! Ici cela n’existe pas.

MARYAME : C’est vrai ! Pour la « maquette de stages » des internes, elle est déterminée dès le début de leur internat s’ils sont acceptés en gynécologie. En général, ils ne passent qu’un an en centre universitaire (Lausanne ou Génève pour la Suisse romande). Le reste de leur formation (4 à 5 ans) se déroule dans des hôpitaux périphériques.

Que penses-tu de la médecine Suisse et de son Hôpital ? Quelles sont les grandes différences avec la France que tu as pu observer dans la pratique quotidienne de la gynécologie obstétrique ?
DAMIEN :
Ce qui m’a choqué : l’accueil ! En Suisse, quand tu commences dans un hôpital pour ton nouveau tournus, tu as un accueil, un vrai.

Petits fours, livre offert sur la spécialité, des goodies, et une vraie formation sur le logiciel patient, le fonctionnement du service… bref un accueil. Puis tu as une véritable identité, ce qui est bizarre au début ! Tout le monde te vouvoie et t’appelle Docteur... (même tes chefs de service). Je trouvais bizarre au début mais finalement c’est assez chouette : tu as une distance sans trop l’avoir.

En Suisse, les examens complémentaires sont faciles à obtenir. Pas besoin de négocier avec ton radiologue pendant des heures pour obtenir un scanner en urgence ! Ici c’est rapide, un coup de fil et le tour est joué. C’est tellement plus agréable. Les équipements sont à la pointe de la technologie. Et tu as une véritable prise en charge de la douleur, par rapport à la France.

OCÉANE : Ici, la gynécologie et l’obstétrique sont 2 mondes distincts, et même en garde les internes de l’un des secteurs ne font pas l’activité de l’autre (ceux des urgences font les laparoscopies, ceux d’obstétrique les césariennes en urgence).

Une petite particularité ? À Genève, pas de monitoring en ville. Les sages-femmes libérales s’occupent des bruits du cœur fœtal, des prises de constantes et bien entendu de la clinique, mais n’enregistrent pas les rythmes ; finalement, de manière générale, l’enregistrement du rythme fœtal est beaucoup moins systématique. Et les bébés se portent tout aussi bien ! C’est vraiment intéressant de prendre du recul sur des choses qui pour moi, « ne pouvaient pas être faites autrement ».

Et qu’en est-il de la formation des internes à la Suisse ?
OCÉANE : Les internes ont la main peut-être plus progressivement qu’en France, ou en tout cas qu’à Lille (où on se plaignait, comme tous les internes… mais je dois avouer réaliser maintenant qu’on m’a appris beaucoup de choses). Mais les internes genevois accèdent vraiment beaucoup à la simulation, avec énormément de cours théoriques et pratiques, de mentoring, d’accompagnement individualisé organisé. De nombreux staffs (dits ici « colloques ») hebdomadaires, comme dans beaucoup d’hôpitaux universitaires, complètent leur formation théorique (présentation d’articles, revues de rythmes fœtaux, de dossiers maternels complexes).

MARYAME : D’un point de vue théorique, les internes doivent s’inscrire à des cours « blocs » qui sont obligatoires pour avoir leur diplôme. Ils sont payants et sanctionnés par deux examens écrits. Il n’y a pas de thèse d’exercice tout comme en Belgique.

D’un point de vue pratique, la Suisse est un petit pays avec un taux de natalité assez bas. Les internes suisses sont confrontés à une difficulté majeure durant leur formation : la validation de leur « catalogue ». Il s’agit pour eux de pratiquer un nombre important d’interventions chirurgicales ou obstétricales, comme aide ou comme opérateurs. Le recrutement chirurgical en Suisse est assez faible comparé au nombre d’interventions à faire. La difficulté à obtenir ce catalogue prolonge parfois l’internat. Le taux de natalité étant assez bas, l’activité en salle de naissance est bien moins importante qu'en France.

Après la fin de leur internat, les internes de gynécologie doivent faire un clinicat pouvant aller de 3 à 6 ans. S’ils souhaitent avoir le droit d’opérer durant leur pratique comme sénior, ils doivent aussi passer l’examen du « FMH opératoire ».

Il s’agit d’un catalogue d’interventions à réaliser durant le clinicat afin de pouvoir opérer durant sa carrière future. Sans valider cet examen, les gynécologues ne peuvent pas pratiquer d’interventions chirurgicales comme les césariennes par exemple ! Ils ont plutôt une activité de consultation et de suivi en ville. Par contre à l’hôpital, ce sont les internes qui assurent une bonne partie des consultations.

DAMIEN : Je trouve que la formation théorique est top, tu apprends beaucoup sur le terrain.

Par contre, niveau gestes, je dirais que tu es plus vite formé en France. Certains chefs de clinique universitaire n’ont posé qu’un seul forceps voire aucun pendant toute leur carrière d’interne (appelé ici « assistant »), et pareil pour les laparoscopies ou hystérectomies complètes…

Donc niveau gestes, on est un peu à la traîne… et si tu veux te former tu dois être pris dans la formation de « FMH opératoire ».

Selon toi, existe-t-il de grandes différences culturelles pouvant influencer la pratique ou la relation avec le patient ?
OCÉANE :
Bizarrement, de partir en Suisse francophone, je le percevais à peu près comme un inter-CHU : Probablement des protocoles différents à absorber, mais pas beaucoup plus d’adaptations à prévoir. Sauf que finalement, si ! Ici, la mode est assez anglo-saxonne, et cela se ressent dans les guidelines suivies dans les protocoles, mais aussi dans le vocabulaire (on parle de « laparoscopie », par exemple). Les conditions de travail sont typiquement suisses, avec un emploi du temps à 50 heures hebdomadaires (officiellement, même 40 !), qui va avec des déclarations d’horaires, un treizième mois de salaire, des temps de consultation à 45 min voire une heure, et des gardes de 12h, qui s’encadrent de jours de repos. Les téléphones utilisés dans l’hôpital sont de vrais smartphones, et l’hôpital nous fournit nos stylos, et petits carnets ! Mais l’expérience va au-delà de ça. Le CHU de Genève, c’est aussi du « one to one » en salle de naissance (une sage-femme, pour une patiente), avec un plateau de naissance (suivi « Bien naître »), une équipe cosmopolite à l’image de la ville, un dynamisme de recherche facilité par les temps administratifs de travail, plutôt bien respectés. Un féminin qui se respecte en Suisse où on m’appelle désormais « doctoresse », étrange au début puis tout-à-fait assimilé avec plaisir. Des taux de césariennes et de déclenchements un peu plus élevés, mais une belle médecine, avec notamment beaucoup de prise en compte du ressenti des patientes, des couples, d’accompagnement personnalisé et global, y compris social.

MARYAME : L’administration en Suisse est très différente de celle en France. Il s’agit d’un pays fédéral (comme les États-Unis). C’est assez difficile de s’adapter quand on vient d’un pays aussi centralisé que le nôtre. Et c’est probablement difficile pour les Suisses de s’habituer eux aussi à notre fonctionnement.

Si on aime les ambiances cosmopolites, le quotidien dans les grandes villes suisses est assez magique. À Genève 60 % de la population est étrangère, à Lausanne c’est 50 %. Durant une demi-journée de consultation, je pouvais parler en français, en anglais, en espagnol, en arabe puis en portugais. La Suisse elle-même est un état fédéral avec quatre langues officielles. Mes collègues venaient de partout à travers le monde, et c’était particulièrement enrichissant comme expérience.

D’un point de vue financier, la vie en Suisse est particulièrement onéreuse même en ayant un salaire suisse. L’accès à la propriété est beaucoup plus difficile qu’en France, et le prix des denrées alimentaires est 2 à 3 fois plus cher.

Le système de santé en Suisse est un système de santé privé avec des aides accordées par les cantons. Les Suisses ont une assurance santé obligatoire qu’ils payent à partir de 400 euros par mois par personne, soit 10 % de leur salaire au minimum. Il s’agit d’une assurance de base couvrant les soins médicaux avec une franchise pouvant aller de 500 à 2500 euros par an. Les consultations à l’hôpital sont facturées aux patientes, y compris les examens complémentaires. Tous doivent être justifiés pour être remboursés par leur assurance. De plus, les assurés peuvent opter pour des régimes d’assurance plus onéreux : Les régimes privés ou semi privés par exemple. Les médicaments sont aussi payés par les patients et sont plus chers qu’en France. Il n’y a pas de transport médicaux pris en charge durant les hospitalisations. Les arrêts maladies sont payés par l’employeur.

DAMIEN : L’ambiance entre internes et chefs de cliniques est top, mais comme France.

Ce qui change de la France, c’est l’absence de gardes de 24h ! Ici tu enchaînes 3-4 gardes de nuit de 20h à 8h/9h puis tu as des repos de garde 2-3 jours en moyenne. C’est chouette, ça te permet de te reposer ! Les horaires sont très souvent respectés ; pas comme en France où tu fais des heures à n’en plus finir.

Et ton salaire te permet de profiter de tes repos !
Tu as beaucoup de charges, mais tu t’en sort plutôt bien ! C’est vrai que si tu regardes le salaire d’un interne de première année à Genève (8600 fr soit plus de 8000 euros) ça fait rêver ! Mais tu dois déduire les impôts, les assurances, l’assurance maladie, et pas mal de frais annexes ….

Peux-tu nous raconter rapidement ton quotidien sur place ?
DAMIEN :
La Suisse t’offre un cadre de vie exceptionnel : le lac, les montagnes, les randonnées, l’escalade, les paysages de dingue et la tranquillité. Si tu aimes la nature, la Suisse est faite pour toi.

OCÉANE : Pour ceux qui voudraient tenter eux aussi l’expérience, difficile de parler de Genève sans parler du cadre de vie idyllique du coin, avec les magnifiques paysages suisses (même si voyager là-bas, cela a clairement un coût). Toutes les stations de ski qui se transforment l’été en magnifiques terrains de randonnée et/ ou de VTT ! Et l’Italie à une bonne heure de route. La bonne humeur, la braderie et la bière lilloise me manquent un peu… mais la qualité de vie ici est vraiment incroyable.

En conclusion ?
DAMIEN :
En bref, je ne regrette pas du tout mon départ à l’étranger. J’ai depuis acheté un appartement en Suisse, j’ai rencontré mon mec avec qui je suis depuis 5 ans, je me mets à la voile, au ski,… La Suisse m’a adopté ou plutôt j’ai adopté la Suisse ! Je repars juste un an en mission à La Réunion en mai 2023 mais je reviens en Suisse un an après !

MARYAME : La Suisse c’est trèèès différent de la France. J’ai adoré mon séjour chez les Helvètes et j’y ai rencontré des gens formidables !

Alexane TOURNIER, pour l’AGOF
Maryame EL GANI, Damien GROHAR,
Océane PÉCHEUX

Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / AGOF n°23

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