Interne troque stéthoscope contre microscope

Publié le 13 May 2022 à 19:54


DOSSIER

Des cellules à la place des patients, des protocoles et des pipettes. Bienvenue dans l’univers scientifique d'Oriane, Marc et Joseph investis dans leur cursus recherche.

Des « extra-internes » dans le sens extraordinaires. Ils cumulent un doctorat en Sciences (PhD) en plus de leur doctorat en Médecine (MD), d’où l’appellation internationale MD-PhD. Mener de front ce cursus scientifique en plus du médical est considéré comme difficile voire élitiste. Une idée reçue que réfute Marc Scherlinger, en 7e semestre en rhumatologie à Bordeaux et actuellement en césure pour une thèse de Sciences : « En réalité tout étudiant intéressé peut le faire, même celui qui ne souhaite pas nécessairement aller en recherche plus tard. Le double cursus apporte une culture scientifique qui permet ensuite d’exercer un esprit critique sur les données médicales. ». Représentant du 3e cycle à l’Association médecine/ pharmacie Science (AMPS), Marc a eu le déclic « recherche » lors d’une conférence sur l’école de l’Inserm Liliane Bettencourt alors qu’il était en deuxième année de médecine. « J’ai tout de suite été séduit et j’ai déposé ma candidature. ». La recherche est un travail parfois long et frustrant avant d’aboutir au « trésor » visé que ce soit la découverte d’un nouveau virus, d’une voie thérapeutique innovante ou d’un gène jusqu’alors inconnu associé à une pathologie.
Joseph Seitlinger, lui est en phase de trouver son trésor. Interne en chirurgie thoracique et cardiovasculaire en 9e semestre à Strasbourg, il a intégré l’unité INSERM 1260. « Le laboratoire cherchait à recréer des tumeurs 3D, et je leur ai proposé de travailler sur des biopsies de poumon de patients. ». Pile dans le projet de recherche sur le cancer des poumons de Joseph ! « Le programme de recherche était déjà lancé depuis 2 ou 3 ans quand je l’ai intégré et aujourd’hui nous travaillons à l’élaboration d’essais cliniques à partir de nos résultats. ». Joseph est un interne- chercheur enthousiaste : « À l’hôpital, nous avons un regard très centré sur le clinique et le patient. La recherche élargit notre regard, ce n’est que bénéfique ! ».
« J’'ai tout de suite été séduit et j’ai déposé ma candidature. ».
 
FROM BENCH TO BEDSIDE
Orianne Villard, en 6e semestre en endocrinologie à Montpellier a débuté depuis deux ans sa thèse scientifique après avoir passé celle médicale en 2016. « Quand nous sommes en thèse de sciences, notre raisonnement et la vision des pathologies évoluent, une fois revenu en médecine, c’est différent. Des idées viennent au lit des patients autant pour enrichir leur prise en charge que pour lancer des travaux de recherche clinique ou fondamentale, c’est vraiment stimulant. ». Jongler entre les deux univers ne pose pas problème à Orianne. « Le travail en laboratoire peut paraître abstrait pour mes co-internes car le travail en laboratoire est très éloigné de celui hospitalier avec les patients versus les cellules et les pipettes, remarque-t-elle. Mais je vois cela plutôt comme deux milieux complémentaires, qui s’enrichissent l’un de l’autre et je suis passionnée par les deux. ». L’AMPS parle de double expertise : celle médicale avec la compréhension de la physiopathologie et de celle de la recherche clinique et scientifique pour la connaissance de la démarche scientifique et des biostatistiques. Le médecin-chercheur sert ainsi d’interface entre la médecine (le patient, bedside) et la recherche (la paillasse, the bench) en facilitant la transversalité et l’adaptation des découvertes scientifiques au bénéfice du patient (from bench to bedside). Et vice-versa : le médecin chercheur va transposer une énigme médicale en problème scientifique, dans le but de stimuler la recherche translationelle (from bedside to bench).

De gauche à droite : Ysia Idoux-Gillet, post doctorante UMR 1260 ; Luc Pijnenburg, rhumatologue ; Joseph Seitlinger, chirurgien thoracique ; Nadia Jessel, directrice UMR 1260.

DERNIÈRES EMBÛCHES SUR LE PARCOURS
Orianne Villard a choisi de se consacrer à plein temps à sa thèse. « Je ne regrette pas mon choix même si je suis perdante côté salaire. Je complète avec des gardes hospitalières. ». Joseph a bénéficié de la bourse de la Société Française de chirurgie thoracique, « mais elle ne cesse de baisser au cours des années, constate-t-il à regrets. J’ai alors cumulé deux bourses, avec l’accord des deux institutions concernées. ». Le salaire moyen en année recherche est de 1600 € net par mois. La situation financière des internes-chercheurs cristallise les frustrations. L’interruption de l’internat pour poursuivre un travail de recherche gèle l’avancement salarial et retarde l’accès à un poste senior mieux rémunéré. Autre mauvaise surprise : le reclassement pour les stages d’internat après une ou plusieurs années de césure face à des promotions plus jeunes dont les effectifs sont plus importants. Une situation injuste avec « une perte de chance de réalisation de stages cliniques congruents au projet professionnel » relève l’AMPS qui se bat pour faire reconnaître les années de recherche dans le calcul de l’avancement salarial des internes. Passés ces deux points noirs, la recherche séduit de plus en plus d’étudiants dès leur deuxième année de médecine pour un cursus dit précoce. Plus d’une centaine d’étudiants intègre ainsi chaque année le double cursus précoce (soit environ 1 % des effectifs d’étudiants en médecine), contre une cinquantaine avant 2010. « L’intérêt est d’intégrer une équipe de recherche et un laboratoire pour en comprendre le fonctionnement, acquérir et mettre en pratique la démarche scientifique expérimentale », précise Marc. Il y a 3 voies pour faire le cursus recherche :
 • Le double cursus précoce avec un Master 2 avant l’internat.
• La voie 1 est un M2 puis un retour à la médecine pour faire sa thèse de sciences pendant l’internat.
 • La voie 2 est un M2 suivi d’une thèse puis un retour à la médecine en 4ème année. Ce qui induit un retard de 4 ans avant de devenir interne.
 • Le double cursus classique avec un Master 2 pendant l'internat, voire après (voie 3).
L’AMPS planche pour la création d’un internat avec la mention recherche, sur le modèle anglo-saxon. « Avec un arrêt prolongé jusqu’à cinq ans pour la réalisation d’un travail de recherche (doctoral et/ou post-doctoral). Cet internat-recherche devrait permettre de poursuivre une activité de recherche à temps partiel lors du retour à l’internat après l’interruption. Ce dispositif est plébiscité par 73 % des étudiants doubles cursus », peut-on lire dans l’article « Les doubles cursus médecine-sciences en France. État des lieux et perspectives » de M. Scherlinger, T.C.M. Bienvenu et co-auteurs, paru dans le numéro 34 de Médecines/Sciences, 2018.
« Une perte de chance de réalisation de stages cliniques congruents au projet professionnel ».
 
TRIPLETTE MÉDECIN-CHERCHEUR-ENSEIGNANT
« Dans l’idéal, j’aimerais concilier une carrière de médecin à l’hôpital et de chercheur », confie Marc. Même souhait du côté de Joseph pour qui l’activité de chercheur est intimement liée à son activité médicale hospitalière. Les postes hospitalo-universitaires clinique-enseignement- recherche sont plébiscités par 86 % des futurs médecins chercheurs. « Ces résultats identifient clairement que le souhait des médecins chercheurs en formation est de consacrer une part importante de leur activité future à la recherche, en parallèle de leur pratique clinique et d’une activité d’enseignement », constate l’AMPS. « Nous effectuons d’ailleurs un gros travail dans ce sens au sein de l’association car aujourd’hui le statut de PU-PH ne permet souvent pas de consacrer un temps important à des travaux de recherche. Si, sur le papier, nous sommes à la fois professeur à l’hôpital, enseignant à l’université et chercheur, dans les faits, le poste est phagocyté par l’administratif et très peu de temps reste pour se consacrer à la recherche », observe Marc. Il milite pour un temps partagé plus équitablement entre la médecine et la recherche, avec des heures allouées aux travaux de recherche. Utopique ?
« Dans l'’idéal, j’'aimerais concilier une carrière de médecin à l'’hôpital et de chercheur. »

COMMENT FINANCER SON MASTER 2 OU SA THÈSE ?
Pour concilier son poste de chercheur et le frigo plein, l’interne doit chercher un financement pour se dégager un salaire pendant son année de master 2 et tout au long de sa thèse de sciences. Plusieurs options se dégagent :

• L’année recherche. Master 2 et thèse. Durée : une année. Les places sont limitées et varient selon l’université, attribuées par l’ARS. L’année de financement est fixe : elle commence le 1er novembre jusqu’au 31 octobre de l’année suivante et n’est pas renouvelable. Le montant de la bourse est de 24 038,50 € bruts par an (environ 1300-1400 € nets par mois).
• Bourse de l’école doctorale. Thèse uniquement. Durée : 3 ans. Sur concours, les places sont limitées. Le montant est de 1 684,93 € brut par mois. Plus d’information sur le site internet de chaque université.
• Société savante. Master 2 et thèse. Durée variable. Se rendre sur leur site internet.
• Les financements privés. Se rapprocher directement des fondations (Groupe Pasteur Mutualité, Fondation pour la Recherche Médicale, Fondation de France), des Instituts (Servier, Pasteur), de l’Inserm, de l’APHP, des départements ou des villes et des laboratoires privés.
Une seule demande de financement par laboratoire de recherche et par an est habituellement autorisée : se coordonner avec les collègues du laboratoire pour ne pas postuler aux mêmes appels d’offre.
L’autofinancement. Master uniquement. Durée : une année. L’étudiant finance lui-même son salaire par le biais de remplacements ou de gardes dans le public ou le privé. Ce mode de financement n’est généralement pas recommandé. Les gardes hospitalières. Elles sont possibles en cas de financement par le biais de l’Année Recherche. Se rapprocher de son CHU de rattachement pour plus d’information.
 + d’infos sur le site de l’AMPS : http://amps-asso.org/

Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°21

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