Insuffisance rénale chronique (irc) du sujet âge : quand doit-on faire appel au néphrologue ?

Publié le 18 May 2022 à 08:30

Dr Antoine BRACONNIER
CHU de Reims
Vice-président du Club des Jeunes Néphrologues,
Pour l'Association des Jeunes Gériatres 

Vieillissement physiologique ou véritable Insuffisance rénale chronique ?
Du fait de la modification de composition corporelle liée au vieillissement (majoration de la masse grasse au détriment de la masse maigre), il est difficile d’évaluer précisément la fonction rénale d’un sujet âgé au seul moyen de la créatininémie et de sa clairance.

En dehors des techniques de référence (Chrome EDTA, clairance au iohexol) accessible surtout dans les laboratoires de physiologie, l’utilisation du dosage de la cystatine C (qui est indépendant de la masse musculaire) peut être une alternative (avec la formule CKD-cystatine).

C’est donc, le plus souvent, au seul moyen de la clairance de la créatinémie que nous devons apprécier la fonction rénale d’un sujet âgé. La formule CKD-EPI est à privilégier à condition que le dosage soit réalisé de manière enzymatique. En cas de dosage colorométrique (dit de Jaffé), c’est la formule en MDRD qui doit être utilisé.

Le vieillissement étant aussi rénal il n’est pas rare de voir des patients de plus de 85 ans, sans réelle comorbidité, avec un DFG < 60mL/min.

DFG selon le sexe et l'état de santé en fonction de l’âge : ligne noire en gras pour les patients en bonne santé ; ligne grise pour les patients avec comorbidité. J Am Soc Nephrol 2020 Jul;31(7):1602-1615.

C’est donc finalement la variation de la clairance de la créatinine qui va, et qui doit, interpeller le clinicien. Il est important de rappeler que pour parfaitement comparer deux valeurs, le prélèvement doit être réalisé dans le même laboratoire d’analyse, la variation de dosage pouvant aller jusqu’à 15 % d’une structure à une autre.

Il est important de répéter les mesures pour pouvoir apprécier au mieux cette fonction rénale, surtout chez les patients à risque (HTA, Diabète). Chez les patients sains, il ne semble pas déraisonnable de proposer au moins une mesure annuelle de créatininémie pour pouvoir interpréter, en temps voulu, une valeur anormale.

Bien que la clairance de créatinémie soit un moyen incontournable d’évaluer la fonction rénale, l’analyse du sédiment urinaire (protéinurie, hématurie) est tout aussi cruciale.

Le vieillissement rénal ne s’accompagne ni de protéinurie, ni d’hématurie significative. Une protéinurie est toujours pathologique, quel que soit l’âge.

Bien que difficile à obtenir, la recherche de protéinurie des 24h doit idéalement compléter la bandelette urinaire qui ne permet de dépister que l’albuminurie (et donc pas les chaînes légères par exemple). On peut donc s’aider pour cela d’une recherche de protéinurie sur échantillon en y associant un dosage de la créatinine urinaire.

L’hématurie isolée doit d’abord faire éliminer une cause urologique. Associée à une protéinurie et une dégradation de la fonction rénale elle doit faire suspecter une glomérulonéphrite rapidement progressive (GNRP).

Les troubles métaboliques classiques de l’insuffisance rénale chronique (Hypocalcémie, Anémie, …) peuvent aussi orienter le clinicien. Néanmoins, ils sont souvent multifactoriels dans cette population. Bien que non liée uniquement à l’IRC, l’hyponatrémie, dont on sait qu’elle est pourvoyeuse de chute dans cette population, doit être surveillée.

L’échographie rénale ne doit pas être oubliée. Un vieillissement physiologique s’accompagne d’une diminution harmonieuse de la taille des reins, mais il n’est pas exceptionnel de mettre en évidence des néphropathies génétiques d’évolution lente (Polykystose familiale par exemple) chez des patients à un âge avancé. Un dépistage famillial peut alors être réalisé.

En pratique, tout patient avec une protéinurie et une dégradation rapide de la fonction rénale sur un an doit être adressé à un Néphrologue. Il est important de pouvoir diagnostiquer rapidement une cause curable (Myélome, …).

Pour les IRC sévères (DFG < 30mL/min) un avis néphrologique est indispensable afin de proposer une prise en charge adaptée pour ralentir l’évolution vers l’insuffisance rénale terminale.

Pris en charge de l’IRC du sujet âgé et néphroprotection
Tout l’enjeu est de maîtriser l’évolution de l’insuffisance rénale chronique sans risquer la iatrogénicité. Les recommandations sur la néphroprotection doivent donc être appliquées, mais adaptées aux patients.

Eviter la iatrogénie et l’Insuffisance rénale Aiguë :
Les AINS sont à proscrire autant que possible ; toute injection d’Iode doit être utile et faire l’objet d’un contrôle de créatininémie 72h après l’examen ; il ne faut pas hésiter à stopper IEC, ARA II et diurétique en cas d’évènement aigus et/ou à risque de déshydratation. L’utilisation des biguanides doit être réévaluée en cas d’IRA du fait du risque d’acidose lactique. Les posologies de médicaments doivent être adaptées à la clairance, voire même, pour certaines d’entres elles faire l’objet d’une vérification au moyen de dosages pharmacologiques (Vancomycine, Gentamycine, …).

Le contrôle de l’HTA : Il ne doit pas être source d’hypotension ni favoriser les chutes. En cas de protéinurie, l’utilisation des bloqueurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) doit être privilégié. En cas d’IRA ou de situations à risque de déshydratation ils doivent être stoppés. Toute introduction d’un diurétique ou d’un bloqueur du SRAA doit faire l’objet d’une surveillance clinique et biologique (créatinine et kaliémie 15 jours après l’introduction) indispensable. Une augmentation modérée de la créatininémie peut être tolérée (< 25 %).

Le régime hypoprotidique : Il ne doit pas être source de dénutrition. Il est indispensable de faire appel à une diététicienne dans cette situation. La réduction spontanée des apports protidiques rend parfois inutile la recommandation d’apports limités. Néanmoins les nouvelles recommandations préconisent chez les patients avec une IRC de stade 3 à 5 (non dialysé) un apport protéique de 0.55 à 0.60 g/kg de poids idéal, (0.28 à 0.43 g/kg de poids idéal si associé à une prise de céto-analogue pour couvrir les besoins protidiques). En cas de diabète, les experts proposent un apport de 0.8 à 0.9 g/kg de poids idéal.

Traiter le retentissement de l’insuffisance rénale :
Les désordres métaboliques (acidose, troubles phosphocalciques, hyperkaliémie…) doivent être corrigés. Le régime pauvre en protéine aide à corriger l’acidose qui est un facteur favorisant la progression de l’IRC et la sarcopénie. L’horaire de prise des sels calciques n’est pas anodin : pendant le repas, ils ont un effet hypophosphatémiant, en dehors des repas (> 2h) ils permettent plutôt de corriger l’hypocalcémie. La correction de l’anémie (souvent multifactorielle : état inflammatoire, carences martiale et vitaminique, EPO) est importante à maitriser car source d’asthénie.

Education thérapeutique : Elle a pour but de réaliser une alliance thérapeutique avec le malade qui devient alors un « patient partenaire ». En plus de faire comprendre la pathologie et ses enjeux, elle permet d’établir un projet de soin plus global et plus cohérent, renforçant ainsi l’observance et l’acceptation de la pathologie. Elle permet à l’équipe soignante de mieux connaître l’environnement du malade afin de préparer au mieux le projet de suppléance si celui-ci est nécessaire. Depuis 2019, le parcours de soin d’un patient ayant une clairance < 30mL/min. (dit parcours « MRC », pour maladie rénale chronique) encourage ce type de prise en charge en proposant une prise en charge par « forfait » incluant cette évaluation médicale, paramédicale et nutritionnelle.

Vaccination : Il est impératif de penser à vacciner tôt. X = Recommandée IRC non dialysée IRC dialysée IRC transplantée Hépatite B X X X Grippe X X X Pneumocoque X X X Autres (DTP, …) Selon les recommandations habituelles

Le traitement de suppléance
L’orientation vers un traitement de suppléance doit respecter le projet de vie du malade. Il doit être discuté avec le patient, sa famille et son entourage médical. Il dépend des comorbidités mais aussi de la fragilité du patient. L’évaluation gériatrique incluant la prise en compte de l’autonomie, de la dépendance, et des troubles du comportement aide à la prise de décision.

La transplantation rénale
La transplantation rénale peut être réalisée après 75 ans si le bilan prégreffe (notamment cardio-vasculaire) le permet. L’accès à la greffe ne doit pas être exclu chez les patients âgés dont la durée de vie, la qualité de vie, et le coût de traitement sont, comme chez les patients plus jeunes, meilleurs après transplantation rénale qu’en dialyse. La HAS préconise d’évaluer tous les patients jusqu’à l’âge de 85 ans. 

« Les » dialyses
La survie moyenne après dialyse chez les plus de 75 ans présentant de très larges variations interindividuelles, il n’y a pas de limites d’âge pour démarrer l’épuration extrarénale. Plusieurs stratégies peuvent être proposées pour s’adapter au mode de vie du malade :

  • La dialyse en centre : il s’agit là d’hémodialyse (HD), nécessitant la création d’un abord vasculaire. Bien que ne faisant pas l’objet de recommandation précise, le rythme (2 à 3 fois par semaine) et la durée (3 à 4h par séance), peuvent être adaptés et discuté (dialyse incrémentale). Elle implique un temps de transport pour venir jusqu’au centre qui est à intégrer dans la réflexion du patient.
  • La dialyse à domicile : il peut s’agir de dialyse péritonéale (DP) ou d’hémodialyse quotidienne (HDq) avec ou sans l’assistance d’une infirmière à domicile.

Le traitement conservateur
Il fait partie intégrante de l’offre de soin au même titre que la dialyse. Il privilégie la préservation du confort de vie et le soulagement des symptômes.

Références utiles

  • GFR in Healthy Aging: an Individual Participant Data Meta-Analysis of Iohexol Clearance in European Population-Based Cohorts. Eriksen BO, Palsson R, Ebert N, Melsom T, van der Giet M, Gudnason V, Indridasson OS, Inker LA, Jenssen TG, Levey AS, Solbu MD, Tighiouart H, Schaeffner E. J Am Soc Nephrol. 2020 Jul;31(7):1602-1615.
  • KDOQI Clinical Practice Guideline for Nutrition in CKD: 2020 Update. Ikizler TA, Burrowes JD, Byham-Gray LD, Campbell KL, Carrero JJ, Chan W, Fouque D, Friedman AN, Ghaddar S, Goldstein-Fuchs DJ, Kaysen GA, Kopple JD, Teta D, Yee-Moon Wang A, Cuppari L. Am J Kidney Dis. 2020 Sep;76(3 Suppl 1):S1-S107.
  • [Acute renal failure in the elderly]. Lautrette A, Heng AÉ, Jaubert D, Ait Hssain A, Deteix P, Souweine B. Nephrol Ther. 2012 Feb;8(1):57-62.
  • [Acute kidney injury in elderly patient: Diagnostic and therapeutic aspects]. Commereuc M, Rondeau E, Ridel C. Presse Med. 2014 Apr;43(4 Pt 1):341-7.
  • Increased incidence of acute kidney injury requiring dialysis in metropolitan France. Garnier F, Couchoud C, Landais P, Moranne O. PLoS One. 2019 Feb 7;14(2):e0211541.
  • Beyond chronic kidney disease: the diagnosis of Renal Disease in the Elderly as an unmet need. A position paper endorsed by Italian Society of Nephrology (SIN) and Italian Society of Geriatrics and Gerontology (SIGG). Aucella F, Corsonello A, Leosco D, Brunori G, Gesualdo L, Antonelli-Incalzi R. J Nephrol. 2019 Apr;32(2):165-176.
  • Practical Guide to Vaccination in All Stages of CKD, Including Patients Treated by Dialysis or Kidney Transplantation. Krueger KM, Ison MG, Ghossein C. Am J Kidney Dis. 2020 Mar;75(3):417-425.

  • Présentation des parcours de soin possibles à partir du stade d'IRC terminale (Registre REIN).

    Dr Antoine BRACONNIER
    CHU de Reims
    Vice-président du Club des Jeunes Néphrologues
    Pour l'Association des Jeunes Gériatres

    Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°25

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