Informations Syndicales : Etablissements de santé et restes à charge

Publié le 11 May 2022 à 23:37

 

Dans les statistiques publiques, le “reste à charge” est défini comme étant le “montant de la dépense de santé qui reste à acquitter par les ménages après intervention des assurances maladie de base et complémentaire”.

R. PELLET*

Selon les chiffres officiels, “les soins hospitaliers, qui représentent près de la moitié de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM), occupent une faible part dans le reste à charge des ménages1“2, puisqu’ils ne s’élevaient en 2015 qu’à 2,3% des sommes facturées aux ménages pour leurs séjours dans les hôpitaux publics et cliniques privées, alors que le reste à charge pour les soins de ville se montait à 11,7%. Ces données “moyennes” ne doivent pas faire oublier l’existence de mécanismes financiers inéquitables et/ou inégalitaires dans la prise en charge du coût des hospitalisations. Pour les mettre en évidence, il convient d’abord de clarifier certains “concepts”.

Dans les statistiques publiques, le “reste à charge” est défini comme étant le “montant de la dépense de santé qui reste à acquitter par les ménages après intervention des assurances maladie de base et complémentaire”. Or, en France, l’assurance maladie de base est en situation de monopole, ses prestations sont en principe uniformes les individus ne peuvent choisir l’étendue de leur couverture et ses ressources, cotisations et contribution sociales principalement, sont constituées de prélèvements obligatoires redistributifs, parce qu’ils sont globalement proportionnels aux revenus des personnes assurées, alors qu’ils servent à financer des soins qui dépendent des pathologies des patients et non de leur fortune ; les organismes complémentaires mutuelles, assurances, institutions de prévoyance sont, eux, des opérateurs privés, en situation de concurrence, et leurs ressources, cotisations ou primes, sont en grande partie forfaitaires et elles varient en fonction du “panier de soins” étendue de la couverture choisi par les assurés et selon l’âge des souscripteurs.

Les soins hospitaliers sont très coûteux ils représentent 46,7% du total de la CSBM parce qu’ils sont dispensés pourdes pathologies importantes qui ont parfois un caractère “catastrophique” et ils sont concentrés, c’est-à-dire qu’ils concernent un nombre réduit de personnes 17% de la population française en médecine-chirurgie-obstétrique, MCO et plus particulièrement certaines catégories “fragiles” les enfants de moins d’un an, les femmes en âge de procréer et, surtout, les personnes de plus de 65 ans.

Le financement de ces soins devrait être donc le plus largement mutualisé et redistributif, ce qui signifie qu’ils devaient être pris en charge quasi-exclusivement par l’assurance maladie publique. Mais, les pouvoirs publics ne parviennent pas à réduire le déficit de la branche santé de la Sécurité sociale, et, plutôt que de chercher à réduire les coûts de fonctionnement des établissements de santé, ils s’efforcent de transférer aux assureurs complémentaires une partie de la charge des dépenses hospitalières, alors même que cela peut avoir pour effet non seulement de réduire le caractère redistributif du financement des soins mais également d’accroître les inégalités entre les patients, puisque certains ne peuvent pas souscrire une couverture privée étendue et donc coûteuse.

Dernier exemple en date de cette tendance, le décret n°2017-372 du 21 mars 2017, relatif à l'application de l'article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 “renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques”, offre pour les jeunes retraités, anciennement couverts par un contrat collectif d’entreprise, la possibilité de conserver leur complémentaire santé tout en bénéficiant d’une hausse de tarif modérée et progressive au cours des trois premières années mais le texte ne prévoit aucun encadrement pour les années suivantes, les opérateurs privés étant alors libres d’augmenter les cotisations. Ils sont même fondés à le faire puisque les dépenses de santé, hospitalières surtout, augmentent avec l’âge des assurés. Pour apprécier le caractère équitable ou non des “restes à charge”, il convient également de prendre en compte les effets sur la CSBM de la complexité du système français hospitaliers, lequel est constitué d’”un ensemble de structures qui se différencient par leur statut juridique, leurs missions et activités, ainsi que par leurs modes de financement”4. La loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 était censée rendre plus “équitable” cette organisation, notamment par une “refondation” du “service public hospitalier”5, mais, en réalité, cette réforme n’a pas corrigé les deux principales sources d’inégalités dont sont victimes les patients et que leurs associations dénoncent de longue date :

• d’une part, les “inégalités entre les hôpitaux publics”, du fait notamment de “tarifs journaliers de prestation” très variables d’un établissement public à un autre ;
• d’autre part, les “inégalités entre les hôpitaux publics et les cliniques”, en raison d’une “tarification opaque et fluctuante de la participation au coût des soins dans le cadre de l’hôpital public [qui] aboutit à des tarifs qui y sont souvent plus élevés en la matière, alors qu’en cliniques privées ce sont davantage les coûts liés à la chambre particulière et aux honoraires des praticiens qui salent la facture pour l’usager et/ou sa complémentaire.”6.

L’examen attentif de l’évolution du mode de financement des établissements de santé et de la couverture des assurés sociaux7, nous conduit à émettre l’hypothèse selon laquelle les réformes conduites ces dernières années ont pour effet, sinon pour objectif réel, de protéger les hôpitaux publics contre la concurrence de cliniques privées plus efficientes, aux dépens des intérêts bien compris des assurés sociaux8. Ainsi, les établissements publics de santé bénéficient d’une sur-tarification qui pénalise l’assurance maladie et les patients, par une sur cotation des actes hospitaliers publics et par l’application de tickets modérateurs abusifs (1-). D’autre part, comme la branche maladie de la sécurité sociale finance des dépenses hospitalières publiques exagérément élevées, elle ne peut revaloriser comme elle le devrait les tarifs opposables aux praticiens libéraux, lesquels sont alors contraints de demander à leurs patients des dépassements d’honoraires que les pouvoirs publics cherchent à limiter ou même à interdire alors que dans le même temps ils protègent ceux des praticiens des hôpitaux publics (2-).

1 - Une sur-tarification des hôpitaux aux dépens de l’assurance maladie et des patients
Dans les établissements de santé le “reste à charge” supporté par le patient et éventuellement couvert par son assureur complémentaire dépend d’un mode particulier de tarification des soins qui a été progressivement dévoyé dans le but de protéger les hôpitaux publics de la concurrence des cliniques privées, de sorte que l’assurance maladie est contrainte de financer des dépenses excessives pour les actes chirurgicaux réalisés dans le système public (A./). De surcroît, le législateur a prorogé ces dernières années un système de “tarifs journaliers de prestation” discrétionnaires qui laisse aux patients des hôpitaux publics la charge d’un ticket modérateur excessif (B.)

A. La sur cotation des actes chirurgicaux des établissements publics
Pour la clarté du propos, il convient sans doute de rappeler qu’un système de comptabilité analytique, lancé en 1982 et devenu opérationnel en 1994, appelé “programme de médicalisation des systèmes d’informations” (PMSI), permet de classer les séjours des patients dans les établissements de santé en “groupes homogènes de malades” (GHM) selon des caractéristiques médicales (pathologies, soins, etc.) et économiques (coût et durée des séjours). Depuis 2004, avec une généralisation en 2008, le PMSI sert de base au système de “tarification a l’activité” (T2A) pour les activités de “médecine-chirurgie-obstétrique” (MCO) des hôpitaux publics et des cliniques. Il permet que les recettes de ces établissements varient en fonction de leur activité de soins. En pratique, pour chacun de ses patients l’établissement de santé concerné, public ou privé, adresse à l’assurance maladie, via l’agence régionale de santé (ARS), une facture fondée sur le classement du séjour dans un GHM auquel est associé un tarif opposable à l’assurance maladie obligatoire, appelé “groupe homogène de séjours” (GHS)9. Les tarifs sont nationaux et fixés par arrêtés ministériels à partir d’une “étude nationale des coûts” (ENC) réalisée à partir d’un échantillon d’établissements publics et privés. Mais ces tarifs sont en principe flottants, c’est-à-dire qu’ils doivent diminuer quand le volume des GHS facturés augmente afin que le coût global des dépenses hospitalières ne dépasse pas le sous-objectif hospitalier fixé dans l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) voté dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de l’année et conçu pour être une “enveloppée fermée”.

La T2A des hôpitaux publics (47 Md€ du régime général en 2016) est calculée afin de couvrir tous leurs frais, y compris donc les rémunérations qu’ils versent aux praticiens de santé (médecins, chirurgiens, obstétriciens, anesthésistes, etc.) qu’ils emploient. Mais les hôpitaux publics reçoivent de surcroît l’essentiel des enveloppes financières dites “missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation” (MIGAC) prévues par le législateur (art. L 162-22-13 CSS ; art. D 162-6 et s. CSS) pour financer des charges particulières (recherche et enseignement, SAMU, prise en charge de la toxicomanie…) ou les mesures d’accompagnement des contrats pluriannuels d’objectif et de moyens (CPOM) qu’ils signent avec les ARS. Et aux MIGAC s’ajoutent encore les crédits du Fonds d’intervention régional (FIR) qui finance les actions et les expérimentations validées par les ARS, au profit toujours quasi-exclusif des hôpitaux.

Quant aux cliniques, elles se voient également appliquer la T2A (11 Md€) mais leurs tarifs sont minorés par rapport à ceux des hôpitaux parce qu’elles ne rémunèrent pas les médecins libéraux qui travaillent en leur sein (cf. supra). Ces derniers facturent les actes qu’ils réalisent, définis par une “classification commune des actes médicaux” (CCAM), sur la base des tarifs fixés avec l’assurance maladie par le jeu des “conventions médicales” soumises à agrément ministériel. La T2A des hôpitaux publics étant structurellement supérieure à celle T2A des cliniques, puisque la première inclut la rémunération des praticiens de santé alors que ce n’est pas le cas de la seconde, il est souvent dit dans le débat public que les deux échelles tarifaires ne peuvent être rapprochées pour évaluer le coût des hospitalisations publiques et privées pour l’assurance maladie et les patients. Pourtant, en pratique, pour opérer une comparaison avec “la T2A hôpitaux publics”, il suffit d’ajouter aux données de “la T2A cliniques” celles de la CCAM correspondant aux actes réalisés par les médecins libéraux travaillant au sein de ces établissements privés.

Et, parce que les pouvoirs publics savaient bien que les hospitalisations publiques étaient plus onéreuses pour l’assurance maladie que celles du système privé, la LFSS pour 2004 avait prévu le rapprochement des deux échelles tarifaires, hors écarts de charges justifiés, vers la moins couteuxse, c’est-à-dire, en pratique, celle des cliniques. Mais, face à la résistance des hôpitaux publics et à la suite de l’élection présidentielle de 2012, la LFSS pour 2013 a interrompu le processus de convergence tarifaire.

Ce changement de politique avait été justifié par certaines études qui arguaient du fait que les MIGAC ne compensaient pas suffisamment les surcoûts liés aux contraintes spécifiques supportées par les hôpitaux publics, du fait notamment des caractéristiques de leurs patientèles. Encore aujourd’hui le travail de Mesdames Brigitte Dormont et Carine Milcent10 est souvent utilisé pour clore le débat. Or, en réalité, si elle est de grande qualité, cette étude se fonde sur des données anciennes, relatives aux six années précédant l’introduction de la T2A, soit donc la période 1998- 2003, et elle comprend un biais méthodologique important : pour comparer la productivité des établissements, elle rapporte le nombre de “points ISA11“ des établissements au nombre de leurs lits alors que ce dernier critère n’est pas vraiment représentatif parce que les pouvoirs publics cherchent de longue date à réduire fortement la durée des séjours, spécialement en chirurgie et en obstétrique12.

Des recherches très récentes sont parvenues à des conclusions contraires à celles de Mmes Dormont et Milcent. Ainsi, élaborée grâce aux bases informatiques officielles des données de santé anonymisées celle du PMSI tenue par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, ATIH ; celle du Système national d’information inter-régime de l’assurance maladie, SNIIRAM ; celles de la Caisse autonome de retraite des médecins de France, CARMF, et du Conseil national de l’ordre des médecins, CNOM l’étude publiée en 2013 par les syndicats Le Bloc et l’Union Collégiale (UC)13, relative aux principaux actes chirurgicaux et obstétricaux réalisés ces dernières années dans les établissements publics et privés, avait mis en évidence que les coûts des interventions du système privé étaient inférieurs de 8% environ à ceux du système public, dépassements d’honoraires compris14 (cf. infra II). Aujourd’hui, les travaux de M. Jean-Marc Aubert sur “la construction réglementaire du reste à charge”, entrepris également à la demande du Bloc et de l’UC, viennent confirmer ces résultats : ils démontrent que le coût pour l'assurance maladie des actes en chirurgie et obstétrique en clinique est inférieur de 20% à celui des mêmes actes quand ils sont réalisés dans les hôpitaux, en tenant compte des enveloppes MIGAC et FIR.

Ces résultats ne sont pas étonnants car le montant de ces enveloppes a presque doublé en dix ans pour atteindre respectivement 6,56 Md€15 et 3,25 Md€ en 2017 alors que le rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale de 2009, qui faisait un “bilan à mi-parcours” de “la mise en œuvre de la T2A”, préconisait au contraire de réduire le poids de ces enveloppes dans les ressources des établissements. En 2010, la Cour des comptes avait réitéré ses critiques et préconisations en soulignant que les évolutions de “la structure tarifaire” ne permettaient pas aux établissements publics “de toujours percevoir précisément le lien entre leurs résultats et leurs coûts, qu’au demeurant tous n’apprécient pas correctement non plus”16.

Les pouvoirs publics ont choisi ces dernières années de remettre en cause la logique de la T2A pour revenir à une globalisation des crédits hospitaliers afin d’empêcher la comparaison de l’activité des établissements publics avec celle des cliniques privées. D’ailleurs, alors que toutes les LFSS distinguaient depuis 2006 au sein de l’ONDAM le sous-objectif correspondant aux “dépenses des établissements de santé tarifés à l’activité” (T2A) et le sous-objectif présentant les dépenses des établissements qui restaient financés par “dotation globale”, la LFSS pour 2017 a supprimé cette distinction pour ne présenter plus qu’un sous-objectif intitulé “dépenses relatives aux établissements de santé”. Cette politique compromet le processus de développement de la T2A qui devait permettre d’allouer les crédits de l’assurance maladie aux services hospitaliers les plus efficients, dans l’intérêt de la branche maladie de la Sécurité sociale. Or, comme l’assurance maladie est financée par des prélèvements obligatoires, lorsqu’elle est contrainte de payer des services hospitaliers publics surcotés, ce sont les assurés sociaux qui en portent finalement la charge. Et, au sein des établissements publics de santé, les patients doivent également supporter des tickets modérateurs abusifs sur les actes médicaux…

B. Les tickets modérateurs discrétionnaires des établissements publics
Pour mémoire, il convient de rappeler que l’expression “ticket modérateur” tire son origine d’une disposition prévue initialement par la loi sur les assurances sociales de 1928 qui, “en instituant le tiers payant, prévoyait un système d’achat de ticket de visite par l’assuré, au titre de sa participation aux frais. Après l’abandon du tiers payant par la loi rectificative de 1930, le terme a perduré, avec une signification quelque peu différente”17: il désigne aujourd’hui “la participation de l'assuré aux tarifs servant de base au calcul des prestations” de l’assurance maladie (article L 160- 13 CSS).

Dans les établissements de santé privés, hors honoraires des praticiens, la participation financière demandée aux patients dépend bien sûr de la nature des soins qui leur sont dispensés mais elle ne varie pas d’une clinique à l’autre. En effet, le ticket modérateur est calculé sur l'assiette des GHS, c'est-à-dire sur la seule base des tarifs de l'assurance maladie pour la pathologie dont relèvent les patients hospitalisés. En revanche, depuis la mise en œuvre de la T2A, les hôpitaux publics calculent eux-mêmes le ticket modérateur qu’ils imposent aux patients.

Ainsi, en application de l'article 33 de la LFSS pour 2004, l'assiette de calcul du ticket modérateur à la charge des assurés repose sur le “tarif journalier de prestation” (TJP), tandis que la prise en charge de l'assurance maladie obligatoire s'applique sur la base du tarif du groupe homogène de séjour (GHS). Ce mécanisme devait être transitoire, pour s'achever au 1er janvier 2012 mais la LFSS pour 2009 l’a prorogé jusqu'au 1er janvier 2016 avant que la LFSS pour 2016 ne le maintienne à nouveau jusqu'au 31 décembre 2019. Or, les TJP varient selon le service d'hospitalisation, la durée de séjour et le mode de prise en charge, et ils sont censés représenter le coût moyen d'une journée d’hospitalisation en couvrant toutes les charges d’hospitalisation. De ce fait, comme le relevait la Cour des comptes dans son rapport précité de 2009, “à travers le TJP, qui demeure la base de calcul du ticket modérateur (et non le tarif du GHS comme dans le secteur privé), l'assuré hospitalisé [dans un établissement public ou privé à but non lucratif] paie en réalité sa participation à la prestation qu'il a reçue, mais aussi sa participation financière aux MIGAC et aux différents forfaits annuels”. La Cour des comptes souligne que “les TJP, fixés par les établissements, sont devenus pour eux une variable d’ajustement des recettes, mal connue par le ministère” et “la croissance relative plus élevée de la dotation MIGAC a augmenté l’écart initial entre les tarifs des GHS et les tarifs journaliers de prestation”. Autrement dit, l’augmentation continue des enveloppes financières MIGAC et FIR (cf. supra) a aggravé la différence entre le ticket modérateur des cliniques et le TJP des hôpitaux, au profit de ces derniers.

La sur-tarification des patients dans les hôpitaux publics est d’autant plus critiquable qu’elle crée de surcroît une grande inégalité entre les assurés hospitalisés car les TJP varient considérablement d’un hôpital à un autre, comme l’avait bien souligné une enquête conduite par des associations de patients, dont la presse avait largement rendu compte18, et qui montrait, par exemple, qu’en chirurgie le tarif s’élevait à 857 € à Brive, 1 220 € à Langres, 1 855 € à Périgueux et 2 766 € à Autun. Ces inégalités sont d’autant plus mar quantes que les pouvoirs publics avaient édicté, avec le décret n°2009-213 du 23 février 2009, des règles qui étaient censées être contraignantes pour le calcul du TJP.
Mais les assurés sociaux qui souscrivent une couverture complémentaire santé n’ont pas conscience de tels tickets modérateurs alors surtout que la loi n° 2013-504 du 11 janvier 2013 a rendu obligatoire la prise en charge des TJP par les contrats collectifs que les employeurs sont tenus de souscrire au profit de leurs employés.

L’article 77 de la LFSS pour 2016 a prévu que “l'augmentation de la base de calcul” de la participation des assurés au financement des hôpitaux “ne peut excéder une limite maximale fixée par décret”. Puis, dans une circulaire du 12 mai 2016, la ministre de la Santé de l’époque, Mme Marisol Touraine, a reconnu sans ambages que “le niveau des tarifs journaliers de prestation (TJP) entre établissements est très hétérogène et entraîne une inégalité dans le reste à charge des patients qu’il est nécessaire de modérer”19 mais aucun décret d’encadrement ne fut pris en 2016, non plus qu’en 2017.

Ainsi, la circulaire DGOS/R1/2017/164 du 9 mai 2017 “relative a la campagne tarifaire et budgétaire 2017 des établissements de santé”20 ne fait référence qu’à des textes anciens puisque la ministre se contente de demander à ses services “de veiller à ce que les règles de calcul énoncées dans le décret n°2009-213 du 23 février 2009 [cf. supra] soient strictement respectées par les établissements de santé”, et d’exiger la poursuite de “la baisse progressive des TJP supérieurs de plus de 15% au niveau auquel ils devraient être, en application des règles susmentionnées”, sachant que “pour les établissements concernés, la diminution du TJP devra atteindre un minimum de 3% en 2017 par rapport au TJP actuellement fixe ”. D’autre part, dans cette même circulaire, la ministre indique que “suite à [sic] la fusion des anciens 2ème et 3ème sous-objectifs” de l’ONDAM (cf. supra), “c’est désormais le taux d’évolution du nouveau sous-objectif “Dépenses relatives aux établissements de santé’’ qui devient la référence pour le plafonnement de l’évolution des TJP”, sachant que pour l’année 2017 “l’augmentation des TJP ne pourra donc pas excéder + 2%”.

À l’évidence donc, si le taux de croissance des TJP est plafonné, les hôpitaux publics vont pouvoir laisser à leurs patients des restes à charge très élevés et inégalitaires jusqu’au 31 décembre 2019 au moins, comme ils le font depuis 2005. Et comme ces “tickets modérateurs” sont obligatoirement couverts par les assureurs privés pour les salariés dans le cadre des “contrats responsables” (cf. supra), les établissements publics vont continuer de bénéficier d’un avantage considérable et injustifié par rapport aux cliniques privées.

Le TJP représentait en 2016 pour de grandes mutuelles “54% des dépenses hospitalières prises en charge en MCO, sachant que cette charge avait “augmenté de 31 % en trois ans”, ce qui était certes moins que les chambres particulières (+ 44 % en trois ans), mais ces dernières ne représentaient que “13% des factures”21. Les complémentaires couvrent ainsi une part de marché de plus en plus large des frais de santé des patients hospitalisés.

Mais, si le législateur utilise donc ces organismes privés pour soutenir l’activité des hôpitaux publics, en revanche, il oblige ces mêmes assureurs à limiter leur prise en charge des dépassements d’honoraires que les praticiens libéraux sont contraints de demander à leurs patients dans les cliniques, alors même qu’il protège le droit des praticiens des hôpitaux publics à pratiquer de tels dépassements…

2 - Des dépassements d’honoraires limités ou interdits dans les cliniques, protégés dans les hôpitaux
Au sein des cliniques privées à but lucratif, les praticiens libéraux sont contraints de demander des dépassements d’honoraires que l’assurance maladie tente d’encadrer, à défaut de revaloriser ses propres tarifs (A.), tandis que le législateur cherche à pérenniser le droit des praticiens des hôpitaux publics à pratiquer de tels dépassements au sein même de ces établissements publics (B.)

A. La limitation des dépassements d’honoraires des praticiens libéraux des cliniques privées à but lucratif
Depuis 1980, les conventions conclues entre l’assurance maladie et les médecins offrent à ces derniers de choisir entre deux “secteurs” d’exercice :

• le secteur 1 inclut les médecins qui n’ont pas exprimé d’intention particulière et qui, de ce fait, s’engagent à respecter les tarifs annexés à la convention. En contrepartie, ils bénéficient de la prise en charge par l’assurance maladie de la majeure partie de leurs cotisations sociales par dérogation au droit commun applicable aux professions indépendantes (art. L 722-1 CSS). Cette prise en charge représente aujourd’hui près de 18% des revenus d’un médecin généraliste, plus de 16% pour un spécialiste ;

• le secteur 2 comprend les médecins qui demeurent dans le système conventionnel sans être liés par ses obligations tarifaires. Alors que leurs patients ne sont remboursés que sur la base des tarifs conventionnels, ces praticiens peuvent leur demander d’acquitter des honoraires bien supérieurs, dès lors qu’ils le font avec “tact et mesure”, seule limite au dépassement. En revanche, ces médecins per dent le bénéfice des avantages sociaux et peuvent demander à être affiliés au régime d’assurance maladie des indépendants (art. L 722-1-1 CSS).

Les spécialistes des blocs opératoires chirurgiens, obstétriciens et anesthésistes ont subi à partir des années 1990 une augmentation très importante et régulière de leurs charges, notamment celles de l’assurance de leur responsabilité civile professionnelle22. Comme les tarifs de l’assurance maladie n’ont pas été relevés en proportion, les jeunes praticiens furent de plus en plus nombreux à choisir d’exercer en secteur 2.

Les associations de patients critiquent les dépassements d’honoraires au motif qu’ils constituent un “obstacle financier d’accès aux soins”. L’accès des assurés sociaux aux soins primaires est pourtant assuré puisque plus de 90% des généralistes sont en secteur 1. Quant aux généralistes en secteur 2, qui sont installés dans les villes où le revenu des personnes est plus élevé, ainsi que les charges (immobilières et sociales) des cabinets médicaux, ils ne peuvent demander des dépassements d’honoraires aux patients les plus modestes, bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) ou de l’”aide au paiement d’une complémentaire santé” (ACS). Cette interdiction s’applique également aux spécialistes, lesquels sont pour plus de la moitié en secteur 2. Si les dépassements d’honoraires peuvent rendre difficile l’accès aux soins médicaux spécialisés (ophtalmologie, dermatologie, soins dentaires, etc.) dispensés en ville, en revanche, pour les soins chirurgicaux, les patients peuvent avoir recours aux hôpitaux publics où ils n’ont pas à subir de dépassements d’honoraires, sauf s’ils choisissent d’être soignés en secteur privé hospitalier où se pratiquent en effet les dépassements les plus élevés (cf. infra).

Pour répondre aux demandes des associations de patients, les pouvoirs publics se sont efforcés de limiter la liberté accordée aux praticiens exerçant en secteur 2. Ainsi, en application de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 précitée, les employeurs sont tenus de financer une couverture collective complémentaire santé à hauteur d’au moins 50% de la cotisation (art L 911-7 CSS) mais ces entreprises bénéficient d’avantages sociaux-fiscaux si les contrats qu’elles souscrivent offrent un niveau de garantie qui n’est ni inférieur ni supérieur à un certain niveau. En particulier, ces contrats doivent respecter les règles applicables aux “contrats responsables” (art. L. 871-1 CSS), fixées par la LFSS pour 2014, qui limitent la prise en charge des dépassements d’honoraires à 100% depuis 2017.

L’objectif de la loi était de faire baisser les tarifs des médecins de “secteur 2”. Mais ce ne fut pas le cas. Et cela s’explique aisément. En effet, dans son rapport de juin 2014 sur “les relations conventionnelles entre l’assurance maladie et les professions médicales”, la Cour des comptes avait souligné le fait que “le secteur 2 a été utilisé comme un élément modérateur de la revalorisation des tarifs opposables”, ce qui signifie, en clair, que la Sécurité sociale a préféré laisser se développer les dépassements plutôt que de revaloriser justement les tarifs. Or, aujourd’hui encore, les tarifs conventionnels applicables aux activités chirurgicales sont notoirement insuffisants. Les praticiens libéraux des cliniques ne peuvent donc pas réduire leurs dépassements, contrairement à leurs confrères des hôpitaux publics qui, eux, ont un revenu public garanti (cf. infra B.).

Malgré tout, pour tenter de réduire les restes à charge supportés par les patients, l’avenant n°8 à la convention médicale de 2011-2016 avait créé en 2012 le contrat d’accès aux soins (CAS) par lequel les médecins autorisés à pratiquer des dépassements d’honoraires pouvaient signer un contrat avec l’assurance maladie dans lequel, en contrepartie d’une prise en charge partielle de leurs cotisations sociales, ils s’engageaient, d’une part, à n’augmenter ni le niveau moyen de leurs dépassements (par rapport à leur pratique observée auparavant), ni la part de leur activité faisant l’objet de dépassements, et, d’autre part, à recevoir plus de patients aux tarifs dits opposables (c’est-à-dire sans dépassement possible). De surcroît, le législateur a institué en 2016 une contribution de 3,25% assise spécifiquement sur les dépassements d’honoraires, dont le produit est affecté au régime d’assurance maladie-maternité des indépendants (art. L. 612-3 CSS).

La nouvelle convention médicale, signée le 25 août 2016 et applicable de 2017 à 2021, a prévu le remplacement du CAS par deux nouvelles options, l'option pratique tarifaire maîtrisée (Optam) pour les médecins et l'Optam-CO pour les chirurgiens, anesthésistes et obstétriciens. Les deux options autorisent un dépassement moyen limité à 100% des tarifs conventionnels de base, compatible donc avec les “contrats responsables” (avec remboursement des complémentaires, cf. supra), comme le CAS le permettait déjà, mais, à la différence de ce dernier, l'Optam-CO prévoit que les hausses de tarifs conventionnels en cours d’application de la convention ne se traduiront pas par une réduction équivalente des dépassements car les praticiens concernés pourront augmenter leurs tarifs de la moitié de ces augmentations.

Ainsi, faute de pouvoir revaloriser suffisamment ses tarifs de base, l’assurance maladie a implicitement renoncé à l’objectif de supprimer les dépassements pour les actes chirurgicaux dans le secteur privé, tout en cherchant toujours à les encadrer.

En revanche, concernant les hôpitaux publics, le législateur cherche à garantir le droit des praticiens hospitaliers à pratiquer des dépassements d’honoraires au sein de leur “secteur privé”, alors qu’il l’a supprimé pour les praticiens libéraux exerçant dans les cliniques participant au service public hospitalier…

B. La protection des dépassements d’honoraires dans les hôpitaux publics, leur interdiction dans les cliniques participant au service public hospitalier
Les articles L 6154-1 et s. du code la santé publique (CSP) accordent le droit aux “praticiens temps plein” des hôpitaux publics d’avoir une “activité libérale” au sein même de ces établissements publics23, et, si ces praticiens sont inscrits en secteur 2 des conventions médicales, ils peuvent alors percevoir des dépassements d’honoraires, puisque l’article L 6154-3 CSP y fait directement référence.

L’article 6154-2 CSP exige que “le nombre de consultations et d’actes effectués au titre de l’activité libérale soit inférieur au nombre de consultations et d’actes effectués au titre de l’activité publique”, ce qui signifie que les praticiens des hôpitaux publics peuvent réaliser jusqu’à près de la moitié de leurs actes et consultations en libéral, à la seule condition que la durée de cette “activité libérale n'excède pas 20% de la durée de service hospitalier hebdomadaire” à laquelle des praticiens sont astreints24.

Autrement dit, dans le cadre de leur activité libérale au sein des établissements publics qui les emploient, les praticiens publics temps plein ont le droit de faire autant d’actes en une journée qu’ils n’en font pendant les quatre autres jours de la semaine… De plus, les enquêtes des associations de patients ont montré que les praticiens hospitaliers (PH) des grands hôpitaux publics (CHU), notamment ceux qui sont également professeurs des universités (les “PU-PH”) perçoivent des dépassements d’honoraires supérieurs à ceux de leurs confrères des cliniques privées.

Les hôpitaux trouvent un double intérêt au maintien et au développement du “secteur privé” de leurs agents : d’une part, cette “activité libérale donne lieu au versement à l’établissement par le praticien d’une redevance” (art L 6154- 3 CSP), qui varie selon la nature des actes, de sorte qu’en pratique les hôpitaux perçoivent 20% environ des honoraires ; d’autre part, “l’activité libérale peut comprendre (...) des soins en hospitalisation” (art. L 6154-2 CSP). Or, en cas d’hospitalisation des patients soignés en secteur privé, les hôpitaux sont rémunérés sur la base de la grille T2A dont n’est pas déduite la part qui correspond à la rémunération des praticiens ; ainsi, le praticien hospitalier est rémunéré comme s’il s’agissait d’un praticien libéral, l’assurance maladie remboursant le patient sur la base du tarif de la CCAM, tandis que l’hôpital est rémunéré par l’assurance maladie comme s’il s’agissait de soins dispensés dans le cadre du service public, à un tarif qui comprend déjà la rémunération du praticien, l’assurance maladie payant donc deux fois le même service.

Si l’on peut comprendre que des patients optent pour le “secteur libéral” à l’hôpital afin de choisir le chirurgien ou l’obstétricien qui les opérera, il est peu vraisemblable qu’ils veuillent également choisir leur radiologue. Or, les études précitées ont permis de constater qu’en fait beaucoup d’actes de radiologie sont réalisés en “secteur libéral”, mais sans dépassement d’honoraires et en tiers payant. Dans ce cas, il n’est pas certain du tout que les patients soient clairement informés du secteur dans lequel ces actes ont été effectués, alors surtout qu’ils n’ont pas à souffrir de “reste à charge” sur ces actes. En revanche, les hôpitaux peuvent avoir un grand intérêt à l’application de ce mécanisme car la redevance qu’ils perçoivent sur les actes de radiologie effectués en secteur libéral est de 60%. Les radiologues conservent les 40% restants, ce qui est une façon de les motiver à rester travailler dans les hôpitaux publics, sachant que l’enveloppe financière en jeu peut être estimée à 40 M€.

D’une façon générale, les dépenses effectuées en secteur libéral au sein des hôpitaux publics s’imputent au sous-objectif “Dépenses de soins de ville” de l’ONDAM, minorant d’autant les sommes enregistrées dans le sous-objectif “Dépenses relatives aux établissements de santé” (cf. supra).

L’application de la législation sur le secteur libéral à l’hôpital a donné lieu à des contentieux et le Conseil d’Etat (CE 1er juin 2015, Syndicat FHP-MCO, n° 373834, inédit) a admis que la grille tarifaire accordée aux hôpitaux publics ne tienne pas compte de la rémunération que leurs praticiens reçoivent dans leur secteur privé, non plus que de la redevance que ces derniers versent à ces établissements publics, sachant que les praticiens hospitaliers qui s’engagent eux, pour une période de trois ans renouvelable, à ne pas exercer une activité libérale perçoivent une “indemnité d’engagement de service public exclusif” (art. D. 6152-23-1- 6° CSP).

Cependant, en application de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 “de modernisation de notre système de santé”, l’article L. 6112-2 CSP dispose désormais que les établissements de santé assurant le “service public hospitalier” et les professionnels de santé qui exercent en leur sein garantissent à toute personne qui recourt à leurs services “l’absence de facturation de dépassements des tarifs fixés par l’autorité administrative [T2A] et des tarifs des honoraires” (CCAM). En conséquence, si des cliniques privées souhaitent être habilitées “à assurer le service public hospitalier” (SPH), comme l’article L 6112-3 CSP leur en ouvre la possibilité25, les praticiens libéraux qui y exercent doivent renoncer à leur droit de percevoir des dépassements d’honoraires, quand ils sont inscrits en secteur 2 de la convention médicale. Puisque la loi dispose que “le service public hospitalier est assuré par […] les établissements publics de santé”, il paraîtrait logique que les praticiens de ces hôpitaux publics fussent astreints à la même limite. D’ailleurs, dans sa décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions précitées de l’article L. 6112-2 CSP s’appliquaient “identiquement à tous les établissements de santé publics ou privés assurant le service public hospitalier et aux professionnels de santé exerçant en leur sein”.

Mais, en 2016, la ministre de la Santé, Mme Marisol Touraine, soutenait que l’interdiction législative des dépassements d’honoraires ne s’étend pas à l’activité libérale des praticiens effectuée au sein des hôpitaux publics. Et cette position a été reprise par la nouvelle ministre des Solidarités et de la Santé, Mme Agnès Buzyn, qui appartient au gouvernement formé à la suite des élections présidentielles et législatives du printemps 2017.

Devant le Parlement, Mme Buzyn a défendu la ratification de l’ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier 2017 “de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé”. Cette ordonnance a modifié l'article L. 6154-1 CSP précité afin, selon la ministre, de lever “toute ambiguïté quant à la possibilité, pour ces praticiens [temps plein des hôpitaux publics], de continuer à réaliser des dépassements d'honoraires mais dans des conditions bien précises et sous réserve que les patients puissent bénéficier d'une alternative de soins sans dépassement [...] au sein de l’établissement”.

En réalité, la modification apportée par l’ordonnance n’est que “terminologique”. En effet, dans sa rédaction antérieure, le texte prévoyait déjà que l’activité libérale des praticiens publics était autorisée “dès lors que l'exercice des missions de service public” n'y faisait pas obstacle. Désormais, l’autorisation ne peut être accordée que “sous réserve que l'exercice de cette activité n'entrave pas l'accomplissement des missions” des établissements de santé, telles qu’elles sont définies à différents articles du code de la santé publique26. Or, l’activité libérale des praticiens publics peut très bien ne pas entraver l’accomplissement des missions des hôpitaux publics, sans pour autant que ces praticiens aient le droit, dans le cadre de cette activité libérale exercée au sein de ces établissements, de percevoir des dépassements d’honoraires puisque l’article L. 6112-2 CSP précité dispose que “les établissements de santé assurant le service public hospitalier et les professionnels de santé qui exercent en leur sein garantissent à toute personne qui recourt à leurs services […] l'absence de facturation” de tels dépassements.

Si l’ordonnance du 12 janvier 2017 était ratifiée par le parlement27, la loi pourrait être déférée au Conseil constitutionnel. Compte tenu de sa décision n°2015-727 précitée sur la loi Santé de 2016, la Haute juridiction devrait logiquement juger que les hôpitaux, tant qu’ils se voient confier par le législateur la gestion du “service public hospitalier” (SPH), ne devraient pas autoriser leurs praticiens à pratiquer des dépassements d’honoraires, de la même façon que les praticiens des cliniques privées habilitées à participer au SPH sont tenus de respecter les tarifs de base de l’assurance maladie. Mais, le Conseil constitutionnel pourrait peut-être être tenté d’écarter une lecture littérale de la loi en considérant, au regard des travaux préparatoires de la loi et comme les ministres de la Santé successifs l’ont fait valoir, que le législateur n’a pas eu l’intention de supprimer le droit au dépassement des praticiens des hôpitaux publics.

Dans cette hypothèse, l’application de la loi Santé de 2016 aurait alors pour résultat paradoxal de laisser libres les praticiens publics de facturer des dépassements d’honoraires dans le cadre de l’activité libérale qu’ils exercent au sein des hôpitaux publics, alors que ces derniers ont pour mission d’assurer le service public hospitalier en garantissent aux patients “l’absence de facturation de dépassements des tarifs fixés par l’autorité administrative et des tarifs des honoraires”, tandis que les praticiens libéraux exerçant au sein des cliniques habilitées à participer au SPH devraient respecter, eux et seulement eux, l’interdiction de pratiquer de tels dépassements. Cela serait une grave violation du principe constitutionnel d’égalité devant le service public car la différence de traitement entre les hôpitaux et les cliniques participant également au service public hospitalier ne paraît pas justifiée.

Concrètement, comment admettre qu'un obstétricien par exemple, mais aussi bien un chirurgien, un anesthésiste, etc. ait l’interdiction de percevoir des dépassements d’honoraires pour les actes et consultations qu’il réalise au sein d’une clinique privée habilitée à participer au service public hospitalier, alors que son confrère exerçant dans un hôpital public serait autorisé à percevoir de tels dépassements dans le cadre de son activité libérale réalisée au sein de l’établissement public qui l’emploie, en utilisant les lits hospitaliers pendant 20% de son temps de travail, pour y effectuer autant d’actes et de consultations que dans les 80% de son temps consacrés à son “activité publique” ?…

Conclusion
Des hôpitaux abusivement favorisés, des assurés sociaux doublement perdants
En mettant en œuvre la T2A, les pouvoirs publics français entendaient réduire les dépenses publiques hospitalières en organisant une concurrence vertueuse entre les établissements publics et privés, ce qui aurait permis de diminuer les charges indues de l’assurance maladie. Mais, parce que le statut de leurs agents n’a pas été réformé, les hôpitaux n’ont pu améliorer leur productivité, à la différence des cliniques. De surcroît, les évolutions nécessaires ont souvent été freinées au niveau régional par les élus au nom de “la défense de l’emploi dans les territoires”.

A titre de comparaison, on peut observer que les pouvoirs publics ont su transformer l’administration des “Postes, télégraphes et Téléphone”(PTT) en une société dont l’Etat est actionnaire, “Orange”, qui sait s’adapter aux exigences de la concurrence avec les autres opérateurs. Pour réformer le statut des hôpitaux, le législateur pourrait s’inspirer a minima du statut des caisses de sécurité sociale qui sont des organismes de droit privé en charge de la gestion d’un service public administratif. Les hôpitaux ne gagneraient-ils pas eux aussi à appliquer le droit du travail, complété par des conventions collectives, en remplacement du très rigide statut de la fonction publique ?… Comme nous l’avons souligné plus haut, la loi du 26 janvier 2016 n’autorise-t-elle pas les cliniques privées à demander à participer au service public hospitalier ?…

Les gouvernements successifs ont alors cherché, au moyen des ARS, à augmenter l’activité des hôpitaux en réduisant celle des cliniques privées, pourtant plus efficientes, et, pour ne pas trop creuser le déficit de l’assurance maladie, ils ont fait prendre en charge par les assureurs privés une part croissante des dépenses publiques hospitalières. Les pouvoirs publics ont également joué avec les “restes à charge” dans les établissements de santé, selon les intérêts qu’ils voulaient protéger ou, au contraire, pénaliser : d’un côté, ils ont rendu invisibles les surcoûts des hôpitaux publics, en empêchant la comparaison de leur tarification avec celle des cliniques privées et en imposant la couverture complète des “tickets modérateurs” publics par les assureurs privés ; d’un autre côté, ils ont empêché la prise en charge complète des dépassements d’honoraires des praticiens libéraux exerçant dans les établissements privés de santé et ils ont interdit ces dépassements dans les cliniques participant au service public hospitalier, tout en garantissant la perpétuation de ces dépassements dans le secteur libéral des praticiens des hôpitaux publics.

De cette politique, les assurés sociaux sortent doublement perdants : d’une part, au travers de l’assurance maladie, ils paient trop cher le service public hospitalier ; d’autre part, ils sont contraints de souscrire des assurances complémentaires privées qui sont de plus en plus coûteuses alors qu’elles ne permettent pas de couvrir le montant total des honoraires des praticiens exerçant en libéral dans les cliniques et les hôpitaux publics28.

* Professeur à l’Université Sorbonne Paris Cité, Faculté de Droit Paris
Descartes et Sciences Po Paris.
Institut Droit et Santé, Inserm UMRS 1145

1- “Il s’agit du montant de la dépense de santé qui reste à acquitter par les ménages après intervention des assurances maladie de base et complémentaire”.
2- DREES, Les dépenses de santé en 2015 - Résultats des comptes de la santé, sept. 2016, chap. 28, p. 98
3- Autrement dit, chacun payant en fonction de ses revenus et recevant en fonction de son état de santé, les riches contribuent ainsi au financement des soins dispensés aux pauvres.
4- DREES, Les établissements de santé, Édition 2016, en ligne
5- Cf. la présentation du projet de loi par la ministre, Mme Marisol Touraine, en ligne : http://www.gouvernement.fr/action/la-loi-de-sante
6- Observatoire citoyen des restes à charge en santé : “Hospitalisation : des restes a charge imprévisibles”, 22 mai 2014, en ligne
7- Pour une synthèse, cf. les développements sur le sujet in Rémi Pellet et Arnaud Skzryerbak, Droit de la protection sociale, PUF, coll. Thémis, 2017.
Le présent article reprend des éléments mentionnés dans cet ouvrage.
8- Le propos paraîtra sans doute exagéré à certains. Nous ne verrions que des avantages à ce que la contradiction nous soit apportée mais nous attendons une critique précisément argumentée. Chaque fois qu’une politique ou une institution est très sévèrement mise en cause, il se trouve de fins esprits pour refuser le débat au motif que “Tout ce qui est excessif est insignifiant” : ces malins feraient bien pourtant de se souvenir que l’auteur de la maxime, Talleyrand, était notoirement corrompu et que son modérantisme de principe servait à justifier ses compromissions.
9- Autrement dit, le GHS est la donnée facturable du GHM, sachant que “la très grande majorité des GHM n’ont qu’un seul GHS, c'est-à-dire un seul tarif, mais que dans certains cas, un GHM peut avoir deux ou plusieurs tarifs (dépendant, pour une même prise en charge – pour un même GHM –, de niveaux d'équipement différents, par exemple)” : http://www.atih.sante.fr/glossaire
10- Brigitte Dormont et Carine Milcent, “Comment évaluer la productivité et l'efficacité des hôpitaux publics et privés ? Les enjeux de la convergence tarifaire”, Économie et statistique, no 455-456, paru le 16 mai 2013, en ligne sur le site de l’Insee
11- “L'Indice synthétique d'activité (ISA) était, avant la tarification à l’activité, une unité d'oeuvre composite permettant de mesurer l'activité en médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie des établissements hospitaliers du secteur public et du secteur privé non lucratif. Une échelle nationale de coûts relatifs attribuait à chaque groupe homogène de malades (GHM), un nombre de points égal au rapport entre son coût moyen et le coût d'un GHM de référence” :http://www.atih.sante.fr/glossaire
12- L’assurance maladie cherche à réduire la durée des séjours en maternité en prenant exemple sur les autres pays européens, comme la presse en a largement rendu compte : cf. par ex. Diane Jean, “Séjours en maternité écourtés, une tendance européenne”, Le Monde, 11 juillet 2014, en ligne.
13- Ces syndicats représentent les chirurgiens, obstétriciens et anesthésistes exerçant dans les cliniques et hôpitaux.
14- Cf. Jean Marty et Rémi Pellet, “Les dépassements d’honoraires, l’assurance maladie et le projet de loi relatif à la santé”, Droit social, n°10, oct. 2014, pp. 839-846
15- Arrêté du 26 février 2016 portant détermination pour 2016 de la dotation nationale de financement des missions d'intérêt  général et d'aide à la contractualisation mentionnée à l'article L. 162-22-13 du code de la sécurité sociale
16- Cour des comptes, Rapport sur la Sécurité sociale, sept. 2010, p. 277
17- Bernard Gibaud, “Mutualité / Sécurité sociale (1945-1950) : la convergence conflictuelle”, Vie sociale, 2008, n° 4, p. 39-52.
18- Laetitia Clavreul, “A l'hôpital, des frais opaques et inégaux facturés aux patients”, Le Monde, 22 mai 2014, en ligne ; Victoire N’Sondé, “Des écarts de tarifs inacceptables à l’hôpital public”, 60 millions de consommateurs, n°494, juin 2014, pp. 28-31
19- Circulaire n°DGOS/R1/2016/172 du 12 mai 2016 relative à la campagne tarifaire et budgétaire 2016 des établissements de santé
20- Cette circulaire souligne à nouveau le caractère très hétérogène des TJP et le fait qu’ils entraînent une inégalité dans le RAC.
21- Sabine Germain, “Hospitalisation : comment enrayer la dérive des dépenses”, L’Argus de l’assurance, 21 janvier 2016, en ligne.
22- Cf. Rémi Pellet (dir.), Responsabilité, assurance et expertise médicales,
Dalloz, 2008
23- Dispositif anciennement appelé “secteur privé”.
24- C’est l’ordonnance n°2017-31 du 12 janvier 2017 “de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi  n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé” qui a retenu le taux de 20%. Auparavant, la limite était de “deux demi journées” par semaine. Mais 20% de 35 heures correspond à 7 heures, soit toujours, au total, une journée de travail.
25- La loi exige un avis favorable préalable conforme de la conférence médicale d'établissement
26- Art. L. 6111-1 à L. 6111-1-4 ainsi que l'article L. 6112-1 CSP
27- Le vote n’était pas acquis au moment où nous rédigions cet article.
28- Au vrai, les classes moyennes sont les principales victimes d’une telle évolution car les plus personnes aux revenus les  plus modestes bénéficient des couvertures publiques complémentaires gratuites, comme la CMU-C.

Article parue dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°110

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Publié le 1652305065000