Complémentaire versée aux médecins interrompant leur activité médicale pour cause de maternité ou de paternité.
“Ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne réservent à certaines catégories de médecins l'aide financière instituée par l'article L. 1625 du Code de la sécurité sociale”.
R. PELLET*
L’article 72 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2017 a prévu la possibilité pour des conventions nationales dites “médicales”, conclues par l'union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) et les organisations syndicales représentatives de médecins, pour définir les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les médecins (art. L. 162-5 du Code de la sécurité sociale, CSS), de déterminer “le cas échéant, les modalités de versement d'une aide financière complémentaire aux médecins interrompant leur activité médicale pour cause de maternité ou de paternité” (25° de l’art. L 162-5CSS), sachant, d’une part, qu’une telle aide n'est pas cumulable avec “la rémunération complémentaire perçue lors de l'interruption d'activité pour cause de maternité ou de paternité, au titre d’un contrat de praticien territorial de médecine ambulatoire que les agences régionales de santé (ARS) peuvent conclure avec un médecin conventionné” (art. L 1435-4-3 du code de la santé publique, CSP), d’autre part, que les ARS ne peuvent pas conclure “un contrat de praticien territorial de médecine générale”, tel que prévu à l’article L 1435-4-2 CSP, en cas de perception de l'aide financière précitée.
Le principe d’égalité n’interdit pas de traiter différemment des personnes placées dans des situations différentes
Les sénateurs et députés qui avaient déféré la loi devant le Conseil constitutionnel soutenaient que les dispositions de l’article 72 méconnaissaient le principe d'égalité devant la loi en tant qu'il réservait l'aide financière qu'il instituait aux seuls médecins conventionnés en secteur 1 ou ayant conclu un contrat d'accès aux soins.
Mais, dans sa décision n°2016-742 DC du 22 décembre 2016 sur LFSS pour 2017, le Conseil constitutionnel a écarté le grief en jugeant que “ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne réservent à certaines catégories de médecins l'aide financière instituée par l'article L. 162-5 du Code de la sécurité sociale” sachant qu’il appartenait “aux conventions nationales mentionnées ci-dessus de déterminer, sous le contrôle du juge, le champ d'application de cette aide financière dans le respect des principes constitutionnels”.
De l’article 72 de la LFSS pour 2017, il convient de tirer les conclusions suivantes, au regard de la jurisprudence constitutionnelle et administrative:
• Les conventions médicales sont des contrats administratifs dont l’entrée en vigueur est subordonnée à leur approbation ministérielle, ce qui a pour effet de leur conférer une valeur réglementaire (décision n°89-269 DC du 22 janvier 1990) ;
• Du fait de leur nature administrative, le Conseil d’Etat est juge de la légalité des conventions médicales, c’est-à-dire de leur conformité à la loi et aux principes constitutionnels ;
• En l’espèce, comme le Conseil constitutionnel l’a souligné, la LFSS pour 2017 n’a exclu aucune catégorie de médecins du bénéfice de l’aide financière que les conventions peuvent créer ;
• La loi a seulement interdit le versement d’une telle aide à des médecins qui auraient fait le choix de se lier aux ARS par l’un des deux types de contrat de praticien territorial indiqués supra ;
• Les partenaires conventionnels sont libres d’apprécier l’opportunité d’instituer une telle aide puisque le 25° de l’article L. 162-5 CSS commence par la locution adverbiale “le cas échéant”, ce qui signifie qu’une telle aide peut ne pas être créée ;
• Si une telle aide devait être créée, son champ d'application devrait respecter les principes constitutionnels et donc, notamment, le principe d’égalité entre les usagers du service public ;
• Pour le Conseil d’Etat, le principe d’égalité s’oppose à ce qu’un traitement différent soit appliqué à des administrés qui se trouveraient dans une situation identique (25 juin 1948, société du journal l’Aurore ; 9 mars 1951, société des concerts du conservatoire) ;
• En revanche, le juge administratif considère que le principe d’égalité n’interdit pas de traiter différemment des personnes qui sont placées dans des situations différentes (CE, 10 mai 1974, Denoyez et Chorques), mais ce n’est pas une obligation: le Conseil d’Etat considère que “le principe d’égalité n’implique pas que des [personnes] se trouvant dans des situations différentes doivent être soumises à des régimes différents” (CE 28 mars 1997, Société Baxter et autres) ;
• Le Conseil d’Etat juge que le principe d’égalité “ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit […]”, sachant que la différence de traitement en question ne doit pas être “manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier” (CE, ass. 11 avril 2012, GISTI) ;
• En l’espèce, l’assurance maladie est donc libre de n’accepter la création de l’aide financière prévue à l’article 72 de la LFSS pour 2017 qu’à la condition que l’avenant conventionnel tienne compte du fait que tous les médecins conventionnés ne sont pas placés dans des conditions identiques au regard des avantages et contraintes financiers que la convention médicale institue concernant ces praticiens ;
• La convention médicale actuellement en vigueur distingue entre les “médecins à honoraires opposables”, les “médecins à honoraires différents qui adhèrent aux dispositifs de pratique tarifaire maîtrisée” et les “médecins à honoraires différents”. Comme les “médecins à honoraires différents” jouissent d’une liberté tarifaire plus grande que celle qui est laissée aux deux autres catégories de praticiens conventionnés, l’avenant conventionnel peut prévoir que l’aide financière créée en application de l’article 72 de la LFSS pour 2017 sera d’un montant inférieur pour les premiers (2066 € bruts au maximum) par rapport au montant attribué aux seconds (3100 € bruts au maximum), la différence financière n’apparaissant pas manifestement disproportionnée au regard des revenus généraux des uns et des autres, alors surtout que la prestation ne sera versée que pour une durée maximale de trois mois et, donc, que la réduction financière se limite à 3102 € (3 x 1034 €).
* Rémi Pellet est Professeur à l’Université Sorbonne Paris Cité, Faculté de Droit Paris Descartes et Sciences Po Paris Institut Droit et Santé, Inserm UMRS 1145
Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°108