Pascaline et Valérie sont toutes deux infirmières au pôle de Gérontologie du Centre Hospitalo- Universitaire de Lille. Elles travaillent en service de consultation du Centre Oscar Lambret (centre régional de lutte contre le cancer des Hauts-de-France) et en unité de consultation et d’hôpital de jour de gériatrie du Centre Hospitalo-Universitaire de Lille.
Vous êtes toutes les deux Infirmières Diplômées d’État (IDE) et travaillez au sein de la filière d'oncogériatrie. Quel a été votre parcours avant de devenir infirmière en oncogériatrie ? Avez-vous suivi une formation particulière ?
Nous avons travaillé respectivement au sein de différents services de la filière gériatrique (court séjour gériatrique, soins de suite et réadaptation, établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, Gérontopsychiatrie) et en pneumologie.
Concernant la formation spécifique, une journée d’initiation aux bases de l’évaluation en oncogériatrie nous a été proposée par la gériatre spécialisée en oncogériatrie avec qui nous travaillons. Nous avons acquis le reste des connaissances pratiques et théoriques au fil de l’expérience et en participant à des journées de formation. Ainsi nous avons pu participer à des congrès comme celui de la Société Française d’Oncogériatrie (SoFOG) ou à des sessions paramédicales comme celles proposées par le Centre Oscar Lambret. Il existe depuis peu une formation universitaire de niveau Master 2 pour devenir Infirmière en pratique avancée (IPA) mais elle ne concerne pas la gériatrie. Une des mentions proposées pour le diplôme d’IPA s’intitule « Oncologie et hématooncologie ». Il existe également de nombreux Diplômes Inter- Universitaires pour se former à l’oncogériatrie.
Comment se déroule une journée type en consultation et/ou hôpital de jour d'oncogériatrie ?
Valérie :
La journée en hôpital de jour d’oncogériatrie se déroule de la façon suivante : j’accueille le patient et la personne accompagnatrice, puis je coordonne les interventions des différents professionnels participant à l’évaluation multidisciplinaire. A Lille, les patients bénéficient d’une évaluation par la diététicienne, l’assistante sociale, le pharmacien et si besoin de la psychologue. Je me charge de transmettre les informations recueillies au fil de la journée aux différents intervenants. Le rôle de l’infirmière est de faire réaliser aux patients les tests et questionnaires de l’évaluation gériatrique standardisée (Mini- Mental State Examination, Mini Nutritionnal Assessment, Time Up and Go Test, appui unipodal, vitesse de marche, etc. Je récupère également les comptes-rendus médicaux, ordonnances et biologies amenés par les patients afin d’extraire les données pouvant intéresser l’oncogériatre. Si le patient réside en EHPAD, je contacte l’équipe de l’EHPAD afin de recueillir les informations sur l’état fonctionnel et les soins apportés aux patients. D’autre part, nous réalisons des consultations de suivi. Elles consistent en une réévaluation gériatrique globale et des propositions d’ajustement du programme personnalisé de soins. J’effectue bien d’autres tâches tout au long de la journée comme le suivi téléphonique, l’enregistrement des données numériques, le tri des courriers, l’envoi des convocations et l’appel des patients avant la consultation.
Pascaline :
Au Centre Oscar Lambret, les patients sont adressés par les chirurgiens, oncologues et radiothérapeutes du centre pour une évaluation oncogériatrique faisant suite à la réalisation du G8 ou pour répondre à une question précise concernant d’éventuels traitements. Le G8 est un outil de dépistage des fragilités qui permet d'identifier, parmi les patients âgés atteints de cancer, ceux qui devraient bénéficier d'une évaluation gériatrique approfondie (selon les recommandations de l’Inca dans le cadre des plans Cancer) ; le patient nous est adressé en cas de score ≤ 14. Le patient bénéficie ainsi d’une évaluation approfondie, l’évaluation gériatrique standardisée (EGS). Mon rôle en tant qu’infirmière consiste dans un premier temps à accueillir puis expliquer au patient et à son aidant et/ou accompagnant le déroulement de la consultation et le but de celle-ci. Il arrive souvent de devoir dédier initialement un temps d’écoute active afin de créer un climat de confiance et un lien avec le patient. Je poursuis ensuite avec le recueil de données telles que les antécédents et pathologies en cours, la présence ou non d’allergie, les traitements à domicile (qui prépare, qui distribue, l’observance est-elle correcte ?) et les derniers bilans biologiques. Un appel auprès de la pharmacie ou du médecin traitant est souvent nécessaire pour obtenir l’ordonnance précise. Ensuite j’évalue le niveau des ADL (Activity of Daily Living – b-ADL et i-ADL), le Mini Nutritional Assessment (MNA), l’organisation d’une journée alimentaire (description du contenu des horaires de prise des repas par le patient, évaluation et prise en charge de la période de jeûne nocturne), la présence d’appareil dentaire, le MMSE, la mini-GDS (Geriatric Depression Scale), la qualité de sommeil, le test de marche, les chutes, l’évaluation de la marche, l’appui unipodal, le chaussage, l’évaluation de la douleur, de l’anxiété, de la fatigue, de l’audition et de la vision. Je recueille également des informations sur l’environnement du patient à savoir l’organisation du domicile, l’utilisation d’aides techniques, la présence d’aides professionnelles et/ou familiales, le déroulement de la vie quotidienne, la poursuite ou non de la conduite, etc.
Quel est votre rôle dans la prise en charge des patients âgés suivis dans le cadre d'un cancer ? Quels sont vos interlocuteurs ?
Notre travail s’apparente à celui d’enquêtrices. Nous rassemblons l’ensemble des renseignements concernant le patient ainsi que les comptes-rendus des Réunions de Concertation Pluridisciplinaire ou encore les résultats d’imagerie et d’examens complémentaires. Une autre partie importante du travail consiste dans le suivi téléphonique effectué auprès de chaque patient. Il permet une prise de nouvelles au cours des chimiothérapies ou radiothérapies, une évaluation de la prise alimentaire, du poids, des chutes, de la thymie, des douleurs, de l’entourage du patient et de prendre connaissance des événements intercurrents. Lors de ces suivis, nous sommes amenées à contacter le médecin traitant ou le réseau de soins gérontologiques, cela permet de développer le lien ville-hôpital. Le patient est reconvoqué si cela semble nécessaire. Il peut également arriver d’aller évaluer des patients dans les services, de conseiller les équipes lors des prises en charge en post-opératoire notamment en cas de confusion.
Nous jouons un rôle dans la réassurance du patient en poursuivant le lien établi en consultation. Nous participons également à la formation et à la transmission de la « culture gériatrique » dans les services et participons au lien entre la ville et l’hôpital. L’équipe d’oncogériatrie travaille avec des acteurs de la ville et de l’hôpital : les kinésithérapeutes, IDE libérales, assistantes sociales, diététiciennes, psychologues ou psychiatres, médecins nutritionnistes, les différents praticiens hospitaliers (chirurgiens, oncologues, radiothérapeutes), pharmaciens, médecins traitants, oncogériatres, tuteurs ou curateurs, le personnel des EHPAD dont les médecins coordinateurs. Nous pouvons également facilement orienter les patients vers les consultations d’évaluation de la mémoire ou de la chute. Il nous arrive aussi de prendre part à des discussions collégiales comme avec les équipes de soins palliatifs.
Quels sont les aspects positifs de votre métier ?
Le principal aspect positif est de travailler en équipe pluridisciplinaire ! Cela permet de réaliser une évaluation complète et de qualité. Notre métier nous donne l’occasion de développer une réelle relation de confiance avec les patients et leur famille. Nous rencontrons l’Être Humain et l’accompagnons dans des moments particuliers. Sur le plan intellectuel, le travail en binôme avec le gériatre spécialisé en oncogériatrie permet un enrichissement des connaissances. Nous avons également une grande autonomie et les missions de la journée sont très variées. Les rôles de l’infirmière en oncogériatrie sont multiples : accueil, écoute, explications, réassurance, lien de confiance, orientation, écoute de l’aidant et de ses difficultés avec orientation ou non vers des structures d’aide, informations, conseils, etc. Enfin, nous avons la chance de participer à des sessions sur le thème de l’oncogériatrie à la fois en tant que formatrice au Centre Oscar Lambret, ou comme intervenantes lors des congrès et lors des réunions de l’UCOG (Unités de Coordination en Oncogériatrie) des Hauts-de-France.
Quelles sont les difficultés rencontrées dans votre métier ?
Nous pouvons faire face à des difficultés dans les relations avec les patients, notamment en début de suivi. En effet, le patient et son entourage ne sont parfois pas informés du but de la consultation et peuvent être sur la réserve dans un premier temps. On peut aussi noter une difficulté pour les patients qui se considèrent « jeunes » à venir consulter en gériatrie. Le sujet de la mémoire est délicat à aborder avec, pour certaines personnes, une réticence lors de la passation du MMSE. Si les activités sont variées, la charge de travail se révèle importante. Nous effectuons également beaucoup moins de gestes techniques.
Participez-vous à la recherche dans le domaine de l’oncologie et de la gériatrie ?
Nous avons pu participer à plusieurs études sur des sujets tels que la dénutrition (participation à l’étude observationnelle NutriAge cancer, qui évaluait l’état nutritionnel des sujets âgés atteints d’un cancer au moment de l’Évaluation Gériatrique Personnalisée) ou les aidants (travail de thèse en médecine puis étude menée en partenariat avec le Centre Régional de Référence en Cancérologie), l’Université de Psychologie de Lille, le CHRU de Lille et le Centre
Oscar Lambret. Nous avons aussi aidé à la réalisation de la base de données CONSOG (« Observatoire des patients âgés atteints de cancer et vus en consultation d'onco-gériatrie dans la région Nord Pas-de-Calais »).
Pensez-vous que votre rôle évoluera dans les années à venir ? Sous quels aspects ?
Notre rôle évoluera certainement en parallèle du développement du diplôme d’IPA. Il est possible d’imaginer un rôle se rapprochant de celui des infirmiers canadiens avec la réalisation par l’IDE en oncogériatrie de consultations de suivi, d’évaluations dans les services ou encore de rédaction de prescriptions.
Valérie DELMAET et Pascaline KUPS
Infirmières diplômées d’État au Pôle de Gérontologie du Centre Hospitalo-Universitaire de Lille
Pour l’Association des Jeunes Gériatres
Questionnaire G8 : Test de dépistage du recours au gériatre chez un patient âgé atteint de cancer
Questions (temps médian de remplissage = 4,4 minutes) Réponses Cotations Le patient présente-t-il une perte d'appétit ? A-t-il mangé moins ces 3 derniers moispar manque d'appétit, problèmes digestifs, difficultés de mastication ou de déglutition ? Anorexie sévère
Anorexie modérée
Pas d'anorexie ▫ 0
▫ 1
▫ 2 Perte de poids dans les 3 derniers mois > 3 Kg
Ne sait pas
Entre 1 et 3 Kg
Pas de perte de poids ▫ 0
▫ 1
▫ 2
▫ 3 Motricité Lit - Fauteuil
Autonome à l'intérieur
Sort du domicile ▫ 0
▫ 1
▫ 2 Troubles neuro-psychiatriques Démence ou dépression sévère
Démence ou dépression modérée
Pas de trouble psychiatrique ▫ 0
▫ 1
▫ 2 Indice de Masse Corporelle = Poids/(Taille)2 < 19
19 - 21
21 - 23
> 23 ▫ 0
▫ 1
▫ 2
▫ 3 Plus de 3 médicaments Oui
Non ▫ 0
▫ 1 Le patient se sent-il en meilleure ou en moins bonne santé que la plupart des personnes de son âge ? Moins bonne
Ne sais pas
Aussi bonne
Meilleure ▫ 0
▫ 0,5
▫ 1
▫ 2 Age > 85 ans
80 - 85 ans
< 80 ans ▫ 0
▫ 1
▫ 2 Score total /17 Interprétation > 14 = Prise en charge standard
< 14 = Evaluation gériatrique spécialisée
Référence
D’après la traduction française proposée par https://ressources-aura.fr/questionnaire-g8 issue de l’article de Soubeyran P. Validation of G8 screeningtool in geriatric oncology : The ONCODAGE project. JCO 2011 ; 29 : Abs 9001.
Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°26