Infection à clostridioidesdifficile du sujet âgé

Publié le 17 May 2022 à 12:27


Les
infections à Clostridioidesdifficile (nouvelle dénomination du Clostridiumdifficile) (ICd) représentent la première cause de diarrhées nosocomiales dans la population générale et plus particulièrement chez le sujet âgé. Elle est extrêmement fréquente avec des chiffres l’estimant à environ un cas tous les 436 admissions hospitalières.
De plus cette pathologie présente un pronostic sévère chez le sujet âgé. En effet, dans cette population, son taux de mortalité varie dans la littérature de 5 à 40 %1. Néanmoins, le pronostic est surtout dépendant du taux de récidive, estimé lui entre 15 à 25 % dans les suites d’une première contamination.

Généralités concernant la bactérie

Clostridioidesdifficile (Cd) est un bacille gram positif, anaérobie décrit la première fois en 1935 par Hale et O’Toole ayant des propriétés de sporulation lui permettant de survivre plusieurs semaines dans l’environne- ment. La bactérie est ingérée par voie oro-fécale puis se transforme en forme végétative active dans le colon à l’occasion d’une perturbation de la flore digestive (antibiothérapie principalement).

Certaines souches ont la particularité de produire des toxines pathogènes de cinq types différents dont les toxines A (entérotoxine) et B (cytotoxine) sont les plus connues et les plus virulentes. Ces toxines sont les principales responsables du pouvoir pathogène de Cd. Elles ont pour cible le colonocyte qu’elles affectent par plusieurs mécanismes (apoptose, lésion de la bordure en brosse, etc.) aboutissant au tableau de colite pseudomembraneuse.

Gravité de la maladie chez le sujet âgé

Les patients âgés sont particulièrement touchés en termes de fréquence et sévérité par cette infection.

En effet, la littérature explique cela par certaines modifications physiologiques comme la baisse de motilité digestive ou l’immunodépression associées à une exposition importante aux médicaments (notamment in- hibiteurs de la pompe à protons et antibiotiques) et aux soins de manière générale.

Ces patients sont plus à risque de récidive (entre 15 et 25 % après une première infection) et concentrent la très grande majorité des décès (entre 5 et 40 % selon la littérature) imputables à l’ICd.

Figure1.Nombrededécès paranliéesàuneICden Francemétropolitaine2
Donnée Cépidc ; mention du diagnostic CIM10 A04. 7, cause initiale

En 2014, des recommandations Européennes2 ont été publiées plaçant ainsi le critère « âge > 65 ans » comme facteur de risque de sévérité et de récidive de la maladie.

Tableau 1. Facteurs de risque d’ICd sévère selon les recommandations Européennes3

Âge ≥ 65 ans Hyperleucocytose > 15 000/mm3 Élévation de la créatininémie > 50 % de la valeur de base Comorbidités sévères

Tableau 1. Facteurs de risque d’ICd sévère selon les recommandations Européennes3

Âge > 65 ans Poursuite du traitement antibiotique après diagnostic de l’ICd Comorbidités sévères Prise d’inhibiteur de la pompe à proton au long cours Gravité initiale de la maladie Gravité initiale de la maladie

Manifestations cliniques

Le tableau clinique est celui d’une colite pseudomembraneuse avec des manifestations cliniques hétéro- gènes notamment chez le sujet âgé. La présence d’une diarrhée aiguë caractérisée par des selles de type 5-7 de la classification de Bristol est le principal symptôme présent dans 95 % des cas. Celle-ci est très souvent sévère et fréquemment observée dans les suites de la prise d’un traitement antibiotique (avec des délais parfois longs pouvant aller jusqu'à 2 mois). Des douleurs abdominales sont également fréquentes. L’hyperthermie n’est présente que dans 20 % des cas. La plupart du temps, le diagnostic ne nécessite pas de réalisation d’explorations digestives. Celles-ci sont réalisées uniquement en cas de formes graves afin d’évaluer l’étendue des lésions.

Sur le plan biologique, les principales anomalies sont la présence d’une hypoalbuminémie < 30 g/l, d’une hyperleucocytose supérieure à 15 000/mm3 ainsi que d’une insuffisance rénale aiguë et d’une hypokaliémie.

Exceptionnellement des tableaux de choc toxigènique peuvent être observés. Ils se caractérisent par des signes généraux sévères, une fièvre élevée, tachycardie, douleurs abdominales intenses parfois état de choc. Une coloscopie peut être alors réalisée avec prudence en l’absence de signes de perforation.

Les recommandation Européennes permettent de lister les critères de sévérité de la maladie et ainsi d’adap- ter la conduite à tenir thérapeutique. Ces critères sont listés dans le tableau 3.

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Tableau 3. Critères de sévérité des ICd selon les recommandations Européennes3

Signes cliniques ƒ • Hyperthermie > 38,5°C ƒ • Frissons ƒ • Instabilité hémodynamique avec signes de choc ƒ • Décompensation respiratoire avec nécessité d’oxygénothérapie ƒ • Signes cliniques de péritonite ƒ • Signes cliniques d’iléus colique ƒ • Rectorragie sans autre étiologie Critères biologiques ƒ • Hyperleucocytose > 15 000/mm3 ƒ • Hyperleucocytose à PNN > 20 % ƒ • Elévation de la créatininémie > 50 % de la valeur de base  • Hyperlactatémie ≥ 5 mmol/l ƒ • Hypoalbuminémie < 30 g/l Explorations digestives  • Signes macro et microscopiques de colite pseudomembraneuse Critères radiologiques ƒ • Distension colique > 6 cm ƒ • Ascite sans autre étiologie ƒ • Épaississement de la paroi colique

Diagnostic bactériologique

Le diagnostic positif de l’infection est bactériologique. Il repose sur l’isolement de la bactérie à partir de la culture réalisée sur un prélèvement de selles diarrhéiques et de la détection des toxines.

Il est très important de noter que la culture ET la détection de la toxine sont nécessaires pour affirmer le diagnostic.

Plusieurs tests peuvent être utilisés pour déterminer la présence de la bactérie et déterminer si la souche bactérienne produit ou non des toxines. Certains tests sont très spécifiques et très sensibles mais leur réa- lisation peut prendre plusieurs jours. D’autres tests sont rapides (quelques heures) mais peuvent parfois être moins sensibles ou spécifiques. C’est la raison pour laquelle différents tests sont associés.

Parmi les plus fréquents nous pouvons citer :

>  Letestglutamatedehydrogenase(GDH) permet de détecter une enzyme produite en grande quantité par Cd. Elle détecte donc la présence de la bactérie. Ce test peut donc être utilisé comme test de première intention pour éliminer une infection. En cas de positivité, il faut utiliser un test de confirmation capable de détecter les toxines.

> LarecherchedesAetBpartechniqueimmuno-enzymatique (IEA). C'est la technique la plus souvent mise en œuvre, qui permet de rendre des résultats en une heure dans les cas les plus urgents. Ces tests manquent de sensibilité et ne doivent pas être utilisés seuls.

> UntestPCR(polymerasechainreactionouNAATNucleic-AcidAmplicationTest) peut être utilisé pour détecter la présence de toxines dans un échantillon de selles. Ce test est sensible mais n'est pas disponible dans tous les laboratoires.

> Lamiseenculturedesselles afin d'obtenir la bactérie en culture puis de rechercher la production de toxines par la bactérie est la technique de référence. Cette technique nécessite 2 à 3 jours pour obtenir un résultat.

Après traitement, il n’est pas nécessaire de refaire des prélèvements pour contrôler la disparition de la bactérie.

Des recommandations publiées en 20164  ont permis la mise en place de deux algorithmes de décision (a) et (b) permettant une adaptation aux habitudes des laboratoires.

LA GAZETTE DU JEUNE GÉRIATRE #20


Figure2.Algorithmesdedétectionbactériologiqued’uneICdselonlesrecommandationsEuropéennes4

Prise en charge thérapeutique
Celle-ci repose sur trois axes principaux :
„• L’isolement du patient et la mise en place de règles d’hygiène strictes.
„• La réhydratation et la rééquilibration hydroélectrolytique.
• L’instauration d’une antibiothérapie visant le Cd pour une durée de 10 jours. Il est également primor- dial d’arrêter le traitement antibiotique en cause autant que possible ; celui-ci majorant le risque de récidive.

Pour rappel, trois traitements antibiotiques sont aujourd’hui utilisés dans le traitement de l’infection :
•„ Le Métronidazole, à la posologie de 500 mg en trois prises quotidiennes.
•„ La Vancomycine, à la posologie de 125 mg en quatre prises journalières. A noter que les ampoules doivent être prises PER OS pour une action locale dans le tube digestif.
•„ La Fidaxomicine, molécule bactéricide récente et première représentante de la classe des macrocy- cliques. Elle a un spectre étroit permettant de cibler Cd et est prescrite à la posologie de 200 mg en deux prises par jour.

Les recommandations Européennes de 20142   ont établi un algorithme d’utilisation de ces traitements. Cet algorithme prend principalement en compte les critères de sévérité et les risques de récidive. Nous avons vu précédemment que, selon ces mêmes recommandations, le sujet âgé est considéré comme étant à fort risque.

Dans ce contexte, le traitement par Vancomycine est celui qui devra être privilégié en première intention dans cette population. Les auteurs recommandent l’utilisation de la Fidaxomicine en seconde intention et placent le traitement par Métronidazole en troisième position. Ce traitement est déconseillé chez cette population fragile et son utilisation est plutôt recommandée dans les cas où la prise PO est impossible et le traitement par voie IV indispensable.

La récidive est une réapparition des selles diarrhéiques entre 48h et 3 semaines après la résolution des symptômes initiaux. Elle est fréquente notamment chez le sujet âgé (de l’ordre de 15-25 %) et nécessite la remise en place des mesures thérapeutiques comme lors de la prise en charge initiale. On parle de multiples récidives lorsqu’il y a plus d’une rechute (donc dès la 3e ICd).

Devant la fréquence et la gravité de la maladie, de nombreux essais thérapeutiques ont été menés ces der- nières années. Parmi ceux-ci nous pouvons retenir l’émergence de la transplantation de matières fécales dont les résultats sont extrêmement encourageant mais dont la mise en place technique complexe réserve pour l’instant ce traitement à une solution de dernière intention lorsque plusieurs lignes thérapeutiques ont été essayées.

Arnaud CAUPENNE
Pour l'Association des Jeunes Gériatres

Références

  • Abou Chakra CN, Pepin J, Sirard S, et al. Risk Factors for Recurrence, Complications and Mortality in Clostridium difficile Infection : A Systematic Review. PLoS ONE 2014 ;9: e98400.
  • HAS. Modification de la nomenclature des actes de biologie médicale pour les actes de diagnos- tic biologique des infections à Clostridium difficile. [Internet]. 2016 [cité 5 avr 2019]. Disponible sur : https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2016-07/argumentaire_clostridium.pdf
  • Debast SB, Bauer MP, Kuijper EJ. European Society of Clinical Microbiology and Infectious Diseases : Update of the Treatment Guidance Document for Clos tridium difficile Infection. Clin Microbiol Infect 2014 ;20 :1-26.
  • Crobach MJT, Planche T, Eckert C, Barbut F et al. European Society of Clinical Microbiology and Infections Diseases : Update of the diagnostic guidance document for Clostridium difficile infection. Clin Microbiol Infect 2016 ;22: S63-S81.
  • Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°20

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