« Impact de la dysfonction systolique ventriculaire droite sur le pronostic du rétrécissement aortique »

Publié le 24 May 2022 à 20:08

Revue de la littérature

“Impact of right ventricular systolic dysfunction on outcome in aortic stenosis” (1)
Yohann Bohbot, Pierre Guignant, Dan Rusinaru, Maciej Kubala, Sylvestre Maréchaux, Christophe Tribouilloy

Publication dans Circulation Cardiovascular Imaging (2020:13(1):e009802. January 13, 2020)

Points clés de l’étude

  • Le rétrécissement aortique, du fait de la surcharge de pression qu’il entraîne, peut être à l’origine d’une hypertension pulmonaire et ainsi que d’une dysfonction ventriculaire droite.
  • Le TAPSE, un indice échographique de fonction systolique ventriculaire droite simple et reproductible, est un facteur pronostic indépendant de mortalité en cas de rétrécissement aortique au moins modéré (< 1,3cm2).
  • Les patients avec un TAPSE < 17 mm au moment du diagnostic de rétrécissement aortique (25 % des patients dans ce travail) ont une mortalité totale augmentée, même en cas de remplacement valvulaire aortique dans les 3 mois.
  • Dans le sous-groupe des patients asymptomatiques avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche > 50 %, un TAPSE < 17 mm est également indépendamment associé à un excès de mortalité.
  • Le remplacement valvulaire aortique est associé à une réduction marquée de la mortalité, indépendamment du TAPSE suggérant qu’il doit être considéré avant que la dysfonction ventriculaire droite ne survienne.

Contexte
Bien que la dysfonction systolique ventriculaire droite soit un facteur pronostic indépendant reconnu dans plusieurs pathologies (insuffisance cardiaque, infarctus du myocarde, hypertension pulmonaire), elle demeure peu étudiée et donc peu prise en compte dans le domaine des valvulopathies comparativement à la fonction systolique ventriculaire gauche.

Pourtant, les recommandations européennes proposent de considérer la chirurgie en cas de rétrécissement aortique (RA) serré asymptomatique mais avec hypertension pulmonaire (PAPs > 60 mmHg confirmé par une mesure invasive et sans autre explication que la pathologie valvulaire) (2). En effet, le RA peut entraîner une hypertension pulmonaire postcapillaire du fait de l’augmentation de la postcharge du ventricule gauche. Cette hypertension pulmonaire étant le principal déterminant de la fonction ventriculaire droite dans les valvulopathies avec une corrélation inverse entre le niveau de pression pulmonaire et la fonction systolique du ventricule droit.

L’évaluation de la fonction systolique ventriculaire droite doit être multiparamétrique mais un de ses paramètres essentiels, simple et reproductible, est le TAPSE (tricuspid annular plane systolic excursion). L’impact pronostique du TAPSE dans le RA n’a jamais été clairement démontré.

Cette étude a eu pour objectif d’analyser la relation entre la valeur du TAPSE au moment du diagnostic de RA et la mortalité totale au cours du suivi.

Méthode
Il s’agit d’un registre français bi-centrique (CHU Amiens, Hopital Saint Philibert Lille) ayant inclus de façon prospective 2181 patients consécutifs porteur d’un RA au moins modéré (défini par une surface valvulaire aortique < 1,3cm2). Tous les patients ont bénéficié d’une échocardiographie complète au moment du diagnostic de RA avec évaluation de la fonction systolique ventriculaire droite par la mesure du TAPSE.
Le suivi a été réalisé de façon rétrospective via des consultations avec échocardiographies régulières, des questionnaires téléphoniques et des lettres de suivi.

Le critère de jugement principal de l’étude était la mortalité totale.

Des analyses en sous-groupes ont également été effectuées (remplacement valvulaire dans les 3 mois/ traitement conservateur, RA sévère/modéré, sexe, âge, etc…).

Résultats
Caractéristiques de la population et mesures échographiques

L’étude a inclus 2181 patients d’un âge moyen de 77 ans avec 50.4 % d’hommes. Le suivi moyen était de 43 mois. Le TAPSE moyen était de 20.5 mm.

En séparant les patients selon les quartiles de TAPSE, on observe que les patients dans le quartile inférieur (< 17 mm) étaient significativement plus âgés et plus souvent des femmes, en comparaison avec le quartile supérieur (> 24 mm).

Ces patients étaient également plus symptomatiques et avaient plus de comorbidités (maladie coronaire, fibrillation atriale). Enfin, l’analyse échographique de ces patients révèle des RA plus serrés avec des surfaces aortiques plus petites mais des Vmax et des gradients plus bas en raison de volumes d’éjection systolique diminués.

A noter que les auteurs ont retrouvé une bonne reproductibilité intra- et inter-observateur de la mesure du TAPSE avec des coefficients de variation de l’ordre de 5 %.

Valeur pronostique du TAPSE
Les patients avec un TAPSE < 17 mm au moment du diagnostic de rétrécissement aortique avaient une survie à 5 ans significativement diminuée par rapport aux patients avec un TAPSE > 24 mm (55 ± 2 % vs 73 ± 2 %, p = 0.001, Figure 1).

L’analyse multivariée révèle que le TAPSE était associé de manière indépendante à la mortalité totale (HR = 0.97, CI 95 % 0.95-0.98 par diminution d’1 mm).

Il n’y avait pas de différence en termes de mortalité entre les 3 quartiles supérieurs mais les patients avec TAPSE < 17mm présentaient un net excès de mortalité après ajustement (HR= 1.55 [95 % CI, 1.21–1.97]) (Figure 1). Les facteurs d’ajustement étaient l’âge, le sexe, la surface corporelle, l’index de comorbidité de Charlson, le stade NYHA, la présence d’une HTA, d’une maladie coronaire, d’un antécédent d’infarctus du myocarde, d’une fibrillation atriale, la surface valvulaire aortique et la FEVG).


Figure 1. Courbes de survie des patients avec rétrécissement aortique selon le quartile de TAPSE au diagnostic.

A : courbes de Kaplan-Meier.
B : courbes ajustées.

L’utilisation d’un modèle statistique spécifique a permis d’observer une corrélation non-linéaire entre le TAPSE au diagnostic et la probabilité de survie à 5 ans avec une nette augmentation de la mortalité en dessous de 17 mm (Figure 2).


Figure 2. Taux de mortalité à 5 ans selon la valeur de TAPSE au moment du diagnostic.

Analyses en sous-groupes
L’analyse du sous-groupe de patients avec un RA serré révèle qu’un TAPSE < 17 mm au moment du diagnostic était associé à un risque significativement plus important de décès au cours du suivi (HR = 1.62, CI 95 % 1.24-2.14 ; p < 0.001) alors qu’il ne différait pas chez les patients avec une surface valvulaire aortique comprise en 1.0 et 1.3 cm2.

Le TAPSE conservait un impact pronostique significatif que les patients aient été opérés précocement (< 3 mois) ou non. Néanmoins, la mortalité était moins augmentée dans le sous-groupe de patients pris en charge précocement et le remplacement valvulaire aortique était associé à une réduction marquée de la mortalité, indépendamment du TAPSE.

Enfin, un TAPSE < 17 mm était également associé à une augmentation de la mortalité dans tous les sous-groupes de patients indépendamment de la présence de symptômes, de la présence ou non d’une hypertension pulmonaire ou d’une dysfonction ventriculaire gauche.

Discussion
Les données de cette étude indiquent que l’évaluation de la fonction systolique ventriculaire droite via la mesure du TAPSE au moment du diagnostic de RA est un déterminant majeur du pronostic à long terme, indépendamment des caractéristiques de base des patients et de leur prise en charge initiale. Le TAPSE a un impact considérable sur la mortalité qui persiste après ajustement à des facteurs pronostiques reconnus tels que l’âge, les symptômes, les comorbidités, la fibrillation atriale, la coronaropathie, la surface valvulaire aortique et la FEVG. Les patients avec un TAPSE < 17 mm ont un risque de mortalité augmenté, y compris en cas de remplacement valvulaire aortique réalisé dans les 3 mois suivant le diagnostic.

Intérêt du TAPSE
La mesure du TAPSE est simple, rapide et reproductible.
Elle consiste à mesurer le degré d’excursion systolique de l’anneau tricuspide en échocardiographie via le mode TM. De nombreuses données ainsi que les recommandations proposent un cut-off à 17 mm pour le diagnostic de dysfonction systolique du ventricule droit (3).

Impact de la dysfonction ventriculaire droite dans le rétrécissement aortique
Plusieurs études ont rapporté des données en faveur d’un rôle péjoratif d’une dysfonction ventriculaire droite dans le rétrécissement aortique. En particulier, Genereux et al (4) ont proposé en 2017 une classification pronostique du rétrécissement aortique en fonction de la présence d’une dysfonction ventriculaire gauche, d’une dilatation de l’oreillette gauche, d’une hypertension pulmonaire et d’une dysfonction ventriculaire droite. Les patients avec dysfonction ventriculaire droite (stage 4) avaient le plus mauvais pronostic.

Timing de l’intervention
Le pronostic des patients bénéficiant d’un remplacement valvulaire aortique était significativement impacté par un TAPSE < 17 mm dans cette étude. Néanmoins le remplacement valvulaire aortique dans les 3 mois suivant le diagnostic était associé à une diminution marquée de la mortalité chez les patients avec TAPSE < 17 mm. Malgré la prudence avec laquelle il faut s’avancer du fait du caractère rétrospectif de l’étude et de l’analyse de sous-groupe, ces données suggèrent qu’une intervention avant l’apparition d’une dysfonction ventriculaire droite serait plus bénéfique en termes de survie à 5 ans.

Limites de l’étude
La principale limite de cette étude tient à son caractère rétrospectif avec tous les biais inhérents à ce type d’analyse.

Par ailleurs, le TAPSE comporte plusieurs limites et ne reflète pas parfaitement la fonction ventriculaire droite. Néanmoins, il s’agit d’un paramètre simple, accessible en pratique quotidienne et reproductible comme l’a confirmé l’analyse inter et intra-observateur dans cette étude.

Conclusion
La fonction ventriculaire droite évaluée par le TAPSE au moment du diagnostic de RA est un déterminant majeur et indépendant de la survie à 5 ans. Un TAPSE < 17 mm est fréquent (25 % des patients) dans cette population et est associé à une augmentation de la mortalité.

L’évaluation de la fonction systolique ventriculaire droite apparait ainsi essentielle pour l’évaluation complète des patients porteurs d’une sténose aortique et leurs stratifications pronostiques, même lorsqu’ils sont asymptomatiques.

Références

  • Bohbot Yohann, Guignant Pierre, Rusinaru Dan, Kubala Maciej, Maréchaux Sylvestre, Tribouilloy Christophe. Impact of Right Ventricular Systolic Dysfunction on Outcome in Aortic Stenosis. Circ Cardiovasc Imaging. 2020 Jan 1;13(1):e009802.
  • Baumgartner H, Falk V, Bax JJ, De Bonis M, Hamm C, Holm PJ, et al. 2017 ESC/EACTS Guidelines for the management of valvular heart disease. Eur Heart J. 2017 Sep 21;38(36):2739–91.
  • Rudski LG, Lai WW, Afilalo J, Hua L, Handschumacher MD, Chandrasekaran K, et al. Guidelines for the echocardiographic assessment of the right heart in adults: a report from the American Society of Echocardiography endorsed by the European Association of Echocardiography, a registered branch of the European Society of Cardiology, and the Canadian Society of Echocardiography. J Am Soc Echocardiogr Off Publ Am Soc Echocardiogr. 2010 Jul;23(7):685–713; quiz 786–8.
  • Généreux P, Pibarot P, Redfors B, Mack MJ, Makkar RR, Jaber WA, et al. Staging classification of aortic stenosis based on the extent of cardiac damage. Eur Heart J. 2017 Dec 1;38(45):3351–8.
  • Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°11

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