MODE D’EMPLOI
On connaît bien les troubles de l’équilibre calcique et les hyperphosphorémies. Mais les hypophosphorémies, moins fréquentes, et pourtant présentent en réanimation ou dans le syndrome de renutrition par exemple, sont des troubles que l’on peut être amené à rencontrer dans notre pratique.
Définition d’une hypophosphorémie : c’est quoi les normes ?
Norme : 0,8 à 1,45 mmol/l
Gravité biologique
- 0,8 à 0,6 mmol/l : hypophosphatémie légère.
- 0,6 à 0,3 mmol/l : hypophosphatémie modérée.
- < 0,3 mmol/l : hypophosphatémie sévère.
Quand-est-ce que ça devient symptomatique ?
Symptomatique si sévère (P < 0,3mmol/L)
Et des symptômes pas du tout spécifiques
NB : ECG
Tableau I. Manifestations cliniques d’une hypophosphatémie avec déplétion phosphatée
Muscles
- Rhabdomyolyse aiguë avec élévation des enzymes musculaires
- Myopathie avec faiblesse musculaire, aréflexie, tremblements
- Diminution de la contractilité cardiaque, insuffisance cardiaque
- Atteinte du diaphragme, insuffisance respiratoire
- Atteinte digestive : dysphagie, iléus
Syste me nerveux central
- Irritabilité, anxiété, paresthésie, mouvements anormaux, tremblements
- Encéphalopathie : dysarthrie, torpeur, troubles de la vue, convulsions, coma
Hématologie
- Augmentation de la rigidité des globules rouges, hémolyse
- Diminution de la phagocytose avec prédisposition aux infections
- Thrombocytopénie
Os
- Augmentation de la résorption osseuse
- Enfant : rachitisme
- Adulte : ostéomalacie
Rein
- Hypercalciurie
- Hypermagnésurie
La lettre d’ICAR en néphrologie 2006 – Hypophosphatémie
Le Phosphore ça sert à quoi déjà ?
Répartition du phosphore
- os (cristaux d’hydroxyapatite).
- 14 % liquide intracellulaire : ATP, acides nucléiques, 2-3-DPG.
- 1 % liquide extracellulaire = LA PHOSPHOREMIE.
Rôle du Phosphore
- Minéralisation osseuse.
- Signalisation cellulaire (phosphorylation).
- Énergie : ATP.
- Transport de l’O2 : 2-3-Diphosphoglycérate (libération de l’O2 transporté par l’Hb).
- Synthèse d’ADN.
- Intégrité membranaire.
- Homéostasie acido-basique.
Figure 1 : Le pool total du phosphore contient 700 g dont 84,9 % dans les os, dents, 15 % dans les tissus mous (muscles, viscères), 0,1 % dans le liquide extracellulaire (LEC)
Hypophosphatemia in critically ill patients
T.Nguyen et J.-L. Vincent 2011
D’où des Symptômes liés à la diminution de l’ATP (énergie) et du 2-3-DFG transport O2).
Un peu de physio quand même…
- Absorption intestinale dans le duodénojéjunum
Sous contrôle de la forme active de la vitamine D : 1,25-Dihydroxy-vitamine D.
- Au niveau rénal : 80 à 85 % sont réabsorbés par le tubule, surtout proximal par co-transporteurs Na-dépendants.
- PTH : diminue la réabsorption.
- Vitamine D : stimule la réabsorption.
- Au niveau de la réserve osseuse : résorption stimulée par la vitamine D et la PTH.
… Pour mieux comprendre les causes de déplétion en phosphore
2 types de cause :
Situations aiguës
Passage de phosphore du secteur extra-cellulaire à l’intra-cellulaire.
Situations chroniques
- Diminution de l’absorption intestinale.
- Augmentation de pertes rénales.
Comment raisonne-t-on finalement ?
1 Est une hypophosphorémie AIGUE ?
S’aider du contexte +++ AIGUE si :
- Sepsis (alcalose respiratoire) / Réanimation.
- Correction d’une acido-cétose diabétique (action de l’insuline).
- Dénutrition / anorexie mentale et le syndrome de renutrition.
- Post-opératoire : chirurgie hépatique, parathyroïdectomie ++.
- Prolifération cellulaire rapide (hémopathie).
- (Alcoolisme pas trop en ped).
LE GROS PIEGE : SUPLEMENTATION EN PHOSPHORE SYSTEMATIQUE SI RENUTRITION SURTOUT PARENTERALE+++
Toute hypophosphorémie inférieure à 0,6 mmol/l (modérée) doit conduire à l’arrêt de la renutrition.
2 Si c’est CHRONIQUE : c’est soit DIGESTIF (diminution absorption intestinale), soit RENAL (diminution réabsorption tubulaire)
Pour faire la différence : analyse urinaire PHOSPHATURIE.
< 5mmol/24h : origine extra-rénale envisagée : digestive.
> 5mmol/24h : origine rénale envisagée.
Si on veut être plus précis : calcul de l’excrétion fractionnelle rénale de phosphore.
(Ph(u) x Créat(p)) / (Ph(p) x Créat(u))
- < 20 % : extra-rénal : digestif.
- > 20 % : rénal.
3 Etiologies digestives
- Apports alimentaires faibles.
- Latrogénie : chélateurs du phosphore, antiacides.
- Carence / résistance à la vitamine D.
- Stéatorrhée et diarrhée chronique.
- Vomissements.
4 Etiologies rénales
- Hyperparathyroïdie I ou II.
- Syndrome de Fanconi.
- Iatrogénie : diurétiques, corticoïdes.
- Déficit / résistance à la vitamine D.
- HHRH : Rachitisme hypophosphatémique héréditaire avec hypercalciurie.
- Et d’autres causes rares liées au FGF23 (une hormone hyperphosphaturiante).
Bilan Initial : AVANT TOUTE SUPLEMENTATION EN PHOSPHORE !!!
Sang : P, Ca, Créatinine, 1-25-OH-vitD, PTH.
Urines : P, Ca, Créatinine.
Si hypoP chronique : Rx osseuses standards : retentissement de l’hypo Ph chronique.
Voire Scintigraphie osseuse au Tc99, Ostéodensitométrie voire Biopsie osseuse en 2ème intention.
Traitement : la supplémentation et le traitement de la cause bien sûr
L’apport journalier en phosphore recommandé chez un adulte est de 800 à 1500 mg/j.
1L de lait = 1g de phosphore (ok pr suplémentation PO).
A commencer APRES les tests biologiques. Vérifier PAS D’HYPOCALCEMIE associée.
- Hypophosphatémie légère (0,6-0,8) : Pas de supplémentation.
- Hypophosphatémie modérée (0,3-0,6) : PO
Chez le patient sans assistance respiratoire : phosphate pharmaceutique PO : 1 à 2 g/j sur 10j.
PHOSPHONEUROS : phosphore-élément : 78,8 mg/10 gouttes.
Adulte et enfant à partir de 15 ans : 150 à 200 gouttes/j en 2 ou 3 prises : 1200 à 1600 mg /j. - Hypophosphatémie sévère (inf à 0,3) : IV
Administration IV de phosphate : 0,08-0,16 mmol/kg toutes les 2 à 6 heures.
PHOCYTAN IV 0,33 mmol/ml ou 0,66 mmol/ml à diluer.
Précautions : scope, surveillance P-Ca/6 heures / Contre-indications : hypoCa, Insuff rénale.
Conclusion
Donc pas si compliqué que ça l’hypophosphorémie :
1° : Urgence ? (profondeur, symptomatique ?)
2° : Puis : aiguê (réa ?) ou chronique ?
3° : Si chronique : rein ou appareil digestif ?
4° : Supplémentation (PO ou IV) ou non ? Et traitement de la cause.
Et la prévenir en situation à risque ! (syndrome de renutrition par exemple).
Daphnée Piekarski
Sources
- La lettre d’ICAR en néphrologie 2006 – Hypophosphatémie.
- Hypophosphorémie chez le malade grave, T. Nguyen et J.-L. Vincent, Service des Soins Intensifs, Hôpital Erasme.
- Hypophosphorémies d’origine génétique : avancées physiopathogéniques récentes, Annales d’Endocrinologie , G. Beraud, P. Perimenis, Fr.-L. Velayoudom.
- La régulation du phosphore, une histoire de plus en plus complexe M. Cohen-Solal (Service de rhumatologie, Hôpital Lariboisière.
- Hypophosphorémies en réanimation ,Thomas a , F. Fourrier b, 2003.
Article paru dans la revue “Association des Juniors en Pédiatrie” / AJP n°15
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