Hôpital de Mulhouse et choix de Strasbourg

Publié le 23 May 2022 à 16:06


Hôpital de Mulhouse :
La crise aux urgences met les internes et les patients en danger

Depuis lundi 30 septembre 2019, les 17 internes en médecine officiant au service des urgences de l’hôpital de Mulhouse sont toutes en arrêt de travail (de une semaine à un mois) pour épuisement professionnel.

Cette situation exceptionnelle n’est pas étonnante, ce services souffre depuis de long mois de conditions de travail difficiles. Au point que, suite à des démissions en série, il ne reste plus que 7 médecins titulaires sur un effectif théorique de 34 praticiens (en une année, le service est passé de 26 postes de médecin équivalent temps plein, à 9).

Cette raréfaction de la présence de médecins titulaires entraîne automatiquement une carence dans la réponse médicale aux patients se présentant aux urgences et laisse les internes trop souvent seuls, en première ligne.
Le Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes (SNJMG) pionnier de la revendication du repos de sécurité et de la diminution du temps de travail des internes tient à exprimer son soutien à ses collègues en souffrance à Mulhouse.
Le SNJMG rappelle que selon la loi, les services hospitaliers qui accueillent des internes, praticiens en formation, doivent pouvoir fonctionner indépendamment de la présence des internes.
Le SNJMG qui a déjà obtenu par voie judiciaire le retrait d’agrément d’un service d’urgences hospitalières qui ne respectait pas le statut de l’interne se tient à la disposition des internes de Mulhouse pour les aider à faire respecter la législation en vigueur.
Le SNJMG rappelle aux hôpitaux, aux facultés de médecine, aux Agences Régionales de Santé (ARS) et à l’Etat que les  internes ne doivent pas constituer une variable d’ajustement, corvéable à merci, vis-à-vis des difficultés démographiques du système de santé.

Le SNJMG

Internes aux urgences de l’hôpital de Mulhouse : Non au coup de force de l’ARS !

Les choix de stages hiver 2019-2020 des internes de médecine de la subdivision de Strasbourg n'auront pas lieu cette semaine.

Les syndicats locaux d’internes en accord avec le département universitaire de Médecine Générale et avec la compréhension de la Faculté de médecine, avaient demandé à ce que aucun poste d’internes ne soient ouvert à Mulhouse du fait du manque d’encadrement : le 1er octobre, les 17 internes intervenant actuellement dans ce service étaient tou-te-s en arrêt de travail pour épuisement professionnel. Hélas, l’Agence Régionale de Santé (ARS) - Grand Est, passant outre les conclusions de la commission de répartition de stages du 24 septembre 2019, a ouvert dans ce service 19 postes d’internes dont 17 réservés à des internes de premier semestre : non seulement, l’ARS persiste à placer des internes dans des conditions inacceptables de travail/formation, mais elle y envoie essentiellement les moins formés/expérimentés d’entre eux/elles !
Bien évidemment, le Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes (SNJMG) est aux cotés des syndicats locaux d’internes pour condamner ce mépris administratif et soutient leur revendication de redistribuer ces postes sur des services de médecine d’urgence capables de former des internes tout en respectant la législation les concernant.
Le SNJMG appuie donc leur interpellation des ministères concernés (Santé, Enseignement Supérieur) et attend des ministères qu’ils adressent un rappel à la loi à l’ARS Grand Est. En l’absence de réponse, le SNJMG envisagera tous les recours possibles pour éviter que le 4 novembre 2019, une vingtaine d’internes ne soient utilisés, hors de tout cadre réglementaire, comme « chair à canon » pour pallier les difficultés de fonctionnement d’un service hospitalier.

Le SNJMG

Internes aux Urgences de l'Hôpital de Mulhouse : Sortie de crise

C’est finalement ce vendredi 18 octobre 2019 que les internes de Strasbourg vont choisir leur stages hospitaliers pour le semestre d’hiver… avec 11 postes proposés aux urgences de Mulhouse.

Suite à la tentative de passage en force de l’ARS Grand Est, les choix du 7 octobre 2019 avaient été reportés.
Le 8 octobre 2019, une réunion entre les syndicats locaux d’internes, l’ARS, la direction du GHRMSA et le département de médecine générale de la Faculté avait débouché sur un protocole de sécurisation de l’accueil des internes aux urgences de Mulhouse, protocole validé le lendemain 9 octobre 2019 par les internes de médecine générale de Strasbourg, réunis en assemblée générale extraordinaire.
Suite à ce vote, l‘ARS s’est engagée dans un mail en date du samedi 12 octobre 2019 adressé aux représentants des internes et à la Faculté de Médecine, à fournir ce lundi 14 octobre 2019 au soir la signature du protocole de sécurisation et un planning nominatif prouvant notamment la présence chaque jour de sept médecins séniors dédiés à l’accueil des patients dans les différents secteurs du service des urgences de Mulhouse.
Finalement, l’ARS Grand Est a communiqué tous ces documents le 15 octobre 2019, avec quelques « trous » dans le planning des seniors mais avec l’engagement, partagé par le nouveau chef de service, de les combler d’ici l’arrivée des nouveaux internes le 4 novembre 2019.
Même si la meilleure solution reste qu’il n’y ait eu aucun poste d’internes proposés aux choix pour le semestre d’hiver 2019, le Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes (SNJMG) estime que les syndicats locaux d’internes (Syndicat autonome des internes des hospices civils de Strasbourg et Syndicat autonome des résidents de la région Alsace - internes en médecine générale) ont bien négocié les impératives mesures de sauvegarde : pas de garde le premier mois, répartition dans les 7 jours de tous les internes sur d’autres services d’urgences si problème… De plus, grâce au principe d’inadéquation obtenu suite à la grève nationale de 2014, beaucoup d’internes gardent la possibilité de ne pas choisir ce stage pour ce semestre d’hiver…
En tout état de cause, le SNJMG reste à la disposition des interne de Médecine Générale de Strasbourg pour toute demande d’aide.

Le SNJMG

Problème à l’hôpital de Mulhouse par le Docteur Pierre Frances Les urgences de Mulhouse, une tension en voie de généralisation ?

Développement
Depuis quelques semaines l’attention des professionnels de santé se concentre sur la situation d’un service qui est à l’origine de nombreuses réactions et de prises de position ; celui des urgences du CH de Mulhouse.

Un déficit majeur !
Le premier point, qui est à l’origine de cette problématique au sein d’un service des urgences, est celui des démissions successives des urgentistes à l’origine d’un dysfonctionnement majeur de l’unité.
Combien de praticiens, politiques ou concitoyens, se sont posés les questions des raisons qui ont conduit à cette fuite des urgentistes ?
Pas beaucoup, car derrière cette désaffection se cache une réalité : la gestion du quotidien de cette unité.
Il est triste de voir qu’aucun journaliste n’est allé à la rencontre des urgentistes de cet hôpital pour avoir plus de précisions sur les raisons de cette « crise ».
Toujours est-il que la situation devient intolérable car le directeur de l’ARS de la région a proposé de sanctionner les urgentistes démissionnaires.

Et les internes alors !
En parallèle à cette situation, les étudiants en médecine ont décidé de se mettre en grève au sein de ce service. Une nouvelle fois, nous devons nous poser des questions concernant « ce choix » :

  • Les internes ont-ils décidé de ne plus assurer la gestion des urgences car leur nombre est trop faible ?
  • Les internes ne refusent-ils pas de travailler sans avoir une supervision de qualité ; laquelle ne peut être effectuée lorsqu’il existe un tel déficit ?

Au-delà de ces questions, nous ne pouvons que soutenir nos futurs collègues (la plupart seront des généralistes) qui sont souvent des variables d’ajustement indispensables pour le fonctionnement des services d’urgence.
Il ne faut pas oublier qu’avec la nouvelle maquette, le stage au sein d’un service d’urgence est effectué pour les généralistes en 7ème année (1er contact avec la réalité du métier).
Comment peut-on accepter que des jeunes étudiants qui n’ont jamais pratiqué auparavant puissent être confrontés souvent seuls (la supervision est difficile parfois à réaliser en cas de pénurie) à des patients que les généralistes de ville ont envoyé en hospitalisation car ils ne pouvaient pas les gérer ?

Une réalité très éprouvante
Travailler en 2019 au sein d’un service des urgences pour un professionnel de santé devient de plus en plus difficile.
Outre la charge de travail qui devient de plus en plus lourde, il existe également les tracasseries administratives (le poids de cette branche au sein des hôpitaux est devenu prépondérant), et il est aussi important de comptabiliser les pertes de temps pour la quête du lit adéquat pour le patient nécessitant une hospitalisation.
Un tel constat ne peut se concevoir qu’en allant travailler avec ces collègues qui sont à bout de nerfs, et qui ne sont pas satisfaits de leur cadre de vie professionnel, et de leur travail (ils doivent souvent le bâcler par manque de temps).
Oui, les urgentistes sont des hommes comme les autres avec des doutes et parfois beaucoup de fatigue !

Une action politique pas nécessairement adéquate !
Vis-à-vis de la situation au sein des urgences de Mulhouse nous voyons que les réactions, des politiques et autres agents administratifs, restent inappropriées.
Tout d’abord la pénurie actuelle a été volontairement favorisée depuis des décennies par des mesures gouvernementales visant à réduire le nombre de praticiens (ils favorisent le déficit des organismes sociaux).
La ministre de la Santé pense qu’en donnant de l’argent elle va régler cette problématique, mais elle oublie qu’il faut penser avant tout à recruter des médecins !
Comme nous l’avons vu précédemment le responsable de l’ARS en charge du CH de Mulhouse souhaite sanctionner les démissionnaires.
Agir de la sorte s’apparente à vivre une situation d’un pays totalitaire où le citoyen est aliéné de toute liberté d’action.
Ce directeur, n’aurait-il pas mieux fait de proposer une participation des médecins (ils sont nombreux je le pense) de l’ARS et autres services administratifs (Sécu…) au sein de l’unité d’urgence de Mulhouse ?
D’autres « signes forts » comme la participation de l’ancien chef de services des urgences devenu politicien, ont été relayés par les médias.
Une telle réaction, aussi louable soit-elle, est-elle très ponctuelle ou régulière (ce qui serait souhaitable) ?
Ne serait-il pas plus raisonnable dans ce cas de pénurie de demander à ces politiques urgentistes ou appartenant à la famille des professionnels de santé de démissionner de leur poste (ils peuvent être facilement remplacés) pour venir en aide à leurs concitoyens ?

Une vitrine qui risque de devenir une réalité au sein de la quasi-totalité des services des urgences de France
La crise vécue au sein du service des urgences de Mulhouse n’est pas un cas isolé.
La pénurie de médecins au sein des services des urgences est devenue une réalité dans la plupart des hôpitaux français.
Certaines structures réduisent les horaires de fonctionnement des services d’urgence pour éviter le burn out des quelques urgentistes en place, tandis que d’autres ferment les urgences par manque de personnel.
Nous allons devoir avoir une réflexion plus étayée, et plus « professionnelle » pour trouver des solutions à ce déficit qui va s’accentuer durant au moins 10 ans.
Nos dirigeants vont devoir prendre des décisions opportunes en demandant à la base des solutions (celui qui connaît le terrain peut donner des idées).
Ce n’est pas en fustigeant les professionnels de santé qui, pour la plupart, font de leur mieux au détriment de leur vie privé, que nous avancerons. Enfin, il est important pour gouverner de ne pas être uniquement populaire ! « Le propre de la sagesse et de la vertu est de gouverner bien ; le propre de l’injustice et de l’ignorance est de gouverner mal ». Platon.

Pierre FRANCES
Médecin généraliste
1 rue Saint Jean Baptiste
66650 Banyuls-sur-Mer
[email protected]

Cas clinique

Melanonychie longitudinale ungueale acquise de l’enfant. Quelle conduite à tenir pour le professionnel pédicure-podologue ?
Nous voyons le jeune Cédric, 7 ans, qui présente depuis 6 mois une pigmentation brune de la tablette unguéale (cliché 1).


Cliché 1 : Mélanonychie du 5ème doigt de la main droite de Cédric

En y regardant de plus près, nous remarquons qu’il s’agit d’une mélanonychie longitudinale (bande pigmentée longitudinale). Elle s’étend de la zone matricielle jusqu’à l’hyponychium de la tablette unguéale (cliché 2). Cette hyperpigmentation est de couleur brun clair, et elle couvre 1/3 de la surface de l’ongle.
Compte tenu de l’ancienneté de cette pigmentation, de l’absence d’évolutivité sur la période de 6 mois, et de sa couleur claire, nous retenons le diagnostic de naevus unguéal.


Cliché 2 : Anatomie de l’ongle normal.

Eléments épidémiologiques concernant la mélanonychie et les naevi de l’enfant

La mélanonychie longitudinale est fréquente chez les enfants. Il existe une prévalence différente suivant les races (1-2) :

  • Elle est de 1,4 % chez les patients de race blanche.
  • Elle est de 77 % chez les patients ayant un phototype foncé (africains et afro-américains).
  • Elle est comprise entre 10 et 20 % chez les sujets asiatiques.

Dans le cas des naevi, l’atteinte unguéale est le plus souvent unique, mais il est possible dans certaines communautés ethniques de retrouver une atteinte pluri-unguéale (1).
Le plus souvent les naevi apparaissent chez le très jeune enfant ou chez le jeune adulte.
Le pouce, et le 2ème doigt sont le plus souvent concernés par cette pigmentation (3). Cependant, chez les sujets asiatiques l’atteinte unguéale concerne le plus souvent le 3ème doigt (2).
Dans 50 % des cas la dimension de la bande est supérieure à 3 mm (3).
L’épaisseur des bandes longitudinales augmente le plus souvent avec l’âge.
Néanmoins, il est fréquent d’assister à une disparition de ces mélanonychie d’origine naevique lorsque les patients deviennent adolescents ou adultes (2).
Contrairement à la prise en charge des mélanonychies de l’adulte, la prise en charge des mélanonychies de l’enfant doit être rigoureuse mais en ayant moins de stress. En effet, la transformation maligne en acromélanomes unguéaux reste exceptionnelle chez les enfants (4).

Origine des mélanonychies longitudinales
Parmi ces mélanonychies, 48 % d’entre elles correspondent à des naevi chez l’enfant, et 12 % chez l’adulte (3).
De nombreuses étiologies peuvent être responsables d’une mélanonychie longitudinale, et pas seulement une origine en liaison avec une activation mélanocytaire.

Le tableau 1 permet de répertorier les principales étiologies en rapport avec ces mélanonychies (5).

Les mélanonychies longitudinales en rapport avec une activation mélanocytaire. Genèse de cette localisation particulière
Au cours du développement foetal, une migration de mélanocytes s’effectue vers le derme dès la 10ème semaine (6).
Une distribution de ces mélanocytes prend effet sur les différentes parties du corps de manière progressive ; les sites concernés incluent également la face dorsale des mains et des pieds.
En parallèle dès la 10ème semaine de gestation, l’ongle commence à se former.
L’apparition de mélanocytes au niveau de la matrice unguéale à la 10ème semaine correspond à une migration aberrante de mélanocytes à ce niveau (6).
La mélanonychie observée chez les patients provient de mélanocytes situés au niveau de la matrice unguéale. Certains mélanocytes actifs favorisent par le biais de dendrites le transfert de mélanosomes riches en mélanine vers la tablette unguéale donnant de ce fait la pigmentation brune observée dans la mélanonychie (5). 

Est-il possible d’utiliser la règle ABCDE pour évaluer les naevi sous-unguéaux, et les risques de transformation maligne ?
Dans 40 à 47 % des cas le diagnostic de transformation maligne des naevi (il s’agit de naevi du tissu cutané) est effectué par les patients euxmêmes sans avoir eu connaissance de cette règle (7).
En étant informé de cette règle ABCDE, il existe un risque important de surestimation de la dangerosité de lésions qui au final sont tout à fait bénignes.
En ce qui concerne les naevi unguéaux, il est difficile de transposer cette règle du fait de caractéristiques propres lors du développement, et de la genèse de ces naevi.
De ce fait certains auteurs (8-9) ont effectué une classification ABCDEF qui tient compte du particularisme de cette localisation.
A : correspond à l’âge du patient. Le potentiel de gravité est d’autant plus important que le sujet est âgé. Les mélanomes unguéaux surviennent le plus souvent chez des patients ayant entre 50 et 70 ans.
B : correspond aux bandes longitudinales observées qui peuvent être hétérogènes. Plusieurs bandes de couleurs différentes doivent alerter le clinicien d’un potentiel éventuel de malignité (surtout chez les patients adultes).
C : correspond à un changement récent, et rapide de pigmentation de la mélanonychie. Cet élément signe très souvent une transformation maligne, et doit être pris en considération au premier chef.
D : correspond à l’atteinte du doigt observée. Le plus souvent, comme nous l’avons dit précédemment, le pouce est atteint, mais aussi chez certaines ethnies le 3ème doigt. Toute mélanonychie observée sur un autre doigt impose un examen plus rigoureux.
E : correspond à l’extension du pigment vers l’éponychium (signe de Hutchinson qui est hautement suspect chez les adultes, et moins important chez les enfants).
F : correspond à l’histoire familiale avec la notion de mélanome unguéal chez les parents, ou la fratrie, mais aussi un problème de naevi dysplasique.
Il est possible de se référer à cette classification qui peut être utile, surtout chez les adultes, mais présente quelques travers chez les enfants du fait d’un manque de spécificité.

Le signe de Hutchinson est-il un bon marqueur de transformation maligne d’un naevus chez l’enfant ?
Le signe de Hutchinson a été décrit pour la première fois en 1886 (1).

Il correspond à une extension péri-unguéale du pigment mélanique (cliché 3).


Cliché 3 : Mélanome malin avec signe de Hutchinson (flèche verte)

Ce signe même s’il est important dans l’évaluation d’une transformation maligne d’un naevus sous-unguéal peut être surévalué pour plusieurs raisons (1-10) :

  • On peut le retrouver dans d’autres pathologies comme les pigmentations unguéales ethniques, les traumatismes, la maladie de Cushing, au décours de la prescription de certains médicaments.
  • Chez les enfants, la cuticule et l’éponychium ont une épaisseur moins importante que chez d’adulte. De ce fait, par le biais de cette transparence le pigment mélanocytaire est plus visible ; élément faisant penser à une extension péri-unguéale d’un processus malin d’origine mélanocytaire. En fait il ne s’agit que d’un pseudo-Hutchinson.

Dans notre cas clinique, nous pouvons mettre en évidence le signe de pseudo-Hutchinson (cliché 4 flèche bleue). Cette découverte ne doit pas nous conduire à effectuer une prise en charge chirurgicale de la mélanonychie de Cédric.


Cliché 4 : Signe de pseudo-Hutchinson avec transparence de l’éponychium chez Cédric (flèche bleue)

Quelle est l’utilité de la dermoscopie dans l’évaluation d’un naevus unguéal ?
Compte tenu de la difficulté d’évaluation de la malignité d’une mélanonychie unguéale en rapport avec un naevus sous-unguéal, il semble utile de recourir à la dermoscopie pour évaluer cette dermatose.
Classiquement sept patrons (architecture visualisée par le dermatoscope) sont décrits (11) :

  • Les taches de sang. Elles sont le plus souvent homogènes et de couleur violette ou brune. Leur disposition est le plus souvent linéaire. On obtient des images ovoïdes ou polycycliques bien limitées au niveau du bord proximal. Parfois le patron est filamenteux.
  • Un fond de couleur brune homogène qui associe des bandes de couleur marron régulières. La couleur est due à l’hyperplasie mélanocytaire.
  • Une régularité du patron. Les lignes obtenues sont parallèles et de même coloration. L’espacement entre les bandes est régulier, et les lignes sont homogènes sans interruption.
  • Le patron irrégulier. Dans ce cas on assiste à une absence de parallélisme, une variation de couleur et d’épaisseur, et une asymétrie des bandes qui peuvent se couder ou s’arrêter brutalement. Ces éléments sont hautement suspects d’une transformation maligne.
  • Des bandes grises homogènes. En fait il s’agit d’une superposition de bandes grises. Ce patron peut tranquilliser le clinicien car il correspond à une hyperplasie mélanocytaire. Il est souvent secondaire à une origine iatrogène ou ethnique.
  • Le microsigne de Hutchinson. Il se définit comme une pigmentation au niveau de la cuticule. Comme nous l’avons dit précédemment c’est un signe en rapport avec une possible transformation maligne d’un naevus. Cependant sa spécificité n’est pas absolue. Néanmoins, la dermatoscopie peut nous révéler une irrégularité pigmentaire au niveau de la zone de l’éponychium qui peut faire penser à une transformation maligne.
  • Les cassures microscopiques longitudinales.
    Elles ne sont pas associées aux bandes pigmentées, et n’ont pas de caractères suspects. L’apport de la dermatoscopie reste chez l’enfant un sujet de discussion quant à son intérêt.

En 2013, une équipe de spécialistes en onychologie a permis de retenir l’intérêt très relatif de la dermoscopie dans la prise en charge des naevi unguéaux (12).
Pour ces derniers, l’examen clinique, le suivi, et le recueil des antécédents des patients sont bien plus importants que l’aspect dermatoscopique observé (12).
Une étude japonaise de 2016 (13) permet de retenir l’intérêt de cet examen dans le cadre d’un suivi. Dans ces cas la dermoscopie est utile pour rechercher une variation de couleur des lésions unguéales.
En ce qui concerne Cédric, nous pouvons noter une régularité des ces bandes (cliché 5), un fond de couleur homogène (cliché 5).
Tous ces éléments permettent de nous rassurer quant au caractère bénin de la lésion de cet enfant.

 
Cliché 5 : Aspect dermoscopique de l’ongle de Cédric. On note un fond avec une couleur homogène, et une répétition de bandes uniformes.

Quel intérêt, et comment effectuer une biopsie d’une mélanonychie en rapport avec une origine naevique ?
Utile pour déterminer grâce une étude histologique s’il n’existe pas de transformation maligne, la biopsie est l’élément cardinal du diagnostic de mélanome malin.
Cependant, sa réalisation se révèle difficile (14).
En effet, dans le cas d’une pathologie naevique, il est important de ne pas effectuer un simple prélèvement par punch qui n’individualise pas la totalité de la lésion.
Certains auteurs ne recommandent la réalisation du punch que pour le cas d’une mélanonychie dont le diamètre la taille est inférieure à 3 mm.
De plus, cet acte doit être profond le punch doit aller très profondément jusqu’au périoste (14).
La réalisation d’une série de punch sur une lésion mélanocytaire peut conduire à des cicatrices tout à fait inesthétiques.
La biopsie doit comporter l’ensemble de la lésion, et de ce fait elle nécessite un recueil sur la totalité de la zone atteinte ; la matrice étant bien entendu concernée.
Or ce prélèvement, tout comme les punchs itératifs, conduit souvent à des problèmes de cicatrices, et peut induire de réelles dystrophies unguéales.
De plus, même si le prélèvement semble être le plus large possible, il est toujours possible de méconnaître une zone maligne non biopsiée (15)
Plusieurs voies d’abord sont préconisées (14-16) :

  • La voie longitudinale latérale dans le cas d’une lésion qui atteint le 1/3 de l’ongle. De cette manière un prélèvement est effectué au niveau de la matrice, du repli unguéal, du lit de l’ongle, et l’hyponychium.
  • La voie tangentielle est effectuée dès que le clinicien souhaite se rassurer car la suspicion de mélanome reste faible. Dans ce cas, la lésion doit être inférieure à 3 mm, et ne permet pas d’évaluer l’indice de Breslow (indicateur utile dans le cadre de l’évaluation de la propagation du mélanome). Cependant, les risques de dystrophie unguéale sont moins importants que dans le 1er cas.

En tout état de cause, la réalisation d’une biopsie unguéale ne doit être réalisée que dans le cas où une incertitude diagnostic est très importante et peut mettre en jeu la vie du jeune patient.
En fait, les risques de dystrophie unguéale sont très importants, et peuvent avoir des conséquences esthétiques irréversibles chez un enfant.

Conclusion
Les acromélanomes unguéaux restent exceptionnels chez l’enfant. Ils surviennent le plus souvent chez les patients ayant plus de 50 ans.

De ce fait, la prise en charge d’une mélanonychie de l’enfant doit tenir compte de cette réalité.
Au niveau clinique, le signe de Hutchinson manque à cet âge de spécificité car une transparence unguéale est possible du fait d’une faible épaisseur de l’éponychium.
De plus la dermatoscopie n’est pas un outil très fiable pour avoir une certitude diagnostic.
Dans ce contexte très complexe, il faut avoir de solides arguments pour demander une biopsie car les risques de dystrophie unguéale peuvent compromettre esthétiquement la croissance d’un ongle.
Aussi, pour éviter de passer à côté d’une lésion maligne il est nécessaire d’effectuer un examen régulier (tous les 6 mois, voire tous les ans) de la mélanonychie, et de bien consigner les caractères évolutifs de cette dernière.
Bien entendu, toute modification importante observée entre deux visites doit nous conduire à effectuer un prélèvement.
Il est important de savoir qu’à l’âge adulte nombreuses sont ces mélanonychies qui régressent.
Pour ceux qui conservent à l’âge adulte ces formations d’origine mélanocytaire, il est impératif de ne pas relâcher la surveillance car c’est à partir de cet âge que les risques de transformation maligne sont plus élevés.
Pour finir, il est important pour tout généraliste de connaître ces règles simples de prise  en charge, car il lui est ou sera possible de devenir un acteur principal dans le dépistage et le suivi de ces lésions.

En revenant sur le cas de Cédric, les éléments cliniques et dermoscopiques se révèlent très rassurants, et nous permettent d’éliminer une malignité de sa mélanonychie longitudinale. De ce fait, nous avons pu dédramatiser la situation ; non sans expliquer la nécessité d’effectuer un suivi semestriel, tant au niveau dermoscopique que visuel de la mélanonychie de ce jeune enfant.

Résumé
La mélanonychie longitudinale est une pigmentation de couleur brune ou noire de l’ongle. Plusieurs étiologies peuvent être responsables de cette entité ; la plupart demeurant bénignes pour l’enfant.

La politique de l’attentisme est une bonne attitude pour les mélanonychies longitudinales chez les jeunes enfants (moins de 14 ans).
Néanmoins, si la mélanonychie longitudinale apparaît chez l’adolescent âgé, un contrôle plus rapproché s’avère nécessaire.

Mots clés : Mélanonychie longitudinale en pédiatrie – Mélanome sous-unguéal – Pigmentation de la tablette unguéale.

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  • Auteurs
    Pierre FRANCES, Médecin généraliste, 1 rue Saint Jean Baptiste, 66650 Banyuls-sur-Mer
    Neil METCALFE, Médecin généraliste. Programme Hippokrates. York. UK
    Caroline CHAN SUN, Interne en médecine générale 34000 Montpellier
    Laureline MANCEL, Interne en médecine générale 34000 Montpellier
    MAITO Clémence, Externe 34000 Montpellier

    Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°26 

    L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

    Publié le 1653314813000