Histoire du syndrome de renutrition inappropriée… Le saviez-vous ?

Publié le 28 Oct 2022 à 10:59

 

Quelques rappels physiopathologiques :

Le syndrome dénutrition inapproprié (SRI) désigne un ensemble de complications métaboliques survenant chez le sujet dénutri lors de la réintroduction d’apports énergétiques. Il peut survenir quel que soit le mode de réalimentation choisi : oral (13 %), entérale (21 %) ou parentéral (36 %). Il est lié au passage de l’organisme d’un état de catabolisme à anabolisme1

En situation physiologique, le phosphore, le magnésium, le potassium et le calcium sont impliqués dans la composition des membranes cellulaires, la production, le transport et la mise en réserve de l’énergie des cellules.

En situation de dénutrition, si l’apport en glucose est brutalement augmenté (= lors de la renutrition principalement… mais également lors d’une perfusion de glucosé !), la forte sécrétion d’insuline déclenche une entrée massive de phosphore, de potassium de calcium et de magnésium dans les cellules pour la production d’ATP (qui par ailleurs utilise la vitamine B1 comme cofacteur), aggravant les carences déjà présentes, surtout dans les organes les plus sensibles : le cerveau et les muscles (dont le cœur et le diaphragme). Ces dernières s’accompagnent d’une importante rétention hydrosodée. Les premières manifestations sont des troubles électrolytiques sévères et un état d’hypervolémie (pouvant aller de légers OMI à l’anasarque), responsables en l’absence de prévention et de traitement à des défaillances d’organes : troubles neurologiques, insuffisance cardiaque congestive, hépatique, respiratoire, etc. voire au décès (10 à 40 % selon les séries) 3, 4, 5, 6.

Tout sujet dénutri, ayant perdu > 15 % de son poids en < 6 mois, un IMC < 16 kg/m2, ne s’alimentant plus depuis > 10 jours ou présentant une hypomagnésémie, hypophosphorémie ou hypokaliémie avant le début de la renutrition doit être considéré à risque de SRI (critères majeurs de NICE7). Est également à risque élevé de SRI le sujet En situation physiologique, le phosphore, le magnésium, le potassium et le calcium sont impliqués dans la présentant au moins deux caractéristiques parmi : IMC < 18,5 kg/m , perte de poids involontaire de 10 % à 15 % en 3 à 6 mois, jeûne ou nutrition très réduite depuis 5 à 10 jours, antécédent d’alcoolisme, d’insulinothérapie, de chimiothérapie, de traitement diurétique et/ou antiacides (critères mineurs de NICE7)

Pour prévenir le SRI, il est nécessaire de réaliser un dosage du phosphore, du potassium, du magnésium conviendra de procéder à une réalimentation

progressive par paliers d’apports caloriques, avec une surveillance régulière du bilan biologique à chaque augmentation8 .et de supplémenter d’éventuelles carences le cas échéant, AVANT d’initier la renutrition. Une supplémentation systématique en vitamine B1 est également recommandée à la phase initiale. Enfin, il conviendra de procéder à une réalimentation progressive par paliers d’apports caloriques, avec une surveillance régulière du bilan biologique à chaque augmentation8 .

Source : Guide « Syndrome de Renutrition Inappropriée de l’adulte », rédigé par le Dr Patrick BACHMANN et le comité Educationnel et de Pratique Clinique de la Société Francophone de Nutrition Clinique et Métabolisme : www.sfncm.org

Les premiers cas de syndrome de renutrition inappropriée (SRI) ont été décrits dans la littérature bien des siècles avant que l’entité ne soit clairement identifi ée, étudiée et défi nie par la Médecine moderne. Les périodes de sortie de famine ont en effet attiré l’attention sur les dangers d’une réalimentation trop rapide de populations sévèrement dénutries et affamées6, 8 .

Le SRI a été documenté pour la première fois au Ier siècle après Jésus-Christ par l’historien judéo-romain Flavius Josèphe. Il décrivait comment des détenus hébreux, parvenus à s’échapper de prisons romaines, sont morts une fois libérés, après avoir mangé de façon excessive. Il constata que la majorité des décès était survenue chez ceux qui s’étaient gavés, contrairement à ceux qui étaient parvenus à maîtriser leur appétit9. Au XIXème siècle, même constat après observation de Français prisonniers des Prussiens, à qui furent livrées d’importantes quantités de nourriture après une période de jeûne  : « Ce samedi-là, d’ailleurs, la disette cessa. […] La nuit tomba, qu’on mangeait encore, et l’on mangea jusqu’au lendemain matin. Beaucoup en crevèrent », La débâcle, Emile Zola (1892). Il faudra attendre encore cinquante ans pour que les premiers cas cliniques soient publiés dans la littérature médicale ! Des médecins décrivent pour la première fois des manifestations cliniques (HTA, experiment », seule expérimentation autorisée chez l’homme : l’équipe du Dr Key a provoqué, par restriction alimentaire volontaire pendant vingt-quatre semaines chez des miliaires volontaires sains, un amaigrissement de 25 % du poids corporel total. Leur réalimentation, même surveillée et progressive, fut marquée par d’authentiques tableaux d’insuffisance cardiaque14, entre autres. C’est finalement dans les années 1970 qu’apparait le terme de « Syndrome de renutrition inappropriée » (ou « Refeeding Syndrome »), avec les débuts de la nutrition parentérale. En 1981, Weinsier et Krumdieck décrivent la forme classique du SRI chez deux patientes dénutries chroniques chez lesquelles une nutrition parentérale (NPE) a été instituée et qui ont développé des complications cardiovasculaires, respiratoires et neurologiques dans les 24 heures suivant l’introduction de la NPE, conduisant finalement à leur décès15... Pour la première fois, les auteurs relient la survenue de ces complications à une hypophosphatémie profonde. Le terme d’«hypophosphatémie de renutrition » aurait d’ailleurs initialement été proposé pour désigner ce que l’on nomme désormais le SRI, et nous savons bien que l’hypophosphatémie est l’anomalie biologique la plus fréquente, la plus précoce et la plus évocatrice du syndrome de renutrition. Voilà donc deux mille ans que le premier syndrome de renutrition inappropriée a été observé sans support scientifique, un demi-siècle qu’il est désormais bien identifié, étudié, défini puis que des mesures de prévention et de traitement ont été publiées ... Et pourtant il est encore largement sous-diagnostiqué et responsable de 10 à 40 % de mortalité selon les séries... Faisons mieux !

œdèmes, ascite, décès par anasarque ou tableaux d’insuffisance cardiaque) associées à la réalimentation orale de la population affamée lors du siège de Leningrad10, 11. Même constat chez des prisonniers de guerre japonais après la fin de la Seconde Guerre mondiale12 et chez des sujets rescapés de camps de concentration nazis13, chez qui on décrivit également des symptômes neurologiques (paresthésies, paralysies, crises convulsives, coma,..). C’est ainsi qu’en 1945, fut conduite la « Minnesota starvation

Références
1. « Nutrition et cancer : qu’est-ce que le SRI ? » Ecole des sciences du cancer, Institut Gustave Roussy. https://www.youtube.com/watch?v=ABznxy05Fkw
2. Guide « Syndrome de renutrition inappropriée de l’adulte», Société Francophone de Nutrition Clinique et Métabolisme.
3. AC Barras-Moret, E Guex, P Coti Bertrand : Le syndrome de renutrition inappropriée : la clé du traitement est la prévention ; Nutrition clinique et métabolique. 2011 ; 25 ; 86-90. Doi : 10.1016/j.nupar.2011.04.006.
4. A Rouget, JM Conil, V Fouss : Le syndrome de renutrition inappropriée. Médecine des maladies métaboliques. 2016;10(7):654-8.
5. Z Stanga et al : Nutrition therapy in the patient with refeeding syndrome: practical guidance. 38th ESPEN Congress 2016.
6. T Mouillot, MC Brindisi, C Chambrier, S Audia, L Brondel, Syndrome de renutrition inappropriée. La Revue de Médecine Interne Volume 42, Issue 5, 2021. Doi 10.1016/j.revmed.2020.12.012.
7. Nice guidelines: Nutrition support in adults : Oral nutrition support, enteral tube feeding and parenteral nutrition. www.nice.org.uk/guidance/cg32. 2006.
8. HM Mehanna, J Moledina, J Travis : Refeeding syndrome : what it is, and how to prevent and treat it. BMJ 2008;336;1495-1498 ; doi: 10.1136/bmj.a301.
9. ME Shils, M Shike, AC Ross, B Caballero, RJ Cousins : Modern Nutrition in Health and Disease by. Tenth Edition. Lippincott Williams & Wilkins: 2006. 211-221. ISBN 978-0781741330.
10. J Brozek, S Wells, A Keys. Medical aspect of semi-starvation in Leningrad (siège 1941–1942). Am Rev11. J Brozek J, BC Chapman, A Keys. Drastic food restriction. JAMA 1948;137:1569–74.
12. MA Schnitker, PE Mattman, TL Bliss. A clinical study of malnutrition in Japanese prisoners of war. Ann Intern Med. 1951;35:69–96.
13. G Burger et al. Malnutrition and starvation in Western Netherlands, September 1944–July 1945 (1948).
14. A Keys. The biology of human starvation, vol. 1–2. Mineapolis: University of Minnesota Press; 1950.
15. RL Weinsier, CL Krumdieck. Death resulting from overzealous total parenteral nutrition: the refeeding syndrome revisited. American Journal of Clinical Nutrition. 1981;34(3):393-399.

Johanna POKOSSY EPEE
Avec un grand merci
au Dr Thomas MOUILLOT (MCU-PH, CHU Dijon)
pour la relecture

Article paru dans la revue “Association Française des Internes d’Hépato-Gastro-Entérologie” / AFIHGE01

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