Une antique découverte
On ne trouve pas de description des organes génitaux féminins externes dans tout le corpus hippocratique et ni dans les traités biologiques d’Aristote ou de Platon. Néanmoins Hippocrate et plus tard Galien insisteront sur le plaisir qui favorise la conception, sans pour autant l’attribuer à un organe1 . Si l’anatomie génitale externe est peu décrite, la nymphotomie (réduction des petites lèvres et du clitoris) pour hypertrophie des organes génitaux externes est régulièrement détaillée.
Au IIé siècle ap JC, Rufus, auteur Du nom des parties du corps, l’appellera : nymphe, myrte, hypodermis ou clitoris. Il sera le premier à lui attribuer le plaisir érotique.
Ensuite, les médecins du Moyen Âge s’appuient sur les corpus hippocratique et galénique. C’est à ce titre que les trois grandes religions tolèrent le plaisir, voire le recommandent pour la conception (dans le seul cadre du mariage).
Renaissance du clitoris
À la Renaissance, l’usage fréquent de la dissection humaine, la relecture plus critique des auteurs anciens, la diffusion du savoir par l’imprimerie et les traductions autorisent de grands progrès dans la médecine, surtout dans l’anatomie.
Realdo Colombo (1559) prétend avoir découvert le siège du plaisir féminin, qu’il nomme Amor veneris. Il pose une homologie fonctionnelle avec la verge : « si vous le touchez, vous le verrez devenir un peu plus dur et oblong au point qu’on dirait alors un genre de membre viril » et, poursuit-il : « frottez-le vigoureusement avec un pénis, ou même touchez-le avec le petit doigt, la semence jaillit de la sorte plus rapide que l’air, et cela à cause du plaisir, même à leur corps défendant »2.
L’habitude de voir les organes génitaux féminins comme de pâles imitations de ceux des hommes perdurera. Le clitoris, à peine découvert, est immédiatement conçu comme une petite verge.
En 1564, Gabriel Fallope s’appropriera cette découverte et le nom qu’il lui donne – Kleitoris – fera en tout cas florès3. Il passe sous silence ses fonctions érogènes. A la même époque, l’anatomiste Vésale dit qu’il ne peut s’agir que d’une malformation d’hermaphrodisme.
Mais les anatomistes du XVIIe siècle, tels Bartholin, De Graaff ou Riolan, font avancer sa connaissance. Ils imposent la dénomination du clitoris en tant qu’organe du plaisir. Cette conception se diffuse dans un large lectorat par le biais des manuels conjugaux. « La vraie histoire des parties génitales de la femme n’a jusqu’à présent été jamais bien connue et a toujours été traitée par les anatomistes avec beaucoup de négligence et fort peu de fidélité. » considère Jean Riolan4. Pour autant, cela ne semble pas s’accompagner d’une interrogation nouvelle sur la nymphotomie.
Lumière sur le clitoris
Au XVIIIe et XIXe siècle, avec le progrès des sciences naturelles, il devient évident que les femmes peuvent concevoir sans orgasme. Dès lors, le clitoris n’est plus associé à la conception ; uniquement assujetti au plaisir, il suscite quelques inquiétudes. On le nomme d’ailleurs « mépris de l’homme ». Dès lors, le débat portera sur l’utilité de l’orgasme féminin, voire sur sa nocivité : s’il ne favorise pas la conception, ne lui serait-il pas nuisible ?
Ceci concorde avec le grand débat de la fin du XIXe siècle : celui de l’hystérie, une maladie mystérieuse féminine dont la multitude de symptômes ne repose sur aucune lésion anatomique (Charcot, 1882). Certains pensent qu’elle prend naissance dans l’utérus, d’autres dans le clitoris. En 1865, le Dr Baker Brown, président de la respectable « British Medical Society », préconise l’excision, pour « traiter l’hystérie, l’épilepsie, l’homosexualité, et d’autres formes de “folies féminines” ».
En France, elle n’a jamais été banalisée et les sociétés savantes (la Société de chirurgie en 1864 et la Société médico-psychiatrique en 1869) la considèrent comme la dernière solution après accord de la patiente et après échec de toutes les autres tentatives (surveillance continue, bains froids, contention nocturne, etc.)5.
Il existe un tout autre courant médical, partisan au contraire de la masturbation pour traiter l’hystérie. Le massage génital est d’ailleurs recommandé par de nombreux thérapeutes, depuis Galien, pour soigner diverses maladies féminines6. Et la fin du XIXe siècle connaîtra un développement sans précédent de l’usage médicalisé des vibromasseurs. C’est dans cet esprit thérapeutique qu’en 1869, apparaît le premier vibromasseur à vapeur. Ils figureront à l’exposition universelle de 1900, comme tous premiers objets à être électrisés après l’ampoule, la machine à coudre et le grille-pain.
Machine arrière
Au tournant du XXème siècle, l’orgasme féminin devient tabou, lié aux maladies mentales. Cette régression est en grande partie liée à la psychanalyse de Freud. Pour lui, la sexualité féminine se façonne autour de la frustration de l’absence de pénis. Le clitoris, pénis miniature, est investi par la petite fille en compensation, en attendant sa vraie sexualité, révélée par la pénétration masculine ; « le vagin prend valeur comme logis du pénis » (1905). Ce n’est donc qu’avec le renoncement à son orgasme clitoridien, infantile et immature, que la femme peut tardivement accéder à sa sexualité adulte, en obtenant enfin un orgasme vaginal, preuve de sa féminité7. Dès 1905, le Larousse a retiré de ses pages le mot clitoris. Freud impacta tout le XXème siècle médical, qui effaça de ses enseignements et des manuels d’anatomie la réalité du clitoris.
Mais dans les années 60, d’autres scientifiques que les psychiatres vont s’intéresser à l’orgasme. En 1966, Masters et Johnson, observeront 10,000 orgasmes chez 694 sujets, de l’adolescente à la femme de 70 ans et défendront l’idée qu’il n’existe qu’une seule forme d’orgasme à point de départ clitoridien et à extension vaginale. Mais à la même époque, selon le traité de Moore (1964) qui fera autorité longtemps en matière de sexualité : une femme frigide est une femme qui n’a pas d’orgasme vaginal8.
Libération sexuelle ?
Dans les années 1960, le combat pour l’égalité des sexes passera aussi par la reconnaissance d’une jouissance propre à la femme, celle du clitoris. Il faudra une vingtaine d’années pour que les hostilités envers les hommes diminuent, et que les femmes puissent à nouveau investir leur vagin comme zone de plaisir. Dans les années 1980, le point de Gräfenberg sera le nouveau symbole d’une sexualité féminine. Le phénomène médiatique et de mode qu’il suscite (encore aujourd’hui) vont renforcer les controverses sur la dualité orgastique. L’idée que la féminité doit passer par la découverte de son point G induira un grand nombre de difficultés sexuelles8.
Les modèles actuels semblent être en rupture avec la traditionnelle dualité entre orgasme vaginal et clitoridien. Ils nous orientent vers le concept plus large d’une unité anatomophysiologique unique10 (ce fameux point G !?), constituée du clitoris, solidaire de la paroi antérieure du vagin et du fascia de Halban. Sa sensibilité est liée à son ampliation lors des mouvements de va et lors du gonflement des corps caverneux du clitoris11.On doit cette nouvelle (re)découverte à Helen O’Connell, urologue australienne, qui est considérée comme la première à avoir décrit l’anatomie complète du clitoris en 1998.
Un obscurantisme organisé ?
L'Histoire a décidément eu la mémoire courte. Pourquoi a-t-il fallu redécouvrir de si nombreuses fois le même organe ? En 2016, en France, le Haut conseil à l'égalité entre les hommes et les femmes nous annonçait qu'une adolescente de 15 ans sur quatre ne sait pas qu'elle a un clitoris et que 84 % des filles de treize ans ne savent pas représenter leur sexe mais 53 % savent représenter le sexe mascculin9. De fait, les manuels scolaires sont encore bien avares en informations. Pouvons-nous parler d’une anatomie politique du clitoris sous domination masculine ? Ainsi, toujours en 2016, la ville de Paris fit retirer de ses écoles « Le dictionnaire fou du corps", un dictionnaire du corps humain aux définitions drôles et poétiques, récompensé par de nombreux prix. Motif ? « Des vignettes qui peuvent choquer ». En effet, on trouve « vagin » et « clitoris » : "n.m Petit organe précieux au pied de la colline, dominant la vulve et les petites lèvres. Plus discret et plus petit que le gland de l'homme, il fait pourtant le maximum. La femme en a tout d'abord la jouissance12."
Illustration par Alex Martin Alexa
Alexane TOURNIER
Rédactrice en chef du Cordon Rouge
Références
1. Sylvie Chaperon, « Le trône des plaisirs et des voluptés » : anatomie politique du clitoris, de l’Antiquité à la fin du xixe siècle, Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 118 | 2012, p. 41-60.
2. Thomas Laqueur, La fabrique du sexe, p. 90 et 91.
3. Gabriel Fallope, Observationum anatomicarum Gabrielis Fallopii examen, 1564.
4. Jean Riolan, Les œuvres anatomiques de M. Jean Riolan, p. 412.
5. Sylvie Chaperon, Les origines de la sexologie 1850-1900, 2012, p. 151-154.
6. Rachel Maines, Technologies de l’orgasme. Le vibromasseur, l’hystérie et la satisfaction sexuelle des femmes, 2009, p. 74-109.
7. Sigmung Freud,Trois essais sur la théorie de la sexualité, 1905.
8. Marie Hélène Colson, L’orgasme des femmes, mythes, défis et controverses, 2009. Doi : 10.1016/J.sexol.2009.11.003
9. Annie Sauvet, « Etat des lieux des connaissances, représentations et pratiques sexuelles des jeunes adolescents. Enquête auprès des 316 élèves de 4e et 3e d’un collège du Nord de Montpellier », Mémoire de DU de Sexologie, Faculté de Médecine Montpellier Nîmes, 2009, p20.
10. Helen O’Connell, « Anatomical relationship between urethra and clitoris », The Journal of Urology, 1998, pp. 1982- 1887. Doi:10.1097/00005392-199806000-00031
11. P Foldes, O Buisson, Reviews: the clitoral complex: a dynamic sonographic study, The journal of sexual medicine, 2009. Doi:10.1111/j.1743-6109.2009.01231.x
12. Katy Couprie, Le dictionnaire fou du corps, 2012, p52.
• https://www.levif.be/actualite/sciences/l-extraordinaire-histoire-du-clitoris/article-normal-625309.html?cookie_check=1587289097
• https://journals.openedition.org/chrhc/2483#ftn42
• http://www.racontemoilhistoire.com/2015/04/clitoris-au-fil-siecles-decouverte-mauvaise-reputation/
Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°19