Histoire de la pédiatrie : les alternatives à l’allaitement maternel

Publié le 10 May 2022 à 13:11

1 LES NOURRICES AU COURS DES ÂGES

L’allaitement maternel, a connu au cours de l’histoire, le recours aux nourrices, notamment dans les cas de décès postpartum maternel, ou bien sûr lorsque la mère n’avait pas suffisamment de lait. Elles sont les assistantes maternelles d’antan. Les enfants allaités par la même nourrice étaient appelés frères ou soeurs « de lait » par opposition aux frères ou soeurs « de sang »

Dans l’Antiquité
Allaiter aurait été une fonction primordiale, d’autant plus qu’on considérait qu’à travers le lait maternel se transmettaient les traits de caractère : confier son enfant à une nourrice, c’était l’exposer à « téter les vices » de celle-ci.

Par la suite, le recours aux nourrices allait s’étendre aux mères plébéiennes (du peuple), qui ne pouvaient se permettre les services d’esclaves mais se rendaient au « Forum Olitorium » à Rome, sorte de marché où des femmes se regroupaient pour allaiter moyennant rémunération.

Du Moyen-Age au 17ème siècle
Dans les classes aisées, le recours aux nourrices était la norme. Dans la noblesse, confier l’enfant à une nourrice permettait aussi à la mère d’enfanter de nouveau plus tôt et de s’assurer un héritier. Dès l’année 1284, il s’était établi à Paris, des femmes appelées Recommandaresses, dont le métier consistait à procurer des nourrices aux habitants de la capitale. Des « meneurs » recrutaient ces futures nourrices dans les campagnes, les amenaient à Paris en voiture et les déposaient au bureau de ces Recommandaresses. Puis, lorsque ces femmes s’étaient « pourvues » en nourrissons, ils les raccompagnaient dans leur village. Les transports de la province à Paris se faisaient dans des conditions lamentables, entraînant une forte mortalité infantile.

Toute cette « industrie nourricière » était très réglementée notamment pour limiter le nombre d’enfants par nourrice afin de prévenir leur dénutrition et la mortalité infantile. Voilà quelques exemples :

  • Le 29 janvier 1715, une ordonnance royale faisait défense aux nourrices, « en cas de grossesse ou de toute autre maladie, de prendre ou recevoir chez elles des enfants pour les allaiter ».
  • Une autre ordonnance de 1724 interdit aux nourrices « d’avoir deux nourrissons à la fois, sous peine de l’amende et du fouet ».

  • Le 1er juin 1756, défense « de mettre coucher à côté d’elles, dans le même lit, les nourrissons confiés à leurs soins ».
  • Puis en 1762, interdiction « de se charger de nourrissons avant le sevrage de leur enfant, lequel ne peut être âgé de plus de sept mois ».
  • Un édit royal supprima définitivement, en 1769, la vieille institution des Recommandaressses et la remplaça par le « Bureau général des Nourrices et Recommandaresses pour la ville de Paris » ou Grand Bureau. Il fut créé pour centraliser le recrutement et la rémunération mensuelle des nourrices et permettait de transmettre des nouvelles de leurs enfants aux parents.

    Au 18ème - 19ème siècle
    Pour les familles aisées, le choix de l’allaitement ne se posait quasiment pas et très rares étaient les bébés laissés à leur mère. Bien souvent, ceux-ci étaient envoyés chez des nourrices à la campagne, ou allaités par des femmes logées au domicile des parents, pour ceux qui disposaient de moyens plus conséquents.

    Les raisons étaient tout d’abord d’ordre social : il était assez mal vu d’allaiter son enfant dans les couches supérieures de la société, car cela renvoyait à une animalité mal acceptée. Des questions de pudeur étaient également invoquées. De plus, les habitudes vestimentaires féminines des couches aisées de la société (corsets), étaient évidemment peu pratiques pour allaiter un nouveau- né : certaines femmes soufrant de mamelons aplatis ou rétractés secondaire à cette mode.

    Fin du 19ème siècle
    Du fait d’une industrialisation naissante et du mouvement d’urbanisation qui en découlait, la pratique de la mise en nourrice se généralisa, causant une mortalité effroyable parmi les nouveaunés. Toutes les classes sociales y recouraient : même les familles les plus pauvres faisaient des sacrifices énormes afin d’envoyer leur enfant en nourrice, loin de l’air vicié des villes. L’habitude de la mise en nourrice était à son apogée.

    Dans les années 1820, le Grand Bureau fut concurrencé par des bureaux privés et connut un lent déclin puis ferma définitivement ses portes en 1876. Il existait à Paris, en 1906, une vingtaine de bureaux de nourrices où se recrutaient les « nourrices sur lieu » et les « nourrices au loin ». La nourrice sur lieu avait la préférence, car elle offrait infiniment plus de garanties mais elle coûtait plus cher. Au début du XXe siècle, comme au siècle précédent, c’est dans les départements du Nord et en Bretagne, où la misère poussait les femmes à venir chercher un emploi dans la capitale, que se recrutaient les nourrices.

    Le taux de mortalité infantile était relativement élevé pour les bébés envoyés à l’extérieur : l’appât du gain conduisait bien souvent les nourrices à « louer » leurs services à plusieurs familles. C’est pourquoi, il arrivait régulièrement que les enfants qui leur étaient confiés meurent de malnutrition, les nourrices ne pouvant bien sûr pas « fournir » suffisamment de lait pour tous les enfants dont elles avaient la charge. De leur côté, les nourrices étaient elles-mêmes des mères dont l’enfant était encore au sein : ainsi tous pâtissait de la situation, les enfants des pauvres autant (sinon plus), que les enfants des riches... Les nouveaux-nés étaient trop rapidement sevrés et nourris avec des soupes et des bouillies à base de laits d’animaux avec des conditions d’hygiène et matérielles souvent précaires. Les conséquences de ces pratiques furent désastreuses : le lait maternel n’allait presque jamais à l’enfant auquel il était destiné et les nourrices laissant leur propre nourrisson à d’autres mains afin d’allaiter un enfant étranger contre rémunération.

    La fin des nourrices
    Les statistiques de cette fin du 19ème siècle sont choquantes : 71 % de mortalité chez les enfants mis en nourrice versus 15 % chez ceux allaités par leur mère. A Paris, en 1790, sur 21 000 enfants, seuls 1801 étaient allaités par leur mère, 19 000 par une nourrice vivant à domicile.

    Les médecins estimèrent que, face au désastre que représentait pour l’enfant la mise en nourrice, dans les cas où la mère ne pouvait allaiter, l’enfant avait plus de chance de survie en restant dans sa propre famille, même nourri au biberon. Théophile Roussel, médecin et homme politique, fit adopter en 1874 une loi qui mit en place un « Comité supérieur de protection de l’Enfance » et établit la surveillance de tout enfant de moins de deux ans, placé en nourrice. Toute femme se présentant comme nourrice dans un bureau de recrutement devait subir un examen médical et présenter un certificat du maire de son lieu de domicile.

    Une propagande active menée en faveur de l’allaitement maternel par les moralistes et par certains médecins amena le corps médical, dès la deuxième moitié du 19ème siècle, à réhabiliter l’allaitement maternel.

    La fin du 19ème siècle et le début du 20ème voient la disparition progressive des nourrices (le dernier bureau de placement ne fermera qu’en 1936) et leur remplacement, progressif par des biberons plus sûrs avec l’avènement des lits artificiels. À noter que les nourrices elles-mêmes donnaient elles aussi, de plus en plus le biberon : à la veille de la guerre de 1914, on estime que seuls 7,5 % des enfants en nourrice étaient nourris au sein.

    2 L’HISTOIRE DU LAIT ARTIFICIEL

    Le lait artificiel, ou lait infantile, ou substitut de lait maternel, désigne « tout aliment commercialisé ou présenté de toute autre manière comme produit de remplacement partiel ou total du lait maternel, qu’il convienne ou non à cet usage » (OMS 1981).

    Laits d’animaux
    Jusqu’à la fin du 19ème siècle, pour pallier aux carences des mères ou aux insuffisances des nourrices, les laits d’animaux étaient utilisés : lait d’ânesse, de chèvre, de vache, ... Celui d’ânesse était alors considéré comme le plus digeste mais plus compliqué à obtenir et à l’opposé celui de chèvre le plus difficile à digérer pour bébé.

    Quant au lait de vache, facile à se procurer, il était coupé avec de l’eau d’orge, du gruau, des décoctions de lentilles ou autres féculents, pour essayer d’en faciliter la digestion, ce qui en réalité n’arrangeait pas les choses… Une autre théorie voulait que l’on donne du lait demi-écrémé, aux bébés de moins de 4 mois et du lait entier aux autres. Les difficultés de digestion du lait de vache sont dues en partie au fait qu’il contient trois fois plus de protéines que le lait maternel notamment trop de caséine et qu’il manque de graisses polyinsaturées.

    Des nourrices qui manquent de lait
    Ainsi que nous l’avons vu dans la première partie, des nourrices de campagnes pouvaient se retrouver « trop sollicitées ». Elles recourraient alors à des laits « artificiels », qu’elles préparaient ellemême, le plus souvent à base de lait de vache, ce qui, vu les conditions d’hygiène déplorables, entraînait la mort de nombreux bébés. Les récipients servant de biberons ou de tétines étaient mal lavées. Le principal souci était la conservation de ce dérivé de lait de vache, surtout dans les grandes villes !

    Les prémices : Parmentier et le lait concentré américain
    C’est en 1805, qu’Antoine Augustin Parmentier, savant des Lumières connu pour ses travaux sur la pomme de terre, a procédé à la première tentative de séchage intégral du lait. En 1856, l’Anglais Grimwade se lançait aussi. Dans les deux cas, les poudres obtenues se délayaient mal dans l’eau.

    En 1851, l’Américain Gail Borden Jr inventa le procédé du lait concentré. Le lait concentré sucré, ou lait condensé (anglicisme du terme Condensed milk), est obtenu à partir de lait de vache, duquel une partie de l’eau a été retirée par évaporation sous vide et auquel a été ajouté 40 à 60 % de sucre. Ce produit peut ainsi se conserver plusieurs années. Pendant la guerre de Sécession, l’armée de l’Union en commanda pour ses troupes en quantités très importante.

    Une farine lactée : Von Liebig en 1865 et Neslté en 1866
    Dès la fin du 18ème siècle, la chimie moderne se développe et la composition du lait se précise progressivement. À la fin du 19ème siècle, on estime qu’il est essentiellement constitué d’eau (près de 90 %) et d’une quinzaine de substances appelées « matières sèches ou solides », parmi lesquelles sont identifiés le lactose et la caséine. 

    1865 : Justus Von Liebig est un professeur de chimie allemand. Il créa un substitut de lait maternel pour deux de ses petits enfants qui ne pouvaient pas être allaités et non qui ne sont pas allaités après avoir analysé la composition chimique du lait humain et du lait de vache. Il fabriqua en 1865 le premier lait artificiel pour enfant, mélange à partir de farine de blé, d’extrait de malt et de bicarbonate de potasse devant être délayé dans de l’eau et du lait de vache écrémé.

    1866 : En Suisse, Henri Nestlé, un pharmacien, qui avait perdu plusieurs de ses frères et soeurs avant leur majorité, voulait trouver une solution pour lutter contre la malnutrition des bébés. À cette époque, la mortalité infantile pouvait atteindre 15 à 20 % durant la première année de vie. En 1866, la farine lactée (à base de lait de vache et de céréales) fut mise au point sur le modèle du lait artificiel pour enfant de Von Liebig. Cette invention se voulut une solution pour les mères qui ne pouvaient pas allaiter, mais aussi à la pénurie de nourrices.

    Donné aux enfants âgés de quelques mois, son produit n’était pas initialement destiné aux nourrissons. Son audience ne dépassa guère la clientèle locale. Tout change lorsqu’en septembre 1867, un nourrisson âgé de quinze jours, prénommé Wanner, assimile mal le lait maternel ou toute autre nourriture. Condamné par les médecins, le bébé aurait alors été nourri grâce à la farine lactée d’Henri Nestlé.

    « La base de ma farine lactée, explique Henri Nestlé, est le bon lait suisse, concentré moyennant une pompe pneumatique, à basse température, qui lui garde toute la fraîcheur du lait chaud. Le pain est cuit d’après une nouvelle méthode de mon invention et mélangé dans des proportions scientifiquement justes, pour former une nourriture qui ne laisse plus rien à désirer ».

    1867 : Henri Nestlé commercialisa sa farine après sa réussite avec le bébé Wanner en 1867 avec plus de succès que son prédécesseur Von Liebig. Ses premières implantations internationales se font dès 1868 la même année, dans quatre pays : Suisse, Allemagne, France et Angleterre. Puis aux Etats- Unis en 1900 et en Grande-Bretagne en 1901.

    Puis le lait en poudre : Guigoz 1908
    En 1908, le premier lait en poudre pour enfants est inventé. Maurice Guigoz, suisse lui aussi, utilisa le procédé de dessiccation. Il fit chauffer le lait sous vide, à basse température puis le reconstitua avec de l’eau. Un médecin de Fribourg testa auprès de nourrissons le lait obtenu. Le lait « Crémo », face à une mortalité infantile encore importante, triompha et obtient la médaille d’argent à l’Exposition nationale de Berne, en 1914. Désormais nommé Guigoz, le lait se vendit dans les boulangeries et les officines. Dès 1927, cette poudre, à base de lait de vache, débarqua sur les étals des pharmacies françaises dans des boîtes métalliques de 500g.

    La commercialisation et le succès
    Nestlé lança en 1934 le premier lait pour les problèmes de transit : Pelargon. Des affiches avec des bébés souriants, en pleine santé, se mirent à fleurir sur les murs. Progressivement, des dizaines de marques différentes virent le jour. Jacquemaire mit en vente, en 1951, Alma (du latin “qui nourrit”). Aujourd’hui, il est plus connu sous le nom de Blédilait. Gallia, un laboratoire spécialisé dans le lait infantile, nait également à cette période-là.

    Après la Seconde Guerre mondiale, c’est l’âge d’or du lait en poudre notamment avec le babyboom ! Symbole de la libération de la femme, le papa donne aussi le biberon. Seul problème : l’allaitement maternel perd peu à peu du terrain. Les premières “nourettes” (biberons prêts à l’emploi) s’installent dans les maternités.

    Pas de pub !
    Dès 1976, et surtout à partir de 1991, un cadre légal est fixé en Europe. Les pouvoirs publics de la santé, qui souhaitent favoriser l’allaitement maternel, veulent éviter la confusion dans l’esprit des parents. Ainsi par exemple : on ne dit plus “laits”, mais “préparations”. De même, l’utilisation des termes “humanisé” ou “maternisé” est interdite. L’étiquetage ne peut comporter aucune représentation destinée à idéaliser le produit. Plus clair encore : en 1994, toute publicité pour le lait 1er âge est proscrite ! Adieu bébé au grand sourire sur les emballages et dans les pharmacies.

    Mes sources et pour en savoir plus

    • http://www.infor-allaitement.be/pages/histoire.php
    • http://www.societe-histoire-naissance.fr/spip.php?article60
    • http://www.produits-laitiers.com/article/la-saga-du-lait-4-la-maitrise-de-la-qualite-et-de-la-conservation- une-revolution-1800-1950
    • http://lemorvandiaupat.free.fr/nourrices.html
    • http://www.histoire-en-questions.fr/metiers/nourrices.html

    Daphnée PIEKARSKI

    La 3ème partie au prochain numéro

    3 LA CONSERVATION DU LAIT ET HISTOIRE DE BIBERONS

    Article paru dans la revue “Association des Juniors en Pédiatrie” / AJP n°14

    Publié le 1652181083000