Histoire de la pédiatrie

Publié le 10 May 2022 à 15:51

HISTOIRE DE BIBERONS ET DE TÉTINES

Un biberon qu’est-ce que c’est au final ? Ça vient du latin en tout cas : « bibere » = boire. Car la forme du biberon va influencer la façon de nourrir le bébé. Selon le mode choisi, la situation sera plus ou moins proche de l’allaitement maternel, tout en tenant compte d’un élément essentiel le réflexe de succion du nourrisson.

1 DE L’ANTIQUITÉ JUSQU’AU BIBERON INDUSTRIEL À GRANDE ÉCHELLES

Antiquité : biberons ou tire-lait ? That is the question !

Les « biberons » romains, désigné par les termes latins guttus, ubuppa ou titina, ressemblent à des vases à fond plat avec une la panse globulaire, un col assez large et un bec tubulaire. C’est la céramique qui domine le monde du biberon vers le Ier siècle puis le verre à partir du IIe siècle.

Lors de leur découverte, leur fonction a beaucoup fait hésiter : lampe à huile, pipette, ou encore autre chose peut-être ? Finalement, on les soupçonna de servir de biberons.

Nadine Rouquet, spécialiste en céramique, en arrivant en 1996 au service archéologique de Bourges, découvre un riche inventaire de ces « biberons » collectés au cours de campagnes de fouilles menées dans les années 1970. Elle émet des doutes sur l’usage réel de ces « biberons ». Elle apprend que des chercheurs allemands ont décelé, sur les parois internes de ces objets, des dépôts acides appartenant exclusivement au lait humain ou animal.

Elle fait une hypothèse : il s’agirait en réalité de tire-lait ! En 2000 elle présente son idée : la mère aspirerait elle-même son propre lait. Elle demande à une de ses amies qui allaitait son enfant de tester ces céramiques ce que celle-ci fit avec succès !


Schéma de l’exposition (catalogue) dans les musés en sont-ils vraiment ?


Guttus : en terre rouge orangé et en terre vernissée rouge

 
Mais ces « biberons » retrouvés sur les sites de fouilles notamment dans des sépultures d’enfants et exposés

Les 2 biberons du Moyen-Age : La Corne à boire…et la « Chevrette ».

On trouve dans plusieurs tableaux, notamment de Breughel, et gravures de scènes médiévales, des représentations d’enfants avec ce qui peut être vu comme un biberon. Et qui n’était finalement rien d’autre qu’une corne d’animal évidée ! La corne, une fois nettoyée, était percée et recouvert d’un pis de vache ou d’un tissu enroulé. Cette version primitive dite « cornet » restera longtemps utilisée dans les campagnes d’Europe et perdurera jusqu’au début du XXe siècle surtout dans les couches peu aisées de la société.


Cornet à allaiter Corne de bovin percée et coiffée d’une tétine de cuir roulée

 
La cuisine des maigres (détail) Gravure d’après Peter Breughel (1563)

…et la « Chevrette » ?

La « Chevrette » est un petit vase avec un goulot tubulaire. Elle fut utilisée au Moyen-Age pour les enfants assez âgés pour tenir et téter par eux-mêmes ce biberon qui pouvait être en terre cuite, en bois, en étain ou en verre. A cette époque, c’était essentiellement du lait animal qui était utilisé pour nourrir ces nourrissons. Et notamment du lait de chèvre, jugé plus digeste que celui de vache, d’où probablement cette appellation de « chevrette ».


Biberon en bois tourné (Musée d’ethnographie, Genève)

Et notre meilleure amie la tétine ?

Ces premiers biberons portaient le plus souvent un petit morceau de tissu recouvrant la partie que tétait l’enfant. Ce drapeau évitait ainsi au nourrisson de se blesser. L’usage de ce tissu perdurera jusqu’au début du 19e siècle.

En 1786, Felipo Baldini propose un modèle de tétine en verre qu’il présentait comme un « vaisseau qui tenait lieu de mamelle », dont les enfants pouvaient sucer le lait peu à peu sans courir le risque d’une fausse route. Ce modèle obligeait l’enfant à exercer une succion.

Du 16ème au 19ème siècle

Les couches plus aisées de la société délaissent peu à peu cette « corne à boire » du Moyen-Age qui évolue vers des objets plus sophistiqués plus proches de nos biberons actuels. En voici quelques exemples :

Biberons d’étains

Initialement réalisés par des maîtres potiers en étain au XVIIème, l’industrie se les approprie à partir du XIXe siècle. Un prénom et un nom sont gravés en haut de la panse. (Asile d’enfants trouvés vers 1650).


Biberon poire en étain à bouchon dévissable surmonté d’une tétine

Biberons en fer blanc

Ces modèles très fréquents jusqu’à la fin du XIXème siècle avaient l’avantage d’être très solides et peu onéreux. La présence d’initiales gravées est fréquente sur ces ustensiles destinés aux toutpetits.


Biberon droit en fer blanc

Poteries régionales
Recommandations de l’Académie de médecine aux nourrices :

« Pour faire boire ce lait, employer des vases de verre ou de terre et les nettoyer avec soin toutes les fois qu’on s’en est servi ; ne jamais se servir de vases d’étain, qui contiennent toujours du plomb ».

Extrait du : Carnet de nourrice, 1880 (Délivré à Behal Eugénie)

Si les étains sont facilement identifiables en tant que « biberons », les multiples poteries issues des traditions du MoyenÂge ont parfois une apparence et une utilisation qui ne sont pas aussi évidentes. Certains sont plus proches de nos théières actuelles que de biberons !


Biberon en terre émaillée

Faience de Quimper : le biberon breton ou « Pod bronnek »
Il existe en revanche un type de poterie régionale bretonne qui ne laisse aucun doute quant à son utilisation : c’est le « Pod bronnek ». Il semble établi que ces cruches furent employées comme biberons. Des anciennes cartes postales et de nombreux articles de la fin du XIXe et du début du XXe l’évoquent. Un tableau du peintre Gauguin datée de 1889 illustre également cette utilisation.


Biberon « Pod bronnek» en faïence de Quimper

Biberons en verre

Verre soufflé
C’est à la fin du XVIIe, mais surtout au début du XIXe siècle que le verre se généralise dans le domaine de l’allaitement artificiel. Le verre séduit par ses qualités de transparence et d’inaltérabilité. C’est une révolution, car il se nettoie facilement, ne rouille pas, et limite les risques, à l’époque mortels, d’infections gastro-intestinales. On peut lire dans plusieurs ouvrages de médecine du début du XIXe siècle :

« Autant que possible, on choisit des biberons en verre ; ceux en métal, en bois ou en caoutchouc, contenant toujours à la longue une odeur plus ou moins forte, plus ou moins fétide, désagréable, repoussante pour l’enfant. ».


Biberon flasque en verre soufflé et collerette permettant l’attache d’une éponge ou d’un drapeau


Biberon gourde en verre soufflé

Les premiers ont des formes de simples bouteilles et en guise de tétine une éponge ou un tissu enroulé. Puis viennent le biberon-limande, le biberon-sabot, le thermo-biberon ou le biberon-stérilisateur qui sont autant de formes différentes avant l’apparition moderne du biberon en pyrex.


Biberon sabot en verre à goulot dressé rodé


Biberon « limande » en verre soufflé

L’industrialisation et l’arrivée des marques
Parallèlement à ces flacons de verre soufflé, vont apparaître plusieurs modèles qui auront en commun de porter le nom de leur inventeur. La grande nouveauté de ces biberons est donc de ne plus être anonymes. C’est l’arrivée des marques. Avec la révolution industrielle, au milieu du XIXe, le biberon passe d’un produit artisanal et anonyme à un produit fabriqué en série et à grande échelle. Il a désormais un nom, celui de son inventeur : médecin, sage-femme ou industriel. On ne donne plus le biberon mais le biberon de Madame Breton, Darbo, Thiers, Mathieu, etc.

2 LES BIBERONS ROBERT : DU SYMBOLE DE L’ALLAITEMENT ARTIFICIEL AU GRAND SCANDALE DES BOUTEILLES ASSASSINES.

À la fin des années 1860, l’entrepreneur dijonnais Édouard Robert met au point son « biberon Robert à soupape ». Il s’agit d’un système composé d’un long tuyau agrémenté d’un second trou dit « soupape » pour la régulation du débit. Ce biberon permettait au bébé de téter seul, d’où son succès extraordinaire. Il symbolisera la marque pendant plus de 20 ans bien que la fabrique produise également d’autres biberons plus simples à bouchon de verre vissé.

Initialement localisée à Dijon, l’usine Robert est transférée à Paris vers 1880 et fabrique des millions de biberons et de tétines. Cet empire occupe alors tout un quartier de Paris, dont il reste aujourd’hui la rue Édouard Robert, dans le 12e arrondissement.

 
Biberon Robert, plaque émaillée, 1873 

Les bouteilles assassines !
Vers la fin des années 1880, les scientifiques découvrent les agents pathogènes des principales maladies infectieuses que le lait peut transmettre : tétanos, typhus, diphtérie, rouget du porc,… Les médecins commencent prôner un retour vers l’allaitement : « le sein protège, le biberon rend malade, tue ou mène à la folie ».

Le grand danger de l’alimentation au biberon vient bien sûr de l’absence d’hygiène et d’une mauvaise conservation du lait : lait cru et souvent falsifié, ainsi que de l’emploi de biberons en métal rouillé ! Et et... ...de l’emploi de ces fameux biberons Robert avec leur long tube impossible à nettoyer de façon correcte ! Dès 1881, le docteur Fauvel révèle devant l’Académie de médecine que, sur trente et un biberons examinés, vingt-huit contiennent des végétations cryptogamiques et de très nombreuses colonies de bactéries provoquant des diarrhées et responsables du choléra infantile.

Commence alors une longue bataille contre ces « engins de mort » (appelés « murder bottles », les « bouteilles assassines » par les Anglais). Le modèle de biberon Robert à soupape, déclaré dangereux lors d’un débat au Parlement, finit par être interdit en France en 1910. On passe progressivement du biberon à long tuyau au biberon « nourricier » qui adopte une forme de sabot posé à plat.

En 1885, ces contaminations de nouveau-nés par leur alimentation entraînent la mort de 20 et 30 % des nourrissons, et il faut attendre le Congrès international de l’hygiène de 1889 pour voir enfin le corps médical recommander à l’unanimité un lait bouilli. Cette même année, le rapport de l’Exposition universelle consacre un chapitre à l’hygiène du lait et se préoccupe du mode de stérilisation.

Conclusion

Le biberon tel qu’on le connaît aujourd’hui n’a finalement que peu évolué au cours du 20ème siècle. Actuellement nous sommes confrontés en néonatologie à l’acquisition de l’oralité des prématurés, domaine dans lequel les pédiatres ont fait preuve d’inventivité : « tulipe » « paille » « tasse » et autres techniques qui varient d’un service à l’autre et évoluent avec nos connaissances. La prise d’un biberon aussi anodine soit elle, reste l’objet d’un long cheminement au cours de l’histoire de la pédiatrie et de la vie de chaque nouveau-né. 

Daphnée Piekarski

Sources

  • http://www.societe-histoire-naissance.fr/spip.php?article60#L-ascension-du-biberon
  • http://aphp.ebl.fr/hopitalimentation/page5.html
  • http://paris-projet-vandalisme.blogspot.fr/2015/06/le-musee-de-lassistance-publique-et.html
  • Ludovic CLEMENT – www.histoire-du-biberon.com

Prochaine partie

LA RÉVOLUTION DE LA PASTEURISATION lors du prochain numéro

Article paru dans la revue “Association des Juniors en Pédiatrie” / AJP n°15

Publié le 1652190668000