Histoire de la médecine

Publié le 24 Feb 2023 à 07:53

 

Histoire de la transplantation fécale

C’est peut-être le comble pour un gastro-entérologue de pouvoir soigner avec des matières fécales. Pour ce deuxième numéro du JJG nous faisons un focus sur la pratique la moins ragoutante de notre spécialité. Celle dont le nom fait inévitablement lever les sourcils la première fois qu’on l’entend : la transplantation fécale, dite aussi plus élégamment transplantation de microbiote fécal (TMF). Le terme même de transplantation, d’ordinaire réservée aux organes solides, entraîne une dissonance cognitive lorsqu’il s’agit d’administrer des matières fécales. Mais qui a bien pu imaginer en premier soigner des maladies graves avec des selles ? Et comment cette thérapeutique a-t-elle pu devenir le traitement de référence pour la prise en charge des infections récidivantes à Clostridioides Difficile ?

Retour en arrière.

C’est à la médecine traditionnelle chinoise que revient la paternité de cette drôle de thérapie. Le médecin et pharmacien Ge Hong traitait, au IVème siècle avant notre ère, la diarrhée sévère en faisant boire au patient une «_soupe dorée_ » de confection artisanale. Celle-ci contenait des matières fécales mélangées à un ou deux litres d’eau. On peut aisément imaginer que le nom de soupe dorée servait déjà à rendre plus acceptable l’ingestion du traitement1. Divers traités de médecine chinoise ont par la suite fait mention de ce type de traitement en enrichissant sa galénique et ses indications.

En occident, la première mention de ce type de traitement est retrouvée au XVIIème siècle dans un traité de médecine vétérinaire de Fabricius Acquapendente. Il faut ensuite faire un bond dans le temps pour retrouver des traces de ce traitement avec la mention par des soldats allemands postés en Afrique du Nord durant la Seconde Guerre Mondiale de la consommation par la population autochtone de selles de chameaux pour traiter la dysentérie. La première mention de la transplantation fécale dans la littérature scientifique moderne date de 1958 quand Eiseman, un chirurgien américain, rapporte avoir utilisé une préparation de selles pour traiter quatre patients souffrant de colite pseudo-membraneuse alors que la cause infectieuse de cette présentation clinique n’avait pas été encore mise en évidence. En effet, la première culture de Clostridioides Difficile3 n’a été réalisée pour la première fois qu’en 1976. Malheureusement cet article séminal, publié dans Surgery passa finalement inaperçu2.

La date la plus importante de l’histoire de la transplantation fécale dans la littérature médicale reste toutefois le 16 janvier 2013, jour de la publication dans le New England of Medicine du premier essai contrôlé randomisé évaluant son efficacité dans l’infection récidivante à C. Difficile3. Réalisée par une équipe hollandaise, l’étude comparait la transplantation fécale à un traitement antibiotique par Vancomycine per os (500 mg x4 pendant 14 jours) avec ou sans préparation colique préalable pour prévenir la récidive de l’infection à C. Difficile. L’administration du nouveau traitement se faisait par sonde naso-duodénale après réalisation d’une cure courte de Vancomycine (500 mg x4 sur 4 jours) et d’une préparation colique par 4_L de PEG. Le critère de jugement principal était la guérison sans rechute dans les 10 semaines suivant le début du traitement. L’étude a finalement été interrompue lors de l’évaluation intermédiaire du fait de la très nette supériorité de la transplantation fécale (13 guérisons après une seule transplantation sur 16 patients, 81 %) sur la Vancomycine po sans lavement (4 guérisons sur 13, 31 %) ou avec (3 guérisons sur 13, 23 %). Deux des trois patients en échec d’une première transplantation ont guéri par la suite après administration d’une deuxième TMF, portant le taux de guérison à 93,8 %.

Si l’on pensait auparavant que la préparation colique par PEG pouvait optimiser le traitement par Vancomycine po, le piètre résultat du groupe associant Vancomycine et lavement par rapport à celui recevant de la Vancomycine seule a démenti cette croyance.


Efficacité de la TMF dans l’étude de E Van Nood

Il est intéressant de remarquer qu’une évaluation du microbiote intestinal a été faite lors de cette étude et montre que la transplantation fécale a augmenté la diversité microbienne chez les receveurs et que cet effet a persisté dans le temps.

Impact de la TMF sur la diversité du microbiote dans l’étude de E Van Nood

 

Dans ce travail, la TMF était associée à un excellent profil de tolérance avec pour seuls effets indésirables des symptômes digestifs majoritairement bénins et transitoires. Toutefois, plus récemment aux USA, la transmission de bactéries multi-résistantes qui n’avaient pas été recherchées chez le donneur dans le cadre de deux essais chez des patients immunodéprimés avec une altération de la barrière intestinale (cirrhose et patients d’hématologie) a illustré les risques infectieux inhérents à ce type de traitement et les précautions nécessaires à sa mise en place en milieu hospitalier et selon des règles précises4.

Par la suite, de nombreuses études en vie réelle ont montré des résultats similaires à ceux de l’étude de E. Van Nood avec des taux de guérison de près de 90_% associé à un excellent profil de tolérance5.

Nous fêtons donc cette année les dix ans de la transplantation fécale moderne et on peut dire qu’elle a déjà bien grandi :

  • En 2014, les professionnels académiques français impliqués dans la transplantation de microbiote fécal ont créé le Groupe Français de Transplantation Fécale (www.gftf.fr) pour harmoniser les pratiques sur le territoire, informer le grand public et les professionnels et favoriser la recherche sur la TMF.
  • En 2015, l’ANSM a élaboré des recommandations d’usage de la transplantation fécale dans le cadre de la recherche. Elle précise que celle-ci doit être considérée comme un médicament conformément au Code de la Santé publique6. Sa préparation relève ainsi de la responsabilité d’une pharmacie à usage intérieur. Finie donc la bonne soupe dorée de confection artisanale ! Les recommandations fixent également la longue liste des infections à rechercher chez le donneur afin de limiter au maximum le risque de transmission d’agents pathogènes.
  • Toujours en 2015, une série de cas a montré une efficacité de la TMF dans les formes graves et réfractaires de colite à C.difficile qui constitue aujourd’hui une autre indication recommandée de la transplantation fécale dans le soin courant7.
  • En 2016, un essai publié dans le JAMA a montré la non-infériorité de la TMF congelée par rapport à la TMF fraiche8. Dans l’étude princeps de 2013, la préparation et l’administration du traitement était faite le jour même de l’émission des selles du donneur. Avec la congélation, la logistique s’est profondément simplifiée.
  • Les modalités d’administration se sont également étendues avec la possibilité d’administration par gélules avec une efficacité comparable.
  • Dès 2013, les sociétés savantes d’infectiologie américaine et européenne positionnent la transplantation fécale comme un traitement de référence dans l’infection récidivante ( > 2 épisodes espacés de moins de 8 semaines chacun).

La seule indication validée à ce jour de la TMF est l’infection à Clostridioides Difficile récidivante, à partir de la 2ème récidive (soit le 3ème épisode), en prévention d’un nouvel épisode.

Dans le cadre de la forme sévère réfractaire, son utilisation en alternative à la chirurgie colique est également admise et associée à une meilleure survie9. Plus récemment, un essai contrôlé randomisé hollandais a montré une efficacité de la TMF dans le traitement des formes précoces de colite à C. Difficile dès le premier épisode10. Il existe ainsi plusieurs plateformes de TMF en France (référencée sur le site du Groupe Français de Transplantation Fécale, www.gftf.fr) qui permettent à tous les professionnels de Santé d’avoir accès à des transplants sécurisés et préparés selon la réglementation en vigueur dans le cadre du soin.

La suite de l’histoire reste à écrire mais nul doute qu’elle sera longue et nous mènera vers une meilleure compréhension des interactions entre un hôte et son microbiote. La TMF porte ainsi de nombreuses indications potentielles, forte de l’accumulation de preuves scientifiques sur le rôle du microbiote intestinal dans notre santé. En gastro-entérologie, la transplantation fécale s’attaque désormais à d’autres supervilains de l’intestin. Le syndrome de l’intestin irritable et les MICI n’ont qu’à bien se tenir face à des essais contrôlés randomisés positifs, notamment dans la rectocolite hémorragique, bien que les protocoles évalués soient hétérogènes et que la place de la TMF dans le soin pour ces indications complexes ne soit pas encore défi nie et relève d’un champ de recherche actif11. Dans les pathologies extra-digestives, de nombreux travaux sont en cours également comme pour la décolonisation de bactéries multi-résistantes, les maladies métaboliques ou certaines affections neurologiques12.

 

  • Zhang F, Luo W, Shi Y, et al. Should we standardize the 1,700-year-old fecal microbiota transplantation? Am J Gastroenterol 2012; 107: 1755–1756
  • Eiseman B, Silen W, Bascom GS, Kauvar AJ. Fecal enema as an adjunct in the treatment of pseudomembranous enterocolitis. Surgery. nov 1958;44(5):854-9.
  • Van Nood E, Vrieze A, Nieuwdorp M, et al. Duodenal infusion of donor feces for recurrent Clostridium diffi cile. N Engl J Med 2013 ; 368 : 407–415.
  • DeFilipp Z, Bloom PP, Torres Soto M, Mansour MK, Sater MRA, Huntley MH, et al. Drug-Resistant E. coli Bacteremia Transmitted by Fecal Microbiota Transplant. N Engl J Med. 21 2019;381(21):2043-50.
  • Quraishi MN, Widlak M, Bhala N, Moore D, Price M, Sharma N, et al. Systematic review with meta-analysis: the effi cacy of faecal microbiota transplantation for the treatment of recurrent and refractory Clostridium diffi cile infection. Aliment Pharmacol Ther. sept 2017;46(5):479-93.
  • https://ansm.sante.fr/documents/reference/recommandations-pour-la-transplantation-du-microbiote-fecal
  • Million M, Hocquart M, Seghboyan JM, et al. Faecal microbiota transplantation as salvage therapy for fulminant Clostridium diffi cile infections. Int J Antimicrob Agents 2015 ; 46 : 227–228.
  • Lee CH, Steiner T, Petrof EO, et al. Frozen vs fresh fecal microbiota transplantation and clinical resolution of diarrhea in patients with recurrent Clostridium diffi cile infection : a randomized clinical trial. JAMA 2016 ; 315 : 142–149.





  • Victor LEGAL


    Nicolas BENECH

    Hôpital Edouard Herriot, HCL

    Article paru dans la revue “Association Française des Internes d’Hépato-Gastro-Entérologie ” / JJG n°2

     

     

     

     

     

     

     

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