Interview du Dr Claire GOUMARD
MCU-PH à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière
Propos receuilles par Lazare SOMMIER, CHU de Montpellier
Lazare Sommier.– : Claire GOUMARD tu es MCU-PH en Chirurgie Hépato-Bilio-Pancréatique et Transplantation Hépatique à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière dans le service du Pr Olivier SCATTON, merci beaucoup d’avoir accepté de faire cette interview, pour commencer est-ce que tu pourrais nous parler un peu de ton parcours et de la genèse de ton envie de faire de la chirurgie hépatique ?
Dr Claire Goumard.– : Oui bien sûr ! Pour commencer, j’ai grandi en région parisienne ; j’ai toujours voulu être chirurgien, depuis toute petite, environ 6-7 ans, c’est quelque chose que je n’explique pas vraiment puisque la médecine n’est pas du tout présente dans mon entourage, c’est complètement spontané. J’ai fait médecine pour faire chirurgie, dès le départ. J’ai passé ma P1 à Paris Descartes, enfin Cochin à l’époque, une foi réussie j’ai été externe à Paris Descartes. Je voulais faire de la chirurgie mais je ne savais pas quelle spécialité, c’est un milieu qui m’était totalement inconnu, j’imaginais quelque chose comme la neurochirurgie pédiatrique sans rien y connaître. Donc j’ai commencé par être remplaçante aide-soignante l’été en Neurochirurgie Pédiatrique à Necker, pour me familiariser au milieu, et j’ai fait ça pendant trois étés (P2-D1..). Là j’ai découvert quelque chose qui était quand même un peu différent de ce que j’imaginais. C’est une spécialité particulière, entre les unités de bébés secoués, de malformation crânio-faciales, de tumeurs cérébrales, j’ai adoré m’occuper des petits malades mais je n’étais pas certaine de vouloir baigner là-dedans, c‘est dur. Et puis sont arrivés les stages d’externes, et mon premier stage en chirurgie était chez le Pr DOUSSET à Cochin, dans lequel je me suis retrouvé complètement par défaut, je n’avais pas du tout envisagé cette spécialité mais il fallait bien commencer par quelque chose ! Et là, attention ça peut paraître romancé mais ça s’est vraiment passé comme ça, je me suis retrouvée sur une transplantation hépatique faite par Olivier SCATTON, jeune PHU à l’époque, j’ai trouvé cette opération incroyable, et quand j’ai vu le déclampage du greffon je me suis dit : c’est ça que je veux faire !
À partir de là, l’équipe Olivier SOUBRANE – Olivier SCATTON a vu que ça m’intéressait et ils ont commencé à me faire écrire des petits travaux, je les ai suivis, et ça ne s’est jamais arrêté depuis !
L.S.– Ah oui, c’est vraiment un coup de foudre avec la transplantation hépatique !! Et aujourd’hui qu’est-ce que tu préfères dans ton travail de tous les jours ?
Dr C.G.– Ça reste la transplantation ! C’est que je préfère. J’aime beaucoup la chirurgie hépato-biliaire réglée, je trouve que c’est une des plus belles spécialités parce que c’est complexe et challengeant, ça impose de réfléchir en amont, ça fait souvent sortir de sa zone de confort, et c’est ça que j’aime ; et la greffe est le point culminant, parce qu’en plus c’est dans le contexte de l’urgence, beaucoup de facteurs rentrent en jeu, on prend des décisions parfois difficiles et le challenge technique est important. Une greffe ressemble rarement à une autre, et ce moment du déclampage reste très particulier et me rappelle toujours ce premier déclampage quand j’étais externe à Cochin, … en 2007 !
L.S.– C’est beau ! Comment ne pas partager ton point de vue c’est vrai que c’est un moment magnifique ! On ne l’a pas encore abordé, tu es l’autrice d’une thèse de science sur la stratégie d’optimisation des greffons hépatiques marginaux et la mise au point d’un système de perfusion hépatique ex vivo et manipulation métabolique via une séquence dynamique oxygénée. Ça parait complexe comme thématique peut-être que tu peux nous rappeler d’abords quelques notions : la perfusion hépatique, depuis quand et à quoi ça sert ?
Dr C.G.– Oui, la perfusion des organes est étudiée depuis très longtemps, d’ailleurs c’est une thématique forte dans le service puisque Eric SAVIER avait mis au point un système de perfusion pour foies de rats il y a longtemps ! Thomas STARZL l’a étudié dès le départ mais la perfusion ex-vivo a été abandonnée quand le monde de la transplantation a obtenu de bons résultats en transportant simplement les greffons dans des glacières. La glacière, ça marchait bien jusqu’à ce qu’on ait de moins en moins de greffons et de plus en plus de mauvaise qualité, des greffons qui supportent beaucoup moins bien l’ischémie-reperfusion. À partir de là on a commencé à se reposer la question de la préservation, et ces 10 dernières années ont vu se développer les systèmes de perfusion ex-vivo des greffons. À quoi ça sert ? Ça sert à pallier le manque d’oxygène, les greffons sont en hypoxie au fond d’une glacière et quand ils sont un peu vieux, un peu gras ou qu’ils ont souffert, d’arrêt cardiaque par exemple, c’est délétère. Le fait de leur apporter de l’oxygène de manière dynamique va leur permettre d’améliorer leur tolérance à l’ischémie-reperfusion. Ça fait 10 ans que ça explose vraiment, et toutes les équipes s’y sont mis dans le monde. Il y a plusieurs manières de perfuser et on ne sait pas vraiment laquelle est la meilleure. Il y a le HOPE (hypothermic oxygenated perfusion) qui consiste à administrer de l’oxygène froid à 4°C avec du liquide de perfusion de manière passive, sans transporteur d’oxygène, et rien que ça, en permettant à l’ATP de se restocker, ça permet au greffon de surmonter le phénomène d’ischémie-reperfusion plus sereinement, il y a des résultats avec des études randomisées. La deuxième manière, c’est la normothermie où on va faire passer un transporteur d’oxygène, en l’occurrence du sang ou un équivalent (il existe des hémoglobines de synthèses mais elles sont encore à l’étude) et réoxygéner le greffon à 37°C ce qui fait que l’organe va véritablement fonctionner sur la machine, on va pouvoir l’évaluer, voir s’il fait de la bile, faire tous les dosages qu’on veut pour le tester, et on va pouvoir le manipuler, c’est-à-dire lui injecter des produits comme des « cocktails dégraissants » ce qui est un des sujets de ma thèse de science. Probablement qu’en fait la meilleure séquence est de faire une combinaison des deux, c’est à-dire de faire d’abord une perfusion hypothermique pour restocker l’ATP et prévenir les lésions d’ischémie reperfusion, et si le greffon est très limite de le faire fonctionner à 37°C et de regarder comment il se comporte pour évaluer si on le greffe ou pas.
L.S.– D’accord donc ça permet pour un greffon limite à la fois d’améliorer ces performances et en même temps, de l’évaluer avant la greffe c’est bien ça ?
Dr C.G.– Oui, c’est un peu de la réanimation d’organe. L’idée qu’on a derrière la tête c’est de faire du sauvetage de greffon, c’est-à-dire les greffons qu’aujourd’hui on ne va pas transplanter parce que jugés trop limites à cause de critères papier - stéatose ou arrêt cardiaque par exemple - on pourrait les évaluer sur machine et en fonction de critères de viabilité objectifs les transplanter, et c’est ce que font déjà certaines équipes, en Angleterre par exemple.
L.S.– Super ! C’est vrai que c’est ce qui semble apporter la meilleure réponse à la pénurie de greffon aujourd’hui. Ces notions replacées est-ce que tu veux nous parler de vos travaux de recherches dans l’équipe ?
Dr C.G.– À l’initiative d’Olivier SCATTON et d’Eric SAVIER il y a maintenant 8 ans on a commencé à travailler sur le développement d’une machine de perfusion. À l’époque très peu de machines étaient disponibles et il y avait déjà la volonté de faire du Cold-to-Warm c’est-à-dire de faire de l’hypothermie puis de la normothermie en séquence continue mais les machines dont on disposait ne permettait pas de le faire facilement, donc est né l’idée de faire une machine made in Pitié, en collaborant avec des ingénieurs biomédicaux de l’UTC Compiègne, et qui pourrait remplir tous nos prérequis. J’ai rejoint l’équipe et j’ai fait une grosse partie de ma thèse de science sur le développement d’un prototype de machine qui permettrait une perfusion continue en Cold-to-warm sans interruption de la perfusion avec l’idée simple d’un circuit dédié fait à partir de tubulures de CEC qui se branche sur une machine d’ECMO. Ça a donné lieu à un premier puis un deuxième prototype qu’on a testé, on est maintenant en partenariat avec un industriel pour le développement de la machine et on est en phase pré-clinique.
L.S.– Tu disais tout à l’heure que dans le HOPE on utilise un liquide de perfusion oxygéné, et qu’en normothermie on utilise du sang c’est bien ça ?
Dr C.G.– En fait, ce n’est pas forcément du sang, c’est un transporteur d’oxygène, le plus simple c’est de prendre du sang parce que c’est le seul à avoir les autorisations en clinique, mais ça nécessite de prendre en moyenne 3 culots dans les banques de sang, ce n’est pas anodin. La particularité de notre protocole c’est qu’on utilise le sang du donneur qu’on filtre, et on est en train d’évaluer le profil inflammatoire des culots de sang obtenus de cette façon pour valider leur utilisation. Une autre possibilité est l’hémoglobine de ver marin, développée notamment par le Pr Benoit BARROU qui est Néphrologue transplanteur à la Pitié, il y a aussi des hémoglobines bovines de synthèse.
L.S.– Tu as évoqué tout à l’heure le concept de défatting est-ce que tu peux nous expliquer le concept ?
Dr C.G.– Le principe c’est le concept de la réhabilitation d’organe, quand on met un greffon à 37°C sur machine avec de l’oxygène, théoriquement il fonctionne, donc on peut lui administrer beaucoup de produits, voire le traiter ! Les greffons stéatosiques c’est un de nos principaux problèmes en transplantation, c’est le premier motif de refus de greffon. Donc forcément on s’est demandé si on ne pouvait pas dégraisser les foies sur machine. Certaines molécules sont connues pour agir sur le métabolisme lipidique, la ß-oxydation et l’export lipidique, on n’a pas eu besoin de les inventer ! Dans notre laboratoire à Saint-Antoine, le Pr Filomena CONTI est à l’origine du développement d’un cocktail « défattant » qui contient 5 molécules qui ont une action sur le métabolisme lipidique qui ont été évaluées in vitro, avec un effet sur l’export des lipides et le taux de triglycérides dans les tissus ; on l’a injecté dans des foies stéatosiques perfusés sur machine.
Pour l’instant on n’a pas obtenu des résultats incroyables sur la diminution de la stéatose histologique, probablement parce qu’on ne les perfusait pas assez longtemps, environ 12 heures, alors qu’une équipe suisse (Clavien, Zurich) a eu des résultats plus prometteurs avec une machine qui perfusait les foies stéatosiques pendant 7 jours. De notre côté, on s’est rendu compte que ça fonctionnait uniquement quand les foies étaient fonctionnels, ce qui est logique.
L.S.– Parce que vous utilisiez quoi comme type de greffon exactement ?
Dr C.G.– Des greffons « discard », ce sont des foies de donneurs qui étaient rejetés pour la transplantation pour lesquels nous avions l’autorisation de la famille pour les perfuser dans un contexte scientifique.
L.S.– C’était les pires foies qu’on peut trouver en fait.
Dr C.G.– Oui c’était les pires, absolument, des foies parfois de 2 kg avec 90 % de stéatose, arrêt cardiaque prolongé, enfin c’est sûr que ce ne sont pas des greffons optimaux. C’est le problème de la recherche en perfusion hépatique ex-vivo, on ne peut évidemment pas se permettre de faire de la recherche sur des greffons qu’on pourrait transplanter de bonne qualité donc on va le faire sur des modèles animaux notamment porcins (bien que ça ait des limites car le foie de cochon ne fait pas de stéatose). Et l’autre option, ce sont les greffons discard dont on sait qu’ils sont de mauvaise qualité avec les limites que ça représente pour la recherche.
L.S.– Merci pour ce beau rappel et toutes ces explications c’est passionnant. Comme tu le dis c’est en plein boom depuis 10 ans, toutes les équipes se mettent à perfuser, tu penses que l’avenir de la perfusion ressemblera à quoi dans dix ans ? Vers quoi se tend la recherche actuelle ?
Dr C.G.– Le frein actuel en France mais dans plein d’autres pays, notamment européen, c’est l’absence de mutualisation, mais c’est un frein à plein de choses en transplantation. Aux États-Unis ils sont en train de répondre à ça en faisant des plateformes de perfusions mutualisées, à tel point que les compagnies de machines de perfusion ont acheté des avions pour être complètements autonomes et proposer des forfaits « tout compris » avec des plateformes de perfusion, et clairement c’est vers ça qu’il faut tendre. Sous quelle forme ? Probablement pas la même qu’aux États-Unis mais il faut absolument mutualiser les moyens techniques et humains car chaque équipe à plus ou moins une ou deux machines de perfusion, qui ne sont pas forcément les mêmes, rien n’est homogène et ils n’ont pas les moyens de les utiliser à 100 % parce que ça nécessite des moyens humains et à 3h du matin du personnel formé, disponible ce n’est pas toujours évident on le sait très bien, surtout à l’hôpital public à l’heure actuelle. Mutualiser permettrait de répondre à cette problématique, ça permettrait de développer une expertise avec de nouveaux métiers de perfusionnistes d’organes.
L.S.– Est-ce que tu penses qu’il va y avoir des PHRC sur la perfusion hépatique prochainement ?
Dr C.G.– En France, il y a déjà HOPExt (Hypothermic Oxygenated Perfusion for Extended Criteria Donors in Liver Transplantation) dont les résultats vont sortir bientôt, et puis il va y avoir d’autres essais étudiant l’intérêt de la perfusion sur certains critères de greffons marginaux et certains critères de receveurs limites piloté par l’équipe de Lyon, ou encore un essai sur le partage de greffons sur machine.
L.S.– Ok, super. Pour finir étant donné que ce magazine est dédié aux jeunes est-ce que tu aurais un conseil à donner aux jeunes qui vont te lire et qui rêvent d’innovation mais qui ont un petit peu peur de se lancer ?
Dr C.G.– Mon conseil, déjà c’est de ne pas écouter toutes ces personnes qui auront un commentaire négatif ou dévalorisant sur un projet personnel. Pendant tout mon parcours il y a toujours eu quelqu’un pour dire : est-tu sûre de vouloir faire chirurgie, hospitalo-universitaire, transplantation hépatique, c’est difficile, est-ce que tu veux une vie de famille ? est-ce que tu veux une vie normale ? etc., j’ai bien fait de pas écouter ces gens car aujourd’hui j’ai une vie de famille et professionnelle épanouies, et si je les avais écouté je n’aurais juste jamais fait tout ça ! Le corollaire de tout ça c’est qu’il faut s’entourer de gens positifs et donc l’environnement de travail est important, j’ai la chance d’évoluer au sein d’une équipe sympa et bienveillante, et aujourd’hui en transplantation hépatique il y en a plein !!
L.S.– C’est beau de t’écouter, de quoi inspirer les jeunes générations à se lancer ! Merci beaucoup Claire d’avoir répondu présente à notre invitation et d’avoir joué le jeu de cette interview.