Gynéco mais pas Que...  Alice et Louise, légistes à mi-temps

Publié le 17 May 2022 à 23:43

J’ai eu l’occasion d’interviewer Alice C. et Louise J.T. , deux jeunes GO pas comme les autres dans le sens où elles ont une spécialisation en médecine légale. Elles nous racontent leur histoire et nous donnent des conseils. Voici deux points de vue légèrement différents de la médecine légale.

Peux-tu te présenter ? Où as-tu réalisé ton internat ?
Louise : je suis en neuvième semestre d’internat à Rennes. J’ai su très tôt que je voulais être gynécologue, j’avais choisi de faire médecine pour ça. J’ai toujours été passionnée par la naissance, l’allaitement, la maternité et les questions de santé sexuelle.

Alice : j’ai réalisé mon internat à Nantes, après un externat à Tours. Initialement après l’ECN en 2014 j’ai choisi le DES de psychiatrie à Nantes avant de faire un droit au remord en GO en 2016.

Quand tu as choisi l’internat de Gynécologie Obstétrique, savais-tu que tu voulais faire également de la médecine légale ? Ou cela est-il venu plus tard ?
Louise : ça m’est venu plus tard. Au cours du deuxième semestre d’internat, les réalités de la pratique de la gynécologie, les gardes, le stress, les semaines de 60-80 heures m’ont fait douter. J’ai envisagé le droit au remord vers la médecine générale donc, pour mon troisième semestre, j’ai réalisé un stage hors-filière dans le service de médecine légale dans l’Unité Hospitalière Sécurisée Inter-régionale (UHSI).

C’est un service de santé réservé aux prisonniers et prisonnières qui fait partie du service de médecine légale. C’est là que j’ai découvert cette spécialité que je ne connaissais pas du tout.

Alice : pour le choix d’internat, j’hésitais déjà entre GO et psychiatrie, sachant que dès le début j’aimais beaucoup la médecine légale mais le DES de médecine légale n’existait pas à l’époque. J’ai été attirée par le côté médicojudiciaire dès l’externat (avec un stage en maison d’arrêt USMA = Unité Sanitaire en Maison d’Arrêt). En prenant psychiatrie, je souhaitais faire de la psychiatrie légale puis je me suis rapidement rendue compte que quelque chose me manquait ; et que la médecine légale allait être moins accessible en venant de psychiatrie donc j’ai fait un droit au remord en GO qui me plaisait déjà à la base.

Qu’est-ce qui t’a attiré dans la médecine légale ?
Louise : la médecine légale c’est la spécialité qui est en charge de renseigner la justice sur la réalité et la gravité des conséquences des violences subies par les citoyens.

C’est la médecine légale dite « du vivant » qui consiste en l’examen des victimes afin de constater leur lésions physiques ou psychologiques qui m’a tout de suite attiré. L’enseignement du psychotraumatisme, de l’emprise, du cycle des violences conjugales ou encore des mécanismes des agresseurs est rentré en résonnance avec mon envie de dédier ma pratique professionnelle aux femmes les plus vulnérables (femmes victimes de violences, femmes en grande précarité, migrantes, détenues…) mais aussi avec mes préoccupations militantes féministes. En plus, allier la gynécologie et la médecine légale me semblait important pour répondre à un vrai besoin de société suite à la libération de la parole des femmes victimes de violences à travers les mouvements comme #Metoo et #Balancetonporc par exemple. Il y a un réel manque d’offre de soin pour ces femmes, un manque de formation des professionnels de santé et des forces de l’ordre etc. J’ai donc abandonné mon idée de droit au remord et j’ai poursuivi en gynécologie-obstétrique en m’inscrivant au DESC de médecine légale.

Alice : j’aime le contact avec la justice et ses différents intervenants (Officier de Police Judiciaire, Magistrats…), et les relations professionnelles hors soignants. Ce qui me plait aussi c’est la rigueur et le raisonnement juridique dont le point de vue diffère du point de vue médical, et l’intérêt de la réflexion autour de ces différents points de vue. J’aime beaucoup l’aspect polyvalent de la discipline : consultations, gestes techniques en thanatologie (autopsies), évaluations psychologiques… Mais aussi l’aspect « mobile » du médecin légiste : levée de corps, garde à vues…

Quelles sont les modalités d’inscription à la formation en médecine légale dans ta ville ? Est-ce facile d’accès selon toi ?
Louise : je n’ai pas rencontré de difficulté pour m’inscrire à la formation. Je me suis inscrite auprès de la faculté de Rennes au DESC de médecine légale après accord du coordonnateur local, le chef de service de médecine légale du CHU de Rennes, Dr Bouvet et accord écrit du coordonnateur interrégional du DESC Pr Rougé-Maillart.

Alice : personnellement, je fais la Capacité de Pratique Médico-judiciaire, équivalent du DESC. Pour le DESC c’est le même principe que tous les autres, c’est-à-dire deux semestres d’internat et un an de post-internat avec des cours sur deux ans et un mémoire. Pour la capacité, il faut être thésé, les cours sont les mêmes et le mémoire aussi et il y a un stage obligatoire. Pour ma part, j’ai fait un stage d’interne dans le service de Médecine Légale du CHU de Nantes en 10ème semestre et je suis actuellement Assistante Spécialiste dans le service. Le stage de médecine légale est difficile d’accès car peu de place, idem pour le DESC ou la capacité ; mais cela reste tout à fait accessible.

Et quelles sont les modalités de validation de ce DESC ?
Louise : la formation est organisée sur 2 ans avec 5 à 6 séminaires par an de 2 à 3 jours chacun. Il faut également réaliser deux semestres en médecine légale ainsi qu’un an de post-internat. En plus de la validation de ces stages pratiques, il faut passer un oral portant sur les cours de droit ainsi que soutenir un mémoire.

Est-ce que tu sais si avec la réforme il va y avoir des changements ?
Louise : depuis l’année universitaire 2017/2018, la médecine légale devient une spécialité médicale à part entière sous forme du DES de Médecine légale et expertises médicales mais il existe une FST médecine légale et expertise médicale accessible aux internes de GO.

Alice : oui, le DESC et la Capacité sont amenés à disparaitre avec l’apparition du DES… Pour faire de la médecine légale en tant que GO, cela va devenir compliqué. Il est toujours possible de demander un stage et de faire des DIU en lien avec la spécialité (comme le DIU d’Expertises Réparation Juridique du Dommage Corporel).

En tant que gynécologue, que souhaites-tu faire de ta pratique plus tard ? Moitié moitié ? Ou intégrer la pratique de l’un dans l’autre ?
Louise : j’aimerais travailler auprès des femmes victimes de violences en mettant à leur service des compétences gynécologiques et légistes. En huitième semestre, j’ai eu la chance de faire un inter-CHU à la Maison des femmes de Saint-Denis auprès du Docteur Ghada Hatem. C’est un service qui accueille et accompagne les femmes victimes de violences vers la guérison du psychotraumatisme et l’autonomie. C’est un lieu unique qui rassemble des professionnels de santé, du social, du juridique, du monde de la police mais aussi des artistes et des sportifs pour offrir une prise en charge globale aux femmes victimes de violences et leur donner toutes les clés pour sortir des situations de violences. Je fais donc partie d’un groupe de médecins qui travaillent à la duplication de ce modèle à Rennes.

Alice : pour le moment, je suis 50/50 et cela se passe très bien. Ces deux ans d’assistanat vont justement me permettre de me faire une idée sur la suite !

Au vu de ton expérience, as-tu des petits conseils pratiques à donner aux internes de GO « classiques » ?
Louise : je dirais, essayer au maximum de pratiquer le dépistage systématique des violences auprès des patientes en incluant une question simple dans l’interrogatoire « Avez-vous déjà vécu, ou vivez-vous actuellement des violences ? ». Les inquiétudes sont bien sûr légitimes « Qu’est-ce que je dis si la patiente dit oui ? je ne sais pas faire ! ». Quelques phrases simples suffisent « Je vous crois », « c’est courageux d’en parler », « si vous souhaitez en parler vous pouvez venir ici, je peux tout entendre et bien sûr, c’est vous qui décidez ce que vous souhaitez dire et quand. », et « Nous pouvons vous aider », puis orienter la patiente vers ceux qui savent prendre en charge les femmes victimes de violences, Maison des femmes, associations… Le dépistage systématique permet donner aux femmes la possibilité de révéler les violences qu’elles subissent et de leur donner accès à une prise en charge. Pour aller un peu plus loin, je conseille la lecture des travaux de Muriel Salmona sur le psychotraumatisme et de parcourir le site de La MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains).

Alice : pour la pratique de tous les jours, le point capital est l’information aux patientes !! Donner une information claire, précise et adaptée et surtout noter dans les dossiers que l’information a été donnée et quelle information a été donnée. C’est le point capital qui ressort dans les décisions de justices lorsque des actions juridiques ont été entreprises. J’ai fait mon mémoire de DES sur « Jurisprudence et responsabilité médicale indemnitaire en diagnostic anténatal : point de vue juridique et faute caractérisée ». C’est parfois long et laborieux de tout noter à chaque fois mais lors de conflits cela reste un argument de poids ! Donc veiller à la bonne traçabilité des dossiers. Et éviter de donner uniquement les fiches d’informations patiente, même si celles-ci restent obligatoire notamment en échographie, elles ne dispensent pas d’une information orale.

Louise, on nous a dit que tu avais également un Master 2 en philosophie et éthique, peux-tu nous parler de cette expérience ?
Louise : j’avais envie de compléter mes connaissances médicales par l’étude des sciences humaines, centrées sur les aspects sociaux, culturels, comportementaux et relationnels de la médecine. Je ressentais le besoin de prendre du recul et de modifier mon angle de vue. J’ai donc fait un Master 1 puis un Master 2 en éthique médicale hospitalière appliquée à l’université Gustave Eiffel de Paris-Est Marnes-la-Vallée. L’année dernière, grâce à la bourse de l’année recherche, j’ai pu consacrer un an entier à un Master 2 science politique de la santé dans la même université. J’ai travaillé sur le lien entre genre, sexe et santé. Mon mémoire consiste en une revue de la littérature des principaux points de vue féministes, pluriels et contradictoires sur la procréation médicalement assistée, et plus particulièrement la greffe d’utérus. Ces formations en sciences sociales m’ont permis d’acquérir un regard complémentaire et différent sur nos pratiques et m’ont donné des outils de compréhension qui me servent au quotidien.

Alexane TOURNIER
Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°22

L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

Publié le 1652823812000