GIHADE LAGMIRY, MÉDECIN URGENTISTE ET CHAMPIONNE DE France
Texte : Elsa Bastien
Photos : Michela Cuccagna
"J’AI TOUT DE SUITE BIEN AIMÉ LA MAÎTRISE DE SOI QUE DEMANDE LA BOXE, C’EST UNE BONNE ÉCOLE."
Un retour après 4 ans d’absence, une finale diffusée en direct sur France O, sa famille, son club, ses collègues derrière elle... Gihade Lagmiry avait de quoi stresser en entrant sur le ring. Au fil des rounds pourtant, on ne décèle aucune nervosité. Rien en fait, à part une tranquille détermination. Même les commentateurs s’attardent sur le regard impressionnant de la boxeuse... qui va remporter ce soir-là le titre de championne de France de boxe anglaise.
Gihade, c’est donc cette médecin urgentiste qui, en parallèle de ses études réussies sans heurts, s’est forgée un lourd palmarès en boxe : 37 matches, 6 défaites.
FLASH BACK - Après le bac, Gihade quitte Châteaudun pour la fac de médecine de Tours, et embarque au passage toute sa famille avec elle : mère, beau-père, soeur, frère... “On est assez famille, on ne se sépare pas !”, rigole la grande brune. Elle qui était très sports co - hand, basket...- a du mal à continuer une fois à Tours. Difficile d’intégrer une équipe déjà soudée. “Au final, j’ai franchi la porte d’une salle de boxe parce que mon frère voulait faire de la boxe thaï. On a regardé les pages jaunes et on s’est retrouvés dans ce club. Mon frère n’a pas aimé, et moi je suis restée.” On est en 2008, et Gihade se pique donc de la discipline. Riche idée : cette même année, elle devient championne de France de boxe française, perd en quart en anglaise, et tape dans l’oeil de la fédé. “Je n’avais pas tant de technique évidemment, mais j’avais de la "puissance", des aptitudes naturelles, et puis les gens m’ont fait confiance”, tente d’expliquer cette éternelle modeste.
EQUIPE DE FRANCE - Résultat : elle intègre l’équipe de France, tout simplement. “Je lisais le magazine France Boxe, et je me disais wow je vais être avec ces filles-là ! Qu’est ce que je fais là, elles ont 70 combats et moi 2... C’était impressionnant”. Son entraîneur, Tonio Geraldo – qui est aujourd’hui son mari - est à fond, croit en elle. Même si elle a, bien sûr, encore à apprendre. “J’ai tout de suite bien aimé la maîtrise de soi que demande la boxe, c’est une bonne école. Mais ça n’a pas été facile, à cause de cette “puissance” les coups partaient et Tonio me rappelait qu’un vrai athlète, ce n’est pas que de la puissance, ou faire mal. J’en ai pleuré ! On a beaucoup travaillé la technique ; c’était de sages paroles”. Bonne pioche pour les recruteurs en tout cas : été 2008, elle obtient la médaille d’argent au championnat européen, en 2009, elle est championne de France en anglaise, tout comme en 2010. Et en 2011. Et en 2012. “ Quand je m’y mets, je m’y mets à fond. J’aimais ça, j’allais à tous les entraînements possibles... J’étais accroc ! “ Et c’est loin d’être un euphémisme : à l’époque, elle est externe et s'entraîne 30h par semaine. Mais quand elle devient interne, avec 5 semaines de congé par an, les choses se corsent... Et on sent bien son agacement.
"IL M'EST ARRIVÉ DE REVENIR D'UN CHAMPIONNAT EN TURQUIE LE MATIN À PARIS, ET D'AVOIR UN PARTIEL À TOURS L'APREM.”
HAUT NIVEAU - “Quand j'étais externe, c’était déjà bancal. Tu as un statut ministériel de sportif de haut niveau, mais ça ne sert à rien, même si le doyen a été sympa. Tu peux être éligible à faire des aménagements, comme passer ses partiels seul etc. Moi j’ai pu mettre mes stages sur 4 semaines au lieu de 6, en faisant exactement les mêmes astreintes que les autres, sur un temps plus court. En revanche, pour les partiels, il n’y avait rien à faire. Une fois, je suis revenue de Turquie le matin à Paris, et l’aprem, j’avais un partiel à Tours”. La fédé a beau monter un dossier pour être interne en surnombre, comme les femmes enceinte, rien n’y fait. “Un vrai coup dur”, soupire- t-elle. Qu’à cela ne tienne, Gihade et Tonio font front, ne lâchent rien. Elle est en stage de pédiatrie à Dreux et vit à l’internat : Tonio fait les déplacements pour l'entraîner deux fois par semaine. Gihade garde son titre, année après année... Mais sans pouvoir partir à l’international. Qui dit championne de France, dit compétitions à l’international. “J'étais en constante progression, avec une médaille à chaque fois. Et chaque année je me demandais si ça valait peine : si tu ne participes pas aux championnats du monde, c’est dur de progresser, de maintenir son niveau. Il fallait que j’aille plus loin, mais j'étais bloquée.” Arrive 2013 et... une grosse déception. Sa meilleure amie descend dans sa catégorie de poids(-69 kilos à l’époque) sans le lui dire. En finale, elle doit l’affronter, sans avoir pu s'y préparer. Dur dur. “Si tu me demandes de boxer ma soeur ou une super amie, je ne peux pas. Il s’agit quand même de rentrer dans un certain état d’esprit, tu as un 4 fois 2 minutes pour gagner. Le KO est possible, ou la blessure...”, raconte-elle. Ce jour-là, Gihade perd son titre. Elle décide d’arrêter la boxe : à cette déception humaine et aux difficultés d’emploi du temps s’ajoute son envie d’avoir un bébé. “J’ai continué mon cursus. En 2013, j’ai été diplômée en médecine générale, et j’ai fait un Desc d'urgence”. Elle est aujourd’hui urgentiste à Trousseau et au Samu 37 : “J’aime ce qui bouge, le travail d'équipe, l'échange avec les patients, les collègues, les paramédic... Et puis c’est tout ou rien, d'une otite à un arrêt cardiaque”, s'anime-t-elle. Autant dire que son retour sur le ring n’était pas planifié. “Mon mari est fan de boxe, il regardait un reportage sur Clarisse Shields, une boxeuse américaine noire, une vraie force de la nature. Et il m’a dit : “Regarde, elle te ressemble, ça ne te donne pas envie ? Je sais qu’il y a encore des choses en toi”. Effectivement, je le sentais, c’était le moment”. Le couple regarde le planning des championnats sur le site de la fédé, son agenda pro... Ça semblait marcher ! Même si son concours de PH était entre les quarts et les demi-finales. Pas du genre à arrêter Gihade. “Je m’y suis mise, entièrement, en septembre. J’ai pas lâché un entraînement. J’y allais tous les jours, parfois deux fois par jour, fatiguée ou pas, tu ne te poses pas de question. Honnêtement, j’en ai chié, ça revient pas comme ça.” Une fois encore, elle échange des gardes avec ses collègues – qui l'ont encouragée – calcule au mieux la pose de ses RTT, et une fois encore, Tonio, son super entraîneur / super mari, la coache tôt le matin ou tard le soir.“Je peux vraiment compter sur le soutien de ma famille”, sourit Gihade. Le résultat, on le connaît : le 11 février, Gihade est de nouveau sacrée championne de France.
Et maintenant ? La famille va chiller à Cuba, une vingtaine de jours pour savoir ce qu’elle veut,pour réfléchir à comment être médecin, et grande championne.
"IL M'EST ARRIVÉ DE REVENIR D'UN CHAMPIONNAT EN TURQUIE LE MATIN À PARIS, ET D'AVOIR UN PARTIEL À TOURS L'APREM.”
Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°16
L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE
Déjà abonné ? Se connecter