Gestion pratique de l’état de choc post-circulation extra-corporelle (CEC)

Publié le 24 May 2022 à 15:06

Le choc post-CEC correspond à un tableau physiopathologique complexe associant une dysfonction cardiaque et une vasoplégie. En effet, cette complication redoutée en réanimation peut entraîner une acidose métabolique profonde, indiquant à de fortes doses d’amines afin de restaurer une hémodynamique satisfaisante. L’incidence de ce tableau clinique est de 2 à 6 % selon les séries, dont 0,5 à 1,5 % de forme réfractaire au traitement médical avec nécessité d’une assistance de type ECMO1. Enfin, la mortalité globale peut atteindre jusqu’à 50 % des patients2–5.

Physiopathologie générale du choc post-CEC
Il résulte de l’association d’un bas débit cardiaque6–8 et d’une vasoplégie3, 9. La fonction cardiaque post-CEC présente une évolution particulière. En effet, on constate initialement une amélioration, puis une dégradation de la fonction cardiaque, avec un nadir entre la 4ème et 6ème heure10 (Figure 1). Cette aggravation correspond au pic de libération des médiateurs de l’inflammation (fraction C5a du complément, interleukine, TNF alpha), avec une récupération variable. Les facteurs déterminants la récupération au décours sont : FEVG préopératoire, âge, chirurgie urgente, CEC prolongée, infarctus du myocarde récent11. D’autre part, la CEC diminue de 30 % la réponse aux amines des récepteurs beta du myocarde et augmente proportionnellement celle des récepteurs alpha12. Ces phénomènes expliquent d’ailleurs en partie la résistance aux amines en sortie de CEC.


Figure 1 : Évolution typique de la fonction cardiaque en post-CEC (courbe construite en fonction du pourcentage de la FEVG en préopératoire).

Comprendre le tableau de vasoplégie
L’exposition du sang à des surfaces non endothélialisées déclenche toute une cascade de réaction inflammatoire. En temps normal le processus inflammatoire est conçu pour rester localisé. Sous certaines conditions ce phénomène peut se généraliser et devenir systémique, on l’appelle alors systemic inflammatory reaction syndrom (SIRS).

Les facteurs déclenchants du SIRS en chirurgie cardiaque sont multiples : le contact du sang avec les circuits de CEC et l’air des aspirations de cardiotomie, l’hypothermie, les complexes héparine/protamine, l’ischémie-reperfusion, les toxines libérées par le tube digestif13–14, l’activation du complément, les cytokines ainsi que les radicaux libres d’oxygène.

Le SIRS comprend 2 phases :
Une phase précoce médiée par la voie humorale et cellulaire
La voie humorale fait intervenir les cytokines (pro-inflammatoires), le complément avec la formation des « membrane attack complex » entraînant l’apoptose cellulaire et la coagulation avec la génération de pro-thrombine et l’activation plaquettaire, pouvant dans les situations les plus graves entraîner une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD). La voie cellulaire, fait intervenir polynucléaires neutrophiles (radicaux libres, médiateurs de l’inflammation et enzymes protéolytiques) et basophiles (l’histamine) augmentant la perméabilité capillaire. Les monocytes libèrent les cytokines pro-inflammatoires. Enfin, les cellules endothéliales participent à la régulation de la coagulation et de l’inflammation, via la formation de thrombine, de C5a et d’interleukines. Elles gèrent également la vasodilatation des capillaires via le NO.

Une phase tardive avec 2 composantes majeures
Les lésions d’ischémie/reperfusion, après une hypoxie, la cellule qui reçoit de l’oxygène au moment de la reperfusion fabrique massivement du peroxyde d’hydrogène entraînant une réaction inflammatoire importante.

Les endotoxines libérées par les bacilles gram négatif (BGN) présents dans le tube digestif et dont le passage systémique est facilité par la baisse du débit splanchnique et de l’hypothermie15 lors de la CEC stimulent l’inflammation. Cette cascade d’activation possède des similarités avec le syndrome post-ressuscitation et le sepsis16.

Les thérapeutiques du choc post- CEC
En per-opératoire
Tout d’abord, l’accent est porté sur la phase per-opératoire avec des améliorations technologiques et techniques permettant de limiter les aspirations de sang contenant de l’air, des activateurs de la coagulation et des débris cellulaires pourvoyeurs d’embolie, d’hémolyse et de thrombopénie (Figure 2). Ces complications sont limitées par le système CellSaver17. La miniaturisation des circuits permet de limiter le contact du sang avec des matériaux inorganiques. L’utilisation de circuits biocompatibles, préhéparinés ou imprégnés de poly-2méthoxy-éthyl-acrylate freinent l’activation du complément, des plaquettes et de la coagulation. La réduction des leucocytes en utilisant des filtres est bénéfique pour les échanges gazeux, car les poumons séquestrent les leucocytes lors de la CEC. La normothermie (> 34°) permet ainsi d’éviter l’altération de la coagulation et une flambée inflammatoire déclenchée par le réchauffement. Cependant, la température idéale reste débattue18–19.

En post-opératoire
Après optimisation de la volémie, les catécholamines restent la clef de voûte de la prise en charge, avec en première ligne la noradrénaline, la dobutamine et l’adrénaline. Certains auteurs ont montré une supériorité de la vasopressine versus noradrénaline mais sur un critère composite, avec essentiellement un effet sur l’insuffisance rénale20. Quand une insuffisance rénale est associée l’utilisation de l’hémofiltration peut être bénéfique en diminuant la surcharge secondaire à la CEC et en clairant les molécules pro-inflammatoires hydrosolubles. Certains auteurs montrent une efficacité de l’épuration à haut volume dans le syndrome post-ressuscitation21 et le choc septique22–23. L’hypothèse est que la clairance de cet orage moléculaire pro inflammatoire pourrait diminuer ce cercle vicieux inflammatoire. Cependant elle n’a aucune efficacité chez les patients de chirurgie cardiaque24. Plus récemment certains auteurs ont montré une efficacité dans l’utilisation du NO en per et post opératoire de cardiopathies rhumatismales dans la survenue d’insuffisance rénale25. Néanmoins, ces résultats sont à confirmer dans des populations plus larges. L’ECMO dans les situations les plus sévères reste la thérapeutique de choix26–27. Enfin, des données récentes montrent que le lactate, sa clairance, le SOFA, les doses d’amines initiales, l’âge, le sexe et l’Euroscore 2 sont des facteurs associés à la mortalité.


Figure 2 : Représentation schématique d’une CEC

Conclusion
Le choc post-CEC est une entité rare mais grave. Il est probable que les patients présentant des facteurs de risque en préopératoire de CEC doivent faire l’objet d’une surveillance rapprochée associée à une prévention active. Enfin, les traitements du choc en post-opératoire ne sont que symptomatiques.

Références

  • Khorsandi M, et al. A 20-year multicentre outcome analysis of salvage mechanical circulatory support for refractory cardiogenic shock after cardiac surgery. J Cardiothorac Surg. 8 nov 2016;11(1):151.
  • Maganti MD, et al. Predictors of low cardiac output syndrome after isolated aortic valve surgery. Circulation. 30 août 2005;112(9 Suppl):I448-452.
  • Levin MA, et al. Early on-cardiopulmonary bypass hypotension and other factors associated with vasoplegic syndrome. Circulation. 27 oct 2009;120(17):1664‑71.
  • 4. Maganti M, et al. Predictors of low cardiac output syndrome after isolated mitral valve surgery. J Thorac Cardiovasc Surg. oct 2010;140(4):790‑6.
  • Denault AY, BART Investigators. Difficult and complex separation from cardiopulmonary bypass in high-risk cardiac surgical patients: a multicenter study. J Cardiothorac Vasc Anesth. août 2012;26(4):608‑16. Les autres références sont disponibles en ligne sur notre site internet : www.blog-du-gcf.fr
  • Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°7

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