Gériatrie Connectée

Publié le 16 May 2022 à 19:45


NOUVELLES TECHNOLOGIES ET SUJETS AGES, SCIENCE-FICTION OU REALITE PROCHAINE ?

Pour répondre à cette question, nous avons interviewé le Dr Antoine PIAU, PH dans le service de Médecine Gériatrique du CHU de Toulouse et spécialiste des nouvelles technologies dans le domaine de la santé.

Arnaud Caupenne : Qu’est-ce qui fonctionne aujourd’hui en termes de nouvelles technologies et qu’est-ce que nous pouvons recommander à nos patients âgés ?
Antoine Piau : Actuellement, nous pouvons recommander essentiellement des objets ou des applications qui répondent à un usage « bien-être » et non réellement « santé » (donc validé). Par exemple, pour un patient qui souhaiterait marcher plus dans la journée, un podomètre est une bonne option. La recherche a en effet démontré que cet objet connecté permettait de fixer un objectif et d’obtenir un retour de l’activité effectuée ce qui augmentait l’activité physique effectuée. L’idée est : « je me fixe un objectif que j’applique ».

AC : Aujourd’hui nous remarquons dans notre pratique médicale quotidienne que nous ne sommes pas beaucoup entourés d’objets connectés. Qu’est-ce que nous pourrions utiliser de mature aujourd’hui ?
AP : Dans notre pratique médicale actuelle, il n’y a que dans le domaine du diagnostic que nous sommes en phase avec le développement technologique de 2017. C’est-à-dire qu’en biologie, en imagerie, nous sommes complètement en phase avec le fait que l’on aille sur Mars et que l’on ait des voitures électriques et même bientôt autonomes. Dans le domaine de l’intervention, il n’y pas grand-chose en dehors des robots chirurgicaux dont l’efficacité clinique reste à démontrer. Nous avons l’impression que l’on est proche d’y arriver mais que nous n’y sommes pas encore. Dans le domaine interventionnel nous sentons que nous allons dans la bonne voie mais que rien n’est encore validé scientifiquement. Nous n’avons pas encore démontré de bénéfice clinique. Et à mon avis un domaine dans lequel il peut vraiment y avoir des progrès, c’est le support thérapeutique. C’est-à-dire pas la technologie en tant que thérapeutique elle-même mais en tant que support à l’adhésion, support à la réalisation… Par exemple, il est possible de citer toutes les applis de monitoring, de coaching, les programmes pour s’autogérer à la maison, des programmes d’éducation thérapeutique... A mon avis, il y a là un énorme boulevard. Mais pour l’instant, aucune de ces solutions n’a vraiment été évaluée scientifiquement.

« …il n’y a que dans le domaine du diagnostic que nous sommes en phase avec le développement technologique de 2017 ».

AC : D’ailleurs, la recherche est-elle actuellement prête à évaluer ces évolutions et y a-t-il de la littérature qui a été publiée sur ces thèmes ?
AP : Il y a de plus en plus de littérature publiée sur ces thématiques, essentiellement des études pilotes sur des petits effectifs. Le problème actuel est que l’on essaie de faire un copier-coller de ce que nous connaissons en recherche médicale, à savoir l’évaluation des médicaments. Or ce n’est pas du tout pareil. L’évaluation d’un médicament est extrêmement linéaire (phase pré clinique, phase 1, phase 2, phase 3…) et de la phase pré clinique à la phase 3 ou 4, le principe actif ne sera jamais modifié. Sinon il faut tout reprendre du début. Un produit technologique c’est tout l’inverse.

A chaque phase d’évaluation l’outil sera modifié. Les phases seront beaucoup plus flexibles et le prototype pourra être modifié du tout au tout entre chacune de ces phases. Nous n’avons actuellement pas les bonnes méthodes d’évaluation et nous sommes en difficulté aux niveau méthodologique et statistique. Et actuellement le cycle de développement d’un médicament est beaucoup trop long. L’innovation technologique n’a pas ce tempslà. Au bout de 5 ans, la start-up en est à la 6e version ! Les méthodes d’évaluation devront obligatoirement être adaptées. Il faut que nous changions nos manières d’évaluer les technologies et inversement eux ont des mauvais reflexes à gommer. Ils réalisent très bien les études de marché et l’évaluation des besoins mais dans le domaine médical ils ont de vraies carences. Ce secteur leur paraît en effet opaque et ils manquent d’interlocuteurs. Ils ont, de ce fait, du mal à venir sur le terrain pour évaluer les besoins et les usages. Les produits finis sont complètement inadaptés à nos pratiques.

« Nous n’avons actuellement pas les bonnes méthodes d’évaluation et nous sommes en difficulté au niveau méthodologique et statistique »

AC : Cela veut dire que les nouvelles technologies produites en ce moment sont assimilables à des « gadgets » non utilisables par les patients ?
AP : Exactement. Soit c’est un « gadget » à pure visée commerciale n’accomplissant que partiellement son rôle avec des mesures souvent non rigoureuses, soit il y a un décalage total avec les usages et nous avons affaire à un objet inutilisable.

AC : Est-ce qu’alors la solution ne viendrait pas des géants tels qu’Apple®, Google® … ? Leurs méthodes de collecte massive de données est-elle la solution à suivre ?
AP : C’est en effet ce que l’on appelle « le Big Data » qui intéresse beaucoup les GAFA*. Ces données sont effectivement intéressantes surtout en termes de diagnostic précoce. Si en effet on recoupe des données telles que le champ sémantique utilisé dans les e-mails, la manière dont le sujet conduit sa voiture, utilise sa souris d’ordinateur, marche… nous pouvons potentiellement prédire une pathologie neurodégénérative par exemple, 5 ou 10 ans avant. C’est extrêmement intéressant dans le domaine de la recherche clinique et cela pourra permettre de prendre en charge les patients de manière précoce. Néanmoins, ce n’est pas ça qui va augmenter notre espérance de vie sans incapacité. Donc je crois très fort en cette solution pour ce qui est du diagnostic précoce mais ce n’est pas cela qui va tout révolutionner. Et d’ailleurs quand on observe ces grands groupes on s’aperçoit que leurs employés mangent sainement, font du sport et envoient leurs enfants dans des écoles sans ordinateurs. Donc il faut faire attention au double langage. Ils savent que ce sera une amélioration mais ce n’est pas ça qui va révolutionner la médecine de demain. Aujourd’hui cela nous est survendu comme beaucoup d’innovations.

*GAFA : acronyme de Google®, Amazon®, Facebook®, Apple®.

AC : Nous avons l’impression que les médecins ne se sont pas encore emparés de ces thématiques et qu’il existe un retard à ce niveau-là. Qu’en penses-tu ?
AP : Je pense que nous sommes en retard et que nous devrions clairement plus nous y intéresser. Tout d’abord parce que c’est très bien de collecter des données mais il faut des gens qualifiés pour les utiliser. Et ensuite parce que, malgré tout, cela va profondément changer notre manière de pratiquer la médecine dans les années futures. Je ne crois pas que cela nous permettra de vivre 200 ans mais cela va révolutionner la pratique médicale.

« Je pense que nous sommes en retard et que nous devrions clairement plus nous y intéresser (…) cela va profondément changer notre manière de pratiquer la médecine dans les années futures »

AC : En gériatrie, nous sommes face à des patients âgés. Âge et nouvelles technologies ne fonctionnent pas forcément très bien ensemble. Quels sont les freins actuels et comment peut-on faire rentrer les nouvelles technologies chez nos patients âgés ?
AP : Alors moi, en cinq ans, j’ai déjà observé un changement. Il y a cinq ans nous n’avions pas de patients de 80-90 ans avec des Smartphones. Maintenant il y en a beaucoup. Ce n’est pas tant une question d’âge mais une question de génération et surtout de monde du travail. Toutes les personnes ayant travaillé avec un Smartphone, même si c’est sur la fin de leur carrière, vont savoir l’utiliser naturellement. En l’espace de 5 à 10 ans, cela va exploser. Et cela sera d’autant plus vrai le jour où nous leur proposerons des solutions plus adaptées à leurs besoins. Cela améliorera nettement leur adhésion. En effet, aujourd’hui cela ne les intéresse peut-être pas de porter une AppleWatch® (dont l’intérêt reste à démontrer en santé) préférant une montre plus classique auquel ils sont attachés. L’enjeu est de faire entrer la technologie dans leurs objets du quotidien.

AC : Est-ce qu’un autre frein peut être le fait que les patients ne maîtrisent pas l’ensemble des données collectées et se sentent épiées dans leur quotidien ? Est-ce une histoire de génération ?
AP : Ça n’est pas tellement une histoire de génération car il y a des jeunes qui commencent à s’en méfier aussi. C’est surtout une histoire de devenir des données. Tous les patients, même jeunes, demandent à savoir ce qui est fait de leurs données. On observe même des jeunes de la génération Y qui se retirent de tel ou tel réseau social à cause d’une exploitation des données non maitrisée. Un autre enjeu majeur des prochaines années sera de clarifier cela.

AC : Et au final, si nous nous projetons dans 10 ans, qu’est-ce qui va réellement fonctionner ?
AP : A mon avis, il y aura des avancées majeures dans les domaines de la prévention, du diagnostic précoce et du soutien à l’hygiène de vie. Et ce seront les domaines cancérologiques, neurodégénératifs et cardiovasculaires/ métabolique qui en bénéficieront le plus.

Arnaud CAUPENNE
Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°16

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