Focus sur le dépistage et le diagnostic de l’hypertension pulmonaire

Publié le 05 Oct 2022 à 15:39

Introduction
L’hypertension pulmonaire (HTP) est une pathologie complexe et souvent mal connue ce qui entraîne un important retard au diagnostic. Néanmoins, c’est un problème de santé publique mondiale qui affecte toutes les classes d’âges, avec une prévalence estimée à 1 % de la population mondiale. Dans tous les cas, elle est associée à une aggravation des symptômes et du pronostic des patients. L’intégralité et les nouveautés des recommandations 2022 ne sauraient être résumées ici (1, 2). Néanmoins, cet article propose un focus sur le dépistage et le diagnostic pour l’adressage en centre de référence.

Une nouvelle définition hémodynamique !
Même si le diagnostic repose toujours sur la mesure invasive des pressions pulmonaires par cathétérisme cardiaque droit, les seuils ont été abaissés par rapport aux précédentes recommandations de 2015 (3).

Le diagnostic d’HTP repose la mesure d’une pression artérielle pulmonaire moyenne (PAPm) > 20 mmHg, au repos. On y associe ensuite un niveau de résistances vasculaires pulmonaires (RVP) et de pression artérielle pulmonaire d’occlusion (PAPO) pour différencier :
• Une HTP pré-capillaire : PAPm > 20 mmHg, PAPO ≤ 15 mmHg et RVP > 2 UW.
• Une HTP post-capillaire : PAPm > 20 mmHg, PAPO > 15 mmHg et RVP ≤ 2 UW : >> Isolée : RVP ≤ 2 UW >> Combinée : RVP > 2 UW

Pour rappel, Les RVP sont calculés de la façon suivante : (PAPm – PAPO) / débit cardiaque, et exprimées en unités wood (UW).

Les valeurs de références au cathétérisme cardiaque droit sont aussi rappelées dans le tableau 1.

Variables mesurées Norme Pression atrial droite
Pression artérielle pulmonaire systolique
Pression artérielle pulmonaire diastolique
Pression artérielle pulmonaire moyenne
PAPO
Débit cardiaque
SvO2
SaO2
Pression artérielle systémique 2-6 mmHg
15-30 mmHg
4-12 mmHg
8-20 mmHg
≤ 15 mmHg
4-8 L/min
65-80 %
95-100 %
120/80 mmHg Variables calculées Norme RVP
RVP indexée
Résistance pulmonaire totale (PAPm/Qc)
Index cardiaque
Volume d’éjection systolique
Volume d’éjection systolique indexé
Compliance artérielle pulmonaire 0.3-2.0 UW
3-3.5 UW/m2
< 3 UW
2.5-4.0 L/min/m2
60-100 mL
33-47 mL
> 2.3 mL/mmHg

Tableau 1. Valeurs de références au cathétérisme cardiaque droit, (d’après Humbert et al) (1)

La classification en 5 groupes (tableau 2) ne change pas. Le cathétérisme cardiaque droit ne suffit pas pour l’établir et nécessite donc un bilan exhaustif, détaillé par la suite.

GROUPE 1 – HYPERTENSION ARTERIELLE PULMONAIRE (HTAP) 1.1 Idiopathique
1.1.1 Non-répondeurs au test de vasoréactivité
1.1.2 Répondeurs au test de vasoréactivité
1.2 Familial
1.3 Associée aux toxiques et drogues
1.4 Associée aux
1.4.1 Connectivites
1.4.2 Infection par le VIH
1.4.3 Hypertension portale
1.4.4 Cardiopathies congénitales
1.4.5 Schistosomiases
1.5 HTAP avec atteinte veinulaire et capillaire (ex : maladie veino-occlusive)
1.6 Persistante du nouveau-né GROUPE 2 – HTP ASSOCIÉE AUX PATHOLOGIES CARDIAQUES GAUCHE 2.1 Insuffisance cardiaque
2.1.1 Avec FEVG préservée
2.1.2 Avec FEVG altérée ou modérément altérée
2.2 Cardiopathie valvulaire
2.3 Cardiopathies congénitales GROUPE 3 – HTP ASSOCIÉE AUX MALADIES PULMONAIRES 3.1 Maladies respiratoires obstructives ou emphysémateuses
3.2 Maladies respiratoires restrictives
3.3 Syndrome mixte (obstructif et restrictif)
3.4 Syndrome d’hypoventilation
3.5 Hypoxie sans maladie respiratoire (ex : haute altitude)
3.6 Pathologie respiratoire développementale GROUPE 4 – HTP ASSOCIEE AUX OBSTRUCTIONS ARTERIELLES PULMONAIRES 4.1 HTP post-embolique chronique
4.2 Autres causes d’obstructions artérielle pulmonaires GROUPE 5 – HTP DE CAUSES MULTIFACTORIELLES ET/OU INDETERMINÉES 5.1 Pathologie hématologiques
5.2 Maladies systémiques
5.3 Maladies métaboliques
5.4 Insuffisance rénale chronique avec ou sans hémodialyse
5.5 Microangiopathie thrombotique pulmonaire
5.6 Fibrose médiastinale

 

 

Quand suspecter une HTP ?
Les symptômes, sont principalement reliés à la dysfonction ventriculaire droite. Typiquement, on note une dyspnée crescendo pour des efforts importants à modérés puis minimes à mesure que la maladie progresse. À noter qu’aucun signe clinique n’est spécifique d’une cause.

Concernant l’électrocardiogramme, il peut être tout à fait normal comme présenter une déviation axiale droite et/ou des signes d’hypertrophie ventriculaire et/ou atriale droite. La radiographie thoracique peut aussi être normale ou montrer un élargissement de la silhouette cardiaque au profit des cavités droites et/ou de l’artère pulmonaire.

Les épreuves fonctionnelles respiratoires sont souvent altérées en cas de pathologie respiratoire (groupe 3) alors que la présence d’une DLCO basse (< 45 %) doit faire suspecter une atteinte veinulaire (souvent présente en cas de sclérodermie, maladie veino-occlusive ou de pneumopathie interstitielle). Typiquement, la PaO2 est normale ou légèrement abaissée et la PaCO2 basse (hyperventilation alvéolaire). Enfin, les peptides natriurétiques cardiaques (NTproBNP et BNP) sont souvent anormalement élevés.

On comprend ainsi que l’on peut aisément passer « à côté » d’une HTP car aucun des éléments cités ci-dessus ne sont spécifiques. Ainsi, il faudra s’attacher à rechercher :
• Des antécédents familiaux d’HTAP.
• Des situations à risque : sclérodermie et autres connectivites, antécédent d’embolie pulmonaire, expositions à des toxiques et drogues (anorexigènes, amphétamines…), infection par le VIH, cirrhose hépatique.

Le dépistage : l’importance de l’échocardiographie
L’échographie transthoracique est l’examen de première ligne qui permet de dépister une HTP. Celle-ci doit être réalisée de façon rigoureuse et doit comprendre une évaluation exhaustive des cavités cardiaques gauche et droite.

In fine, elle permet d’établir une probabilité d’HTP. Celle-ci est basée sur la vitesse maximale du flux d’insuffisance tricuspide (Vmax IT) et sur la présence de « signes évocateurs » d’HTP (figure 1, tableau 3). La présence de signes dans au moins 2 colonnes du tableau 3 en plus d’une Vmax IT élevée est nécessaire pour retenir la présence de « signes évocateurs » d’HTP. Contrairement à 2015, deux nouveaux paramètres ont été ajoutés aux paramètres à rechercher :
• Le ratio TAPSE/PAPs (seuil retenu : < 0.55 mm/mmHg). Ce ratio permet une approche non invasive du couplage ventriculo-artériel droit (4). •
Le diamètre de l’artère pulmonaire supérieur au diamètre de l’aorte. Ce paramètre est d’ailleurs plus fréquent d’un diamètre de l’artère pulmonaire > 25 mm.

En cas de probabilité forte à intermédiaire, les patients doivent être rapprochés d’un centre de référence/ compétence pour poursuite du bilan.

Les ventricules Les ventricules La veine cave inférieure et oreillette droite Ratio Diamètre basal VD/VG > 1.0 Temps d’accélération pulmonaire
< 105 ms et/ou notch méso systolique Diamètre de la veine cave inférieure > 21 mm avec
un collapsus inspiratoire < 50 % au sniff test ou 20 %
en inspiration calme Applatissement du septum interventriculaire
(ou index d’excentricité
du VG > 1.1 en systole et/ou diastole Vitesse protodiastolique d’insuffisance
pulmonaire > 2.2 m/s Surface de l’oreillette droite > 18 cm2 TAPSE/sPAP < 0.55 mm/mmHg Diamètre de l’artère pulmonaire >
diamètre de l’aorte ou diamètre de
l’artère pulmonaire > 25 mm  

Tableau 3. Signes échocardiographiques évocateurs d’HTP, (d’après Humbert et al) (1)

Figure 1. Algorithme de dépistage d’une HTP par l’échographie, (d’après Humbert et al) (1)

Confirmer le diagnostic : le cathétérisme cardiaque droit
En cas de probabilité intermédiaire à forte suite à l’échocardiographie ou en cas de présence de facteurs de risques, les patients doivent bénéficier d’un cathétérisme cardiaque droit en centre de compétence/référence pour confirmation du diagnostic, selon la définition rappelée précédemment.

En plus des valeurs normales (tableau 1), il existe quelques spécificités à connaître et qui sont rappelées dans ces recommandations.
• En cas de suspicion de shunt intra-cardiaque et/ou SvO2 > 75 %, des saturations étagées doivent être réalisées. Cela consiste en la mesure d’une SvO2 successivement dans la veine cave supérieure, l’oreillette droite, la veine cave inférieure, le ventricule droit, l’artère pulmonaire. Un enrichissement brutal de la SvO2 étant en faveur d’un shunt gauche-droit.
• La méthode de thermodilution (pour évaluer le débit cardiaque), ne doit pas être utilisée en cas de suspicion et/ou présence de shunt. On préfère alors la méthode de Fick.
• La mesure de la PAPO doit être faite en télé-expiration.
• Un test de vasoréactivité (souvent réalisé à l’aide du monoxyde d’azote ou NO) doit être fait au diagnostic d’HTP pré-capillaire, si une HTAP (groupe 1) est suspectée. Cela permet d’identifier les patients répondeurs aux inhibiteurs calciques à forte dose (en pratique environ 10 % des cas) et donc d’initier ce traitement. Un test est positif si la PAPm chute de ≥ 10 mmHg pour atteindre une valeur absolue ≤ 40 mmHg avec un débit cardiaque inchangé ou légèrement augmenté. • Un test de remplissage doit permettre de démasquer une dysfonction diastolique ventriculaire gauche, en cas de PAPO ≤ 15 mmHg mais avec un phénotype évocateur d’HTP du groupe 2. En pratique, une perfusion de 500 mL de sérum physiologique en 5 min est réalisée. Une PAPO ≥ 18 mmHg après remplissage, suggère la présence d’une dysfonction diastolique et donc d’une IC à FEVG préservée.

Le reste du bilan à réaliser
Outre l’examen clinique et les examens paracliniques déjà évoqués (ECG, EFR, gaz du sang, échocardiographie, radiographie thoracique), il sera nécessaire de compléter le bilan par :
• Une scintigraphie de ventilation/perfusion.
• Un scanner thoracique injecté.
• Un bilan biologique comprenant : BNP ou NTproBNP, hémoglobine, fonction rénale et bilan électrolytiques, acide urique, fonction hépatique, bilan martial, sérologies hépatites et VIH, anticorps anti-nucléaires, anti-centromères et anti-Ro, recherche d’un SAPL (si une forme post-embolique chronique est suspectée), TSH.
• Une échographie abdominale à la recherche d’hypertension portale et/ou argument pour une hépatopathie. Ce bilan permettra de préciser le diagnostic étiologique, d’obtenir des valeurs de références à suivre sous traitements spécifiques..

Les populations particulières à ne pas oublier
Malgré des progrès, le délai entre l’apparition des symptômes et le diagnostic d’HTP reste supérieur à 2 ans.

Pour raccourcir ce délai, certaines populations doivent bénéficier d’un dépistage particulier et qui a été rappelé dans ces recommandations.

En cas de sclérodermie, un dépistage annuel est recommandé (class I,B). Si la sclérodermie est connue depuis plus de 3 ans, avec une capacité vitale fonctionnelle ≥ 40 % et une DLCO < 60 %, l’algorithme DETECT (5) est recommandé pour dépister les formes asymptomatiques (class I,B). Enfin, en cas de dyspnée inexpliquée et de sclérodermie, un cathétérisme cardiaque droit est recommandé (class I,C). En cas d’antécédent d’embolie pulmonaire et d’une dyspnée persistante et/ou de novo, d’incapacité à l’exercice, et/ou la présence d’un mismatch de ventilation/perfusion à plus de 3 mois malgré une anticoagulation efficace, l’adressage en centre de référence est recommandé (class I,C).

En cas de mutation à risque chez un patient asymptomatique (en particulier mutation BMPR2, KCNK3, SMAD9, TBX4, EIF2AK4) ou chez un apparenté au premier degré d’une forme familiale identifiée, un dépistage multimodal (et non uniquement basée sur l’échocardiographie) et suivi rapproché sont nécessaires. Néanmoins, la stratégie précise de dépistage n’est pas précisée.

Enfin, lorsqu’une transplantation hépatique est nécessaire, une échocardiographie est recommandée pour le dépistage d’une HTP porto-pulmonaire.

Synthèse : un nouvel algorithme diagnostique
La figure 2 présente l’algorithme diagnostique de synthèse résumant tout ce qui a été dit précédemment. Il faut souligner une nouvelle fois que l’adressage en centre de compétence/ référence est nécessaire au terme de ce bilan afin d’initier les thérapeutiques adaptées, différentes en fonction de la classification clinique retenue (tableau 2) mais aussi des comorbidités

Figure 2. Algorithme diagnostique, d’après Humbert et al (1) cardiovasculaires.

Conclusion
Au terme de ce bilan complet, le diagnostic d’HTP ainsi que la cause à l’origine pourra être portée et un traitement spécifique être initié. La communauté cardiologique étant très souvent confrontée aux HTP du groupe 2, il est important de rappeler qu’aucun traitement vasodilatateur pulmonaire (indiqué en cas d’HTAP) n’est recommandé dans ce cas (class III). En effet, faute de preuve, le traitement consiste, dans la grande majorité des cas, à optimiser le traitement de l’IC gauche. Au contraire, en cas de doute sur une HTP du groupe 1 et 4, il est important d’adresser ces patients en centre de référence/compétence pour l’initiation de traitements spécifiques.

Références
1. Humbert M, Kovacs G, Hoeper MM, Badagliacca R, Berger RMF, Brida M, et al. 2022 ESC/ERS Guidelines for the diagnosis and treatment of pulmonary hypertension. Eur Heart J. 2022 Aug 26;ehac237.
 2. Humbert M, Kovacs G, Hoeper MM, Badagliacca R, Berger RMF, Brida M, et al. 2022 ESC/ERS Guidelines for the diagnosis and treatment of pulmonary hypertension. Eur Respir J. 2022 Aug 30;2200879.
3. Galiè N, Humbert M, Vachiery JL, Gibbs S, Lang I, Torbicki A, et al. 2015 ESC/ERS Guidelines for the diagnosis and treatment of pulmonary hypertension: The Joint Task Force for the Diagnosis and Treatment of Pulmonary Hypertension of the European Society of Cardiology (ESC) and the European Respiratory Society (ERS): Endorsed by: Association for European Paediatric and Congenital Cardiology (AEPC), International Society for Heart and Lung Transplantation (ISHLT). Eur Heart J. 2016 Jan 1;37(1):67–119.
4. Tello K, Wan J, Dalmer A, Vanderpool R, Ghofrani HA, Naeije R, et al. Validation of the Tricuspid Annular Plane Systolic Excursion/Systolic Pulmonary Artery Pressure Ratio for the Assessment of Right Ventricular-Arterial Coupling in Severe Pulmonary Hypertension. Circ Cardiovasc Imaging. 2019 Sep;12(9):e009047.
5. Coghlan JG, Denton CP, Grünig E, Bonderman D, Distler O, Khanna D, et al. Evidence-based detection of pulmonary arterial hypertension in systemic sclerosis: the DETECT study. Ann Rheum Dis. 2014 Jul;73(7):1340–9.

Auteur
Dr Charles FAUVEL
Mobilité recherche à Columbus,
Ohio / Rouen, France

Relecteur
Dr Jean-Luc VACHIERY
Bruxelles

Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°16   

Publié le 1664977183000