Contexte épidémiologique
L’oesophagite à éosinophile (EoE) est une maladie de description récente dont les premiers cas ont été rapportés dans les années 701, 2. Son incidence est estimée par une méta-analyse à 3,7 cas pour 100 000 personnes années et sa prévalence à 22,7 cas pour 100 000 personnes années avec une forte hétérogénéité3. Sur les deux dernières décennies, l’incidence de l’EoE est en forte augmentation. Cette augmentation d’incidence semble indépendante d’une amélioration du diagnostic (plus grand nombre de biopsies oesophagiennes, meilleure identification en anatomopathologie, ou d’un plus grand nombre d’examen) 4. L’EoE est plus fréquente dans les pays occidentaux contrairement aux pays en développement, ou au Japon et à la Chine. Le pic d’incidence dans la tranche d’âge des 30- 40 ans conduit à se demander si des modifications environnementales survenues il y a une cinquantaine d’années pourraient participer à la physiopathologie.
Diagnostic
Les symptômes cliniques sont dominés par la dysphagie et les impactions alimentaires. Le diagnostic s’appuie sur la conjonction des symptômes cliniques, de l’aspect endoscopique et des résultats histologiques. De façon contre-intuitive, l’aspect endoscopique de l’oesophage est fréquemment décrit comme pathologique dans la littérature_: dans une étude menée par des opérateurs entraînés, seuls 5_% des patients atteints d’EoE présentaient un aspect endoscopique normal6. Les signes endoscopiques incluent l’aspect annulaire ou pseudo- trachéal, la présence d’exsudats (dépôts blanchâtres), la présence de sillons longitudinaux, une disparition de la vascularisation visible (conséquence d’un oedème) ou une sténose oesophagienne et dans une moindre mesure une fragilité muqueuse et un rétrécissement de la muqueuse6. Sur les biopsies oesophagiennes, qui doivent être systématiques en cas de dysphagie à oesophage « normal », la présence de plus de 15 éosinophiles par champs à fort grossissement est une condition nécessaire au diagnostic. Étant donnée la répartition hétérogène des éosinophiles dans l’EoE, 6 à 8 biopsies sont nécessaires, prélevées au niveau de la portion distale et intermédiaire ou proximale de l’oesophage7.
Le diagnostic différentiel principal de l’EoE est le reflux gastro- oesophagien (RGO) qui peut donner un infiltrat éosinophilique8. Les autres diagnostics différentiels incluent l’hypersensibilité médicamenteuse, la maladie de Crohn ou la gastro-entérite à éosinophiles.
Histoire naturelle
En l’absence de traitement, un tiers des patients atteints d’EoE présente une aggravation des symptômes de type dysphagie. En revanche, avec le temps, plus de trois quarts des patients présentent une aggravation de la fi brose de manière concomitante à la décroissance de l’infiltrat éosinophilique4. Toujours en l’absence de traitement, une sténose oesophagienne se développe chez 31_% des patients atteints d’EoE à 5 ans et chez 71_% d’entre eux à 20 ans sur la base d’une étude rétrospective suisse, sans influence du nombre d’éosinophiles par champs sur les biopsies oesophagiennes, ni de l’âge au diagnostic5.
Chez l’enfant, une évolution indolente de l’EoE est fréquente puisque 47 à 96_ % des enfants atteints d’EoE n’ont plus de symptômes à l’âge adulte sous couvert d’un recours hétérogène aux IPPs et aux corticoïdes4.
Traitement
L’objectif thérapeutique recommandé est le contrôle des symptômes (disparition de la dysphagie et des impactions alimentaires). Il est justifié par le risque d’apparition d’une sténose oesophagienne au cours de l’histoire naturelle en l’absence de traitement. Sans être explicitement énoncé dans les recommandations américaines de 2020, l’obtention de moins de 15 éosinophiles par champ est un objectif thérapeutique associé sur le long terme à moins de fi brose9. De ce fait, la répétition de l’endoscopie est une étape qui permet de répéter les biopsies et d’établir un critère objectif histologique sur les biopsies10.
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPPs) sont recommandés dans le traitement de première ligne de l’EoE d’une part du fait de leur facilité d’utilisation et d’autre part parce qu’ils permettent de traiter un éventuel RGO, diagnostic différentiel théorique8, 10. Les IPPs permettent une réduction des symptômes et de l’infiltrat d’éosinophilique chez 30 à 70_ % des patients naïfs de traitement4.
Ensuite, les corticoïdes topiques sont à privilégier (la corticothérapie systémique n’est pas recommandée)10. Ce traitement est plus facile à mettre en place en pratique depuis la sortie en France d’une forme galénique adaptée de Budésonide dégluti (Jorveza®). Le dosage pour le traitement d’induction est de 1 mg deux fois par jour. En l’absence d’amélioration symptomatique franche à 6 semaines, le traitement peut être poursuivi 12 semaines au total. L’effet secondaire principal du traitement est le développement d’une candidose.
Algorithme proposé de prise en charge de l’oesophagite à éosinophiles. La mention dans un futur proche se réfère à l’absence d’AMM pour le dupilumab dans l’oesophagite à éosinophiles au moment de la rédaction. L’efficacité est jugée sur l’amélioration symptomatique, le contrôle endoscopique et histologique est conseillé sans être formellement recommandé10. j_: jour, pdt_: pendant, sem : semaine, TCA : trouble du comportement alimentaire
Même si le traitement en cure courte peut permettre une amélioration symptomatique prolongée de plusieurs mois, à l’arrêt du Budésonide, deux tiers des patients récidivent au niveau clinique et histologique malgré une guérison initiale sous Budésonide12, 13. Pour cette raison, une fois la rémission symptomatique obtenue, un traitement d’entretien par une demi-dose de 0,5 mg deux fois par jour peut être proposée afin d’assurer la rémission clinique sur le long terme sur la base des recommandations européennes14.
Le traitement nutritionnel est controversé et privilégié chez les patients allergiques. Il repose sur l’exclusion de 6 groupes d’aliments et leur réintroduction progressive de façon empirique afin d’identifier le groupe d’aliment à l’origine des symptômes. En pratique, les céréales (blé), les produits laitiers, les oeufs, les légumineuses (haricots, lentilles, cacahuètes, noix, etc.), le soja, les poissons et fruits de mer sont exclus pendant 6 semaines avant réintroduction progressive15. Il est à noter que l’utilisation des IgE spécifiques n’est que peu utile dans ce contexte puisque la physiopathologie de la maladie fait intervenir une réaction dysimmunitaire allergique Th2 non IgE médiée16. Ce traitement nutritionnel contraignant est à éviter chez les patients avec un antécédent de trouble du comportement alimentaire du fait de son caractère restrictif. En population générale un suivi diététique est souhaitable pour s’assurer de l’absence de carence (en calcium notamment)10.
Il n’y a pas de place pour le traitement endoscopique dans la prise en charge de l’EoE hormis en présence d’une sténose oesophagienne. Le risque principal est la perforation oesophagienne, estimée à 0,1 % dans ce contexte par une méta-analyse17. L’efficacité symptomatique, obtenue au prix de séances parfois répétées, est estimée à 75_% et potentiellement persistante plus d’un an même sans traitement médicamenteux18.
L’actualité dans l’EoE
Entre 5 et 40_ % des patients atteints d’EoE ne répondent pas au traitement par corticoïde8. Pour ces patients, l’arrivée prochaine sur le marché du Dupilumab offre une nouvelle modalité de traitement en bloquant la signalisation de l’IL-4 et de l’IL-13. Le traitement s’administre en injection sous-cutanée hebdomadaire de 300_ mg et permet une réponse histologique chez 3 patients sur 519. Les effets secondaires les plus souvent rapportés sont les érythèmes au point d’injection et les pharyngites. L’effet secondaire plus spécifique est la conjonctivite avec une incidence de 3_% environ19. Dans l’étude de phase III publiée en 2022, le traitement était administré pendant 24 semaines en induction puis pouvait être poursuivi à une dose de 300 mg toutes les 2 semaines en dose d’entretien19. Cependant le traitement n’a pas encore l’AMM en France dans cette indication et donc ne dispose toujours pas du remboursement.
Références
Nicolas RICHARD
Avec un grand merci au Dr Chloé Melchior
(service d’Hépato-gastroentérologie et Nutrition du CHU de Rouen)
Article paru dans la revue “Association Française des Internes d’Hépato-Gastro-Entérologie ” / JJG n°2