
La conception de la mort a longtemps oscillé entre sacralisation et médicalisation depuis lʼaccélération des découvertes médicales à la fin du 19e siècle. Avec lʼessor de la médecine hospitalière, elle sʼest progressivement déplacée du foyer vers lʼhôpital. Cʼest naturellement dans ce cadre que se sont développés les concepts dʼaccompagnement, de soins palliatifs, de soins curatifs, dʼacharnement thérapeutique et dʼaide active à mourir.
En neurologie, lʼapproche de la mort est multidimensionnelle. Elle nʼimplique en effet pas toujours lʼarrêt des fonctions vitales : il existe dans plusieurs pathologies une érosion de lʼidentité sociale de la personne : une fin de la vie avant la mort biologique. Certaines pathologies impliquent une perte brutale de la conscience et un état végétatif prolongé. Ces situations et dʼautres font de la fin de vie en neurologie un sujet particulièrement délicat et pluriel. Il ne sʼagit donc pas dʼune fin de vie mais de fins de vies quʼil faut aborder dans notre spécialité. Un consensus existe cependant, celui en faveur dʼune prise en charge visant à soulager la souffrance sous toutes ses formes, malgré les spécificités de chaque pathologie que nous aborderons brièvement dans cet article.
La maladie d'Alzheimer : disparition de l'identité et perte d'autonomie
Dans la maladie d'Alzheimer, l'altération des fonctions cognitives et comportementales impactent le rapport à soi et au monde. La perte de repères, l'atteinte des processus de prises de décisions, de choix mais aussi les symptômes psycho-comportementaux compliquent par ailleurs l'évaluation de la souffrance dans toutes ses dimensions. À mesure que la pathologie évolue et que l'autonomie se réduit, la communication avec le patient devient compliquée avec un risque accru de troubles de la déglutition et de pneumopathies d'inhalation pouvant accélérer la mort. L'enjeu de l'accompagnement dans ce cadre doit se centrer sur le respect des directives anticipées du patient dans ce contexte de modification identitaire, la sensibilisation à l'évolution des capacités de communication et d'expression et l'identification des symptômes de souffrance pour les prendre en charge.
La maladie de Parkinson : rigidité, perte de communication et mouvements anormaux
La fin de vie dans la maladie de Parkinson est progressive et accompagne un déclin moteur allant d'un tableau de rigidité à l'émergence de mouvements anormaux parfois sources de souffrance importante. Elle s'accompagne de symptômes non moteurs cognitifs, comportementaux et autonomiques. Il est question d'anticiper, d'adapter le traitement et d'éviter les effets secondaires notamment dans une pathologie dans laquelle les options thérapeutiques sont multiples alliant thérapies médicamenteuses, interventionnelles et chirurgicales avec la stimulation cérébrale profonde. L'enjeu de l'accompagnement dans ce contexte repose sur une approche pluridisciplinaire qui implique une collaboration entre spécialistes de la pathologie et des soins palliatifs pour trouver un équilibre entre le soulagement des symptômes, le maintien du confort et l'adaptation aux fluctuations de la maladie en fin de vie.
L'accident vasculaire cérébral : temporalité, séquelles lourdes et décisions complexes
Dans l'AVC, la fin de vie présente une variabilité importante tant dans la temporalité de sa survenue que dans la gravité des atteintes en lien avec la topographie lésionnelle. Dans certains cas, la conscience est altérée avec coma voire état végétatif ; dans d'autres cas, le patient peut présenter une perte d'autonomie majeure sur atteinte motrice étendue avec survenue brutale d'un état de dépendance totale. Les questions éthiques qui surgissent dans ce contexte sont des questions d'équilibre entre la prise en charge en urgence et les frontières de l'acharnement thérapeutique. Avec le développement de nombreuses techniques interventionnelles, l'importance des directives anticipées et de l'évaluation continue de la souffrance ainsi que du pronostic fonctionnel joue un rôle clé dans la prise de décision dans ces situations.
Sclérose en plaques : entre poussées imprévisibles et progression
Selon la forme de la SEP, l'évolution de la pathologie est variable entre les formes à poussées et d'emblée progressives entraînant donc une atteinte fluctuante des capacités fonctionnelles et rendant l'anticipation de la fin de vie plus complexe. Dans des phases avancées, il existe une atteinte de l'autonomie avec dépendance, des douleurs en lien avec des symptômes de spasticité par exemple et parfois même des signes cognitifs altérant le jugement ou la communication. L'enjeu de l'accompagnement en fin de vie dans la SEP est donc son évolution imprévisible : certaines périodes d'aggravation peuvent être suivies de phases de stabilisation relative, compliquant la prise de décision médicale et éthique, notamment concernant l'arrêt ou la limitation des traitements de fond ou symptomatiques.
Épilepsie : de la mort subite aux formes sévères
Bien que moins abordée, la fin de vie dans l'épilepsie est un sujet que peut porter ses particularités. En effet, dans les crises pharmaco-résistantes, la fréquence des crises peut entraîner une perte d'autonomie, une souffrance morale importante (dépression et anxiété) et une atteinte cognitive pouvant altérer la communication et la prise de décisions en situation de fin de vie. La dépendance aux traitements, parfois à forte dose, pose aussi la question de leur ajustement en soins palliatifs pour limiter les effets secondaires tout en prévenant les crises.
Sclérose latérale amyotrophique : perte d'autonomie majeure et gestion de la souffrance
Si une pathologie devait incarner l'exemple même utilisé dans les débats sociétaux sur la fin de vie, il s'agit bien de la sclérose latérale amyotrophique (SLA). En effet, la fin de vie dans la SLA est marquée par une paralysie progressive des muscles, entraînant une dépendance totale et une perte d'autonomie complète. L'un des aspects les plus redoutés est l'insuffisance respiratoire, conséquence de l'atteinte des muscles respiratoires, qui devient la principale cause de décès. L'enjeu principal de l'accompagnement dans ce contexte est de soulager la détresse respiratoire, la douleur et les symptômes de souffrance morale tout en anticipant les directives anticipées du patient quant à la ventilation invasive et la nutrition parentérale.
Quels enjeux de l'accompagnement en fin de vie dans les pathologies neurologiques en France ?
L'avenir de la fin de vie en neurologie en France repose sur une prise en charge globale, éthique et personnalisée, intégrant les avancées médicales tout en respectant les volontés et la dignité des patients pour éviter les situations de souffrance tout en les identifiant.
Renforcer la formation à l'éthique médicale dans les cursus de neurologie et de soins palliatifs.
Développer des unités spécialisées en soins palliatifs neurologiques, en favorisant une collaboration étroite entre les deux disciplines;
Encourager l'utilisation des directives anticipées, afin d'éviter les conflits éthiques et faciliter la prise de décision.
Encourager l'utilisation des directives anticipées, afin d'éviter les conflits éthiques et faciliter la prise de décision.
Créer des outils d'évaluation de la souffrance adaptés aux pathologies neurologiques, en intégrant les avancées de l'intelligence artificielle et des neuro-technologies.
Sensibiliser les neurologues aux débats sur l'aide active à mourir, en anticipation des éventuelles évolutions législatives.

Dr Elsa MHANNA
Paris