Fiche du médicament : Oxycodone, soins palliatifs et gériatrie

Publié le 11 Aug 2022 à 16:53

La prise en charge médicamenteuse de la douleur par excès de nociception due au cancer repose sur l’utilisations des antalgiques des 3 paliers de l’OMS. Bien que cette répartition, créée en 1986 et modifiée en 1996, soit remise en cause depuis quelques années, elle reste un repère précieux pour le prescripteur (1)(2)(3).

Les douleurs nociceptives du cancer, intenses (intensité douloureuse à l’échelle numérique > 60/100) ou réfractaires à des traitements antalgiques de moindre puissance à posologie optimale, justifient l’utilisation d’antalgiques opioïdes.

Afin de répondre à la multiplicité des tableaux cliniques douloureux (douleurs aiguës, douleurs chroniques non cancéreuses, douleurs neuropathiques), de nombreuses études ont mis en évidence l’intérêt de ces antalgiques opioïdes en dehors de la douleur du cancer et ont aboutis à des recommandations en termes d’utilisation.

Au-delà du choix de la molécule, il convient de respecter certaines règles de prescription :
• Privilégier les prises orales afin de favoriser l’indépendance fonctionnelle du patient mais savoir relayer un traitement par voie parentérale lorsque la voie orale n’est pas fonctionnelle ;
• Chercher la posologie minimale efficace en prévenant et en traitant les effets secondaires des traitements, sans se limiter en termes posologique dans le cadre des douleurs liées au cancer. Dans ce cas, les doses « peuvent être augmentées indéfiniment » ;
• Tenir compte de la pharmaco-cinétique et dynamie des molécules opioïdes pour en adapter l’administration ;
• Savoir associer aux opioïdes des co-antalgiques ou adjuvants.

L’OXYCODONE fait partie des opioïdes ayant, avec la MORPHINE, le FENTANYL et l’HYDROMORPHONE, une AMM dans la prise en charge de la douleur sévère par excès de nociception. Certaines études tendent à montrer également un bénéfice de l’OXYCODONE sur les douleurs de type neuropathique (4).

Néanmoins, si l’utilisation des opioïdes s’est largement développée permettant une meilleure prise en charge de la douleur, en particulier de la douleur chronique, véritable problème de santé publique, ils n’en restent pas moins des thérapeutiques sources de dépendance ou d’abus potentiels comme cela a pu être constaté avec l’OXYCODONE dans de nombreux pays (5).

À cet égard, leur prescription nécessite une évaluation, préalable, optimale du tableau douloureux et un suivi de la prescription en termes d’efficacité, d’effets secondaires et de prévention d’un trouble de l’usage (6).

Indications-Pharmacodynamie
L’OXYCODONE est un opioïde semi-synthétique, agoniste morphinique pur sur les récepteurs mu, kappa et delta, qui, comme la MORPHINE, est indiqué dans les douleurs sévères nécessitant ce type d’antalgiques. Cette molécule est utilisable en première intention ou dans le cadre de la rotation d’opioïdes, dans le traitement des douleurs cancéreuses mais également dans certaines douleurs dites bénignes en rhumatologie (7).

Pharmacocinétique (8)
La concentration plasmatique maximale de l’OXYCODONE est obtenue de manière variable en fonction de la forme galénique (de l’ordre de 1h après une prise orale de forme à libération immédiate, 3h après une forme à libération prolongée).

L’effet de premier passage hépatique est faible. L’OXYCODONE est métabolisée par l'intermédiaire du Cytochrome P450 en noroxycodone et oxymorphone sans que le rôle de ceux-ci dans l’effet pharmacodynamique ne soit notable. L’OXYCODONE est éliminée avec ses métabolites dans les urines et les selles.

Son utilisation doit être prudente chez les patients présentant une insuffisance rénale, du fait de l’élimination rénale sous forme de métabolite actif, ou hépatique sévère. Dans ce cas, les posologies seront réduites de 50 % et le traitement sera étroitement surveillé afin d’être ajusté (on préférera également l’utilisation d’autres molécules comme le Fentanyl ou Sufentanil). Les concentrations plasmatiques ne sont pas modifiées chez le sujet âgé.

La prescription en pratique
Des ordonnances adaptées
L’OXYCODONE n’échappe pas à la règle de prescription des autres opioïdes :
• Prescription sur ordonnances sécurisées, en toutes lettres et en précisant la forme galénique.
• Respect d’une durée maximale de prescription et de dispensation de 28 jours quelle que soit la forme galénique.

Actuellement en France sont commercialisées des formes dites à libération prolongée permettant de couvrir le nycthémère par 2 prises quotidiennes espacées de 12h et des formes à libération immédiate (suspension buvable, comprimé orodispersible), administrées toutes les 4 à 6h, utilisées pour la prévention des douleurs induites par les soins, pour la titration ou encore pour le traitement des accès douloureux.

La multiplicité des formes disponibles permet de répondre à nombre de situations cliniques tout en privilégiant la voie orale. Lorsque celle-ci n’est pas fonctionnelle, un relai par la forme injectable, par voie intra-veineuse ou sous-cutanée est possible mais nécessite le respect des règles d’équivalence antalgique afin de garantir à la fois le soulagement du patient et sa sécurité.

Voie orale
OXYCODONE Voie sous-cutanée
ou intraveineuse
OXYCODONE 1 mg 0,5 mg

Le principe de la rotation d’opioïde
Le traitement des douleurs chroniques par les opioïdes exposent le patient à l’apparition de phénomènes de tolérance se traduisant par une majoration des effets secondaires opio-induits et par une efficacité moindre du traitement malgré la majoration des posologies. Dans ce cas, il est licite de proposer une rotation d’opioïde qui consiste à remplacer un opioïde par un autre, toujours dans le respect des règles d’équivalence. L’outil Opioconvert (https://opioconvert.fr) a été élaboré pour faciliter ces conversions.

Les effets secondaires
Les effets secondaires de l’OXYCODONE sont communs avec les effets de tous les autres opioïdes. Ils doivent être prévenus, lorsque cela est possible, et traités.

Parmi les plus fréquents nous retiendrons les troubles digestifs à type de constipation et les nauséesvomissements, ces derniers symptômes étant transitoires à l’initiation du traitement et doivent faire réaliser un bilan étiologique s’ils persistent au-delà d’une semaine de traitement.

Du fait de leur action au niveau du système nerveux central, ils peuvent être responsables de confusion, somnolence et d’hallucinations, de myoclonies. Il est à noter que la présence d’un myosis signe l’imprégnation morphinique et non pas un surdosage.

L’intensification des symptômes neuro-psychologiques avec installation de troubles de la vigilance pouvant aller jusqu’au coma, et son association avec une bradypnée doivent faire craindre la survenue d’un surdosage qui devra être traité dans les meilleurs délais (9).

Nombre de patients, mais aussi de soignants, sont souvent surpris de retrouver des comprimés à libération prolongée, intacts dans les selles. Ce phénomène dit de « Ghost Pills » est décrit avec l’OXYCODONE et n’a pas d’impact sur l’efficacité du traitement. Il est lié à la composition des comprimés de forme à libération prolongée qui comprennent une partie insolubles excrétée sous forme de comprimés quasi intacts dits pilules fantômes dans les selles (10).

Conduite à tenir en cas de surdosage à l’OXYCODONE
Lorsque le patient présente des signes de surdosage mais sans signes de dépression respiratoire sévère, une fenêtre thérapeutique sera proposée avec à l’issue de cette fenêtre, une nouvelle évaluation permettant d’adapter le traitement ultérieur (posologies, molécules…).

Si le patient présente des signes de surdosage avec dépression respiratoire (FR inférieur à 8 cycles/min), la fenêtre thérapeutique s’associera à l’administration de NALOXONE afin d’assurer une FR > 10 cycles/min, et non pas une levée de l’antalgie, et à une oxygénothérapie.

Nous proposons ici les recommandations des SOR en Oncologie, revue en 2002, concernant la prise en charge du surdosage aux opioïdes (11).
• Préparation d’une ampoule de NALOXONE diluée avec 9ml de NaCl ou de glucosé 5 %.
• Injection IV de 1ml toutes les 2 min jusqu’à récupération d’une FR > 10 cycles/min.
• Perfusion de 2 ampoules de NALOXONE dans 250ml de NaCl ou Glucosé 5 % sur 3 à 4h, selon la fréquence respiratoire et la durée d’élimination de la molécule responsable du surdosage.

Dr Catherine LAMOUILLE- CHEVALIER (MD, PhD)
Professeure conventionnée de l’Université de Strasbourg
Service de soins d’Accompagnement, de soins de Support et de soins Palliatifs

Pr Laurent CALVEL (MD, PhD)
Professeur Associé des Universités en Médecine Palliative
Chef du Service de soins d’Accompagnement, de soins de Support et de soins Palliatifs
Hôpitaux Universitaires de Strasbourg
Pour l’Association des Jeunes Gériatres

Références
1. Vargas-Schaffer G. L’échelle analgésique de l’OMS convient-elle toujours ? Can Fam Physician. 2010 Jun;56(6):e202–5.
2. Weltgesundheitsorganisation, editor. Traitement de la douleur cancéreuse. Genève : Organisation Mondiale de la Santé; 1987. 80 p.
3. WHO Expert Committee on Cancer Pain Relief and Active Supportive Care, Organization WH. Traitement de la douleur cancéreuse et soins palliatifs : rapport d’un Comité d’experts de l’OMS [réuni à Genève du 3 au 10 juillet 1989] [Internet]. Organisation mondiale de la Santé ; 1990 [cited 2022 May 18]. Available from: https://apps.who.int/iris/handle/10665/39533
4. Núñez Olarte JM. Oxycodone and the challenge of neuropathic cancer pain: a review. Oncology. 2008;74 Suppl 1:83–90.
5. Kibaly C, Alderete JA, Liu SH, Nasef HS, Law PY, Evans CJ, et al. Oxycodone in the Opioid Epidemic: High ‘Liking’, ‘Wanting’, and Abuse Liability. Cell Mol Neurobiol. 2021 Jul 1;41(5):899–926.
6. reco_opioides.pdf [Internet]. [cited 2022 May 19]. Available from: https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2022-03/reco_opioides.pdf
7. OXYCONTIN, OXYNORM, OXYNORMORO (oxycodone), opioïde [Internet]. Haute Autorité de Santé. [cited 2022 May 18]. Available from: https://www.has-sante.fr/jcms/c_1774637/fr/oxycontin-oxynorm-oxynormoro-oxycodone-opioide
8. Kalso E. Oxycodone. J Pain Symptom Manage. 2005 May 1;29(5, Supplement):47–56.
9. Franchitto N. Morphiniques : surdosage et gestion de l’urgence. Alcoologie Addictologie. 2019 Jun 30;41(2):112–21.
10. Tungaraza TE, Talapan-Manikoth P, Jenkins R. Curse of the ghost pills: the role of oral controlled-release formulations in the passage of empty intact shells in faeces. Two case reports and a literature review relevant to psychiatry. Ther Adv Drug Saf. 2013 Apr;4(2):63–71.
11. Standards, Options et Recommandations 2002 sur les traitements antalgiques médicamenteux des douleurs cancéreuses par excès de nociception chez l’adulte, mise à jour. Douleur Analgésie. 2004 Sep;17(3):89–93.

Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°30

Publié le 1660229601000