Exercice professionnel : patients transgenres en médecine générale

Publié le 23 May 2022 à 15:28


Le 18 juin 2018, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) présentait la onzième version de la Classification Internationale des Maladies (CIM) dans laquelle l'entité "transsexualisme" figurant dans le chapitre des troubles de l'identité de genre (maladies psychiatriques) est remplacée par l'entité "incongruence de genre" figurant dans la nouvelle section des conditions relatives à la santé sexuelle (condition non psychiatrique). La CIM-11 a été validée par l'ensemble des pays membres de l'OMS le 28 mai 2019. Cette nouvelle classification entrera donc en application le 1er janvier 2022, date à laquelle les personnes prises en charge médicalement pour cette raison sortiront non seulement du champ des maladies, mais aussi de celui des maladies mentales. Depuis 1992, il a fallu les condamnations répétées de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) pour que la législation française reconnaisse aux personnes trans les droits qui sont désormais les leurs. Il est temps que les médecins du corps médical français, qui ont longtemps évité de s'emparer du champ controversé de la médecine transgenre, s'investissent dans la prise en charge de personnes qui n'aspirent qu'à une seule chose : atteindre ce niveau de bien-être bio-psycho-social complet qui définit l'état de santé.

Définitions
Sexes et genres
Comme dans la plupart des sociétés occidentales actuelles, la construction de notre groupe social repose sur la différences des sexes. Dans ce groupe, malgré la grande diversité à laquelle la nature nous expose régulièrement, la loi s'est appuyée sur la science pour répartir tous les membres de l'espèce humaine dans deux catégories exclusives : les hommes et les femmes. Pour préserver l'ordre ainsi établit, on a consolidé la barrière des sexes en valorisant un modèle bijectif dans lequel tous les mâles deviendraient des hommes et toutes les femelles, des femmes. Ce qui est malgré tout vrai pour environ 98 % de la population mondiale ne l'est pas pour les 25 millions de personnes à travers le monde qui se définissent comme transgenres et se retrouvent à cheval sur la barrière des sexes. Mais de quel sexe parle-t-on au juste ?

Sexe chromosomique
Tous les enfants naissent de la fécondation de deux gamètes haploïdes : un ovocyte (23,X) et un spermatozoïde (23,X ou 23,Y). L'oeuf fécondé, diploïde, peut donc être de sexe chromosomique femelle (46,XX) ou de sexe chromosomique mâle (46,XY). Cette étape permet la détermination sexuelle. Les chromosomes sexuels ou gonosomes sont le support d'une grande variété de dysgonosomies. Certaines de ces variations sont viables, d'autres non. Lorsqu'elles le sont, elles peuvent conduire à des situations extrêmes mettant en opposition sexe chromosomique et phénotype sexuel. Ces situations sont suffisamment non exceptionnelles pour avoir justifié, dans les années 2000, l'abandon du caryotype comme preuve de féminité chez les athlètes participant aux Jeux Olympiques.

Sexe gonadique
Il est admis que le gène SRY présent sur le bras court du chromosome Y est responsable, mais pas de façon exclusive, de l'induction de la différenciation des gonades primitives en testicules. Ces testicules sécrètent une première fois pendant l'embryogénèse, la testostérone et l'hormone antimüllerienne qui permettront la différenciation du tractus urogénital dans le sens mâle (maintien des canaux de Wolff, disparition des canaux de Müller). L'absence de gène SRY, de testostérone et d'AMH permet à l'embryon 46,XX d'évoluer dans le sens d'une différenciation femelle (disparition des canaux de Wolff, maintien des canaux de Müller). On sait depuis 1990 qu'il existe des gènes impliqués dans la différenciation précoce de la gonade primitive en ovaire et la théorie du développement embryonnaire femelle par défaut n'est plus satisfaisante aujourd'hui. Certains chromosomes X peuvent avoir été l'objet d'une translocation partielle de SRY et conduire un embryon 46,XX vers une différenciation gonadique mâle. De façon symétrique, des agénésies ou des dysgénésies gonadiques peuvent conduire un embryon 46,XY dans une différenciation femelle.

Sexe anatomique
Le plus souvent, c'est le sexe anatomique qui est considéré à la naissance pour attribuer à l'enfant un sexe légal (cf. infra). L'examen visuel des organes génitaux externes permet de reconnaitre la présence ou l'absence de pénis permettant d'attribuer ou d'assigner au nouveau- né le sexe mâle (masculin) ou femelle (féminin) respectivement. Parfois, malgré une formule chromosomique et des gonades "normales", le phénotype n'est pas conforme aux structures habituellement présentes. C'est le cas, entre autre, du syndrome d'insensibilité compète aux androgènes (génotype masculin et phénotype féminin) ou de la translocation du gène SRY sur un des chromosomes X donnant des femmes XY (génotype 46,XX et phénotype masculin). Parfois encore, il est impossible de trancher complètement dans un sens ou dans l'autre. On parle de troubles du développement sexuel, qui vont de simples variations anatomiques à de véritables états pathologiques mettant en jeu le pronostic vital de l'enfant. Les individus concernés sont appelés intersexués ou intersexes.

Sexe physiologique
Dans le sang circulent des hormones sexuelles. Les androgènes (testostérone) sont majoritaires chez les individus mâles. Les oestrogènes (oestradiol, progestérone) sont majoritaires chez les individus femelles. Fonctionnellement, les mâles doivent être capables d'engendrer et les femelles d'enfanter (grossesse, accouchement, allaitement). Le sexe physiologique ne permet pas à lui seul de définir l'appartenance d'un sujet à l'un ou l'autre des sexes. En effet, que penser alors des hommes souffrant de dysfonction érectile ou de stérilité (orchidectomie consécutive à un traumatisme ou un cancer) ? Que penser des femmes ménopausées ou stériles (ovariectomie, hystérectomie, etc.) ? Par ailleurs, les sujets peuvent être homosexuels ou ne pas désirer d'enfant, sans que cela ne remette en question leur identité de genre.

Sexe psychologique
C'est l'échec de réassignations chirurgicales précoces pratiquées chez des enfants intersexués qui a mis les pionniers du transsexualisme sur la voie. Malgré des interventions pratiquées en bas âge et un élevage par les parents assuré dans le genre concordant avec le sexe nouvellement conformé, les enfants finissaient par vouloir retrouver leur sexe anatomique natif. Cela fit dire à Harry Benjamin, sexologue et endocrinologue américain dans les années 1950, qu'il y avait une structure psychique, solide et immuable, fixée tôt dans l'enfance, qui était responsable du sentiment de se sentir homme ou femme. Il y avait donc bien un sexe biologique (chromosomes, gonade, anatomie) et un sexe psychologique (identité de genre) qui pouvaient ne pas être "alignés".

Sexe social
Pourvu d'une identité de genre, l'individu peut l'exprimer socialement en utilisant des codes visibles d'appartenance à l'un des deux genres, masculin (stéréotypes masculins) ou féminin (stéréotypes féminins). Les personnes qui se sentent à leur place dans le système bicatégoriel sont dites binaires. Certaines personnes ne se reconnaissent dans aucun de ces deux groupes : elles sont agenres. D'autres s'identifient à la fois aux deux genres dans des proportions variables de "mâlitude" et de "féminitude" ; ce sont des personnes non-binaires ou de genre fluide. Par habitude, lorsqu'on identifie une personne de genre masculin, on fait automatiquement l'hypothèse que cette personne est de sexe masculin (mâle). De la même façon, lorsqu'on rencontre une personne de genre féminin, on fait l'hypothèse qu'elle est de sexe féminin (femelle).

Sexe légal
En France, seuls deux sexes permettent l'existence légale d'un individu. Chaque individu reconnu mâle sera assigné au sexe (légal) masculin et les marqueurs de genre utilisés seront "1" pour son numéro INSEE, "M" pour les papiers officiels avec mention du sexe à l'état civil. Chaque individu femelle sera assigné au sexe (légal) féminin et les marqueurs de genre utilisés seront le "2" et le "F". Ces attributs administratifs sont définitifs et toute modification nécessite d'attaquer l'Etat au Tribunal de Grande Instance. Seule dérogation, un enfant né intersexué dispose d'un délai réglementaire de 2 ans durant lesquels la mention du sexe à l'Etat Civil peut demeurer indifférenciée. A l'étranger, de nombreux pays ont admis l'existence légale d'un "troisième sexe", d'un "sexe neutre" signifié par la lettre "X" sur les papiers officiels.

L'examen des différentes composantes permettant l'identification sexuée d'un individu souligne bien la difficulté d'une définition exhaustive, consensuelle et indiscutable de ce qu'est un homme, une femme ou d'une personne non-binaire.

Cisgenre et transgenre
Les sexes chromosomique, gonadique, anatomique et physiologique déterminent ce que l'on peut appeler le sexe biologique. Il comprend ce qui est inné, réel pour les uns, naturel pour les autres. Les sexes psychologique, social et légal déterminent le sexe psychosocial. Il est composé de ce qui est construit pour les uns, culturel pour les autres.

Lorsque le sexe assigné à la naissance est "aligné" avec l'identité de genre, il s'agit d'une personne cisgenre. Lorsque le sexe assigné à la naissance n'est pas aligné avec l'identité de genre, il s'agit d'une personne transgenre.

Dysphorie de genre et transitions
Lorsque le décalage entre l'expérience de genre vécue (sociale) et l'identité de genre (psychologique) devient trop important, les personnes transgenres peuvent expérimenter un inconfort, un malaise, voire une véritable détresse mettant en jeu leur pronostic vital, appelée dysphorie de genre. Selon les individus, cette dysphorie peut porter sur les organes génitaux, la voix, la pilosité, les formes du corps (seins, hanches), etc. Lorsqu'elle devient intolérable, les individus entament une transition. Celle-ci vise à diminuer la dysphorie de genre lorsqu'elle est présente et surtout à réaligner identité de genre et sexe social et légal. Pour cela certains sujets réalisent une transition sociale en changeant de présentation, de rôle de genre et demandent la rectification juridique de leurs sexe à l'Etat Civil. Depuis la loi de modernisation Justice du XXIe siècle de 2016, la démarche s'effectue en deux temps : changement de prénom(s) à la mairie de naissance ou du domicile puis changement de la mention du sexe à l'Etat Civil par requête auprès du Tribunal de Grande Instance du domicile. Ces démarches sont possibles à condition de pouvoir démontrer leur intérêt légitime, dont le "transsexualisme" fait partie. Pour certains individus, la transition sociale est suffisante pour regagner une condition satisfaisante. Pour d'autres en revanche, l'alignement biologique et psychosocial nécessite le recours à des modifications corporelles qui font entrer la transidentité dans le champ de la médecine. On parle alors de transition médicale.

Historique
On trouve dans l'histoire, des descriptions cliniques qui correspondent à ce que l'on nomme aujourd'hui transidentité. Depuis la Haute Antiquité jusqu'au XIXème siècle, des individus identifiés mâles se sont revendiqués femmes et des individus identifiés femelles se sont revendiqués hommes, dans de nombreuses sociétés. Avec le progrès des sciences et des techniques, les premières classifications nosologiques se sont chargées de répartir les comportements humains entre le normal et le pathologique, dans un clivage guidé par la morale et l'Eglise. Les premiers "changements de sexe" ont pu être réalisés par Magnus Hirschfield, Harry Benjamin et d'autres, dès les années 1930-50, en Allemagne puis aux Etats Unis, grâce aux progrès de l'anesthésie, de la chirurgie reconstructrice et de la production pharmaceutique de la testostérone puis des oestrogènes. Aux Etats-Unis, c'est au John Hopkins Hospital qu'a été mis au point le protocole historique de transformation hormono-chirurgical des "transsexuels". On distinguait alors les transsexuels primaires, patients dont le questionnement de genre était intervenu dès l'enfance, des transsexuels secondaires, de révélation plus tardive. La transformation hormonochirurgicale était réservée aux premiers alors que la psychothérapie devait pouvoir contenir les seconds. Les premières cliniques du genre prenant en charge les enfants en questionnement de genre ouvrirent en 1953. En France, alors que la psychiatrie subissait l'influence grandissante de la psychanalyse freudienne puis lacanienne, les premières équipes hospitalières pluridisciplinaires se sont formées dans les années 1970. La première équipe accueillant les enfants transgenres ouvrit en 2013. L'examen bibliométrique de la base de données Pubmed montre que le nombre de publications contenant les termes transsexual puis transgender ont véritablement explosé une première fois en 2005 puis en 2015. Les publications françaises sont quasi-inexistantes et leur impact factor est nul.

En 2010, les professionnels de santé prenant en charge les personnes trans fondent la Société Française d'Etude et de Traitement du Transsexualisme (SOFECT) pour contrebalancer la parole des associations jugées trop représentées dans le rapport "Prise en charge du transsexualisme" publié par la Haute Autorité de la Santé (HAS) en 2009. Sous la pression des associations d'usagers trans qui la jugent sévèrement et qui en demandent la dissolution, la SOFECT change une première fois de nom pour devenir la Société d'Etude et de Prise en Charge de la Transidentité en 2017. En 2019, la SOFECT annonce vouloir changer à nouveau de nom pour devenir la French Profesionnal Association for the Transgender Health (FPATH), branche française de la World Professional Association for the Transgender Health (WPATH). Le positionnement des médecins français par rapport à la transidentité vient en écho à l'errance nosologique d'une entité qui fût successivement inversion sexuelle, transvestisme, transsexualité, transsexualisme puis incongruence de genre. Progressivement, on assiste, surtout dans les pays anglosaxons, à la mutation du paradigme "traiter des malades mentaux" en "accompagner les personnes en questionnement de genre dans une approche transaffirmative", le changement de sexe devenant interventions de confirmation de genre.

Contexte actuel
Hétérogénéité de la population transgenre.
Conséquences
Transgenre est un terme parapluie qui recouvre une multitude de situations qui sont en fait très différentes. Les associations, dont l'intérêt est de rassembler le plus grand nombre, n'hésitent pas à agglomérer dans leurs rangs des personnes dont les problématiques peuvent être finalement très différentes : travestis, personnes intersexes, personnes revendiquant le droit de choisir leur genre comme extension au droit de disposer de son corps, personnes transidentitaires binaires en transition, personnes de genre fluide réclamant de pouvoir exister dans un nouveau sexe, etc. Les demandes faites aux médecins sont également très hétérogènes, les uns souhaitant prendre uniquement des hormones, d'autres réclamant la pose de prothèses mammaires sans chirurgie génitale, d'autres encore souhaitant une transformation corporelle complète. Les militants trans revendiquent une auto-détermination qui rend, selon eux, tout diagnostic extérieur, médical ou psychiatrique, inadmissible et maltraitant. Ils réclament une dépsychiatrisation et une démédicalisation du changement de genre, mais avec une prise en charge totale des soins par la solidarité nationale. Ces revendications mettent nécessairement en tension les demandes des patients avec les contraintes médicales, légales et économiques des professionnels de santé. Quelles interventions peuvent/doivent être considérées comme réparatrices donc nécessaires ? Quelles interventions peuvent/doivent être considérées comme esthétiques, facultatives et appartenant au domaine du confort ou de la convenance ? 

Mondialisation de la diffusion de l'information
Avec l'avènement d'internet et des réseaux sociaux, les patients partagent désormais toutes les informations relatives aux différents domaines de la transidentité avec le reste de la planète. Les protocoles de soins, les coûts, les résultats esthétiques et fonctionnels, les complications, etc. sont comparés et partagés sur la toile. Les critiques émergent de la comparaison des prises en charge thaïlandaises, américaines, canadiennes, brésiliennes, britanniques et ... françaises. Le plus souvent, ces comparaisons ne prennent pas en compte les contraintes culturelles, médicales et légales du pays. Cependant, cette diffusion mondiale de l'information permet également de prendre conscience que l'approche choisie en France par les professionnels de santé n'est pas la seule possible. Il existe, ailleurs, des professionnels de santé satisfaits de pouvoir apporter des solutions pour les personnes transidentitaires, dans une approche positive et respectueuse, pas seulement transfriendly mais véritablement transpositive. Les patients français acquièrent une expérience qui vient mettre en défaut des professionnels peu ou pas formés.

Changer les regards
Le monde a pris conscience de la possibilité de "changer de sexe" avec la médiatisation de la transition de Christine Joergensen réalisée au Danemark dans les années 1960. Cependant, les personnes trans sont longtemps restées cantonnées aux métiers du spectacle ou de la prostitution du fait de l'absence de légalisation de leur nouveau statut social. Ce n'est que récemment que les médias ont commencé à illustrer le phénomène transidentitaire avec des personnes qui ont su construire une identité sociale parfaitement intégrée dans la société, avec même parfois une certaine valorisation de leur transition.

Accès aux soins
Les publications montrent que, dans tous les pays du monde, être transgenre constitue un obstacle à l'accès aux soins, qu'ils soient liés à la transition ou non. Les personnes trans constituent pourtant une population vulnérable par rapport à la santé mentale (anxiété, dépression, suicides), aux maladies sexuellement transmissibles dont l'infection à VIH et aux complications des traitements médicaux et chirurgicaux non adaptés. L'une des principales barrières de la prise en charge des personnes trans est le manque de formation et la sous-exposition des professionnels de santé aux personnes transgenres. La formation des étudiants et des professionnels de santé est donc un axe d'amélioration fondamental.

Epidémiologie
L'obtention de données chiffrées fiables est difficile et ce pour plusieurs raisons. La première est que pour compter efficacement une population, il faut au préalable la définir de façon robuste. Or, les définitions ne sont pas consensuelles et évoluent continuellement. Certains s'identifient trans, transsexuels, transgenres (avec toutes les variations exposées précédemment), non-binaires, queer, agenres, etc. Une estimation inférieure est souvent réalisée à partir des files actives des équipes de la SOFECT avec, parfois, l'aide des associations. Dans les études les plus récentes, la proportion des personnes transgenres peut être estimée entre 0,5 % et 2 %. Autrefois, le sex ratio était nettement en faveur des femmes transgenres (Male-to-Female, MtF). Actuellement la transidentité concerne des personnes de plus en plus jeunes et le sex ratio est désormais en faveur des hommes transgenres (Female-to-Male, FtM).

Protocole de prise en charge
Protocole historique
Le protocole de prise en charge des personnes transidentitaires reprend encore aujourd'hui les étapes développées dans le protocole originel du John Hopkins Hospital. L'intégralité du parcours conduit à une réassignation sexuelle complète dont l'obligation et l'exhaustivité sont aujourd'hui contestées par la WPATH.

Evaluation psychiatrique
L'entrée dans le protocole se fait par validation du psychiatre, après une phase d'observation de deux ans (durée définie dans la CIM pour authentifier de la persistance de la demande de réassignation). Plus que le diagnostic positif de "transsexualisme", il s'agit surtout d'éliminer les diagnostics différentiels prenant le masque d'une demande de "changement de sexe", dont la schizophrénie, certains état délirants, le transvestisme fétichiste, etc. Par ailleurs, la tâche du psychiatre consiste aussi à évaluer les attentes des candidats, parfois irréalistes, et les ressources des patients qui devront être capables de réintégrer la société dans leur nouveau genre, ce qui ne va pas toujours de soi. Une sélection précise et responsable est nécessaire pour éviter le risque de regret ou de détransition qui pourraient mener au suicide. Cette évaluation, qui est indiscutablement nécessaire, est remise en cause par les associations trans qui souhaitent une prise en charge dépsychiatrisée.

Epreuve de vie réelle
L'épreuve de vie réelle (Real Life Test) demande aux patients candidats aux étapes suivantes de la transformation corporelle de se mettre en situation de vie réelle dans le genre de destination. Cela permet de rectifier les attentes irréalistes et de préciser les difficultés prévisibles des patients, tant personnelles que professionnelles. Le principe de l'obligation de devoir faire ce test avant tout début de modification corporelle, notamment avant l'introduction d'un traitement hormonal, est remis en question par les associations d'usagers.

Il s'agit en effet d'une injonction qui peut se révéler fort dangereuse pour des patients qui n'auraient pas le passing (capacité à être reconnue en tant que personne d'un autre genre) minimum permettant de vivre en sécurité dans l'espace public, en tant que nouveau membre du genre ressenti.

Réunion de concertation pluridisciplinaire 1 : éligibilité au traitement hormonal
La première réunion de concertation (RCP) réunit le psychiatre, l'endocrinologue et le chirurgien (plasticien, urologue, etc.). L'enjeu est d'autoriser ou non l'accès au traitement hormonal féminisant ou masculinisant. Le psychiatre établit le diagnostic de dysphorie de genre/ transsexualisme, élimine les contre-indications psychiatriques à la réassignation et rend compte de son évaluation de la capacité des patients à bénéficier d'une réassignation médicale. Habituellement, l'endocrinologue a effectué le premier bilan clinique et biologique permettant d'éliminer les contre-indications médicales à l'instauration d'un traitement hormonal.

A l'issue de cette RCP, il peut être proposé aux patients de prolonger la période d'observation (état psychiatrique non stabilisé, comorbidités nécessitant une expertise complémentaire plus longue, diagnostic incertain, etc.) ou de commencer le traitement hormonal.

L'objectif du traitement hormonal est de supprimer les hormones sexuelles natives (et/ou leurs effets périphériques) et d'instaurer un traitement hormonal substitutif dans le genre de destination. Le tout doit se faire progressivement en observant, cliniquement et biologiquement, la disparition des caractères sexuels secondaires du sexe de départ, l'apparition des caractères sexuels secondaires de destination et l'absence d'effets indésirables. L'accès à l'hormonothérapie nécessite la signature d'un consentement libre et éclairé.

Traitement hormonal féminisant (THF)
Le THF comprend une suppression de la sécrétion de la testostérone +/- blocage de ses effets périphériques. On commence par administrer un antiandrogène (spironolactone aux USA, cyprotérone en Europe et plus particulièrement en France) puis on administre des doses croissantes de 17-β-oestradiol jusqu'à obtenir une féminisation satisfaisante pour la personne. Les doses d'oestrogènes utilisées correspondent au traitement hormonal des femmes cisgenres ménopausées et les taux sanguins mesurés doivent demeurer physiologiques. Lorsque la patiente souhaite (et peut) recourir à la chirurgie (pénectomie, orchidectomie), l'antiandrogène est arrêté en postopératoire et les doses d'oestrogènes peuvent souvent être abaissées. Selon le caractère sexuel considéré, la transformation apparait dès 3 mois (modification de la qualité de la peau) mais peut prendre jusqu'à 2-3 ans (poussée mammaire).

Traitement hormonal masculinisant (THM)
Le THM comprend une suppression de la sécrétion d'oestrogènes. Lorsque les menstruations sont à l'origine d'une dysphorie importante, un progestatif peut être administré. La masculinisation est obtenue par l'injection de testostérone. Les doses administrées correspondent à celles préconisées chez les hommes cisgenres hypogonadiques. La posologie est adaptée aux signes cliniques de virilisation et à la testostéronémie. L'apparition des signes de masculinisation varient entre 3 mois (naissance de la barbe) et 1 an (modification de la voix jusqu'à stabilisation).

Traitement hormonal des enfants et adolescents
Pour les enfants et les adolescents, le principe est de donner du temps aux patients pour prendre une décision adaptée, consentie et éclairée. Pour cela, on administre en milieu spécialisé, des bloqueurs de puberté sous forme d'agonistes de la GnRH. Le moment venu, une puberté est induite dans le genre de destination. Lorsque la dysphorie de genre est fixée et particulièrement invalidante, l'enfant peut entamer une transition sociale avant la transition médicale.

Réunion de concertation pluridisciplinaire 2 :
éligibilité au traitement chirurgical
Lorsque la dysphorie persiste sous traitement hormonal et que les patients demandent le recours à la chirurgie, la commission médicale tripartite doit se réunir une seconde fois afin d'examiner l'éligibilité des patients à la réassignation sexuelle chirurgicale. De la même façon, le psychiatre évalue les chances de succès, la préparation du sujet et sa capacité à surmonter les éventuelles complications chirurgicales. Les conséquences du refus d'intervenir doivent aussi être envisagées. Le chirurgien doit avoir rencontré le(la) patient(e) afin de définir les besoins et objectifs, d'exposer les techniques envisageables avec leurs bénéfices et leurs inconvénients. Le consentement libre et éclairé doit être recueilli par écrit. Cette étape est la seule qui soit considérée comme complètement irréversible.

Réassignation sexuelle MtF.
La technique la plus utilisée est l'inversion de peau pénienne. Après orchidectomie bilatérale et évidement des corps spongieux et caverneux, la peau est inversée en doigt de gant et tapisse une cavité créée par le chirurgien entre la vessie en avant et le rectum en arrière (néovagin). Le prépuce et le scrotum sont utilisés pour modeler les petites lèvres. Un morceau du gland dorsal est utilisé pour construite le néoclitoris. Si la quantité de peau nécessaire pour construire le néovagin n'est pas suffisante, un lambeau cutané peut être réalisé à partir de la cuisse. Une autre technique consiste à utiliser un morceau de côlon pour confectionner le néovagin. A noter, la prostatectomie ne fait habituellement pas partie de la procédure. Les femmes trans opérées restent donc à risque de cancer de la prostate et doivent donc bénéficier du même dispositif de dépistage que pour les hommes cisgenres.

Réassignation sexuelle FtM.
Deux techniques opératoires peuvent être proposées aux hommes trans souhaitant recourir à la chirurgie, qui reste minoritaire du fait de la lourdeur de la chirurgie et de la fréquence des complications : la phalloplastie et la métoidioplastie. La première consiste à constituer un lambeau musculo-cutané radial qui sera secondairement tubulisé pour former un néopénis. Une prothèse prolonge l'urètre. Un an après la première chirurgie, l'implantation d'une prothèse pénienne peut apporter une érection. La seconde, plus récente, consiste à utiliser le développement clitoridien obtenu par imprégnation de testostérone. La base du clitoris est détachée de l'os pelvien, ce qui permet d'obtenir un néopénis. Les grandes lèvres sont suturées et l'urètre est dévié, permettant aux hommes trans d'uriner debout.

Changement d'Etat Civil
Historiquement, la chirurgie génitale (avec stérilisation) permettait seule d'accéder à des papiers d'identité conformes à la présentation des personnes. Si, en France, ce n'est plus le cas depuis la promulgation de la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, cela reste encore le cas dans de nombreux pays.

Évolution
Aujourd'hui, ce protocole est controversé, en partie par les associations, en partie par la WPATH. En France, les structures susceptibles d'accueillir les personnes en questionnement de genre ne sont pas assez nombreuses pour répondre à la demande croissante et très peu de praticiens sont formés pour les prendre en charge en ambulatoire. Les équipes hospitalières semblent amorcer un changement de paradigme qui les conduira à observer les recommandations et la philosophie de la WPATH. Certains n'hésitent plus à prescrire un traitement hormonal avant que les patients n'aient commencer leur test de vie réelle. Cela peut, dans un premier temps, soulager la dysphorie des patients puis leur donner plus de confiance pour opérer leur changement de présentation.

Diagnostic
Le diagnostic positif d'incongruence de genre repose sur l'inadéquation entre le sexe assigné à la naissance et l'identité de genre ressentie par le sujet. Elle peut être, ou non, assortie à une dysphorie de genre. La demande de modifications corporelles est un élément qui a longtemps été perçu comme central dans la demande de réassignation. Enfin, il doit y avoir un retentissement fonctionnel suffisant pour justifier la prise de risques liés à l'introduction d'une hormonothérapie à vie et une chirurgie irréversible pouvant mettre en jeu le pronostic de fertilité. Les critères diagnostiques sont énumérés dans la CIM-11 (incongruence de genre) et le DSM-5 (dysphorie de genre).

Place du médecin généraliste
Suivi longitudinal
Le médecin généraliste est le plus souvent le médecin traitant des patients. La transversalité de sa discipline en fait la pierre angulaire de l'accès des patients au système de soins. Malgré leurs besoins en santé, les personnes transidentitaires n'utilisent pas le système de soins à moins qu'elles y soient contraintes. Par ailleurs, l'infection par le VIH est particulièrement présente dans cette population, ce qui fait de la prise en charge un enjeu de santé publique. Connaître l'environnement social, familial et professionnel des patients fait du médecin généraliste une ressource précieuse pour les professionnels des équipes de genre. Par la confiance qu'il a su instaurer avec ses patients, le médecin généraliste peut être la seule porte d'entrée dans le "dispositif transgenre" pour nombre de patients.

Coordination
Une fois la personne prise en charge par une équipe pluridisciplinaire, le médecin généraliste peut demander l'ouverture des droits en Affection Longue Durée (ALD) et coordonner les échanges entre les différents intervenants : psychiatre, endocrinologue, dermatologue, chirurgien(s), orthophonistes, etc. C'est une place essentielle qui doit être investie de façon volontaire. En cas de chirurgie, la surveillance des patients peut être confiée au médecin généraliste afin de déceler de façon précoce, toute complication qu'il saura adresser au chirurgien sans retard délétère. 

Formation des internes
De nombreuses publications internationales font état d'un manque d'exposition de tous les étudiants en santé aux patients transgenres. La conséquence de cette sous-exposition est un manque d'informations pertinentes pour la prise en charge des patients et un manque de confiance en soi des futurs professionnels. La formation devrait comprendre les principaux termes du vocabulaire LGBTQI et les principaux concepts de l'identité de genre, du rôle de genre, etc. La formation aux principaux éléments de la médecine transgenre se montre profitable à la fois pour les patients et les soignants.

Comment être ou devenir un médecin respectueux des personnes trans… en pratique
Recevoir et prendre en charge une personne transidentitaire exige que le praticien soit luimême au clair avec sa propre identité sexuée. Les questionnements de genre soulevés par les personnes trans ou susceptibles de l'être peuvent en effet être très déstabilisants pour le médecin. Une relation d'aide basée sur le respect mutuel, la loyauté et la confiance est nécessaire pour avancer dans l'exploration de la problématique offerte par les patients. Quelques règles de bon sens suffisent le plus souvent pour accompagner les personnes trans de façon respectueuse. Elles mettent en jeu l'ensemble des professionnels de santé : secrétaires, infirmiers(ères), laborantin(e)s, etc.

 Quelle que soit sont apparence, une personne se revendiquant femme doit être appelée (reconnue et respectée en tant que) femme et des pronoms féminins doivent être employés. De la même façon, une personne s'affirmant homme doit être appelée (reconnue et respectée en tant que) homme et des pronoms masculins doivent être employés. Parfois, en début de cheminement, la présentation peut être difficilement "convaincante' (passing) et un effort intellectuel peut être nécessaire au praticien mais c'est le respect et l'empathie qui sont en jeu. Si l'identification est difficile, on peut appeler un(e) patient(e) en salle d'attente par monsieur ou madame untel, c'est toujours moins difficile que d'être mégenré(e). Si le praticien ne sait pas comment nommer la personne ni quels pronoms doivent être appliqués, il est toujours possible de le demander directement, avec tact, à la personne concernée. Enfin, dans tous les cas, il faut éviter les jugements et pratiquer la bienveillance conforme à l'esprit du Serment d'Hippocrate.

Conclusion
La médecine transgenre est une médecine de haut vol qui demande une grande humilité et une certaine sensibilité de la part du praticien. C'est une médecine expérimentale pour laquelle les études robustes restent encore nécessaires pour répondre à des questions essentielles. Mais c'est aussi une occasion unique d'accompagner des personnes qui, pour certaines, échappent au suicide pour enfin commencer à exister vraiment, au grand jour, dans un genre autant ressenti que subit.

Dr Corinne HAMEL
Médecin généraliste
Association Psycom

Cet article fait suite à l’atelier pratique animé par le Dr Corinne Hamel lors de l’édition 2019 du Congès des Jeunes Médecins Généralistes

Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°25

L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

Publié le 1653312529000