Exercice professionnel : la prescription médicale d’activité physique adaptée

Publié le 23 May 2022 à 13:57


Connaissances et besoins des médecins généralistes d’Ile-de-France

Contexte
Les médecins traitants sont autorisés à prescrire de l'activité physique (AP) aux patients atteints d’affections de longue durée (ALD) depuis un décret paru le 30 décembre 2016 en vigueur depuis le 1er mars 2017.

Objectif
Évaluer les connaissances et besoins des médecins généralistes d’Ile-de-France concernant la prescription médicale d’AP.

Matériels & Méthode

  • Médecins généralistes en activité.
  • Exerçant majoritairement la médecine générale en soins primaires.
  • Hauts-de-Seine (92) et du Val-de-Marne (94).
  • Période d’inclusion : août 2017 à février 2018.
  • Recueil des données par un questionnaire.
  • Analyse statistique descriptive et analytique multivariée.

Résultats
Formation initiale

  • 84,2 % des médecins la jugent non satisfaisante.
  • 77,8 % déclarent ne pas avoir bénéficié d’une formation initiale concernant l’AP.
  • 16,4 % ont une compétence spécifique en médecine du sport. Formation continue
  • 81,6 % des médecins n’ont suivi aucune formation spécifique en AP.

Discussion

  • Sujet fréquemment abordé en consultation le plus souvent par le médecin.
  • Manque de formation initiale et continue.
  • Sentiment exprimé de manque de connaissance.
  • Bénéfices de l’AP encore peu connus dans certaines pathologies.
  • Personnalisation selon l’âge et la pathologie.
  • Mais pathologies chroniques non identifiés comme des cibles prioritaires.
  • Prescription médicale d’AP jugée pertinente.
  • Mais là aussi sentiment de manque de compétence.
  • La contrainte principale : le manque de formation.
  • Les mesures favorisant la prescription : les brochures d'information, un site internet d'aide à la prescription d'AP, et l'organisation de formations spécifiques.


Une problématique quotidienne

  • 97,5 % des médecins estiment parler d’AP lors d’au moins 1 consultation sur 4,
  • 69,6 % des médecins abordent eux-mêmes le sujet dans 3 consultations sur 4.

Un impact sur la durée de la consultation

  • La consultation où l’AP est abordée dure plus longtemps pour 63,3 % de l’échantillon,
  • Temps supplémentaire estimé à moins de 5 minutes pour 72 % d’entre eux.

Ne fait pas l’objet d’une consultation spécifique

  • 63,9 % des médecins ne font jamais ou rarement de consultations dédiée à l’AP.

Un concept connu

  • 84,8 % des médecins ont entendu parler de prescription médicale d’AP ou de sport sur ordonnance.

Un concept pertinent

  • 61,4 % des médecins jugent l'idée de prescrire de l'AP aux patientes pertinente.

Un sentiment de manque de compétence

  • 58,9 % des médecins estiment ne pas avoir de compétence suffisante en la matière.

Les facteurs favorisant le sentiment de compétence en prescription d'AP sont :

  • Une compétence spécifique en médecine du sport (p < 0,01).
  • L'abord fréquent de l’AP en consultation (p < 0,001).
  • La pratique personnelle d’AP (p < 0,01).

Conclusion
La prescription médicale d'AP est un concept jugé pertinent mais la majorité des médecins estiment ne pas avoir de compétence suffisante principalement en raison d'un manque de formation. Nous avons identifié trois mesures à prendre pour faciliter la prescription d'AP :

  • L'organisation de formations spécifiques sur l’AP.
  • La conception d'outils pour aider les médecins.
  • La promotion de la pratique d’AP chez les médecins.

Dr Alexis ASTRUC
Université Paris Descartes, Médecine générale, Doctorant

Dr Jean-Christophe BLANCHARD
Hôpital Corentin Celton, Réadaptation cardiaque, PH, Directeur de thèse

Etude des signes cliniques associés au diagnostic d’infection urinaire dans un contexte d’examen cytobactériologique des urines positif chez les sujets âgés de plus de 75 ans en médecine ambulatoire à Paris

Résumé
L’infection urinaire du sujet âgé est un problème fréquent en médecine de ville mais son diagnostic reste compliqué dans cette population sans qu’il existe des recommandations claires. L’objectif de notre étude était de rechercher les signes cliniques associés au diagnostic d’infection urinaire dans un contexte d’ECBU positif chez les sujets de plus de 75 ans en ambulatoire à Paris. De juin à octobre 2017, ont été inclus les patients de plus de 75 ans, ayant un résultat positif d’ECBU pratiqué dans un laboratoire de ville à Paris avec au moins 1 germe identifié. L’objectif principal était de déterminer les signes cliniques associés au diagnostic d’infection urinaire. Les objectifs secondaires étaient de déterminer le taux de colonisation urinaire en ambulatoire, déterminer l’écologie microbiologique et de décrire le type d’antibiothérapie utilisée.
Au total, 98 ECBU ont été inclus pour analyse. Les brûlures mictionnelles ont été le seul signe clinique statistiquement associé au diagnostic d’infection urinaire (OR 4.12 [1.1-16.1] avec p=0.04). Aucun signe dit « atypique » n’a été retrouvé dans notre population. Le taux de colonisation urinaire retrouvé a été de 13.7 %. Une prédominance d’Escherichia Coli a été retrouvée dans les ECBU analysés. Les recommandations de prise en charge thérapeutiques dans cette population « à risque de complications » ne sont pas encore parfaitement appliquées. Au total, seules les brûlures mictionnelles sont significativement associées au diagnostic d’infection urinaire dans la population âgée de plus de 75 ans en ambulatoire à Paris.

Introduction
En France, les infections urinaires communautaires de l’adulte sont le 2ème motif de consultation et de prescription d’antibiotiques au cabinet du médecin de ville et représentent une des premières causes d’infection bactérienne1, 2. Cela est particulièrement vrai chez le sujet âgé où l’infection urinaire est le syndrome infectieux le plus fréquent après les infections des voies respiratoires3.

La Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF) a donc actualisé en 2015 puis en 2018 ses recommandations afin de proposer un diagnostic et une prise en charge optimisée. Avec ces dernières actualisations3, l’ancienne dénomination d’infection urinaire « compliquée » a été remplacée par « à risque de complication » mettant ainsi en valeur la notion de facteur de risque lié au terrain sous-jacent. Ainsi, un sujet de plus de 75 ans ou plus de 65 ans avec au moins 3 critères de fragilité parmi les critères de fragilité de FRIED est un des facteurs de risque de complication. Avec cette nouvelle approche on constate donc que le sujet âgé (> 75 ans) ou le sujet considéré comme fragile mérite une prise en charge diagnostic et thérapeutique particulière. La fragilité a été définie par un accord d’expert comme un état de vulnérabilité à un stress secondaire à de multiples déficiences de systèmes qui conduisent à une diminution des réserves physiologiques.

Dans la définition de la SPILF les critères de Fried5 ont été privilégiés mais s’ils ont l’avantage de reposer sur des critères cliniques simples, ils ne permettent d’évaluer que la composante motrice. Selon les recommandations de la SPILF, on parle d’infection urinaire si l’on est en présence d’une uroculture positive associée à au moins un des signes cliniques suivants : fièvre > 38° C, impériosité mictionnelle, pollakiurie, brûlures mictionnelles ou douleurs sus-pubiennes, douleur lombaire, dysurie. En revanche, le diagnostic d’infection urinaire est souvent plus compliqué chez le sujet âgé que chez l’adulte jeune car les signes cliniques sont souvent aspécifiques et atypiques (asthénie, anorexie, syndrome confusionnel, chutes, décompensation d’une comorbidité) et les signes fonctionnels urinaires sont souvent absents1, 3, 7, 8, 9. Cependant, il n’existe à l’heure actuelle pas de définition consensuelle de l’infection urinaire chez le sujet âgé prenant en compte ces particularités séméiologiques et même des signes typiques doivent être interprétés avec précaution car pouvant s’observer chez des patients âgés en dehors de toute infection. D’autre part, la symptomatologie est souvent frustre chez le patient âgé. Ce sera donc une modification récente de la symptomatologie qui devra alerter le praticien.

Il existe dans la population âgée/fragile une prévalence importante de colonisation urinaire rendant l’interprétation d’analyse bactériologique urinaire délicate. La colonisation urinaire correspond à une situation de portage, c’est-à-dire à la mise en évidence d’un micro-organisme, lors d’un prélèvement urinaire correctement réalisé, sans que ce micro-organisme ne génère de manifestations cliniques, le patient étant donc asymptomatique. Il n’existe pas de seuil de bactériurie et la leucocyturie n’intervient pas dans la définition. La dernière enquête française montrait que 28 % des ECBU avec bactériurie significative chez les patients âgés hospitalisés étaient en fait des colonisations urinaires et non des infections urinaires7. Or les colonisations ne doivent pas être traitées : le risque étant de traiter à tort devant un sepsis d’étiologie indéterminée alors que l’infection est d’une autre origine14, 15, 16. Au-delà de l’erreur diagnostique, le risque est évidemment bactériologique et épidémiologique avec l’émergence de bactéries multi-résistantes de part l’exposition inutile aux antibiotiques. En médecine générale, le diagnostic d’infection urinaire est au moins aussi difficile à réaliser qu’en médecine hospitalière et pourtant il n’existe actuellement aucune donnée publiée concernant les signes cliniques évocateurs et spécifiques d’infection urinaire chez le sujet âgé en médecine de ville. De même, aucune donnée concernant le taux de colonisation urinaire en ville, ou sur l’écologie bactérienne de cette population ambulatoire, n’a été publiée récemment12. L’objectif de ce travail est d’analyser les signes cliniques présentés par les patients âgés en médecine de ville et de déterminer lesquels sont associés au diagnostic d’infection urinaire.

Matériel et méthode
Ont été inclus les patients de plus de 75 ans, ayant un résultat positif d’ECBU pratiqué dans un laboratoire de ville à Paris avec au moins 1 germe identifié. Etait considéré comme positif un ECBU ayant une bactériurie significative et ayant retrouvé au moins un germe identifié quel que soit le taux de leucocyturie. Nous avons mené une étude rétrospective observationnelle transversale sur les patients âgés de plus de 75 ans ayant réalisé un ECBU qui s’est révélé positif dans un laboratoire de ville à Paris et prescrit par un médecin libéral en ambulatoire. Un laboratoire par arrondissement parisien, soit 20 laboratoires au total, a été choisi au hasard via le système de réponse aléatoire d’un moteur de recherche internet afin de recueillir 10 résultats par laboratoire d’ECBU positifs chez des patients de plus de 75 ans. Etaient recueillies comme informations sur la feuille de résultat de l’ECBU : nom et date de naissance du patient, nom du médecin prescripteur, date de réalisation de l’examen, justification de la réalisation de l’examen lorsque celle-ci était renseignée, taux de leucocyturie, taux de bactériurie et identification du ou des germes retrouvés. Une fois, les résultats d’ECBU positifs collectés, les médecins prescripteurs de l’ECBU étaient contactés afin de recueillir les données suivantes : symptomatologie du patient, la justification de réalisation de l’ECBU en l’absence de symptomatologie, antibiothérapie prescrite avec durée de traitement et diagnostic final retenu.

L’objectif principal de cette étude était de déterminer quels ont été les signes cliniques associés au diagnostic d’infection urinaire effectué par le médecin prescripteur dans un contexte d’ECBU positif chez le sujet âgé de plus de 75 ans en ambulatoire à Paris. Les objectifs secondaires étaient de déterminer le taux de colonisation urinaire chez le patient âgé en ville, de décrire l’écologie bactérienne urinaire chez le sujet âgé en ambulatoire et de décrire le type d’antibiothérapie prescrite face à une infection urinaire « à risque de complication » en ville. Les données patients ont été saisies anonymement à l’aide du logiciel Microsoft Excel version 14.0.0. Les analyses statistiques ont été réalisées sur le logiciel SPSS (v20). Les variables continues ont été exprimées en médiane [Interquartile 25 ; 75]. Les variables catégorielles ont été exprimées en nombre et pourcentage. La comparaison entre les groupes a été réalisée avec le test du chi-2 et Mann Whitney. L’analyse univariée a été réalisée par le test de Mantel-Haenszel. Le seuil de significativité a été fixé avec un p inférieur à 0.05.

Résultats
De juin à octobre 2017, 200 ECBU positifs ont été récoltés via les laboratoires de ville. Parmi ces ECBU, 11 ont été exclus. Sur les 189 ECBU restants, les médecins prescripteurs ont été contactés pour répondre au questionnaire. Au total, 98 ECBU soit 52 % ont été pris en compte pour l’analyse statistique (Figure 1). Parmi les ECBU inclus dans l’analyse, 86.7 % (n=85) ont eu un diagnostic d’infection urinaire et 13.3 % (n=13) ont eu un diagnostic de colonisation fait par le médecin prescripteur. L’âge médian était de 83 ans [79-87] et 75.5 % des patients était des femmes sans différence significative entre le groupe « infection urinaire » et le groupe « colonisation » (Tableau 1). 88.8 % des patients étaient symptomatiques, 94.1 % dans le groupe « infection urinaire » et 55.8 % dans le groupe « colonisation », p < 0.0001. Parmi les signes cliniques les plus retrouvés, on notait la présence de brûlures mictionnelles pour 51 % avec une différence significative entre les deux groupes (55.3 % vs 23.1 %, p=0.03) et la présence d’une pollakiurie pour 33.7 % avec là encore une différence significative entre les deux groupes (37.6 % vs 7.7 % respectivement, p=0.03) (Tableau 1).

Aucun des patients n’a présenté de signes dits “atypiques” tels que la confusion, ou la perte d’autonomie. En analyse univariée, seules les brûlures mictionnelles étaient associées significativement au diagnostic d’infection urinaire (OR 4.12 [1.1-16.1], p=0.04). Pour 66.3 % des cas, un diagnostic de cystite a été posé (Tableau 2). Tous ces diagnostics ont menés à une prescription d’antibiotique. Le diagnostic de colonisation urinaire a été posé dans 13.3 % des cas avec un traitement antibiotique prescrit dans 46 % des cas. Dans 66.3 % des ECBU analysés, la culture microbienne a mis en évidence Escherichia Coli sans différence significative entre les 2 groupes (69.4 % vs 46.2 % respectivement, p=0.09) (Tableau 1). On retrouvait de manière significative plus Entérocoque Faecalis dans le groupe « colonisation » que dans le groupe « infection urinaire » (30.7 % vs 8.2 % respectivement, p= 0.02). Une antibiothérapie a été prescrite dans 96 % des cas avec une durée moyenne courte de 5 jours [1.25-8] (Tableau 2). Les fluoroquinolones ont été prescrits dans la majorité des cas avec 31.1 %, suivis par les fosfomycines (15 %). Dans le groupe « colonisation urinaire », une antibiothérapie a été prescrite dans 37.5 % des cas.

Tableau 1 : Caractéristiques des patients

 

Tableau 2 : Répartition des diagnostics et caractéristiques des antibiothérapies prescrites

Discussion
Dans notre étude, 94 % des patients du groupe « infection urinaire » étaient symptomatiques avec près de 50 % de brûlures mictionnelles et 37 % de pollakiurie. De plus, le symptôme “brûlures mictionnelles” était le seul signe fonctionnel qui était associé de manière significative au diagnostic d’infection urinaire avec OR 4.12 [1.1-16.1] p=0.04. Cela est peu concordant avec les études antérieures hospitalières car Gonthier en 200022 décrivait que le tableau typique de cystite était finalement peu fréquent et qu’il consistait surtout en une modification de l’aspect des urines, une incontinence nouvelle ou d’aggravation récente et la présence de symptômes plus atypiques comme une agitation. De plus, dans une thèse de médecine générale conduite dans les hôpitaux marocains en 2015, Sampson et al.9 retrouvaient ces deux symptômes de manière prédominante mais à moindre fréquence : 20 % de pollakiurie et 20 % de brûlures mictionnelles. Enfin, Haber et al.8 en 2007 notaient que dans 28 % des cas on retrouvait des signes fonctionnels urinaires mais dans près de 60 % des cas, on notait la présence de signes généraux avec une association des 2 dans 12 %. Gavazzi et al. en 20137 notaient la présence de signes fonctionnels urinaires dans moins de 35 % des cas chez des patients hospitalisés.

Dans notre étude on ne retrouve que 7 % de patients ayant présenté une fièvre. Cela est concordant avec les données antérieures car Gavazzi et al. en 20021 notaient que quel que soit le type d’infection, on pouvait avoir une absence de fièvre dans 30 % des cas. Enfin, Beveridge et al. en 201123 faisaient remarquer une apyrexie dans près de 30 % des infections urinaires. Même en cas de fièvre, la littérature récente précise qu’un ECBU positif ne correspond finalement à une infection urinaire que dans moins de 10 % des cas17. Enfin, nous n’avons eu aucun patient ayant présenté des signes dits atypiques d’infection urinaire comme une confusion ou une perte d’autonomie et très peu d’altération de l’état général.

Hors la littérature met l’accent sur la présence de ces signes atypiques devant faire suspecter une infection urinaire chez la personne âgée mais aussi faire réaliser des explorations complémentaires à la recherche d’un autre diagnostic1, 16, 22.

Cette différence pourrait s’expliquer par le contexte de médecine ambulatoire incluant un temps de consultation et d’examen court.

Si le patient ne s’en plaint pas spontanément, ces signes assez difficiles à interpréter peuvent passer inaperçus et ne pas être notés dans le dossier. De plus, les signes cliniques étaient donnés par le médecin généraliste sur la base de ce qui était noté dans le dossier médical des patients : il peut donc y avoir un biais d’information. Enfin, le profil des patients âgés ambulatoires peut être différent du profil des patients en milieu hospitalier (patient ambulatoire moins comorbide, plus autonome et moins fragile). La prévalence de la colonisation urinaire dans notre étude était de 13 %. Les seules données ambulatoires existantes datent des années 1990 avec Boscia et al. qui en 198728 retrouvaient parmi une population d’âge moyen de 85 ans en ambulatoire 18 % de colonisation chez les femmes et 6 % chez les hommes. De même, Mims et al. en 199029 retrouvaient une prévalence de la colonisation en ambulatoire de 12 % parmi une population d’hommes d’âge moyen 77 ans.

Nos résultats sont donc concordants avec les études antérieures et ne montrent pas d’augmentation particulière de cette prévalence avec le temps.

Cependant, on peut considérer qu’il a pu être sous-estimé. En effet, c’est le médecin prescripteur qui a posé le diagnostic de colonisation urinaire or on a vu que certains ECBU étaient réalisés sur la déclaration de symptômes peu en lien avec une possible infection urinaire. C’est un des biais de l’étude, car sans réévaluation du patient, il n’était pas possible de pouvoir vérifier le juste diagnostic du médecin prescripteur. Enfin, de nombreux médecins prescripteurs ont souligné la grande difficulté à ne pas réaliser d’ECBU devant des patients très demandeurs, que ce soit en post infectieux ou dans un contexte de signes peu en faveur d’une infection urinaire. Ainsi, un certain nombre de diagnostic d’infection urinaire fait dans notre étude peuvent correspondre à des colonisations urinaires. Concernant l’écologie bactérienne des sujets âgés ambulatoires, on a retrouvé une forte prédominance des entérobactéries et on notait également qu’Enterocoque faecalis était significativement plus fréquent dans le groupe « colonisation » (30 % vs 7 %, p = 0.02). Ces résultats sont concordants avec les données actuelles de la littérature. En effet, en ambulatoire Lobel et al. en 200732 retrouvaient 62 % d’Escherichia Coli, 19 % de Klebsielle et 3 % de Proteus Mirabilis.

De même, Tal et al. en 200533 notaient en ambulatoire 88 % d’entérobactéries. Ainsi, nos résultats montrent que l’écologie bactérienne urinaire de la population âgée en ambulatoire à Paris est similaire à celle retrouvée dans les précédentes études. Aucune donnée n’a cependant été recueillie dans notre étude concernant les taux de résistance de ces germes et notamment la présence de germes présentant une beta lactamase à spectre élargie (BLSE). Concernant l’antibiothérapie, les fluoroquinolones étaient la classe thérapeutique la plus prescrite (30 %).

Or, la majorité des patients présentaient soit une cystite soit une colonisation (81 %). Ce résultat montre une probable méconnaissance des recommandations de la SPILF car les colonisations ne justifient pas d’une antibiothérapie24, 25, 26 et les recommandations actuelles préconisent l’utilisation en première intention de la nitrofurantoïne ou de la fosfomycine-trométamol. De même, on retrouve majoritairement une durée de traitement courte de l’ordre de 5 jours en moyenne. Cependant, la fosfomycinetrométamol a été utilisée de manière fréquente en prise unique alors que cette attitude n’est recommandée que chez la cystite simple aiguë de la femme jeune non gravidique. En deuxième position, on retrouve la classe des céphalosporines pour près de 10 % des prescriptions et même si cette famille d’antibiotique apparait en première intention comme alternative avec les fluoroquinolones, il faut noter que la plupart des molécules prescrites dans notre étude sont des formes orales (type Cefixime) alors que seul les formes intramusculaires ou intraveineuses sont recommandées. Le choix de cette galénique peut s’expliquer par le caractère contraignant d’organisation d’un passage infirmier ou le refus des injections par le patient.

Enfin, alors que dans tous les cas, l’antibiothérapie prescrite par le médecin était donnée en probabiliste, avec pour consigne au patient de la débuter une fois la réalisation de l’ECBU effectuée : on retrouve tout de même 8 % de penicilline prescrite et 5 % de Sulfamethoxazoletriméthoprime. Quelle que soit la présentation clinique, il n’est pas recommandé de prescrire une antibiothérapie probabiliste par pénicilline ou Sulfamethoxazole-triméthoprime.

Enfin, dans notre étude on constate qu’une antibiothérapie probabiliste a été prescrite dans 37.5 % des cas de colonisation urinaire diagnostiquée.

Une des raisons soulevées par les médecins prescripteurs au téléphone a été la grande difficulté à dire “non” à la demande des patients. En effet, même après avoir été informés par leur médecin traitant du diagnostic de colonisation et de la signification d’un tel diagnostic, de nombreux patients ont demandé à recevoir un traitement antibiotique. De même, certains médecins prescripteurs même après avoir fait le diagnostic d’infection urinaire ont justifié leur prescription par le fait que la bactériurie et/ ou leucocyturie étaient significatives ou bien par leur méconnaissance sur l’inutilité de traiter les colonisations. Notre étude présente des points forts. En effet, jusqu’à présent il n’existait que très peu de données concernant les infections urinaires du patient âgé en ville et ces dernières datent de presque 30 ans.

Ainsi, notre étude a permis de faire un état des lieux aussi bien concernant les signes cliniques que l’écologie bactérienne en ambulatoire et le taux de colonisation.

Nos résultats sont d’ailleurs concordants avec ce qui avait été précédemment publiés. De plus, les laboratoires de ville participants ayant été randomisés via un algorithme aléatoire, notre population est bien représentative de la population de patients âgés de plus de 75 ans à Paris. Ainsi nos résultats peuvent être considérés comme représentatifs d’une population ambulatoire de sujets âgés. Cependant, notre étude présente aussi des points faibles. Premièrement, il s’agit de données rétrospectives collectées sur la base des données disponibles dans les dossiers médicaux. Ainsi, de nombreux ECBU ont du être exclus par manque de données. De même, il s’agit de données déclarées par les médecins traitants sans vérification possible des dossiers en question. Deuxièmement, un faible nombre d’ECBU a été inclus pour analyse et un faible nombre de diagnostic de colonisation a été fait. Ce manque d’effectif ne nous a pas permis de conclure de manière solide sur une association entre signes clinique et diagnostic d’infection urinaire.

Conclusion
Chez les patients ambulatoires de plus de 75 ans vivant à Paris, les symptômes les plus présentés étaient la pollakiurie et la présence de brûlures mictionnelles. Seules les brûlures mictionnelles étaient statistiquement associées au diagnostic d’infection urinaire dans un contexte d’ECBU positif en laboratoire de ville. Aucun signe dit « atypique » n’a été retrouvé dans notre étude, contrairement aux données de la littérature. On retrouvait un taux de colonisation urinaire plus faible que les données hospitalières. Il semblerait donc qu’il y ait des différences dans la présentation clinique des infections urinaires entre la ville et l’hôpital chez le sujet âgé. Une étude plus large pourrait être intéressante afin de comprendre les raisons de ces différences et améliorer ainsi la prise en charge des infections urinaires chez le patient âgé ambulatoire.

Réalisée par Dr Margaux BAQUE,
dirigé par le Dr VALLET

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  • Veyssier P. Infections et personnes âgées. Médecine et Maladies Infectieuses. 1 janv 1997; 27(1):48‑52.
  • Les firmes pharmaceutiques et les médecins : une histoire de corruption

    Récemment, le sénateur républicain Charles Grassley, membre du comité des finances du Sénat, s'est penché sur les liens financiers entre l'industrie pharmaceutique et les médecins universitaires qui déterminent en grande partie la valeur marchande des médicaments prescrits sur ordonnance. Il n'a pas eu à chercher très loin. Prenons le cas du Dr Joseph L. Biederman, professeur de psychiatrie à la Harvard Medical School et chef de la psychopharmacologie pédiatrique au Massachusetts General Hospital de Harvard. En grande partie grâce à lui, des enfants aussi jeunes que deux ans sont maintenant diagnostiqués avec un trouble bipolaire et traités avec un cocktail de médicaments puissants, dont la plupart n'ont pas été approuvés par la Food and Drug Administration (FDA) à cet effet et dont aucun n’a été approuvé pour les enfants de moins de dix ans.
    Légalement, les médecins peuvent utiliser des médicaments dans d’autres circonstances par rapport à celles pour lesquelles ils ont été approuvés au départ, mais cette utilisation devrait être fondée sur de bonnes preuves scientifiques publiées. Cela semble ne pas être le cas ici. Les études de Biederman sur les médicaments qu’il préconise pour traiter le trouble bipolaire chez les enfants étaient, comme le New York Times résumait les opinions des experts de son article, « si petites et si vaguement conçues qu’elles étaient largement non concluantes » (1).

    Une publicité pour Paxil (Deroxat en France) dans The American Journal of Psychiatry, octobre 1999 ; tirée du livre de Christopher Lane « De la timidité : comment le comportement normal est devenu une maladie ». Le paxil (Deroxat) est l’un des médicaments pour lesquels les firmes pharmaceutiques ont supprimé les recherches défavorables.

    En juin, le sénateur Grassley a révélé que les sociétés pharmaceutiques, y compris celles qui fabriquent des médicaments qu’il préconise pour le trouble bipolaire chez les enfants, ont versé 1,6 million de dollars de frais de consulting et de conférencier entre 2000 et 2007. Deux de ses collègues ont reçu des montants similaires. Après cette révélation, le président du Massachusetts General Hospital et le président de son organisation de médecins ont envoyé une lettre aux médecins de l'hôpital pour leur dire qu'ils n'étaient pas choqués par l'énormité des conflits d'intérêts, mais qu'ils éprouvaient de la sympathie pour les bénéficiaires : « Nous savons que cette période est incroyablement douloureuse pour ces médecins et leurs familles, et notre sympathie va vers eux ».

    Ou considérez le Dr Alan F. Schatzberg, président du département de psychiatrie de Stanford et président élu de l’Association américaine de psychiatrie. Le sénateur Grassley a constaté que Schatzberg contrôlait plus de 6 millions de dollars d'actions de Corcept Therapeutics, une société qu'il a cofondée et qui teste la mifépristone - le médicament d'avortement connu sous le nom de RU-486 - comme traitement de la dépression psychotique. Au même moment, Schatzberg était le chercheur principal d’une subvention de l’Institut national de la santé mentale qui incluait des recherches sur la mifépristone pour cet usage et il était coauteur de trois articles sur le sujet. Dans un communiqué publié à la fin du mois de juin, Stanford déclarait ne rien voir de mal à cet arrangement, même si un mois plus tard, le conseil de l’université annonçait qu’il remplaçait temporairement Schatzberg en tant que chercheur principal « pour éliminer tout malentendu ».

    Peut-être le cas le plus flagrant exposé jusqu'ici par le sénateur Grassley est-il celui du Dr Charles B. Nemeroff, président du département de psychiatrie de l'Université Emory et co-directeur de l'influent manuel de référence Textbook of Psychopharmacology (2) avec Schatzberg. Nemeroff était le chercheur principal d’une subvention de 3,95 millions de dollars sur cinq ans de l'Institut national de la santé mentale, dont 1,35 million de dollars a été accordée à Emory pour couvrir les frais généraux, afin d'étudier plusieurs médicaments fabriqués par GlaxoSmithKline (GSK). Pour se conformer aux réglementations universitaires et gouvernementales, il devait divulguer à Emory ses revenus reçus de GlaxoSmithKline, et Emory devait déclarer les montants supérieurs à 10 000 dollars par an aux National Institutes of Health, avec l'assurance que le conflit d'intérêts serait ainsi géré ou éliminé.

    Mais selon le sénateur Grassley, qui a comparé les archives d’Emory à celles de la firme, Nemeroff n’a pas divulgué environ 500 000 dollars qu’il a reçus de GlaxoSmithKline pour avoir donné des dizaines de conférences pour promouvoir les médicaments de la firme. En juin 2004, un an après le début de la subvention, Emory a mené sa propre enquête sur les activités de Nemeroff et a constaté de nombreuses violations de ses politiques. Nemeroff a répondu en assurant Emory dans un mémorandum : « Compte tenu de la subvention NIMH / Emory / GSK, je limiterai mes conseils à moins de 10 000 dollars par an à GSK et j'ai informé GSK de cette politique. Pourtant, cette même année, il a reçu 171 031 dollars de la part de la société, alors qu’il rapportait à Emory seulement 9 999 dollars - un dollar de moins que le seuil de 10 000 dollars pour son rapport prévu aux National Institutes of Health.

    Emory a bénéficié des subventions et autres activités de Nemeroff, ce qui soulève la question de savoir si sa surveillance laxiste a été influencée par les propres conflits d’intérêts de l’université. Tel que rapporté par Gardiner Harris dans The New York Times (3), Nemeroff avait lui-même fait valoir son importance à Emory dans une lettre en 2000 adressée au doyen de la faculté de médecine, dans laquelle il justifiait son adhésion à une douzaine de conseils consultatifs de firmes.

    « Vous vous rappelez sûrement que Smith-Kline Beecham Pharmaceuticals a fait don d’une chaire au département et que Janssen Pharmaceuticals a des chances raisonnables de le faire aussi. De plus, Wyeth-Ayerst Pharmaceuticals a financé un programme de bourses de développement de la recherche dans le département, et j'ai demandé à AstraZeneca Pharmaceuticals et à Bristol-Meyers [sic] Squibb de faire de même. Une partie de la justification du financement de notre faculté de cette manière serait le service que j’apporte dans ces conseils ».

    Parce que le sénateur Grassley a désigné ces psychiatres, ces derniers ont reçu beaucoup d’attention dans la presse, mais des conflits d’intérêts similaires ont envahi le reste de la médecine.

    (Le sénateur se tourne maintenant vers les cardiologues.) En effet, la plupart des médecins prennent de l'argent ou des cadeaux d'une compagnie de médicaments d'une manière ou d'une autre. Beaucoup sont des consultants rémunérés, des intervenants lors de réunions parrainées par des entreprises, des auteurs fantômes d'articles rédigés par des sociétés pharmaceutiques ou leurs agents (4) et des « chercheurs » ostentatoires dont la contribution consiste le plus souvent à donner un médicament à leurs patients et à transmettre des informations à la firme concernée. Encore plus de médecins reçoivent des repas gratuits et d’autres cadeaux. En outre, les sociétés pharmaceutiques subventionnent la plupart des réunions d’organisations professionnelles et la majeure partie de la formation médicale continue dont les médecins ont besoin pour conserver leurs licences d’État.

    Personne ne connaît le montant total fourni par les sociétés pharmaceutiques aux médecins, mais j'estime à partir des rapports annuels des neuf plus grandes sociétés pharmaceutiques américaines que cela représente des dizaines de milliards de dollars par an. L'industrie pharmaceutique a ainsi acquis une énorme maîtrise sur la manière dont les médecins évaluent et utilisent leurs propres produits. Ses liens étroits avec les médecins, en particulier avec le corps professoral des facultés de médecine prestigieuses, affectent les résultats de la recherche, la manière dont la médecine est pratiquée et même la définition de ce qui constitue une maladie.

    Considérons les essais cliniques par lesquels des médicaments sont testés sur des sujets humains (5).

    Avant qu'un nouveau médicament puisse être mis sur le marché, son fabricant doit financer des essais cliniques pour montrer à la Food and Drug Administration que le médicament est sûr et efficace, le plus souvent comparé à un placebo, ou pilule factice. Les résultats de tous les essais (il peut y en avoir beaucoup) sont soumis à la FDA, et si un ou deux essais sont positifs, c'est-à-dire qu'ils montrent une efficacité sans risque sérieux, le médicament est généralement approuvé, même si tous les autres essais sont négatifs. Les médicaments ne sont approuvés que pour un usage spécifique, par exemple pour le traitement du cancer du poumon, et il est illégal pour les entreprises de les promouvoir pour tout autre usage.

    Mais les médecins peuvent prescrire des médicaments approuvés « hors Autorisation de mise sur le marché » - c'est-à-dire, indépendamment de l'utilisation spécifiée - et peut-être que la moitié de toutes les prescriptions sont rédigées hors AMM. Après la mise sur le marché des médicaments, les entreprises continuent à financer des essais cliniques, parfois pour obtenir une approbation de la FDA pour des utilisations supplémentaires, parfois pour démontrer un avantage sur leurs concurrents et souvent pour excuser les médecins. (De tels essais s'appellent à juste titre des « seeding trials » ou études de « semis »).

    Étant donné que les sociétés pharmaceutiques n’ont pas d’accès direct aux sujets humains, elles doivent confier leurs essais cliniques à des écoles de médecine où les chercheurs utilisent les patients des hôpitaux universitaires et cliniques, ou à des sociétés de recherche privées (CRO), qui ouvrent des cabinets de médecins afin d’enrôler des patients. Bien que les CRO soient généralement plus rapides, les firmes préfèrent souvent utiliser les écoles de médecine, en partie parce que la recherche est prise plus au sérieux, mais principalement parce que cela leur donne accès à des médecins très influents, appelés « leaders d'opinion clé » (KOL). Ce sont ceux qui écrivent des manuels et des articles dans des revues médicales, publient des recommandations de bonnes pratiques, siègent à la FDA et dans d’autres groupes consultatifs gouvernementaux, dirigent des sociétés professionnelles et prennent la parole lors des innombrables réunions et repas pour apprendre aux médecins comment utiliser tel ou tel médicament. Avoir des KOL comme le Dr Biederman sur le livre des comptes d’une firme vaut chaque centime dépensé.

    Il y a quelques décennies, les facultés de médecine n'avaient pas beaucoup de relations financières avec l'industrie et les chercheurs du corps professoral qui ont mené des recherches financées par l'industrie n'avaient généralement pas d'autres liens avec leurs sponsors. Mais les écoles ont maintenant elles-mêmes de nombreux contrats avec l'industrie et ne sont pas dans une position où elles peuvent demander à leurs enseignants de se comporter autrement. Une étude récente a révélé qu'environ deux tiers des centres médicaux universitaires détiennent des participations dans des firmes qui financent des recherches au sein de ces mêmes centres universitaires (6). Une étude menée auprès de présidents de facultés de médecine a révélé que les deux tiers des facultés de médecine, et trois présidents sur cinq recevaient des financements des entreprises pharmaceutiques. Dans les années 1980, les écoles de médecine ont commencé à publier des directives régissant les conflits d’intérêts des professeurs, mais elles sont très variables, généralement assez permissives et peu appliquées.

    Comme les sociétés pharmaceutiques insistent, comme condition de leur financement, pour qu'elles participent étroitement à tous les aspects de la recherche qu'elles financent, elles peuvent facilement introduire des biais pour faire apparaître leurs médicaments meilleurs et plus sûrs qu'ils ne le sont. Avant les années 1980, ils confiaient aux chercheurs universitaires la responsabilité totale de la conduite du travail, mais aujourd’hui les employés de l'entreprise ou leurs agents conçoivent souvent les études, effectuent l'analyse, rédigent les documents et décident de publier les résultats.

    Parfois, les médecins universitaires qui font office d’investigateurs ne sont guère plus que des exécutants rémunérés, fournissant des patients et collectant des données conformément aux instructions de l’entreprise.

    Compte tenu de ce contrôle et des conflits d'intérêts qui imprègnent la conduite de ces essais cliniques, il n'est pas surprenant que les essais sponsorisés par l'industrie publiés dans des revues médicales favorisent systématiquement les médicaments des sponsors. Ceci est largement dû au fait que les essais négatifs ne sont pas publiés, que les résultats positifs sont publiés de manière répétée sous des formes légèrement différentes, et que les résultats négatifs sont eux-mêmes exprimés d’une manière à les rendre plus positifs. Un examen de soixante-quatorze essais cliniques sur les antidépresseurs, par exemple, a révélé que trentesept études positives sur trente-huit avaient été publiées (8). Mais sur les trente-six études négatives, trente-trois étaient soit non publiées, soit publiées sous une forme qui rendait le résultat positif. Il n’est pas rare qu’un article publié se déplace de l’effet escompté du médicament à un effet secondaire qui semble plus favorable.

    La suppression de la recherche défavorable est le sujet du livre captivant d’Alison Bass, Side Effects : A Prosecutor, a Whistleblower and a Bestselling Antidepressing in Trial (Effets secondaires : Un procureur, un dénonciateur et un antidépresseur à succès en procès).

    C'est l'histoire de la façon dont le géant pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline a enterré des preuves que son antidépresseur le plus vendu, Paxil (Deroxat en Europe), était inefficace et peut-être nocif pour les enfants et les adolescents. Bass, ancien journaliste du Boston Globe, décrit l'implication de trois personnes - un psychiatre universitaire sceptique, un administrateur adjoint au Département de psychiatrie de l'Université Brown (dont le président a reçu en 1998 plus de 500 000 dollars de frais de consulting de firmes pharmaceutiques, dont GlaxoSmithKline) moralement outragé, et un infatigable assistant du procureur général de New York. Ils s’en sont pris à GlaxoSmithKline et à une partie du gratin de la psychiatrie et ont fini par l'emporter.

    Ephemera Inc
    « Drug signs », tiré du livre de Christopher Lane « De la timidité : comment les comportements normaux sont devenus une maladie ».

    Le livre suit les luttes individuelles de ces trois personnes au cours de nombreuses années, culminant avec GlaxoSmithKline qui a finalement accepté en 2004 de régler les accusations de fraude à la consommation pour 2,5 millions de dollars (une infime fraction des ventes annuelles de Paxil de plus de 2,7 milliards de dollars). La firme a également promis de publier des résumés de tous les essais cliniques terminés après le 27 décembre 2000. La révélation de la pratique, délibérée et systématique, de suppression des résultats de recherche défavorables a été d’une bien plus grande importance, celle-ci n’aurait pas pu être faite sans le processus d’enquête légal. Un des documents internes de GlaxoSmithKline, non divulgué précédemment, disait : « Il serait commercialement inacceptable d’inclure une déclaration selon laquelle l’efficacité n’a pas été démontrée, car cela nuirait au profil de la paroxétine [Paxil].» (9).

    Beaucoup de médicaments supposés efficaces ne sont probablement pas meilleurs que les placebos, mais il n'y a aucun moyen de le savoir parce que les résultats négatifs sont cachés. Un indice a été fourni il y a six ans par quatre chercheurs qui, en utilisant la loi sur la liberté d’information, ont obtenu les examens de la FDA de toutes les études cliniques contre placebo, soumises pour leur autorisation initiale, des six antidépresseurs les plus utilisés entre 1987 et 1999 : Prozac, Paxil, Zoloft, Celexa, Serzone et Effexor (10). Ils ont constaté que les placebos étaient en moyenne 80 % aussi efficaces que les médicaments. La différence entre le médicament et le placebo était si faible qu’il était peu probable qu’elle ait une signification clinique. Les résultats étaient sensiblement les mêmes pour les six médicaments : tous étaient également inefficaces.

    Mais comme des résultats favorables ont été publiés et que des résultats défavorables ont été enterrés (dans le cas présent, au sein de la FDA), le public et la profession médicale ont estimé que ces médicaments étaient des antidépresseurs puissants.

    Les essais cliniques sont également biaisés par des designs de recherche choisis pour donner des résultats favorables aux promoteurs. Par exemple, le médicament du sponsor peut être comparé à un autre médicament administré à une dose si faible que le médicament du sponsor semble plus puissant. Ou un médicament susceptible d'être utilisé par des personnes âgées sera testé chez les jeunes, de sorte que les effets secondaires risquent moins de se manifester. Une forme courante de biais découle de la pratique courante consistant à comparer un nouveau médicament à un placebo, lorsque la question pertinente est de savoir comment il se compare à un médicament existant. En bref, il est souvent possible de faire ressortir des essais cliniques à peu près ce que vous souhaitez. C’est pourquoi il est si important que les chercheurs soient vraiment désintéressés des résultats de leurs travaux.

    Les conflits d'intérêts affectent plus que la recherche. Ils influencent aussi directement la pratique de la médecine, par leur influence sur les recommandations de bonnes pratiques émises par les organismes professionnels et gouvernementaux et par leurs effets sur les décisions de la FDA. Quelques exemples : dans une enquête menée auprès de deux cents groupes d'experts qui ont publié des recommandations de bonnes pratiques, un tiers des membres du panel ont reconnu avoir un intérêt financier dans les médicaments qu’ils examinaient (11). En 2004, après que le National Cholesterol Education Program (Le Programme éducatif national sur le cholestérol) demanda une baisse considérable du niveau désiré de « mauvais » cholestérol, il a été révélé que huit des neuf membres du panel qui rédigeaient les recommandations avaient des liens financiers avec les fabricants de médicaments hypocholestérolémiants (12). Parmi les 170 contributeurs à la plus récente édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) de l’Association Américaine de Psychiatrie, quatrevingt- quinze avaient des liens financiers avec des firmes pharmaceutiques, y compris tous les contributeurs aux sections sur les troubles de l'humeur et la schizophrénie (13). Peut-être plus important encore, beaucoup des membres des comités permanents d’experts qui conseillent la FDA sur les autorisations de médicaments ont également des liens financiers avec l'industrie pharmaceutique (14).

    Ces dernières années, les sociétés pharmaceutiques ont mis au point une méthode nouvelle et très efficace pour élargir leurs marchés. Au lieu de promouvoir des médicaments pour traiter les maladies, ils ont commencé à promouvoir des maladies adaptées à leurs médicaments. La stratégie consiste à convaincre le plus grand nombre de personnes possible (ainsi que leurs médecins, bien sûr) qu’elles ont des problèmes de santé nécessitant un traitement médicamenteux à long terme. Parfois appelé « Disease Mongering » ou fabrication de maladie, deux nouveaux livres y sont consacrés : Our Daily Meds : How the Pharmaceutical Companies Transformed Themselves into Slick Marketing Machines and Hooked the Nation on Prescription Drugs de Melody Petersen (Nos médicaments quotidiens : comment les sociétés pharmaceutiques se sont transformées en machines de marketing et ont accroché la nation aux médicaments sur ordonnance) et Shyness : How Normal Behavior Became a Sickness de Christopher Lane (De la timidité : comment nos comportements normaux sont devenus des maladies). Pour promouvoir des maladies nouvelles ou exagérées, les entreprises leur attribuent des noms sérieux et des abréviations. Ainsi, les brûlures d'estomac sont maintenant « reflux gastro-oesophagien » ou RGO ; l'impuissance est la « dysfonction érectile » ou ED ; la tension prémenstruelle est le « trouble dysphorique prémenstruel » ou PMMD ; et la timidité est un « trouble d'anxiété sociale » (pas encore d'abréviation). Notez que ce sont des affections chroniques mal définies qui affectent essentiellement les personnes normales, de sorte que le marché est énorme et facilement étendu. Par exemple, un cadre marketing expérimenté a conseillé les représentants des ventes sur la

    manière d’élargir pour l’utilisation du Neurontin : « Neurontin pour la douleur, Neurontin pour la monothérapie, Neurontin pour le bipolaire, Neurontin pour tout » (15). Il semble que cette stratégie des fabricants de médicaments – qui a été un très grand succès – ait été de convaincre les Américains qu'il n'y a que deux types de personnes : ceux qui ont des problèmes de santé nécessitant un traitement de la toxicomanie et ceux qui ne le savent pas encore. Si la stratégie est née dans l'industrie, elle n'a pas pu être mise en oeuvre sans la complicité du corps médical.

    Melody Petersen, qui a été journaliste au New York Times, a rédigé une vaste et convaincante mise en accusation de l’industrie pharmaceutique (16). Elle expose en détail les nombreux moyens, à la fois légaux et illégaux, que les firmes pharmaceutiques utilisent pour créer des « blockbusters » (des médicaments avec des ventes annuelles de plus d’un milliard de dollars) et le rôle essentiel que jouent les KOL, les leaders d’opinion clé. Son principal exemple est le Neurontin, qui n’a été initialement approuvé que pour un usage très restreint - pour traiter l’épilepsie lorsque d’autres médicaments n’ont pas réussi à contrôler les crises. En payant des experts universitaires pour mettre leurs noms sur des articles vantant le Neurontin pour d'autres usages - maladie bipolaire, syndrome de stress post-traumatique, insomnie, syndrome des jambes sans repos, bouffées de chaleur, migraines, céphalées - et en finançant des conférences lors desquelles ces indications étaient promues, le fabricant a été en mesure de transformer le médicament en un blockbuster, avec des ventes de 2,7 milliards de dollars en 2003. L'année suivante, dans un cas largement couvert par Petersen pour le Times, Pfizer a plaidé coupable de marketing illégal et a accepté de payer 430 millions de dollars pour régler les accusations criminelles et civiles contre la firme. Beaucoup d’argent, mais pour Pfizer, c’était juste le coût de faire des affaires, et cela en valait la peine parce que le Neurontin continuait d’être utilisé comme un tonique polyvalent, générant des milliards de dollars de ventes annuelles.

    Le livre de Christopher Lane se concentre plus précisément sur l’augmentation rapide du nombre de diagnostics psychiatriques dans la population américaine et sur l’utilisation de médicaments psychoactifs (médicaments qui affectent l’état mental) pour les traiter. Comme il n’existe pas de tests objectifs pour la maladie mentale et que les frontières entre ce qui normal et anormal sont souvent incertaines, la psychiatrie est un domaine particulièrement propice à la création de nouveaux diagnostics ou à l’élargissement des anciens (17). Lane, professeur et chercheur en littérature à la Northwestern University, retrace l’évolution du DSM depuis ses modestes débuts en 1952 en tant que petit manuel à reliure spirale (DSM-I) jusqu’à sa version actuelle de 943 pages (la version révisée du DSM IV) en tant que « bible » incontestée de la psychiatrie - la référence standard pour les tribunaux, les prisons, les écoles, les compagnies d'assurance, les salles d'urgence, les cabinets de médecins et les établissements médicaux de toutes sortes.

    Compte tenu de son importance, vous pourriez penser que le DSM représente la distillation faisant autorité d’un grand nombre de preuves scientifiques. Mais Lane, utilisant des archives non publiées de l’Association Américaine de Psychiatrie et des entretiens avec les principaux responsables, montre qu’il s’agit plutôt du produit complexe de politique universitaire, d’ambition personnelle, d’idéologie et peut- être le plus important, de l’influence de l'industrie pharmaceutique. Ce qui manque au DSM est la preuve. Lane cite un contributeur au groupe de travail DSM-III :

    « Il y avait très peu de recherches systématiques, et une grande partie de la recherche qui existait était vraiment un méli-mélo : dispersé, incohérent et ambigu. Je pense que la majorité d'entre nous a reconnu que la quantité de science solide sur laquelle nous prenions nos décisions était bien modeste ».

    Lane utilise la timidité comme étude de cas de Disease mongering (fabrication de maladie) en psychiatrie. La timidité en tant que maladie psychiatrique a fait ses débuts en tant que « phobie sociale » dans le DSM-III en 1980, mais elle était considérée comme rare. En 1994, lorsque le DSM-IV a été publié, il était devenu « trouble d'anxiété sociale », cette fois-ci soit disant extrêmement commun. Selon Lane, GlaxoSmithKline, dans l’espoir de stimuler les ventes de son antidépresseur Paxil, a décidé de promouvoir le trouble d’anxiété sociale comme « une maladie grave ». En 1999, la FDA a approuvé la commercialisation du médicament contre l’anxiété sociale. Il a lancé une vaste campagne médiatique pour le faire, notamment des affiches dans des abris de bus à travers le pays montrant des personnes abandonnées et les mots « Imaginez être allergique aux gens… » et les ventes ont grimpé. Barry Brand, directeur des produits de Paxil, a déclaré : « Le rêve de chaque négociant est de trouver un marché non identifié ou inconnu et de le développer. C’est ce que nous avons pu faire avec le trouble de l’anxiété sociale. ».

    Certains des plus gros blockbusters sont des médicaments psychoactifs. La théorie selon laquelle les maladies psychiatriques découlent d'un déséquilibre biochimique est utilisée pour justifier leur utilisation généralisée, même si la théorie reste à prouver. Les enfants sont des cibles particulièrement vulnérables. Est-ce que les parents osent dire « non » lorsqu'un médecin dit que leur enfant difficile est malade et recommande un traitement médicamenteux ? Nous sommes actuellement au milieu d’une épidémie apparente de maladie bipolaire chez l’enfant (qui semble remplacer le trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention comme la maladie la plus médiatisée de l’enfance), le diagnostic ayant été multiplié par quarante entre 1994 et 2003 (18). Ces enfants sont souvent traités avec de multiples médicaments prescrits hors AMM, dont beaucoup, quelles que soient leurs autres propriétés, sont sédatifs, et presque tous ont des effets secondaires potentiellement graves.

    Les problèmes dont je viens de parler ne se limitent pas à la psychiatrie, bien qu’ils y atteignent leur forme la plus florissante. Des conflits d'intérêts et des biais similaires existent dans pratiquement tous les domaines de la médecine, en particulier ceux qui dépendent fortement des médicaments ou des dispositifs médicaux. Il n'est tout simplement plus possible de croire une grande partie de la recherche clinique publiée ou de se fier au jugement de médecins de confiance ou à des recommandations de bonnes pratiques faisant autorité. Je ne prends aucun plaisir à cette conclusion, que j'ai atteinte lentement et à contre coeur au cours de mes deux décennies en tant que rédacteur en chef du New England Journal of Medicine.

    Un des résultats de ces biais profonds est que les médecins apprennent à pratiquer un style de médecine très consommateur de médicaments. Même si davantage de changements bénéfiques de mode de vie étaient réalisés, les médecins et leurs patients croient souvent que pour chaque maladie et mécontentement, il existe un médicament. Les médecins sont également amenés à croire que les médicaments de marque les plus récents et les plus chers sont supérieurs aux médicaments plus anciens ou aux médicaments génériques, même s'il est rare que les promoteurs ne comparent leurs médicaments avec des médicaments plus vieux à des doses équivalentes. De plus, les médecins, influencés par de prestigieuses facultés de médecine, apprennent à prescrire des médicaments hors AMM sans preuve d'efficacité.

    Une publicité pour Paxil, 1999

    Il est facile de critiquer les firmes pharmaceutiques pour cette situation, et elles méritent certainement beaucoup de reproches. La plupart des grandes entreprises pharmaceutiques ont payé pour des accusations de fraude, de marketing hors AMM et d’autres infractions. TAP Pharmaceuticals, par exemple, a plaidé coupable en 2001 et a accepté de payer 875 millions de dollars pour régler les accusations criminelles et civiles portées en vertu de la loi fédérale False Claims Act sur sa commercialisation frauduleuse de Lupron, un médicament utilisé pour le cancer de la prostate. Outre GlaxoSmithKline, d’autres firmes ont également payé pour des accusations de fraude, comme Pfizer, TAP, Merck, Eli Lilly et Abbott. Les coûts, même s'ils sont énormes dans certains cas, sont encore éclipsés par les bénéfices générés par ces activités illégales et ne sont donc pas très dissuasifs. Pourtant, les défenseurs pourraient faire valoir que l’industrie pharmaceutique ne fait que son travail - promouvoir les intérêts de ses investisseurs - et que parfois, elle va un peu trop loin.

    Les médecins, les écoles de médecine et les organisations professionnelles n’ont pas cette excuse, leur seule responsabilité fiduciaire étant envers les patients. La mission des écoles de médecine et des hôpitaux universitaires - et ce qui justifie leur statut d'exonération fiscale - est d'éduquer la prochaine génération de médecins, d'effectuer des recherches scientifiques importantes et de s'occuper des membres les plus malades de la société.

    Il ne s'agit pas de conclure des alliances commerciales lucratives avec l'industrie pharmaceutique. Aussi répréhensible que soient de nombreuses pratiques de l’industrie, j'estime que le comportement d’une grande partie de la profession médicale est encore plus coupable (19). Les sociétés pharmaceutiques ne sont pas des organismes de bienfaisance ; ils attendent quelque chose en échange de l’argent qu’ils dépensent, et ils l’obtiennent évidemment ou ils ne continueraient pas à payer.

    Tant de réformes seraient nécessaires pour rétablir l’intégrité dans la recherche clinique et la pratique médicale qu’elles ne peuvent être résumées brièvement. Beaucoup impliqueraient de nouvelles lois de la part du Congrès et des changements dans la FDA, y compris son processus d'autorisation de mise sur le marché. Mais il est également clairement nécessaire que le corps médical renonce presque entièrement à l’argent de l’industrie. Bien que la collaboration entre l’industrie et les universités puisse apporter des contributions scientifiques importantes, cela se produit généralement en menant des recherches de base et non des essais cliniques, et même dans ce cas, on peut débattre si cela nécessite un enrichissement personnel des investigateurs. Les membres des facultés de médecine qui effectuent des essais cliniques ne devraient accepter aucun paiement des firmes pharmaceutiques, à l'exception du soutien à la recherche, et ce soutien ne devrait être lié à aucun contrôle sur la conception, l'interprétation et la publication des résultats de recherche.

    Les facultés de médecine et les hôpitaux universitaires devraient appliquer rigoureusement cette règle et ne pas conclure de contrats avec des firmes dont les produits sont étudiés par les membres de leur faculté. Enfin, les médecins ont rarement une raison légitime d’accepter des cadeaux de firmes pharmaceutiques, même les plus petites, et ils devraient payer leurs propres réunions et leur formation continue.

    Après de nombreux échos médiatiques défavorables, les écoles de médecine et les organisations professionnelles commencent à parler de contrôle des conflits d'intérêts, mais jusqu'à présent, la réponse a été tiède.

    Ils font systématiquement référence aux conflits d'intérêts « potentiels », comme s'ils étaient différents de la réalité, et à leur divulgation et à leur « gestion », et non à leur interdiction. En bref, il semble y avoir un désir d'éliminer l'odeur de la corruption tout en conservant l'argent. Briser la dépendance du corps médical à l’industrie pharmaceutique demandera plus que la création de commissions et d’autres gesticulations. Il faudra rompre brusquement avec un comportement extrêmement lucratif. Mais si le corps médical ne met pas fin à cette corruption volontairement, il perdra la confiance du public et le gouvernement (pas seulement le sénateur Grassley) interviendra et imposera une réglementation, ce que personne en médecine ne souhaite.

    Dr Marcia ANGELL
    Ancienne éditrice en chef du New England Journal of Medicine
    The New-York Review, 15 janvier 2009. Traduction réalisée par le Formindep, article original :
    https://www.nybooks.com/articles/2009/01/15/drug-companies-doctorsa-story-of-corruption/

  • Gardiner Harris and Benedict Carey, “Researchers Fail to Reveal Full Drug Pay,” The New YorTimes, June 8, 2008.
  • Most of the information in these paragraphs, including Nemeroff’s quote in the summer of 2004, is drawn from a long letter written by Senator Grassley to James W. Wagner, President of Emory University, on October 2, 2008.
  • See Gardiner Harris, “Leading Psychiatrist Didn’t Report Drug Makers’ Pay,” The New York Times, October 4, 2008.
  • Senator Grassley is current investigating Wyeth for paying a medical writing firm to ghost-write articles favorable to its hormone-replacement drug Prempro.
  • Some of this material is drawn from my article “Industry-Sponsored Clinical Research: A Broken System,” TheJournal of the American Medical Association, September 3, 2008.
  • Justin E. Bekelman et al., “Scope and Impact of Financial Conflicts of Interest in Biomedical Research: A Systematic Review,” The Journal of the American Medical Association, January 22, 2003.
  • Eric G. Campbell et al., “Institutional Academic–Industry Relationships,” The Journal of the American Medical Association, October 17, 2007.
  • Erick H. Turner et al., “Selective Publication of Antidepressant Trials and Its Influence on Apparent Efficacy,” The New England Journal of Medicine, January 17, 2008.
  • See Wayne Kondro and Barb Sibbald, “Drug Company Experts Advised Staff to Withhold Data About SSRI Use in Children,” Canadian Medical Association Journal, March 2, 2004.
  • Irving Kirsch et al., “The Emperor’s New Drugs: An Analysis of Antidepressant Medication Data Submitted to the US Food and Drug Administration,” Prevention & Treatment, July 15, 2002.
  • Rosie Taylor and Jim Giles, “Cash Interests Taint Drug Advice,” Nature, October 20, 2005.
  • David Tuller, “Seeking a Fuller Picture of Statins,” The New York Times, July 20, 2004.
  • Lisa Cosgrove et al., “Financial Ties Between DSM-IV Panel Members and the Pharmaceutical Industry,” Psychotherapy and Psychosomatics, Vol. 75, No. 3 (2006).
  • On August 4, 2008, the FDA announced that $50,000 is now the “maximum personal financial interest an advisor may have in all companies that may be affected by a particular meeting.” Waivers may be granted for amounts less than that.
  • See Petersen, Our Daily Meds, p. 224.
  • Petersen’s book is a part of a second wave of books exposing the deceptive practices of the pharmaceutical industry. The first included Katharine Greider’s The Big Fix: How the Pharmaceutical Industry Rips Off American Consumers (PublicAffairs, 2003), Merrill Goozner’s The $800 Million Pill: The Truth Behind the Cost of New Drugs (University of California Press, 2004), Jerome Avorn’s Powerful Medicines: The Benefits, Risks, and Costs of Prescription Drugs (Knopf, 2004), John Abramson’s Overdo$ed America: The Broken Promise of American Medicine (HarperCollins, 2004), and my own The Truth About the Drug Companies: How They Deceive Us and What to Do About It (Random House, 2004).
  • [See the review](/articles/archives/2007/dec/06/talking-back-to-prozac/) by Frederick Crews of Lane’s book and two others, The New York Review, December 6, 2007.
  • See Gardiner Harris and Benedict Carey, “Researchers Fail to Reveal Full Drug Pay,” The New York Times, June 8, 2008.
  • This point is made powerfully in Jerome P. Kassirer’s disturbing book, On the Take: How Medicine’s Complicity With Big Business Can Endanger Your Health (Oxford University Press,2005).
  • Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°23

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    Publié le 1653307066000