Évaluation et perceptions des médecins généralistes en formation

Publié le 24 May 2022 à 09:14

Utilisant le Dictionnaire des Résultats de Consultation de la SFMG

Introduction
Les études épidémiologiques en médecine générale (MG) ont montré que 70 % des consultations n’aboutissaient pas à un diagnostic de maladie, démontrant la nécessité d’établir un cadre nosologique en MG correspondant à la réalité clinique observée.
Créé et promu par la Société française de médecine générale (SFMG), le DRC est une nomenclature qui regroupe 95 % des phénomènes pathologiques rencontrés par un médecin généraliste en exercice, sous la forme de 300 diagnostics de situation appelés « Résultats de consultation » (RC).
Son utilisation (en ligne ou intégré au logiciel métier) permet à chaque consultation : de nommer une situation clinique par un « RC », défini par des critères d’inclusion ; de qualifier le RC en syndrome (44 % des RC), symptôme (27 %), tableau de maladie (21 %) ou diagnostic certifié (8 %) ; de classer selon sa temporalité cette situation codée et suivre sa dynamique ; de l’’intégrer au dossier médical en adoptant un langage scientifique au lieu de termes subjectifs.
En reliant par l’informatique, les RC entre eux en fonction de leur critères cliniques et de leur potentielle gravité, le DRC permet au praticien de s’assurer qu’il a défini objectivement le problème présenté par son patient et d’éviter ainsi une erreur de diagnostic ; d’évoquer une potentielle maladie mortelle sous-jacente à ce problème et de ne pas passer à côté d’une maladie grave.

L’utilisation du DRC est présentée ici par son interface en ligne avec l’exemple du mot clé « toux » :

Le logiciel affichera les critères cliniques du RC « toux » : les critères obligatoires sont matérialisés par quatre « + », les critères « + - » sont facultatifs et permettent de documenter le tableau clinique.

Liste des « voir aussi / premier risque » :

 

Le premier risque permet de s’assurer que le praticien à bien choisi son RC : celui-ci peut être un symptôme isolé ce jour mais évoluer vers un syndrome (« BPCO ») ou une maladie (« pneumopathie aiguë ») avec le temps ou l’apport d’examens complémentaires : la première utilité du DRC est la définition du cadre nosologique à l’aide de critères diagnostiques. Pour être certain de son RC, le médecin doit donc s’efforcer d’être exhaustif dans son examen clinique et son interrogatoire.

La cotation comprend ensuite une position diagnostic (symptôme, syndrome…) et le caractère temporel de celui-ci.

A ce moment, le praticien a défini avec certitude son cadre nosologique alors que le diagnostic demeure incertain : un patient présentant un symptôme isolé ne permettant pas de définir un syndrome ou une maladie. Il lui appartient alors de définir sa conduite thérapeutique en fonction des autres déterminants de la consultation.

Malgré l’extrême simplicité de cet exemple et au vu des nombreux diagnostics différentiels présent dans la case 1er risque, on peut conclure que le praticien aboutissant avec certitude au résultat « toux » a manifestement effectué un travail consciencieux et conforme aux données acquise de la science, du moins sur le plan diagnostic.

Le risque évitable : et si la toux du patient pouvait être le signe d’une maladie potentiellement mortelle sans intervention médicale ? Il s’agit du 2ème risque ou diagnostic critique.

Pour terminer, on copie le RC dans le dossier médical : il suffit de cliquer sur « enregistrer le RC » et le logiciel résume l’ensemble des données renseignées

Résultat intégré au dossier médical :

  • TOUX (A, P)
  • CODE CIM 10 : R05 CODE CISP : R05
  • Toux
  • Sans symptôme ou signe évoquant un autre RC
  • Quinteuse

Le fruit de la réflexion du praticien est intégré directement dans le dossier médical. Dans cet exemple, celui-ci n’a plus qu’à renseigner sa conduite à tenir.

Si cette démarche décisionnelle ressemble à l’approche classique des « diagnostics différentiels », son adaptation en MG révèle son potentiel dans la gestion de l’incertitude diagnostique, prédominante dans notre pratique : il permet d’acquérir à un moment donné une certitude clinique comportant un doute étiologique conscient. Si les médecins les plus expérimentés peuvent considérer cette démarche comme astreignante, elle constitue théoriquement un outil pédagogique puissant pour les internes de médecine générale (IMG) qui n’ont pas vécu un panel de situations cliniques suffisantes pour constituer leur propre thésaurus de MG.

L’objectif de notre étude fut de recueillir l’opinion de jeunes médecins qui ont utilisé cet outil et de déterminer si le potentiel pédagogique du DRC est réel et exploité par ceux-ci notamment dans la gestion de l’incertitude diagnostique.

Matériel et méthode
Il s’agissait d’une étude quantitative observationnelle et descriptive par auto-questionnaire informatisé, sous la forme d’un sondage d’opinions par échelles psychométriques de Likert.

Population étudiée
La population cible initiale envisagée était composée uniquement d’IMG, mais afin d’obtenir un nombre de sujets nécessaire, celle-ci fut élargie aux médecins en post-internat ou récemment installés ayant une pratique libérale. Notre population cible « médecins en formation » respectait les critères suivants : tout interne en médecine générale sans limite d’âge inscrit dans une UFR française, ayant utilisé le DRC lors de son troisième cycle, tout médecin généraliste exerçant actuellement une activité libérale, ayant eu une expérience avec le DRC, avec obtention du doctorat depuis moins de dix ans.

Déroulement de l’enquête
Le questionnaire fut diffusé de façon nationale sous forme électronique par le biais des syndicats d’internes de médecine générale et par les MSU affiliés à la SFMG, du 1er septembre 2020 au 1er février 2021.

Résultats
L’échantillon se composait de 81 médecins dont 55 % de femmes et 45 % d’hommes. La moyenne d’âge était de 32 ans, 19 UFR sur 39 étaient représentées.
Les médecins installés étaient majoritaires dans notre échantillon (46 %) devant les médecins remplaçants (32 %) et les internes de médecine générale en cours de DES (22 %).
Notre étude met en évidence la part prépondérante du maître de stage universitaire dans l’apprentissage du logiciel et son maintien dans le temps : deux-tiers des répondants avaient découvert le DRC par le biais du MSU, qui exerçait une certaine contrainte à l’utiliser. 61 % ont été initialement enthousiastes mais 37% ont jugé son apprentissage difficile. Après apprentissage, sa facilité d’utilisation était notée à 8 sur 10 en médiane.

Quelles utilités au DRC ?
67 % de l’échantillon ont jugé le DRC utile, en apportant non pas une certitude mais un gain de confiance dans le raisonnement du praticien.

L’impact sur l’attitude thérapeutique fut variable : 45 % répondants intégraient le DRC dans leur processus décisionnel, 32 % l’utilisaient sans conséquences sur celui-ci et 23 % jugeaient cet impact comme neutre : le DRC peut être utilisé pour étayer un raisonnement, l’infirmer ou simplement à but de classification (dossier médical faisant état d’un raisonnement scientifique).

Sur le plan pédagogique, le DRC fut jugé utile par 57 % de l’échantillon avec une médiane à 4 sur 5.  Il permet aux jeunes médecins d’adopter dès le début de leur activités un raisonnement scientifique basés sur des preuves (evidence-based medecine) et non sur un ressenti ou sur l’expérience qu’ils ne possèdent pas encore.

Le DRC est-il un outil de formation ou un outil de pratique quotidienne ? Notre étude montre que le taux d’abandon était important : 26 % des participants n’utilisaient plus le DRC au moment de l’enquête. 29 % le faisaient systématiquement et 45 % seulement lorsqu’ils en ressentiraient le besoin. Le manque de temps en consultation, l’absence d’intégration au logiciel métier et la perte d’habitude furent les principaux motifs d’abandon.

Ressenti global
Il s’agissait d’un nuage d’adjectifs et de noms communs sélectionnés préalablement et présentés dans un ordre aléatoire. Les participants pouvaient choisir un nombre infini de modalités, sans ordre d’importance. Les mots à connotation positive étaient les plus fréquemment retrouvés : « atouts », « pédagogique » et « rassurant » présentaient respectivement 62, 55 et 44 occurrences.

Le mot « médecine basée sur les preuves » était relevé 40 fois alors que la proposition « médecine trop scientifique » qui présente une connotation négative était relevée 6 fois. Dans la sphère émotionnelle, 18 participants ont associé le DRC au plaisir. Enfin, 21 participants soit 26 % de l’échantillon l’ont jugé indispensable et 20 autres (25 %) le considèrent comme une contrainte.

Discussion
Cette étude se révèle être ambitieuse dans ses thématiques mais se limite à une population de 81 individus, mettant en évidence la faible diffusion et adoption du DRC.

Dans notre étude, les MSU furent les principaux promoteurs et enseignants du DRC, influant sur nos résultats car la pérennité de son utilisation était plus forte dans le sous-groupe « découverte du DRC par le MSU ». Par ailleurs, cette étude descriptive résulte d’auto-évaluations : elle ne prétend pas affirmer la supériorité ou infériorité d’une pratique médicale.

Sur les résultats
Notre étude présentait deux forces : elle fut la seule à évaluer l’impact en pratique du DRC de manière quantitative et présentait l’échantillon d’utilisateurs le plus important parmi les travaux publiés sur le DRC. Nous montrons qu’en pratique quotidienne non contrôlée par un investigateur, chaque médecin en avait une utilisation variable : il en découle l’impossibilité de mesurer une satisfaction globale mais plutôt une adéquation d’une fonction face à un besoin. En mettant en évidence l’hétérogénéité de son usage en fréquence et en fonction dans notre population, nous montrons que cet outil ne nécessite pas d’être utilisé systématiquement pour être utile cliniquement : certains médecins l’ont intégré à leur pratique et l’utilisent pendant la consultation tandis que d’autres continuer à fonctionner selon leurs « schémas habituels » et s’en servent ponctuellement. Son impact dans la pratique varie donc en fonction de chaque situation clinique et de chaque patient mais son utilité est certaine en situation d’incertitude diagnostique. Nos résultats permettent de dégager la notion de confiance et révèlent qu’à défaut d’être certains de leur diagnostic, les praticiens étaient plus sûrs de leur raisonnement. Le DRC a toute sa place dans la gestion du risque en médecine générale et pourrait permettre aux internes de MG de trouver une réponse à une de leurs difficultés.

Réticences et place de l’expérience
Notre étude apporte comme éléments nouveaux la preuve de son apport pédagogique auprès des internes en médecine générale et la place centrale du MSU dans cette démarche globale d’amélioration des pratiques. Le DRC s’oppose cependant aux contraintes de la réalité : manque de temps, intégration au logiciel métier, perte de l’habitude de s’en servir acquise grâce au MSU.

Il nous parait donc essentiel de promouvoir l’enseignement du DRC auprès des nouvelles générations pour permettre à celles-ci de s’affirmer en tant que spécialistes de médecine générale. Cela nécessiterait un lien fort entre la SFMG et les UFR de médecine par le biais des MSU et praticiens enseignants : cette mécanique est présente au sein des DMG d’Amiens et de Poitiers de façon idéale : un MSU formé au DRC et adhérent à la SFMG y propose un cours facultatif aux internes intitulé « la gestion de l’incertitude médicale ».

La relative sur-représentation (25 %) de ces deux facultés dans notre échantillon démontre l’efficacité de ce système. Il a pour avantage de promouvoir l’enseignement du DRC auprès des internes mais n’en permet pas une diffusion large : tous les MSU ne sont pas adhérents à la SFMG, tous les enseignants des DMG ne sont pas MSU…

Le DRC se veut être le partenaire de réflexion du médecin généraliste. Il rationnalise ses pensées certaines ou incertaines, comble ses oublis, le conforte dans ses décisions : il n’a pas vocation à le remplacer. Outre la documentation du dossier médical, notre étude démontre l’apport clinique du DRC comme base de réflexion en situation d’incertitude et méthode possible d’enseignement.

En intégrant la médecine basée sur les preuves en MG, il permet de répondre au voeu de spécialisation de notre pratique.

Conclusion
Les contraintes de la codification médicale ne sont acceptées que si elles présentent un intérêt clinique : la codification est le socle de la démarche décisionnelle et non sa finalité.

Le résultat de consultation et ses critères de validation

Le résultat de consultation éliminer les risques (DiC) les caractéristéques du patient et du médecin les éléments conjoncturels

négociation
Conseils-traitements-biologie-avis-imagerie-arrêt de travail-paramédicaux - hospitalisation...

L’utilisation du DRC comme support d’enseignement en stage praticien pourrait constituer un sujet de recherche et nous émettons l’hypothèse qu’il constitue un moyen de transmettre l’expérience médicale des médecins généralistes : en adoptant son langage scientifique comme base commune de réflexion et de communication, il ferait le lien entre le savoir accumulé par l’épidémiologie en médecine générale et l’expérience non transmissible acquise par la pratique.

Auparavant, l’évaluation de la formation des médecins généralistes opposait deux questions : « qui enseigne la médecine générale ? » et « qui enseigne à devenir un médecin généraliste ? ».

Nous en introduisons une nouvelle : « qui va nous permettre de devenir des spécialistes en médecine générale ?

Si nous avons pu mettre en évidence l’utilité du DRC en pratique quotidienne, cet outil demeure peu répandu et présente des contraintes. Les médecins expérimentés peuvent être réticents à adopter cette démarche scientifique et même présenter une certaine défiance vis-à-vis d’une société scientifique qui ambitionne de promouvoir une médecine de « haut niveau », insinuant qu’elle serait différente de la leur. Comment expliquer que certaines personnes jugent le DRC indispensable alors que très peu de médecins l’utilisent en France ? Notre travail a permis de montrer qu’il s’agissait en pratique d’une médecine à haut niveau de preuve. Cette méthodologie nécessite un apprentissage, du temps d’observation clinique et une discipline de la part du praticien, et si nous avons vu les bénéfices qu’elle lui apporte, elle a pour vocation une meilleure prise en charge du patient.

Dr Gachowitch VALÉRIAN

Liens utiles
Présentation du DRC par la SFMG :
http://www.sfmg.org/theorie_pratique/outils_de_la_demarche_
medicale/le_dictionnaire_des_resultats_de_consultation_-_drc/

Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°32

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