Introduction
Chaque année dans le monde, environ 300 millions de patients bénéficient d’une chirurgie qui est dans 85 % des cas non-cardiaque. Une majorité de patients de plus de 45 ans bénéficiant d’une chirurgie non-cardiaque ont au moins 2 facteurs de risque cardiovasculaire et près de 1 % des chirurgies se compliquent d’un décès au cours de la période périopératoire dont la moitié environ est d’origine cardiovasculaire. Les comorbidités du patient, sa capacité fonctionnelle, le degré d’urgence, le type de chirurgie et sa durée déterminent le risque de complications péri-opératoires. Ces nouvelles recommandations rédigées conjointement par la Société Européenne de Cardiologie (ESC) et la Société Européenne d’Anesthésiologie et de Réanimation (ESAIC) viennent actualiser celles de 2014 et répondent à une situation fréquemment rencontrée en pratique clinique.
Évaluation préopératoire
Évaluation clinique
L’évaluation du risque de morbi-mortalité préopératoire en chirurgie non-cardiaque inclut l’évaluation des risques liés au patient et des risques liés à la chirurgie. Les risques liés à la chirurgie sont déterminés par le type et la durée de la chirurgie, son degré d’urgence (urgence immédiate, urgence, semi-urgence et programmée) et le type d’anesthésie. Toute chirurgie s’accompagne d’une augmentation des taux de cortisol et de catécholamines en réponse au stress induit par les lésions tissulaires et l’inflammation, ainsi que d’un déséquilibre des balances sympatho-vagale et neuroendocrine. Les modifications de la température corporelle, la perte sanguine et l’hypovolémie peuvent diminuer les résistances vasculaires et induire une hypotension menant à un déséquilibre entre les besoins et les apports en oxygène au myocarde. Les saignements, la transfusion, les lésions tissulaires et l’inflammation qui peuvent survenir au cours d’une chirurgie peuvent activer les processus de coagulation et ainsi entraîner un état prothrombotique. C’est pour cette raison que les procédures vidéo-assistées (thoracoscopies en chirurgie thoracique, procédures endovasculaires en chirurgie vasculaire), qui permettent de réduire le degré de lésion tissulaire, doivent être privilégiées chez les patients à haut risque cardiovasculaire (grade IIa). Selon le type de chirurgie, on individualise celles à risque faible, intermédiaire et élevé (Tableau 1).
Tableau 1. Niveau de risque cardiovasculaire (risque de décès cardiovasculaire, d’infarctus ou d’AVC à 30 jours) selon le type de chirurgie
Les risques liés au patient sont déterminés par l’âge, la présence ou non de facteurs de risque cardiovasculaire ou de maladies cardiovasculaires établies, et les autres comorbidités. L’évaluation de la capacité fonctionnelle est également primordiale. Elle doit se faire en évaluant la capacité à monter deux étages d’escaliers ou, plus précis, par le Duke Activity Statues Index (DASI). L’attitude doit ensuite s’adapter à la situation (Figure 1) :
• En cas de chirurgie à risque faible, aucun examen complémentaire préopératoire n’est recommandé quel que soit le risque lié au patient ;
• Chez les patients de moins de 65 ans sans signe, symptôme ou antécédent de maladie cardiovasculaire : un ECG et la mesure des biomarqueurs cardiaques doivent être discutés uniquement après 45 ans et en cas de chirurgie à risque élevé (grade IIa) ;
• Chez les patients de 65 ans et plus ou ceux avec maladie cardiovasculaire établie, l’évaluation préopératoire dépend du niveau de risque de la chirurgie ;
• En cas de découverte d’un souffle cardiaque au cours de l’évaluation préopératoire, il est recommandé de réaliser une ETT avant la chirurgie si d’autres symptômes ou signes de maladie cardiovasculaire sont présents (grade I) ;
• En cas de découverte d’un angor avant une chirurgie programmée, il est recommandé d’avoir recours à l’algorithme diagnostique de la maladie coronaire chronique (grade I). Si la chirurgie est urgente, une évaluation multidisciplinaire est recommandée (grade I) ;
• En cas de découverte d’une dyspnée ou d’un œdème périphérique, un ECG et un dosage du NT-proBNP/ BNP sont recommandés (grade I). En cas d’élévation du NT-proBNP/BNP, une ETT est recommandée (grade I). Dans tous les cas, il est recommandé de délivrer une information individualisée au patient concernant les modifications de ses traitements en péri-opératoire, sous forme verbale et écrite (grade I) en utilisant des outils de type check-list en particulier chez les patients à haut risque de complications cardiovasculaires (grade IIa).
Figure 1. Algorithme pour l’évaluation préopératoire en chirurgie non-cardiaque
Outils de l’évaluation préopératoire
>> Les scores de risque Plusieurs indices de risque ont été développés pour intégrer les facteurs de risque liés au patient et ceux liés à la chirurgie. Ces nouvelles recommandations ne se positionnent pas pour l’utilisation spécifique d’un score de risque. En revanche, l’évaluation de la fragilité par des outils de screening validés doit être envisagée chez les patients de plus de 70 ans (grade IIa).
>> L’ECG et les biomarqueurs cardiaques Chez les patients ≥ 65 ans ou en présence d’une maladie cardiovasculaire, d’au moins un facteur de risque cardiovasculaire ou de symptômes ou signes de maladie cardiovasculaire, il est recommandé de réaliser un ECG 12 dérivations avant une chirurgie de risque intermédiaire ou élevé (grade I). Chez les patients ≥ 65 ans ou en présence d’une maladie cardiovasculaire, d’au moins un facteur de risque cardiovasculaire ou de symptômes ou signes de maladie cardiovasculaire, il est recommandé de doser la troponine (grade I) et le du NT-proBNP/BNP (grade IIa) avant une chirurgie de risque intermédiaire ou élevé. Ce dosage a pour objectif de servir de base comparative à un nouveau dosage effectué 24 à 48 heures après la chirurgie pour dépister précocement une souffrance myocardique péri-opératoire.
Il est recommandé de mesurer l’hémoglobine en préopératoire d’une chirurgie à risque intermédiaire ou élevé (grade I). En cas d’anémie, il est recommandé de la traiter avant la chirurgie (grade I). >> Examens cardiaques non invasifs Une ETT est recommandée chez les patients avec une capacité fonctionnelle abaissée et/ou une élévation du NT-proBNP/BNP, ou si un souffle cardiaque de novo a été détecté avant une chirurgie à haut risque (grade I), ou en cas de maladie cardiovasculaire suspectée ou de signes ou symptômes avant une chirurgie à haut risque (grade IIa). Avant une chirurgie à risque intermédiaire, une ETT peut être envisagée uniquement en cas de capacité fonctionnelle abaissée, d’ECG anormal, d’élévation du NT-proBNP/BNP ou en présence d’au moins un facteur de risque clinique (grade IIb). En dehors de ces situations, une ETT à titre systématique n’est pas recommandée avant une chirurgie non-cardiaque (grade III).
Une imagerie de stress (échographie de stress, scintigraphie myocardique, IRM de stress) est recommandée avant une chirurgie à haut risque en cas de capacité fonctionnelle abaissée et de forte probabilité de maladie coronaire (grade I). Une imagerie de stress doit être envisagée avant une chirurgie à haut risque chez des patients asymptomatiques avec capacité fonctionnelle abaissée ou antécédent d’angioplastie coronaire ou de pontage aorto-coronaire (grade IIa). Une imagerie de stress peut être discutée avant une chirurgie à risque intermédiaire en cas de suspicion d’ischémie myocardique chez des patients avec des facteurs de risque ou une capacité fonctionnelle abaissée (grade IIb). Dans toutes les autres situations, le recours à une imagerie de stress n’est pas recommandé (grade III). L’épreuve d’effort simple sur tapis ou cycloergomètre n’est pas recommandée dans l’évaluation préopératoire. Le coroscanner peut être envisagé pour éliminer une maladie coronaire en cas de probabilité clinique faible ou intermédiaire chez les patients ne pouvant pas bénéficier d’une imagerie fonctionnelle avant une chirurgie non urgente à risque intermédiaire ou élevé (grade IIa). >> Examens cardiaques invasifs Une coronarographie préopératoire peut être discutée chez les patients avec une maladie coronaire chronique stable bénéficiant d’une endartériectomie carotidienne programmée (grade IIb). Une coronarographie préopératoire n’est pas recommandée en cas de maladie coronaire chronique stable chez un patient bénéficiant d’une chirurgie à risque faible ou intermédiaire (grade III).
Stratégies de réduction du risque péri-opératoire
Gestion des facteurs de risque cardiovasculaire
Un arrêt du tabagisme au moins 4 semaines avant une chirurgie non-cardiaque est recommandé dans le but de réduire le risque de mortalité et de complications péri-opératoires (grade I). Le contrôle des autres facteurs de risque (HTA, dyslipidémie, diabète) est également recommandé (grade I).
Gestion du traitement médicamenteux (hors anti-thrombotiques)
>> Introduction de statines ou bétabloquants En cas d’indication d’un traitement hypolipémiant, l’introduction d’une statine doit être envisagée (grade IIa). L’introduction d’un traitement bétabloquant avant une chirurgie à haut risque peut être discutée pour réduire le risque de souffrance myocardique péri-opératoire chez les patients ayant au moins 2 des facteurs suivants : maladie coronaire, maladie neuro-vasculaire, insuffisance rénale, diabète (grade IIb). En dehors de ces situations, l’introduction d’un bétabloquant n’est pas recommandée (grade III).
>> Les traitements à poursuivre Il est recommandé de poursuivre les bétabloquants et les statines lors d’une chirurgie non-cardiaque (grade I). Chez les patients avec une insuffisance cardiaque stable, la poursuite des médicaments agissant sur le système rénine-angiotensine peut être envisagée (grade IIb).
>> Les traitements à arrêter Chez les patients sans insuffisance cardiaque, l’arrêt des médicaments agissant sur le système rénine-angiotensine et des diurétiques doit être envisagé le jour de la chirurgie pour diminuer le risque d’hypotension péri-opératoire (grade IIa). Il doit être envisagé d’arrêter les inhibiteurs de SGLT2 au moins 3 jours avant une chirurgie à risque intermédiaire ou élevé (grade IIa).
Gestion des traitements anti-thrombotiques
La gestion du traitement antithrombotique doit se faire à la lumière de l’évaluation du risque thrombotique qui dépend du contexte (syndrome coronaire aigu vs maladie coronaire chronique, Figure 2) et du risque hémorragique qui dépend du type de chirurgie (Tableau 2).
Tableau 2. Niveau de risque hémorragique selon le type de chirurgie
Figure 2. Durée minimale de DAPT après angioplastie coronaire
>> Gestion des anti-agrégants plaquettaires Il est recommandé de décaler une chirurgie non-urgente au moins 1 mois et au mieux 6 mois après une angioplastie coronaire programmée, et au moins 3 mois et au mieux 12 mois après un syndrome coronaire aigu (grade I). Chez les patients ayant un antécédent d’angioplastie coronaire, il est recommandé de poursuivre le traitement par aspirine si le risque hémorragique le permet (grade I). Si un arrêt d’inhibiteur de P2Y12 est nécessaire, il est recommandé un délai d’arrêt avant la chirurgie selon la molécule (grade I) : • 3 à 5 jours pour le ticagrelor ; • 5 jours pour le clopidogrel ; • 7 jours pour le prasugrel . Si un arrêt de l’aspirine est nécessaire avant une chirurgie à haut risque hémorragique (chirurgie intracrânienne, médullaire, intra-vitréenne ou rétinienne), il est recommandé d’arrêter l’aspirine au moins 7 jours avant la chirurgie (grade I). Chez les patients sans antécédent d’angioplastie coronaire, il peut être discuté d’arrêter l’aspirine 3 jours avant la chirurgie si le risque hémorragique surpasse le risque thrombotique (grade IIb). Si le traitement anti-agrégant plaquettaire a été arrêté avant la chirurgie, il est recommandé de le reprendre dès que possible dans les 48 heures suivant la chirurgie et en accord avec l’évaluation multidisciplinaire du risque hémorragique (grade I).
>> Gestion des anticoagulants Si une chirurgie urgente est nécessaire, il est recommandé d’arrêter sans délai les anticoagulants oraux directs (AOD) (grade I). En cas de chirurgie à risque hémorragique non négligeable, il est recommandé d’arrêter les AOD en adaptant le délai d’arrêt à la molécule, la fonction rénale et au risque hémorragique (grade I). En cas de chirurgie à très haut risque hémorragique, l’arrêt des AOD au moins 5 demi-vies avant la chirurgie et leur reprise au moins 24 heures après l’intervention doivent être envisagés (grade IIa). En cas de chirurgie à risque hémorragique mineure, il est recommandé de poursuivre les anticoagulants (grade I). De manière générale, le relais des anticoagulants oraux par une héparine n’est pas systématiquement recommandé (grade III). Il ne doit être envisagé qu’en présence d’une valve mécanique en position mitrale ou tricuspide, ou en position aortique si un facteur de risque thrombotique est présent ou que la prothèse est d’ancienne génération (grade IIa). Pour le relais, les HBPM sont recommandées en alternative aux HNF (grade I). Si le risque hémorragique post-opératoire est supérieur au risque thrombotique, il peut être discuté un arrêt de l’anticoagulant dans les 48 à 72 heures après l’intervention (grade IIb). L’utilisation d’une dose réduite d’AOD si celle-ci n’est pas indiquée dans le but de réduire le risque hémorragique n’est pas recommandée (grade III).
Complications cardiovasculaires péri-opératoires
Plusieurs complications cardiovasculaires peuvent survenir en péri-opératoire de chirurgie non-cardiaque : infarctus du myocarde et lésion myocardique, insuffisance cardiaque aiguë, maladie veineuse thromboembolique, fibrillation atriale et autres troubles du rythme, AVC, syndrome de Tako-Tsubo. En particulier, la souffrance myocardique péri-opératoire peut avoir plusieurs origines et un algorithme spécifique de prise en charge est proposé (Figure 3).
Figure 3. Gestion de la souffrance myocardique péri-opératoire
Concernant la fibrillation atriale post-opératoire, une anticoagulation orale au long cours doit être introduite chez tous les patients avec un risque significatif d’AVC (grade IIb). L’utilisation en routine des bétabloquants pour prévenir le risque de fibrillation atriale post-opératoire n’est pas recommandée (grade III).
Auteur
Dr Antonin TRIMAILLE
Membre du CCF, Strasbourg
Relecteur
Dr Théo PEZEL
Chef de Clinique Assistant
CHU Lariboisière, Paris
Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°16