Eugms athènes 2021

Publié le 18 May 2022 à 17:39


MANGEONS, BOUGEONS, DORMONS… ET COLLABORONS !

Comme bon nombre d’événements, le 17ème Congrès de l’EuGMS (European Geriatric Medicine Society), prévu en 2020, a dû être reporté du fait de la pandémie. Il s’est donc tenu du 11 au 13 octobre dernier, à Athènes.
Parce que ni la pluie torrentielle, ni l’Ouzo ne nous font peur, nous voilà partis vers la capitale grecque !
Vous trouverez ci-dessous les principaux messages que nous avons retenus de cette édition.

Le régime méditerranéen
La marionnette de Jacques Chirac disait « Mangez des pommes »… Les gériatres, eux, nous enjoignent de consommer de l’huile d’olive !
Ainsi, dès la conférence d’ouverture, Antonia Trichopolou (Athènes) nous rappelle que le régime Méditerranéen est connu comme modèle d’alimentation saine favorisant un vieillissement en bonne santé. Il devient désormais aussi un modèle d’alimentation durable pour la planète (1).

Activité physique
Mikel Izquierdo (Pampelune) a résumé les recommandations du consensus d’expert de l’International Conference on Frailty and Sarcopenia Research (2) sur l’exercice physique chez la personne âgée. Elles détaillent les programmes d’exercice physique conseillés et les bénéfices attendus, par pathologies et par syndrome gériatrique.

Dans une méta-analyse de 12 essais randomisés contrôlés chez des patients âgés hospitalisés pour un évènement aigu, il a été démontré que l’exercice physique améliore l’indépendance fonctionnelle et la performance physique à la sortie, et 1-3 mois après (3). Les auteurs recommandent donc des sessions de 15-30 min, 5 à 7 jours/semaine.

Hanna Ohman (Helsinki) nous a parlé de l’exercice physique chez les personnes porteuses d’un déclin cognitif. On observe principalement un effet sur les signes non cognitifs : ralentissement du déclin

fonctionnel, amélioration de la mobilité et réduction du risque de chutes. Des effets bénéfiques sont également décrits sur les symptômes psychocomportementaux tels que l’apathie, l’agitation, les comportements moteurs aberrants, l’irritabilité, la dépression et les troubles du sommeil (4).

L’exercice physique est toujours bénéfique, y compris dans les troubles cognitifs majeurs au stade sévère.

Microbiote et vieillissement
Claire Roubaud (Bordeaux) a décrit les liens entre microbiote intestinal et profils de vieillissement : la diversité microbienne diminue avec l’âge, mais cette diminution est aussi associée au fait d’être fragile, de vivre en EHPAD, d’avoir une alimentation moins diversifiée et plus d’inflammation systémique (5).

Des expériences de transplantation de microbiote de souris jeunes chez des souris âgées permettent de réduire le déclin cognitif et des marqueurs de pathologie cérébrale (6), de même lorsque l’on transfère un microbiote de souris sauvage chez une souris génétiquement modifiée pour développer une maladie d’Alzheimer (7) (note qui n’engage que nous : ainsi, n’hésitez pas à déféquer dans la bouche d’un supérieur insupportable. Cela restaurera peut-être un fonctionnement cérébral normal).

En pratique gériatrique quotidienne, même sans transplantation fécale, on peut éviter de créer/ aggraver la dysbiose intestinale des patients âgés : en évitant la sur-prescription d’antibiotiques et d’inhibiteurs de pompe à protons !

Lancement des recommandations européennes de médecine d’urgence gériatrique
Le 12 octobre, le Special Group of Interest de médecine gériatrique d’urgence a annoncé la parution de recommandations européennes. Il s’agit de consensus d’experts traitant de plusieurs thématiques (évaluation du risque, confusion, polymédication, implication de la famille, etc.) sous la forme de posters avec QR codes permettant l’accès aux ressources.

La méthodologie est à paraître dans un prochain numéro d’European Geriatric Medicine. L’étape de traduction en français et l’adaptation au contexte local sont en cours. Et vous devriez en savoir plus dans le prochain numéro de la Gazette qui portera justement sur les urgences !

Challenges des années à venir
L’EuGMS a vu le jour il y a 20 ans, à Paris, sous l’impulsion notamment du Pr Robert Moulias, disparu en début d’année. Pour l’anniversaire de la société savante, les anciens présidents et membres fondateurs se sont réunis au cours d’une session un peu atypique. Autour de la table, neuf hommes et une femme, Stefania Maggi, seule ancienne Présidente.

Après avoir évoqué les débuts de l’EuGMS, chacun a exposé ce qu’il pensait être le challenge à relever dans les prochaines années. On retiendra notamment la nécessité que la Gériatrie soit reconnue partout en Europe, ce qui n’est pas encore le cas, celle de poursuivre le développement scientifique et académique de la discipline, de promouvoir la prévention et le vieillissement en santé, de diffuser la connaissance de la Gériatrie (« it’s time to become evangelistic ») et enfin de permettre une représentation plus juste de la démographie médicale avec l’implication plus importante des femmes et des jeunes. Jeunes gériatres, l’Europe vous tend les bras !

Deux modèles de collaborations gériatriques
Pierre Soubeyran (Bordeaux) a représenté l’oncogériatrie. Chez les patients âgés traités pour cancer, la valeur pronostique de l’évaluation gériatrique a été prouvée au cours de la dernière décennie : elle peut identifier les patients à risque de décès précoce, déclin fonctionnel, toxicités. Cela a suggéré la valeur ajoutée de l’approche gériatrique pour ces patients. En 2020-2021, les premières études interventionnelles mettent en valeur les bénéfices que l’accompagnement gériatrique apporte aux patients : Daneng et al. prouvent avec l’essai randomisé contrôlé GAIN qu’une intervention multidisciplinaire basée sur l’évaluation gériatrique réduit les toxicités de grade ≥ 3 sous chimiothérapie (50 vs 60 % des patients (8)). Dans l’essai randomisé contrôlé GAP70, Mohile et al. décrivent une réduction des toxicités des traitements (sans compromettre la survie) dans le groupe où les oncologues prenaient en compte l’évaluation gériatrique pour traiter les patients (50 vs 71 % des patients) (9). Dans une cohorte rétrospective, Shahrokni et al. décrivent une moindre mortalité à 3 mois post-opératoire chez les patients soignés via une collaboration chirurgien/gériatre, vs soins usuels (4,3 vs 8,9 %) (10).

Il reste nécessaire de définir les meilleurs critères de jugement et d’accumuler des preuves pour faire reconnaître (et financer) l’accompagnement gériatrique chez ces patients.

José Antonio Serra-Rexach (Madrid), pour l’orthogériatrie, s’est focalisé sur la fracture de hanche. Selon Kammerlander (11), on distingue différents modèles de soins :

  • Les soins traditionnels : Admission en orthopédie sans recours au gériatre, ou avec recours au gériatre à la demande.
  • Le modèle consultatif : Admission en orthopédie avec avis gériatrique initial, hebdomadaire, voire quotidien du début à la fin du séjour.
  • L’admission en service de rééducation gériatrique en post-opératoire, avec avis orthopédique à la demande.
  • Le modèle de soins intégrés : Coopération entre orthopédistes et gériatres du début à la fin du séjour, dans un même service.

Tous les modèles de coopération ont prouvé leur supériorité par rapport aux soins traditionnels. Il est difficile de dire quel modèle est le meilleur, car ils n’ont pas été comparés entre eux et restent mal standardisés. Toutefois, le modèle de soins intégré semblerait émerger comme le meilleur, en termes de durée de séjour, récupération fonctionnelle et mortalité.

Recommandations de l’European Society of Cardiology de 2021 concernant l’insuffisance cardiaque (12)
Johan de Sutter (Gand) nous a présenté les recommandations de l’ESC publiées à l’été 2021, concernant l’insuffisance cardiaque (IC). Les principales évolutions par rapport à celles de 2016 sont d’ordre thérapeutique.

Dans l’IC à FEVG réduite (HFrEF), on préconise désormais d’emblée une trithérapie associant bétabloquant, IEC (ou ARA2 si intolérance) et antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes (ARM). Dans un second temps, si le patient reste symptomatique, il est recommandé de remplacer l’IEC par l’association sacubitril/valsartan (si les chiffres tensionnels et la fonction rénale le permettent). Enfin, les antagonistes du SGLT-2 (dapagliflozine et empagliflozine) font leur entrée dans l’arsenal thérapeutique (recommandation de grade 1A), avec une réduction de mortalité et d’hospitalisations liées à l’IC. Elles peuvent être utilisées que le patient soit ou non diabétique.

Chez le sujet âgé, on suggère des doses maximales plus faibles. C’est notamment vrai pour les bétabloquants, que l’on pourra diminuer en cas de fatigue importante.

Afin de limiter les réhospitalisations et d’améliorer la qualité de vie, on recommande enfin la réhabilitation physique, à débuter le plus tôt possible.

Quant à l’IC à FEVG préservée (HFpEF)… La seule recommandation de grade I porte sur le traitement des comorbidités cardiovasculaires et non cardiovasculaires, ainsi que sur l’utilisation des diurétiques chez les patients congestifs.

Dans l’intervalle, Anker et al ont publié dans le NEJM la première étude semblant montrer une efficacité dans l’HFpEF (13). Ce travail étudiait l’empagliflozine à la lumière d’un critère composite « décès cardiovasculaire ou hospitalisation pour IC ». Ce traitement était associé à une diminution de 21 % du risque relatif de survenue de l’événement. Néanmoins, les auteurs n’observaient pas d’effet sur les décès CV, sur les décès toutes causes, sur la qualité de vie ou sur les hospitalisations toutes causes. Prudence, donc.

Impact de l’économie sur le vieillissement en santé

Carlos Chiatti, économiste Italien, nous a rappelé que le statut socio-économique était déterminant en matière de santé y compris avec l’avancée en âge. Les milieux défavorisés ont des difficultés majeures d’accès aux soins qui peuvent être aggravées chez nos patients du fait de phénomènes âgistes. Il est intéressant de noter que dans nos populations, la vitesse de marche est plus élevée chez les personnes les plus riches (0,91 m/s contre 0,75 m/s dans le quintile le plus pauvre, à 71 ans) (14).

Après la pandémie, le système économique mondial essaie de se redresser mais les risques sont nombreux et la situation pour nos patients est susceptible de s’aggraver. Il faudra être vigilant et les défendre, le cas échéant.

Troubles cognitifs majeurs et sommeil
Kiyoka Kinugawa-Bourron (Ivry) évoque les troubles du sommeil qui sont à la fois fréquemment rapportés chez les patients porteurs d’un déclin cognitif et associés à une augmentation du risque de troubles cognitifs majeurs (15).

On observe une relation bidirectionnelle entre les troubles du sommeil et le déclin cognitif, qui s’entretiennent réciproquement.

Elle rappelle que le diagnostic du syndrome des jambes sans repos est plus difficile chez les patients porteurs de troubles neurocognitifs et qu’il faut savoir y penser devant une agitation nocturne (16).

Prévention des fractures
Tahir Masud (Nottingham) nous a présenté une méta-analyse publiée cet été dans le JAGS (17). Elle étudiait chez les sujets de plus de 75 ans, les différentes interventions (seules ou combinées) proposées dans la prévention des chutes et des fractures secondaires à une chute. Il en ressort que l’exercice physique est fortement associé à une diminution du nombre de chutes, et que l’évaluation de base du risque de chute (revue de l’ordonnance, évaluation cardiologique, etc.) est associée à une diminution des fractures secondaires à une chute. Parmi les interventions plurifactorielles, les composantes communes associées à une diminution du nombre de chuteurs et du nombre de chutes sont l’exercice physique, les technologies d’assistance, l’évaluation et l’adaptation de l’environnement, les stratégies qualitatives (comme l’éducation thérapeutique) et l’évaluation de base du risque de chute.

Dans une autre méta-analyse, Li et al. montrent que les filières fracturaires (« fracture liaison services » en anglais) sont significativement associées à une probabilité plus faible de mortalité et de survenue de fractures (18).

Enfin, grande nouvelle, des recommandations mondiales pour la prévention et la gestion des chutes chez le sujet âgé sont annoncées… Rendez-vous en 2022 à Londres pour leur présentation ! L’orateur nous y donne rendez-vous dans le plus vieux pub de Londres, fréquenté jadis par Robin des Bois, le Sheriff de Nottingham et Freddy Mercury !

Florent GUERVILLE et Fanny DURIG
Respectivement MCU-PH au CHU de Bordeaux et PH à l’APHP
[email protected]
[email protected]
Pour l’Association des Jeunes Gériatres
Avec l’amical concours de Thomas GILBERT

Références

  • Willett W, Rockström J, Loken B, Springmann M, Lang T, Vermeulen S, et al. Food in the Anthropocene: the EAT-Lancet Commission on healthy diets from sustainable food systems. Lancet Lond Engl. 2 févr 2019;393(10170):447‑92.
  • Izquierdo M, Merchant RA, Morley JE, Anker SD, Aprahamian I, Arai H, et al. International Exercise Recommendations in Older Adults (ICFSR): Expert Consensus Guidelines. J Nutr Health Aging. 2021;25(7):824‑53.
  • Valenzuela PL, Morales JS, Castillo-García A, Mayordomo-Cava J, García-Hermoso A, Izquierdo M, et al. Effects of exercise interventions on the functional status of acutely hospitalised older adults: A systematic review and meta-analysis. Ageing Res Rev. août 2020;61:101076.
  • de Souto Barreto P, Demougeot L, Pillard F, Lapeyre-Mestre M, Rolland Y. Exercise training for managing behavioral and psychological symptoms in people with dementia: A systematic review and meta-analysis. Ageing Res Rev. 1 nov 2015;24:274‑85.
  • Claesson MJ, Jeffery IB, Conde S, Power SE, O’Connor EM, Cusack S, et al. Gut microbiota composition correlates with diet and health in the elderly. Nature. août 2012;488(7410):178‑84.
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  • Li D, Sun C-L, Kim H, Soto-Perez-de-Celis E, Chung V, Koczywas M, et al. Geriatric Assessment-Driven Intervention (GAIN) on Chemotherapy-Related Toxic Effects in Older Adults With Cancer: A Randomized Clinical Trial. JAMA Oncol. 30 sept 2021.
  • Mohile SG, Mohamed M, Xu H, Patil A, Culakova E, Ramsdale EE, et al. A geriatric assessment (GA) intervention for older patients with advanced cancer: Secondary outcomes from a University of Rochester cancer center NCI community oncology research program cluster randomized controlled trial (CRCT). J Clin Oncol. 10 oct 2020;38(29_suppl):33‑33.
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  • Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°28

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