Étude des freins à l’appropriation de la prophylaxie pré-exposition au VIH (PREP) en soins premiers

Publié le 23 May 2022 à 17:03


Enquête auprès de médecins généralistes dans le département de la Seine-Saint-Denis

Introduction/état des lieux
L’infection par le VIH continue à constituer un problème de santé publique majeur à travers le monde. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le VIH a causé plus de 35 millions de morts à ce jour et 1 million de personnes sont décédées d’une complication ou des causes liées au VIH en 2016. Environ 36,7 millions de personnes sont estimées vivre avec le VIH dans le monde. Entre 2000 et 2016, le nombre de nouvelles infections a chuté de 39 % à l’échelle mondiale, alors qu’en 2015, il a augmenté de 7 % dans la zone européenne, avec un nombre de cas cumulatifs de plus de 2 millions.

En France, l’épidémie d’infection à VIH est toujours active, bien que les objectifs « 90-90-90 » de l’ONUSIDA (90 % de personnes vivant avec le VIH (PVVIH) diagnostiquées, 90 % des personnes diagnostiquées sous traitement et 90 % des personnes sous traitement avec une charge virale contrôlée) soient en passe d'être atteints :

  • La cascade de la prise en charge du VIH en France (Annexe 1) a pu être estimée pour l’année 2013. 84 % des personnes vivant avec le VIH étaient diagnostiquées, 90 % des personnes diagnostiquées étaient sous traitement et 90 % des personnes sous traitement avec une charge virale contrôlée (8).
    On estime, pour l’année 2016 que 49 000 (IC à 95 % : 46 300 - 51 600) personnes vivaient avec le VIH avec une charge virale non contrôlée, dont la moitié environ, 24 700 (IC à 95 % : 22600 - 27000), non diagnostiquées et qu’environ 7 100 (IC à 95 % : 6 400 - 7 800) nouvelles infections à VIH se seraient produites.
  • Les délais restent trop longs entre l'infection et le diagnostic, avec une médiane de diagnostic supérieure à 3 ans, ce qui compromet le contrôle de l’épidémie.
    En 2016, on estime que près de 6 000 personnes (IC à 95 % : [5 538-6 312]) ont découvert leur séropositivité (Annexe 2). Après avoir diminué entre 2004 et 2011, le nombre de découvertes annuelles est stable sur la période 2011-2016. Ces découvertes étant le reflet à la fois de l’incidence du VIH et du recours au dépistage, il est difficile d’interpréter les tendances en termes de dynamique de l’épidémie.

Parmi les 6 000 personnes ayant découvert leur séropositivité en 2016, 30 % étaient des femmes (proportion stable depuis 2012). La proportion de jeunes de moins de 25 ans était de 12 % (proportion stable depuis 2003) et celle des seniors de 50 ans et plus, de 19 % (proportion stable depuis 2012). La majorité (52 %) des personnes ayant découvert leur séropositivité en 2016 étaient nées en France, 31 % en Afrique subsaharienne, 8 % sur le continent américain ou en Haïti, 4 % en Europe (en dehors de la France), et 5 % dans une autre région du monde. Cette répartition n’a pas évolué sur les dernières années :

  • L'augmentation de l’incidence des IST bactériennes se poursuit.
  • Les populations les plus affectées par le VIH sont : les Hommes ayant des rapports Sexuels avec d’autres Hommes (HSH), qu’ils soient nés à l’étranger ou en France, les usagers de drogues injectables nés à l’étranger, et les femmes et les hommes nés en Afrique subsaharienne.

L’étude PARCOURS réalisée de février 2012 à mai 2013 dans 24 services franciliens a permis d’interroger 898 personnes nées en Afrique subsaharienne et infectées par le VIH et/ou l’hépatite B.

La date de contamination par le VIH a été estimée à partir du déclin des CD4 selon deux scénarios basés sur la durée passée en France. Cette étude a montré que 35 à 49 % des personnes ont été infectées par le VIH après leur arrivée en France. Plus de 50 % des infections VIH non diagnostiquées se situent dans trois régions : Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes. L’espérance de vie s’est améliorée, mais les inégalités sociales de santé ont un impact plus important chez les PVVIH que sur la population générale.

Épidémiologie du VIH en Île-de-France : Seine-Saint-Denis en particulier en 2017
L’Île-de-France reste la région métropolitaine la plus touchée par l’infection due au VIH. Elle concentre 42 % des personnes ayant découvert leur séropositivité et près d’un tiers des personnes vivant avec le VIH en France habitent la région. Pour l’année 2015, on dénombre 2515 nouveaux diagnostics, et le sida a causé le décès de 139 franciliens (données de l’Observatoire Régional de Santé (ORS) Île-de-France). Ces données moyennes, masquent de très fortes disparités suivant les départements et les communes avec un gradient de 1 à 20 entre le nombre de personnes vivant avec le VIH entre les communes franciliennes. Ces disparités appellent donc des engagements fortement territorialisés dans la prise en charge de cette épidémie. Elle est par ailleurs concentrée sur deux groupes : les HSH et les personnes hétérosexuelles nées à l’étranger issues de pays à forte prévalence.

L’étude PREVAGAY 2015-Paris, est une enquête multicentrique de séroprévalence du VIH et des hépatites B et C, réalisée auprès des HSH fréquentant les lieux de convivialité gay à Nice, Montpellier, Lyon, Lille et Paris de septembre à décembre 2015. Elle a permis de constater une prévalence VIH élevée et de l’estimer à 19,1 %, IC95% [14,9 %, 24,2 %] parmi les HSH franciliens participant à l’enquête.

84,5 % IC95 % [75,7 %, 90,5 %] des HSH résidents d’Île-de-France séropositifs pour le VIH, étaient traités par antirétroviraux. Aucune différence n’était retrouvée selon le département de résidence des HSH séropositifs, en termes de diagnostic de l’infection ou de traitement .

Au niveau départemental, entre 2006 et 2016, le taux de découvertes de séropositivité VIH par million d’habitants est le plus élevé à Paris, suivi par le département de la Seine-Saint-Denis. Les hommes restent majoritaires avec 67 % des découvertes. Les personnes nées en Afrique sub-saharienne représentaient 45 % des découvertes en Île-de-France et 28 % en métropole hors Île-de-France.

Dans le département de la Seine-Saint-Denis le taux de découvertes de séropositivité VIH, se situait au-dessus de 300 découvertes par million d’habitants entre 2006 et 2008, autour de 300 par million d’habitants entre 2009 et 2013 et en-dessous de 300 par million d’habitants entre 2014 et 2016. Dans les autres départements de la région, les taux sont inférieurs à 300.

En 2014, pour une population de plus de 1,5 millions d’habitants soit 2,35 % de la population française et 13 % de la population d’Île-de France, les nouveaux diagnostics représentent 5,9 % des nouveaux cas en France et 13 % des cas d’Île-de-France soit 389 cas (nombre le plus bas depuis 2003). Le taux rapporté à la population est de 250 par million soit 2,5 à 3 fois la moyenne nationale.

Au-delà des découvertes de séropositivité, Paris et la Seine-Saint-Denis se démarquent des autres départements, tant par la proportion élevée des admissions en Affection de Longue Durée pour le VIH (ALD 7) que par celle de l’ensemble des personnes en ALD 7 (Tableau 1).

Tableau 1- Indicateurs départementaux sur le VIH selon le lieu de domicile :
Taux de découvertes de séropositivité, d’Affections de longue durée pour VIH

71 % des découvertes concernent des personnes nées à l’étranger (15 % sont nées en Côte d'Ivoire, 10 % au Cameroun, 4 % au Congo, 4 % en Guinée, 4 % au Mali et moins de 4 % pour chacun des autres pays). Au total, seulement 12 % des cas concernent des hétérosexuels nés en France. Depuis 2006, en Seine-Saint-Denis, on assiste à une augmentation du nombre et de la proportion de cas chez les HSH (26 % en 2014) et une baisse chez les hommes non HSH et les femmes. La population vivant avec le VIH dans le département peut être estimée par le nombre d’ALD, ce sont au total près de 9000 personnes résidant dans le département qui étaient suivies en 2013 .

Dépistage et prévention VIH
La Haute Autorité de Santé (HAS) considère que le dépistage de l’infection à VIH doit s’insérer dans une démarche de prévention reposant sur une information renouvelée et des messages clairs adaptés aux différents publics. La HAS (22) recommande que la priorité soit accordée au dépistage de l’infection par le VIH en direction des populations clés. Il convient ainsi de renforcer la fréquence du dépistage dans ces populations :

  • Tous les 3 mois chez les HSH.
  • Tous les ans chez les UDI (usagers de drogue injectable).

la proportion de cas chez les HSH (26 % en 2014) et une baisse chez les hommes non HSH et les femmes.
La population vivant avec le VIH dans le département peut être estimée par le nombre d’ALD, ce sont au total près de 9000 personnes résidant dans le département qui étaient suivies en 2013 .

  • Tous les ans chez les personnes originaires de zones de forte prévalence, notamment d’Afrique subsaharienne et des Caraïbes.
  • La proposition de dépistage en population générale au moins une fois dans la vie entre 15 et 70 ans doit être maintenue.

Les trois modalités de dépistage (par un professionnel de santé, une association ou à l’initiative de l’individu lui-même) sont jugées complémentaires et doivent toutes être encouragées.
Le dépistage fait alors toujours partie d’une offre préventive diversifiée.
La HAS rappelle que la démarche individuelle et volontaire de recours au dépistage de l’infection à VIH doit également être encouragée et facilitée.

Prévention diversifiée
La prévention est définie dans le cadre de l’infection à VIH comme l’ensemble des mesures pour lesquelles le bon niveau de preuve scientifique justifie de les appliquer pour aboutir à un effet maximum de réduction de la transmission du VIH à l’échelle des populations. La prévention du VIH est qualifiée de prévention diversifiée car elle associe des mesures structurelles à des interventions biomédicales et comportementales, sachant qu’aucune d’entre elles prise isolément, ne peut aboutir à l’effet escompté et donc ne peut constituer la panacée.

La prévention du VIH, des hépatites virales et des Infections Sexuellement Transmissibles (IST) repose sur un socle d’outils, de stratégies et de ressources diversifiées dont les piliers sont les dépistages, l’utilisation des préservatifs et la prévention biomédicale (vaccinations, Traitement Post-Exposition (TPE), Prophylaxie Pré-exposition (PrEP), le Traitement comme prévention ou Treatment as Prevention (TasP). La combinaison de ces interventions ainsi que l’augmentation de leur couverture au sein des populations clés sont essentielles pour infléchir la dynamique des contaminations.

Le préservatif masculin a eu un rôle majeur dans la lutte contre l’épidémie de VIH ; il reste aujourd’hui un outil indispensable dans le contexte de la prévention diversifiée en particulier parce qu’il est le seul à protéger des autres IST. Il est donc nécessaire d’en poursuivre la promotion, d’en faciliter l’offre et d’en permettre l’apprentissage dès l’entrée dans la sexualité.

Son efficacité réelle est estimée à 80 % dans les rapports hétérosexuels et à 64 % dans les rapports homosexuels masculins. Les incidents de préservatifs ne sont pas rares d’après les données disponibles.

Place du médecin généraliste dans le dépistage et la prévention
Le Quotidien Santé (20) a réalisé un sondage en ligne en avril 2014, auprès d'un échantillon de 1 008 Français, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas) sur le rôle du médecin généraliste dans la prévention. Il en ressort qu’en matière de prévention, les français plébiscitent leur médecin généraliste. Selon ce sondage Opinionway, pour 93 % des personnes interrogées, le médecin traitant est l’acteur à qui ils accordent le plus leur confiance.

La médecine générale, en France, renvoie le plus souvent, dans ses représentations actuelles, à une conception d’un exercice solitaire, d’une médecine de soins et d’un paiement à l’acte qui semblent bien éloignés des préoccupations de santé publique. Pourtant, par leur activité quotidienne, les médecins généralistes remplissent, d’ores et déjà des missions de santé publique en particulier dans le champ de la prévention dite médicalisée : vaccination, dépistages opportunistes, incitation au dépistage organisé, conseils et guidance de type éducation à la santé (sexualité, parentalité, addictions, risques au travail...) .

Les caractéristiques (avec certaines spécificités) des médecins généralistes devenus médecins traitants peuvent se décliner en atouts :

  • Ecoute, empathie, capacités de dialogue et de communication avec leurs patients.
  • Proximité géographique : ils sont répartis sur l’ensemble du territoire.
  • Connaissance du patient dans son environnement (famille, village, quartier…).
  • Capacité à aborder de nombreux sujets, avec toutes les générations : l’éducation à la sexualité, le suivi des adolescents dans les premières étapes de leur vie sexuelle est souvent un moyen d’entrer dans le système de santé, via les soins de premiers recours pour les dépistages des IST et la contraception.
  • Suivi sur la durée (suivi longitudinal).

L’enjeu pour la médecine générale consiste à concilier les deux approches (individuelle et collective) d’un territoire donné tout en répondant aux besoins de la population suivie. Il s’avère donc nécessaire d’informer les patients sur cette mission de santé publique du médecin généraliste, afin de rendre ce type d’action plus lisible et donc plus efficient. C’est quand il y a cohérence entre les messages nationaux et la pratique des médecins généralistes (« les antibiotiques, ce n’est pas automatique » ou la réforme du médecin traitant) que l’efficience est la plus grande.

Au regard des données recueillies en France (revue de littérature et analyse des données du SNIIRAM (Système National d'Information Inter-Régimes de l'Assurance Maladie)), la proposition de dépistage de l’infection à VIH en population générale en cabinet de médecine générale s’est avérée acceptable par les médecins et les patients, mais n’a pas eu la dynamique attendue. Ces données ont confirmé le rôle central des médecins généralistes dans la prescription des tests de dépistage de l’infection à VIH en France et montré une augmentation des prescriptions de sérologies de dépistage de l’infection à VIH sur la période 2010 à 2013 après une diminution entre 2007 et 2009 (25).

Dans le cadre des prescriptions de soins en ambulatoire (praticiens exerçant à titre libéral), l’analyse des données de l’Assurance Maladie indique ainsi que, parmi les tests de dépistage réalisés en 2013, (à l’exclusion de ceux réalisés dans un cadre anonyme et gratuit), les deux tiers (66,7 %) ont été prescrits par un médecin généraliste. L’implication des médecins généralistes et d’autres spécialités de ville doit rester un levier privilégié de la stratégie de dépistage de l’infection à VIH. L’implication des médecins généralistes et d’autres spécialités de ville dans cette démarche de proposition de dépistage de l’infection à VIH pourrait être facilitée :

  • Si un acte fléché était créé en ce sens (le dépistage de l’infection à VIH est un dépistage moteur permettant la proposition ou la réalisation d’autres tests de dépistage ou de tests de dépistage multiples).
  • Ou si le dépistage de l’infection à VIH était intégré à la Rémunération sur Objectifs de Santé Publique (ROSP).

La consultation de 3ème niveau débutée en novembre 2017 par la dernière convention médicale concernant les actes complexes comme la première consultation de contraception et de prévention des infections sexuellement transmissibles chez le généraliste et le gynécologue est une démarche intéressante en ce sens.

Prophylaxie pre-exposition au VIH (PREP)
La PrEP est une nouvelle méthode de prévention du VIH qui propose la prise d’un médicament actif contre l’infection par le VIH à une personne non infectée par le virus avant une exposition. Le schéma de prise est détaillé plus bas.

Plusieurs essais cliniques ont montré son efficacité comprise entre 44 % et 86 % (Tableau 2) dans la réduction de l’incidence du VIH dans des populations clés à forte incidence comme les HSH et les hétérosexuels nés à l’étranger (34). Sur la base de ces données émanant d’essais randomisés, la PrEP a vocation à devenir un pilier de l’arsenal préventif chez ces populations en complémentarité des autres outils et stratégies existantes.

Ainsi, après le succès de l’essai ANRS IPERGAY mené en France (33), les autorités sanitaires ont rapidement décidé de rendre la PrEP disponible au travers d’une Recommandation Temporaire d’Utilisation (RTU) de la combinaison ténofovir disporoxil fumarate (TDF)/emtricitabine (FTC) ou TRUVADA® pour cette indication de janvier 2016 à février 2017.

Tableau 2 : Principaux Essais de la PrEP (d’après recommandations du groupe d’experts - chapitre Prévention et dépistage)

 
HSH : hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ; FTC : emtricitabine ; TDF : tenofovir disoproxyl fumarat

A partir de mars 2017, l’AMM de cette association en prévention du VIH au travers d’une prise quotidienne pour les HSH en a fait le cadre de référence de prescription de la PrEP en France avec un remboursement intégral du médicament. Les premières données de suivi post-essai pendant 18 mois de la cohorte IPERGAY confirment l’excellente efficacité de la PrEP à la demande chez les HSH, estimée à 97 % (24).

Les résultats des études médico-économiques existantes montrent le caractère coût-efficacité de la PrEP auprès de la population HSH et UDI à risque élevé d’infection par le VIH (18). La mise sur le marché du générique du TRUVADA®, le ténofovir disporoxil fumarate/emtricitabine depuis juillet 2017, permet une baisse importante du coût de prise en charge et améliore le rapport coût-efficacité de la PrEP en France.

L’utilisation de la PrEP a montré une baisse de l’incidence du VIH à San Francisco depuis son autorisation de mise sur le marché par la FDA en 2012 et plus récemment à Londres. La PrEP s’adresse aussi bien à des hommes et des femmes exposés par leurs pratiques à un haut risque de contracter le VIH. Cette prévention a pour but de réduire le risque d’être infecté.

La PrEP est désormais une priorité forte dans la stratégie de prévention diversifiée, notamment pour les HSH.

Elle est réservée à la prévention du seul VIH et, selon les recommandations actuelles, aux individus et aux populations les plus exposées à celui-ci. Le préservatif est le seul moyen de prévention du VIH et des autres IST qui soit disponible pour tous, hommes et femmes, dans les relations entre hommes comme dans les relations hétérosexuelles. Il est donc essentiel que chaque personne puisse s’en procurer, sache le proposer et l’utiliser, et surtout voit son utilisation acceptée par ses partenaires. La promotion du préservatif reste alors d’actualité avec la nécessité d’un contenu renouvelé eu égard à l’étendue de la protection qu’il apporte, à sa complémentarité avec les autres méthodes de prévention de la transmission du VIH, au respect de l’autonomie de chacun dans le choix de sa prévention et à une offre.répondant de façon plus adéquate à des besoins diversifiés. Néanmoins, avec des taux d’utilisation faibles chez des populations à risque, notamment les HSH avec de multiples partenaires (étude IPERGAY et autre), la prévention du VIH ne peut seulement reposer sur lui.

Bien que des principes actifs et modalités d’administration différenciées aient été testés ou sont en cours d’expérimentation, la prise quotidienne en continu d’un comprimé de TRUVADA® est la seule stratégie de PrEP recommandée dans le cadre de l’AMM. Cependant, la HAS autorise l’administration à la demande selon le schéma de l’étude IPERGAY, en phase avec les recommandations Européennes . 

En cas de prise continue, la recommandation actuelle est d’attendre sept jours après la première prise pour un rapport à risque pour les HSH et personnes transgenres ayant des relations anales et 21 jours chez les femmes, périodes correspondant aux délais d’atteinte de la concentration maximale dans les muqueuses exposées. En cas d’arrêt de la PrEP, elle doit être poursuivie jusqu'à 2 jours après le dernier rapport sexuel. Puis il est possible que le patient recommence de nouveau à prendre en continue après cet arrêt. Ceci après avoir discuté avec son médecin (généralement ces questions sont abordées au cours des consultations).

La prise discontinue consiste en une 1ère prise de 2 comprimés à prendre en même temps entre 2h et 24h avant le rapport sexuel, la 2ème prise d’un comprimé à prendre environ 24h (+/- 2h) après la 1ère prise, la 3ème prise d’un comprimé à prendre environ 24h (+/- 2h) après la 2ème prise. En cas de rapports répétés, il faut poursuivre avec 1 comprimé par jour jusqu’à 2 jours après le dernier rapport sexuel. Il est recommandé de prendre TRUVADA® à heure fixe et avec des aliments pour faciliter l’absorption et limiter les effets indésirables digestifs. L’efficacité de la PrEP n'est optimale que si les schémas de prise sont respectés. La PrEP en discontinu ne peut pas être recommandée à d’autres populations exposées que les hommes en l’état actuel des connaissances.

Le TRUVADA® peut entraîner des effets indésirables peu graves (nausées, diarrhée, douleurs abdominales, maux de tête, etc.) mais aussi des effets indésirables plus graves comme une insuffisance rénale ou une fragilité osseuse. Ces effets sont dus au ténofovir présent, avec l’emtricitabine, dans le TRUVADA®. Il est donc important de vérifier la fonction rénale avant et pendant le traitement. Il est déconseillé d’utiliser TRUVADA® avec d’autres médicaments pouvant majorer la toxicité rénale, comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens (ibuprofène par exemple). Néanmoins, les données disponibles provenant des essais cliniques sont plutôt rassurantes quant à la toxicité rénale : on n’observe que de 1 à 2 % d’augmentation de la créatinémie, et ces chiffres sont comparables dans les bras témoin, non exposés à la PrEP .

Depuis avril 2017, seul un médecin expérimenté dans la prise en charge de l’infection par le VIH, exerçant à l’hôpital ou dans un Centre Gratuit d’Information, de Dépistage et de Diagnostic (CeGIDD) peut faire la première prescription d’initiation de la PrEP, mais le renouvellement de l’ordonnance peut être réalisé par tout médecin, en ville ou à l’hôpital, dans le cadre du suivi trimestriel. Il faut une première consultation avec évaluation des pratiques sexuelles et prescription d’un bilan biologique complet avec notamment le dépistage des Infections Sexuellement Transmissibles (IST). Ce bilan peut être prescrit par le médecin traitant et réalisé en ville, afin de permettre de diminuer la charge des services initiant la PrEP et ce faisant de réduire les délais d’accès et d’initiation de la PrEP. La PrEP est prescrite lors d’une deuxième consultation avec l’interprétation des résultats des examens, évaluation des pratiques sexuelles si cela n’a pas été déjà réalisé et conseils de prévention diversifiée.

Une consultation de suivi a lieu un mois plus tard et doit permettre de tirer des conclusions sur la tolérance de la PrEP, la compréhension du schéma médicamenteux utilisé. Puis, un suivi est programmé tous les 3 mois.

La PrEP est déjà disponible dans les services de Maladies Infectieuses et les CeGIDD du département de la Seine-Saint-Denis et est étendue aux CeGIDD non hospitaliers.

Après les initiatives associatives, à l’automne 2016, une première campagne publique nationale « Les situations varient, les modes de protection aussi » s’est adressée aux HSH au-delà des cercles en avant-garde de l’information pour présenter les outils de la prévention diversifiée. Il reste à amplifier au niveau départemental (en tenant compte de ses spécificités de population) les relais d’information de proximité et le repérage lors des consultations pour le dépistage.

L’idée de cette thèse est née premièrement dans le constat d’un contexte de prévalence et d’incidence du VIH en nette progression en Seine-Saint-Denis. Deuxièmement de l’émergence d’un nouvel outil la PrEP dans le cadre de la prévention diversifiée, personnalisée vis-à-vis du VIH. Troisièmement devant le rôle central du médecin généraliste dans la prévention, sa proximité géographique vis-à-vis des patients dans leur lieu de vie.

Ainsi face à ces trois constats, nous nous sommes intéressés aux freins éventuels à l’appropriation par le médecin généraliste de la PrEP dans la prévention du VIH dans ce département.

La PrEP, par sa nouveauté et sa prescription initiale hospitalière ou CeGGID est peu connue par la communauté médicale.

L’AMM et la possibilité de renouvellement par les médecins généralistes est très récente. Nous avons fait l’hypothèse que peu de médecins généralistes connaissent la PrEP. L’objectif principal de ce travail, est de recueillir via un questionnaire quantitatif, les freins d’appropriation par les médecins généralistes de la Seine-Saint-Denis, dans le cadre précis de la PrEP. La question posée au travers de cette étude était : Quelles sont les connaissances et attitudes des médecins généralistes exerçant en Seine-Saint-Denis, département à forte incidence du VIH, à propos de la PrEP ?

Conclusion
L'incidence et la prévalence du VIH ne cesse de stagner voire augmenter malgré les moyens de prévention mis en place. L’observation de l’essoufflement du modèle traditionnel de lutte contre le VIH, a fait surgir un nouveau modèle de prévention diversifiée de prévention. La PrEP a démontré son efficacité à travers de nombreuses études et est en étude de façon prospective à longue échelle dans la « vraie vie » (étude ANRS PREVENIR). Les médecins généralistes jouent un rôle indéniable et sont plébiscités dans la prévention, avec une approche centrée sur le patient.

La Seine-Saint-Denis, comme Paris, s’est engagée à une Île-de-France sans SIDA en 2030 dans le cadre des objectifs 90-90-90 de l’OMS. La connaissance de la PrEP chez les médecins de Seine-Saint-Denis, avec deux-tiers des interrogés qui connaîssaient ce moyen de prévention, reste acceptable, deux ans après sa mise en place et un an après la possibilité pour les médecins généralistes de renouveler ce traitement. Néanmoins, ce chiffre reste bas. Dans le cadre d’une approche globale de prévention et afin de lutter contre l’épidémie du VIH, les prescriptions de PrEP en soins primaires doivent encore se développer. Des campagnes de communication et de formation, orientées aux médecins généralistes, permettront de mieux faire connaître son efficacité, ses indications et ses limites.

De cette thèse, il serait intéressant de s’interroger sur la difficulté ou la facilité d’aborder la sexualité en médecine générale. Il serait intéressant de confronter le point de vue des patients à avoir des discussions ouvertes avec leurs médecin traitant vis-à-vis de leur sexualité, ainsi que le ressenti des médecins dans ces situations. Cela pourrait être exploré à l’aide d’études qualitatives.

Par le Docteur Hervé FOKA TICHOUE

Pénurie de masques chirurgicaux : Quelles solutions ?

Dans la perspective d’une pandémie de Covid-19, l’inquiétude face à une pénurie de masques grandit. Outre la diminution des quantités produites en Chine, le fait qu’ils ne soient ni réutilisables, ni lavables et que leur durée d’utilisation soit courte participe à la survenue de cette pénurie. Est-il envisageable de les réutiliser tout de même et/ou de fabriquer des masques avec des matériaux courants, comme cela est proposé par de nombreux internautes ?

Types de masques du commerce
Deux grands types de masques existent : les équipements de protection individuelle ou EPI (dont font partie les masques FFP2 ou N95), destinés à protéger le porteur du masque, et les masques chirurgicaux, dits « antiprojections », qui protègent l’environnement du porteur et sur lesquels nous focaliserons notre attention. Ces derniers sont destinés à éviter la transmission par voie de gouttelettes (> 5 μm) ou par voie aérienne (transmission aéroportée de particules < 5 μm).

Ils doivent être utilisés par les malades dès les premiers symptômes lorsqu’ils sont en présence d’une personne les approchant à moins d’un mètre1.

Les masques antiprojections répondant aux normes CE semblent être tous à usage unique. La durée maximale d’utilisation est fixée par le fabricant, et est généralement de l’ordre de 3 à 5 heures. Il faut également le changer en cas de souillure, de projection, s’il a touché et/ou s’est abaissé au niveau du cou2 ou encore s’il est humide, car cela diminue son efficacité.

Réglementation et types de masques chirurgicaux
Les masques chirurgicaux appartiennent aux dispositifs médicaux de classe I (marquage « CE »)3. Ils sont habituellement composés d’une couche filtrante placée entre deux couches de non-tissés, et ne doivent pas se décomposer, se séparer ou se déchirer lors de leur utilisation. Ils doivent pouvoir être ajustés étroitement sur le nez, la bouche, le menton et permettre une parfaite étanchéité sur les côtés. Cinq tests permettent d’évaluer la performance des masques chirurgicaux (tableau 1) :

  • Efficacité de filtration bactérienne (EFB). Ce test permet de mesurer in vitro le nombre d’unités formant colonies (UFC) traversant le matériau. Si le masque comporte différentes zones ou couches, chacune est testée individuellement, et l’indice d’EFB est celui de la couche la moins performante.


*Les masques de types I sont destinés aux patients pour la réduction du risque de propagation des infections, mais ne suffisent pas pour l’utilisation au bloc opératoire.
Tableau 1. Performances des masques chirurgicaux selon leur type

  • Respirabilité. Ce test évalue la résistance du masque au passage d’un flux gazeux et garantit le confort du porteur du masque. La différence de pression de part et d’autre du matériau est déterminée dans des conditions spécifiques de débit d’air, de température et d’humidité.
  • Test de résistance à la projection. C’est la capacité à bloquer les projections de liquide contaminé. Il n’est requis que pour les masques de type R.
  • Propreté microbienne. C’est le nombre de microorganismes sur le masque commercialisé (charge microbienne).
  • Biocompatibilité. Elle garantit l’absence d’effet indésirable grâce à trois tests : test de cytotoxicité, test de sensibilisation et test de réaction intradermique.

D’autres tests in-vivo peuvent être effectués, hors de ce cadre réglementaire, par exemple la mesure du facteur de protection, qui est le rapport du nombre de particules en suspension à l’extérieur du masque sur le nombre de particules en suspension à l’intérieur du masque, ce dernier étant placé sur le visage d’une personne.

Matériaux et dimensions des masques
Les masques chirurgicaux sont tous composés de trois couches de polypropylène non-tissé. Ils ont une taille standard de 175 x 95 mm (± 5 mm). Une barrette nasale, généralement faite en aluminium et qui ne doit pas entrer en contact avec la peau, permet un ajustement à la morphologie du patient et garantit l’étanchéité du masque. Le polypropylène est un thermoplastique aux nombreux avantages : peu coûteux, de température de fusion faible (145 à 175°), ce qui facilite les procédés de fabrication, il est aussi infroissable, peu déchirable, hydrophobe4.

Connaître l’histoire des matériaux utilisés permet d’envisager des alternatives : dans les années 1890, Huebner a découvert que les masques composés de plusieurs couches présentaient des performances supérieures aux monocouches4.

En 1918, Doust et Lyon ont montré quant à eux que l’utilisation de couches fines était plus efficace que celle de couches épaisses. La question du choix du matériau a évolué dans les années 60, avec la supériorité démontrée des matériaux plastiques par rapport aux bandes de gaze utilisées jusque-là5. Puis l’intérêt des fibres non-tissées a été découvert : ces fibres sont orientées de façon aléatoire, rendant leur structure homogène et compacte6. Par ailleurs, l’utilisation des matériaux synthétiques en fibres non-tissées a été évaluée, par rapport à celle des fibres tissées de coton, et a deux avantages :

  • Un meilleur effet barrière, avec une efficacité de rétention bactérienne moyenne de 90 à 99 % pour les fibres non-tissées contre 14 à 32 % pour le coton tissé.
  • Un relargage particulaire diminué de 80 %4.

Des fibres naturelles non-tissées existent également et peuvent se trouver dans le commerce : coton, lin, jute et laine7. L’entretien de masques en fibres naturelles en vue d’une réutilisation pose cependant deux questions. D’une part, on ne peut pas compter sur la disparition spontanée rapide du coronavirus : sa persistance sur une surface est encore mal connue, mais probablement proche de celle des autres coronavirus, c’est-à-dire de quelques heures à quelques jours. Cette durée dépend du type de surface, de la température et de l’humidité ambiante1. Les moyens d’inactivation proposés dans la littérature sont des agents biocides7. Il n’existe pas, à notre connaissance, d’évaluation de l’efficacité du lavage ou de la stérilisation. D’autre part, les propriétés des tissus peuvent être altérées par ces traitements. Par exemple, on sait que les lavages successifs du coton non-tissé cassent ses fibres et augmentent relargage particulaire et risque de contamination4.

Évaluations des masques « faits maison »
L’efficacité de masques « faits maison » a été évaluée dans plusieurs études. Une première8 comparait un masque artisanal fait en torchon (dont les caractéristiques matériau et la forme exacte n’étaient pas précisées) avec un masque chirurgical. Le facteur de protection était toujours meilleur avec le masque chirurgical (rapport de 1,3 à 2,3 avec le masque en torchon, pour des valeurs absolues de 3,6 à 6,5 pour le masque chirurgical contre 2,4 à 4,3 pour le masque en torchon), mais cette différence tendait à s’atténuer avec le temps (tableau 2). Un test sur tête artificielle montrait également une moindre différence pour des fréquences respiratoires élevées (15/min versus 40/min).


Tableau 2. Facteur de protection du masque chirurgical par rapport au masque en torchon

Une seconde étude9 comparait, entre autres, les caractéristiques de filtration et de confort de plusieurs matériaux courants ainsi que du masque chirurgical. Le masque chirurgical avait la meilleure efficacité, surtout pour les bactéries les plus petites, suivi de près par le sac d’aspirateur, dont la respirabilité était par contre mauvaise (« pression différentielle » élevée) (Tableau 3).


Tableau 3. Efficacité de filtration bactérienne et pression différentielle de différents objets courants

Conclusion
Face aux incertitudes et au manque d’information concernant l’approvisionnement en masques ainsi qu’à la circulation de données contradictoires qui inévitablement émergent dans ce type de situations, un certain nombre de travaux scientifiques permettent de poser des points repères : les masques artisanaux sont moins performants que les masques du commerce concernant la filtration des bactéries. La protection vis-à-vis des virus (et notamment des coronavirus) n’a pas, à notre connaissance, été évaluée. Néanmoins, les performances de ces masques sont loin d’être négligeables, en tant que masques antiprojections, et des améliorations pourraient être proposées quant à leur fabrication. Notamment, il n’est pas certain que les masques testés étaient multicouches, comme ceux du commerce, or cette caractéristique est importante. Ils n’étaient pas non plus en fibres non-tissées. Par ailleurs, deux problèmes de sécurité d’utilisation sont notés : d’une part l’usage d’une barrette métallique à proximité des yeux et d’autre part la biocompatibilité des matériaux utilisés. Les modalités d’entretien avant éventuel ré-usage reste à établir. La prudence est donc de mise car ni l’intérêt de ces masques vis-à-vis du CoViD-19 ni même la sécurité d’utilisation ne sont assurés.

Article de Marie THAZARD et des docteurs Pierre FRANCES et Aurélie TOMEZZOLI

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  • Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°26

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    Publié le 1653318215000