Étude de la prescription des inhibiteurs de la pompe à protons dans le reflux gastro-oesophagien pathologique du nourrisson en médecine générale

Publié le 24 May 2022 à 08:31


Contexte

En médecine générale, il est important de distinguer deux types de Reflux Gastro-OEsophagien ou RGO.

D’une part, le RGO Physiologique, qui se définit comme le passage du contenu gastrique dans l'oesophage avec ou sans régurgitations ou vomissements. Ce processus physiologique fréquent se manifeste le plus souvent par des régurgitations de courte durée, postprandiales et asymptomatiques (1, 2).

Son diagnostic est clinique, les traitements médicamenteux et les examens complémentaires ne sont pas recommandés. Sa prise en charge repose sur la réassurance parentale et des mesures diététiques et environnementales comme le fractionnement et l’épaississement du lait.

D’autre part, on évoque le RGO pathologique (ou RGOP) lorsque le reflux du contenu gastrique provoque des symptômes gênants et/ou des complications (irritabilité, anorexie, mauvaise prise de poids ou manifestations douloureuses). Les symptômes peuvent être digestifs ou extradigestifs (infections pulmonaires à répétition, complications neurologiques, ORL et dentaires). Le RGOP nécessite des explorations et un traitement médicamenteux reposant sur les IPP (1, 2).

Ces derniers font partie des médicaments les plus vendus sur le marché mondial.

D’après les recommandations de gastro-pédiatrie, ils sont indiqués en première intention devant un RGOP prouvé à la pH-métrie ou en cas d’oesophagite confirmée à la fibroscopie.

A ce jour, aucune étude n’a démontré leur efficacité dans le soulagement des symptômes de RGOP du nourrisson de moins d’un an. Ils ont toutefois l’AMM à partir de l’âge de un an.

La plupart des études réalisées dans diverses situations comme l’asthme, la toux, les pleurs et les apnées n’ont pas montré d’efficacité des IPP supérieure à celle du placebo, y compris lorsque la pH-métrie était pathologique (1, 3, 4, 5–8).

En pédiatrie, seuls l'oméprazole (Mopral®, gélules à microgranules résistants) et l'ésoméprazole (Inexium®, forme pédiatrique en sachets) ont l’AMM chez l'enfant de plus de 1 an. La posologie utilisée en-dessous de 1 an est de 1 mg par kg par jour. Pour les enfants de plus d’un an (entre 10 et 20 kg), la posologie est de 10 mg par jour pour une durée de 4 à 8 semaines.

Bien que les IPP semblent bien tolérés à court terme, des études récentes évoquent un risque d’effets indésirables à long terme tels que l’augmentation du risque de pneumonie communautaire, de gastro-entérite, de fracture et/ou d’allergie (3, 9, 10).

Il existe également d’autres traitements du RGOP non recommandés par les sociétés savantes. En effet, l’utilisation du Gaviscon® est controversée et les prokinétiques ont, eux, un rapport bénéfice risque défavorable (1, 11).

Notons toutefois que les antagonistes des récepteurs H2 de l’histamine (Cimétidine) sont indiqués en deuxième intention dans le RGOP.

Enfin, les thérapies alternatives n’ont pas prouvé leur efficacité.

Épidemiologie
La prévalence estimée du RGO (physiologique et pathologique) en France chez les nourrissons de 0 à 23 mois est de 24,4 % alors que celle estimée du RGOP chez les nourrissons de 0 à 23 mois est de 12,6 % (12).

En parallèle, ces dernières années, nous pouvons remarquer une augmentation de l'utilisation des IPP chez le nourrisson : Multipliées par 7,5 aux Etats-Unis entre 1999 et 2004 et par 11 entre 2002 et 2010 chez les nourrissons de moins de 12 mois (13).

Ce constat se retrouve également dans d’autres pays comme la France, le Brésil, le Danemark, la Belgique ou encore la Nouvelle-Zélande (14). Devant cette augmentation de la prescription des IPP et le risque d’effets indésirables, nous nous sommes intéressés à la prise en charge thérapeutique du RGOP par les médecins généralistes et à leur prescription.

L'objectif principal est l’étude de la prescription des IPP dans le RGOP du nourrisson par les médecins généralistes de l’ancienne région Midi-Pyrénées.

Méthodologie
pour cela, une étude épidémiologique de type quantitative descriptive transversale a été réalisée.

Le questionnaire élaboré se compose de trois parties : La première porte sur les caractéristiques sociodémographiques de la population, la deuxième interroge les médecins sur le diagnostic du RGOP et la troisième concerne la prise en charge thérapeutique du RGOP par les médecins généralistes.

Cette étude a été transmise de manière aléatoire à des médecins généralistes de tous les départements de Midi-Pyrénées. Le recueil des données a eu lieu sur une période de 4 mois.

Résultats
Lors de notre étude, notre échantillon de 201 réponses exploitables était composé d’une majorité de femmes avec une proportion importante de médecins âgés de moins de 40 ans. Les médecins de notre étude exerçaient essentiellement en milieu urbain et semi-rural. La plupart étaient installés et travaillaient en cabinet de groupe. Les résultats sont retrouvés en annexe 1.


Annexe 1 : Caractéristiques sociodémographiques de la population

Diagnostic du RGOP par les médecins généralistes
Lorsque nous avons interrogé les médecins sur les signes digestifs évocateurs de RGOP, ils ont majoritairement bien répondu mais presque la moitié d’entre eux ont cité des régurgitations pluriquotidiennes après les tétées alors que c’est un signe de RGO physiologique. Des rectorragies étaient évoquées à tort dans 21,4 % des cas.

La plupart des signes extra-digestifs évocateurs de RGOP étaient principalement connus. Notons cependant que 60 % des médecins ont évoqué les otites à répétition alors que le lien de cause à effet reste encore débattu.

En parallèle, notre étude met en lumière que 56,2 % des médecins interrogés prescrivent des IPP sans attendre la confirmation de RGOP par des examens complémentaires. Seulement 43,8 % respectent donc les indications des IPP.

Prise en charge des médecins généralistes respectant les recommandations du RGOP
Parmi les médecins qui déclarent respecter les indications des IPP, ils recommandent essentiellement des mesures diététiques et environnementales (98,9 %), du gaviscon (77,3 %) et orientent vers un spécialiste (75 %). Une minorité d’entre eux (13,7 %) prescrivent des prokinétiques (ici la dompéridone et le métoclopramide) mais aucun n’utilise la phytothérapie ou l’homéopathie.

Prise en charge du RGOP par les médecins généralistes ne respectant pas les recommandations
Concernant les 56 % de médecins généralistes qui ne respectent pas les recommandations et n’attendent donc pas la confirmation du RGOP par la pH-métrie, 86,7 % d’entre eux prescrivent essentiellement de l’ésoméprazole à la dose de 1 mg/kg/jour. La majorité les utilise pour une durée de 4 à 8 semaines.

Parmi ces interrogés, 69 % n’ont pas respecté l’AMM pour l’âge et ont prescrit des IPP avant l’âge de un an (Annexe 2).
Alors pourquoi les médecins généralistes ne respectent- ils pas les indications des IPP ?

Les cinq raisons principales évoquées par plus de la moitié des médecins étaient

  • L’efficacité des IPP sur le soulagement des signes gênants du RGO (74,3 %).
  • Une insuffisance d'efficacité des mesures diététiques et environnementales (65,5 %).
  • Le caractère invasif des examens complémentaires (58,4 %).
  • Des recommandations peu adaptées à la médecine ambulatoire (55,8 %).
  • Le long délai de recours au spécialiste (42,5 %).


Annexe 2 : Prescription d’IPP hors AMM pour l’âge par les médecins généralistes ne respectant pas les recommandations

Discussion
Les résultats de notre étude mettent en exergue trois sujets à approfondir :

Difficultés de diagnostic du RGOP par les médecins généralistes Notre étude a montré que 44 % des médecins généralistes respectent les indications des IPP et 56 % prescrivent des IPP en l’absence de preuve de RGOP.

Les principaux signes cliniques digestifs et extra-digestifs du RGOP sont majoritairement connus par les médecins de notre étude. Nous constatons néanmoins des difficultés à différencier cliniquement le RGO physiologique du RGOP avec une tendance à un sur-diagnostic du RGOP entraînant une sur-prescription d’IPP.

Prescription d’IPP par les médecins généralistes ne respectant pas les recommandations
Bien que 56,2 % des médecins n’aient pas respecté les indications des IPP et les aient prescrits en l’absence de preuve de RGOP, la majorité d’entre eux ont, toutefois, respecté le type, la posologie, la durée et de délai de réévaluation des IPP.

Pourquoi les médecins généralistes ne respectent-ils pas les indications des IPP ?
Lors de cette étude, différentes raisons ont été évoquées pour justifier le non-respect des recommandations concernant les IPP.

Tout d’abord, 74 % des médecins généralistes pensent à tort que les IPP soulagent les symptômes du RGOP. Or, l’efficacité de ce médicament dans l’amélioration des symptômes chez le nourrisson de moins de un an n’a pas été prouvée (1, 3, 4). C’est pourquoi, des études complémentaires avec un plus grand nombre de patients inclus, de types contrôlés randomisés seraient pertinentes.

De même, 65,5 % des médecins ont considéré les mesures diététiques et environnementales comme insuffisamment efficaces. Cela participe alors à une augmentation des prescriptions médicamenteuses.

La prescription de ces mesures sur ordonnance accompagnée d’une explication orale pourraient renforcer leur efficacité et limiter l’utilisation des IPP.

De plus, les médecins interrogés ont cité le caractère invasif des examens complémentaires et le long délai de recours au spécialiste pour expliquer l’utilisation des IPP avant d’avoir l’avis du gastro-pédiatre.

Il semble donc compliqué de réaliser une pH-métrie ou une fibroscopie pour chaque nourrisson car au-delà de l’aspect invasif pour l’enfant, l’organisation peut se révéler complexe et les examens coûteux.

Enfin, les médecins interrogés évoquent une difficulté d’application des recommandations. Soulignons que ces mêmes problématiques sont présentes dans la pratique des pédiatres puisqu’une étude menée en 2014 sur 567 pédiatres européens, le taux global de pédiatres ayant trop prescrit d’IPP était de 82 %. La majorité d’entre eux n'effectuait pas d’examens (15, 16).

De surcroit, nous retrouvons également ces difficultés d’application en milieu hospitalier comme dans les consultations spécialisées du CHU de Lille où des IPP étaient prescrits dans 81 % des cas sans pH-métrie (15).

Les auteurs de ces directives sont essentiellement des pédiatres avec une majorité de gastro-pédiatres, travaillant en milieu hospitalier. Elles sont donc élaborées par des experts éloignés de la pratique de terrain ou qui ne la comprennent pas.

Il existe donc des difficultés d’application des recommandations concernant les IPP dans les milieux hospitalier et ambulatoire. Elles répondent mal aux besoins des médecins en pratique clinique quotidienne les obligeant à des prescriptions en dehors des recommandations.

Conclusion
Notre étude suggère que la prise en charge thérapeutique du RGOP du nourrisson est complexe en médecine générale. Il existe des difficultés pour les médecins généralistes à différencier cliniquement le RGO physiologique du RGOP. Ce dernier est évoqué par excès ce qui participe à une sur-prescription d’IPP. Cela expose le nourrisson à un risque d’effets indésirables et le prescripteur à des conséquences médico-légales.
Du fait du caractère invasif des examens complémentaires et du long délai de recours au spécialiste, il existe des réelles difficultés d’application des recommandations du RGOP par les médecins généralistes favorisant une sur-prescription d’IPP. Les recommandations semblent éloignées de nos pratiques mais aussi de celles des pédiatres libéraux et hospitaliers. Une implication des médecins généralistes et des pédiatres libéraux dans leur réévaluation et leur réajustement pourraient améliorer leur applicabilité.

Dr Laura SI BELKACEM

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