Éthique : concilier soins et religions, le principe de laïcité en droit français

Publié le 30 May 2022 à 07:29

Pourquoi ces fiches ?

J. THÉVENOT

A la suite de sollicitations de professionnels, le Conseil Départemental de l’Ordre des médecins de la Haute Garonne (CDOM 31) a décidé de constituer un groupe de réflexion sur cette problématique autour des représentants des principaux cultes et des usagers, de L’ARS (référent Laïcité) et de l’Espace de Réflexion Éthique Midi Pyrénées (EREMIP). D’autre institutions se sont jointes à la démarche pour la réalisation ou la diffusion (CROM, FHP, FHF, CSDU-CRSA...).

L’objectif général est, avec l’aide des représentants des cultes, de lever les incompréhensions existantes entre les patients et les soignants, et d’améliorer de ce fait la communication pour prévenir ou mieux gérer les difficultés ou les conflits éventuels dans la réalisation des soins.

Une bonne compréhension mutuelle des enjeux permet au soignant de délivrer une information adaptée et au patient de faire un choix réellement éclairé, dans le respect du cadre légal et réglementaire.

Des patients bien informés appréhendent mieux les impératifs des soins et l’organisation des établissements de santé. Des professionnels de santé bien formés aux spécificités liées à la culture et à la religion des patients savent mieux prendre en compte les besoins de santé individuelle des patients.

Les fiches jointes, se référant à des situations réelles rencontrées par des soignants et des usagers de santé, ont été discutées collégialement pour trouver ensemble des formulations compréhensibles par les patients autant que par les soignants. Chacun pouvant avoir une autre compréhension des religions que celle exprimée dans ces fiches, elles ont simplement pour but d’ouvrir un dialogue et non d’édicter des règles absolues. Ces documents ont pour vocation d’être diffusés autant aux soignants qu’aux patients.

L'objectif général est, avec l'aide des représentants des cultes, de lever les incompréhensions existant entre les patients et les soignants...

Leur rédaction repose sur des valeurs communes, dont celle de ne pas mettre en danger sa vie propre ou celle de ses patients, mais aussi sur le fait que chaque personne hospitalisée et chaque soignant doivent s’engager à reconnaître et respecter certaines idées fortes :

  • La personne dans sa globalité, sa dignité et son intégrité ;
  • Les valeurs de l’autre ;
  • La diversité des choix de vie de l’autre, tant au niveau de sa région que de sa spiritualité ou son origine culturelle et ethnique ;
  • Les particularités propres à chaque être humain et à sa vie intérieure ;
  • Les décisions et préférences de chacun ;
  • L’intimité physique et psychologique de chacun ;
  • Ses pairs dans leur expertise, leur expérience et leur complémentarité

Ces documents sont volontairement synthétiques et donc non exhaustifs, et tous susceptibles d’être améliorés ; tous commentaires, demandes de précision ou corrections pourront être adressés au CDOM 31 ([email protected]), ainsi que toute interrogation pouvant générer la rédaction d’un nouveau document sur une situation non encore évoquée ; ces fiches ont pour vocation d’être régulièrement réactualisées et consultables dans leur dernière version sur le site du CDOM 31 (www.ordmed31.org/).

Le principe de laïcité en droit français
Comme le soulignait déjà le Rapport STASI de 2003, consacré au principe de laïcité dans la République, ...derrière le même mot, existent pourtant des différences d’approche qui en voilent la signification et la portée.

Le droit français n’offre pas une définition précise de la laïcité, qu’il a cependant érigée au rang de principe à valeur constitutionnelle. L’analyse des textes sur lesquels repose cette notion permet néanmoins d’en dessiner les contours et d’en dégager le sens. La laïcité repose sur trois piliers juridiques : la liberté de conscience, l’égalité des citoyens et la neutralité de l’état à l’égard des religions.

L’article 1ère de la Constitution du 4 octobre 1958, reprenant l’article 1ère de la Constitution de 1946, affirme solennellement : La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. La laïcité est ainsi clairement énoncée comme l’une des valeurs fondatrices de la République.  Le texte se poursuit ainsi : Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Les liens indissolubles entre ces trois piliers sont ici manifestes. Ce texte n’est cependant pas la première manifestation, en droit français, de la laïcité. L’autonomie de la conscience, y compris sur le plan spirituel et religieux, est inscrite dès 1789 à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. La même Déclaration énonce, en son article 4 : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autre Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que la Loi. Un peu plus tard, la citoyenneté est dissociée de l’appartenance religieuse, avec la laïcisation de l’état civil et du mariage, le 20 septembre 1792. Puis vient la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’état : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public (art. 1 er) ; La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte [...] (art. 2). La liberté de conscience et la neutralité de l’état sont ainsi étroitement associées.

L’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950 par le Conseil de l’Europe et directement applicable en droit interne, préserve la Liberté de pensée, de conscience et de religion :

  • Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
  • La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
  • De même, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par L’ONU le 16 décembre 1966 et ratifié par la France, garantit en son article 18 la liberté de conscience et de religion, en des termes proches de ceux de la Convention européenne des droits de l’homme.

    La liberté de conscience et de religion implique ainsi, au regard des textes précités, la liberté de choisir sa religion mais aussi celle de la manifester, sous réserve toutefois de restrictions légitimes. L’ensemble de ces textes impose également aux États d’assurer l’égalité entre les citoyens, sans distinction fondée notamment sur la religion.

    La laïcité ne saurait par conséquent être réduite ni à la séparation des Églises et de l’état, ni à l’absence de région ou de manifestation d’une religion. Elle constitue un ensemble de droits et de devoirs pour l’état comme pour les citoyens. Elle est la recherche d’un équilibre permanent, tendant à concilier les principes fondamentaux ci-dessus énoncés.

    Appliquée au système de santé, la laïcité met en jeu des règles de droit qui ne lui sont pas inhérentes, mais qui contribuent à la garantir.

    Ainsi en est-il particulier :

    • du principe d ‘égalité de traitement entre les patients et de la non-discrimination, inscrits à diverse reprises dans le code de la santé publique (CSP art. L 1110-3, L 6112-2, R. 4127-7, R. 4127-211, R. 4127-305, R. 4321-58, R. 4322-52) ;
    • du droit reconnu aux patients hospitalisés dans les établissements publics de participer à l’exercice de leur culte (CSP art. R. 1112-46) ;
    • du libre choix du médecin et de l’Établissement par le patient (CSP art. L. 1110-8, R. 4127-6) ;
    • de l’obligation d’assurer la continuité et la qualité des soins (CSP art. L 1110-1, L 1110-3, R. 4127-47, L 6112-2) ;
    • des conditions dans lesquelles un soignant peut refuser de délivrer des soins (CSP art. L 1110-3, R. 4127-47) ;
    • du devoir de neutralité s’imposant aux agents du service public (CE, 8 décembre 1948, Dlle. Pasteau ; CE, 3 mai 1950, Dlle. Jamet ; CE, 23 juin 2000, Mlle Marteaux) ; - des pouvoirs de police administrative conférés au directeur de l’établissement public de santé (CSP art. L 6143-7).

    L’ensemble de ces principes est rappelé par la circulaire n°DHOS/G/2005/57 du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé. Cette circulaire, ne s’adresse toutefois qu’aux établissements publics. Certaines des règles qu’elle énonce ne s’appliquent d’ailleurs qu’au service public. Tel est le cas du devoir de. Neutralité imposée aux agents publics. La Fédération de l’Hospitalisation Privée a mis à disposition de ses membres une Charte de la laïcité en cliniques et hôpitaux privés. Par sa nature juridique, elle est toutefois dénuée de valeur contraignante.

    Il n’existe ainsi pas de texte d’ensemble, à portée générale et absolue, régissant et organisant la laïcité dans les rapports entre acteurs du système de santé. Le droit français impose cependant la laïcité comme un principe à valeur constitutionnelle sous-tendu par diverses normes juridiques applicables au système de santé.

    Nous ferons paraître les fiches suivantes dans chacun des Cahier Syngof.

    Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°104

    L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

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