Éthique : concilier soins et religions

Publié le 30 May 2022 à 08:50

Pourquoi ces fiches ?

J. THEVENOT*

 A la suite de sollicitations de professionnels, le Conseil Départemental de l’Ordre des médecins de la Haute Garonne (CDOM 31) a décidé de constituer un groupe de réflexion sur cette problématique autour des représentants des principaux cultes et des usagers, de l’ARS (référent Laïcité) et de l’Espace de Réflexion Éthique Midi Pyrénées (EREMIP). D’autres institutions se sont jointes à la démarche pour la réalisation ou la diffusion (CROM, FHP, FHF, CSDU-CRSA...).
L’objectif général est, avec l’aide des représentants des cultes, de lever les incompréhensions existantes entre les patients et les soignants, et d’améliorer de ce fait la communication pour prévenir ou mieux gérer les difficultés ou les conflits éventuels dans la réalisation des soins.

Une bonne compréhension mutuelle des enjeux permet au soignant de délivrer une information adaptée et au patient de faire un choix réellement éclairé, dans le respect du cadre légal et réglementaire.
Des patients bien informés appréhendent mieux les impératifs des soins et l’organisation des établissements de santé.
Des professionnels de santé bien formés aux spécificités liées à la culture et à la religion des patients savent mieux prendre en compte les besoins de santé individuelle des patients.
Les fiches jointes, se référant à des situations réelles rencontrées par des soignants et des usagers de santé, ont été discutées collégialement pour trouver ensemble des formulations compréhensibles par les patients autant que par les soignants. Chacun pouvant avoir une autre compréhension des religions que celle exprimée dans ces fiches, elles ont simplement pour but d’ouvrir un dialogue et non d’édicter des règles absolues. Ces documents ont pour vocation d’être diffusés autant aux soignants qu’aux patients.
Leur rédaction repose sur des valeurs communes, dont celle de ne pas mettre en danger sa vie propre ou celle de ses patients, mais aussi sur le fait que chaque personne hospitalisée et chaque soignant doivent s’engager à reconnaître et respecter certaines idées fortes :

  • La personne dans sa globalité, sa dignité et son intégrité ;
  • Les valeurs de l’autre ;
  • La diversité des choix de vie de l’autre, tant au niveau de sa religion que de sa spiritualité ou son origine culturelle er ethnique ;
  • Les particularités propres à chaque être humain et à sa vie intérieure ;
  • Les décisions et préférences de chacun ;
  • L’intimité physique et psychologique de chacun ;
  • La vie affective, amoureuse et sexuelle de chacun ;
  • Ses pairs dans leur expertise, leur expérience et leur complémentarité.

Ces documents sont volontairement synthétiques et donc non exhaustifs, et tous susceptibles d’être améliorés ; tous commentaires, demandes de précision ou corrections pourront être adressés au CDOM 31 ([email protected]), ainsi qu’interrogation pouvant générer la rédaction d’un nouveau document sur une situation non encore évoquée ; ces fiches ont pour vocation d’être régulièrement réactualisées et consultables dans leur dernière version sur le site du CDOM 31 (www.ordmed31.org/).
Nous ferons paraître les fiches suivantes dans chacun des cahiers Syngof.

L’objectif général est, avec l’aide des représentants des cultes, de lever les incompréhensions existantes entre les patients et les soignants ...

Clause de conscience des médecins

La clause de conscience est inhérente à la fonction hippocratique : tout médecin a le droit de refuser la réalisation d’un acte médical pourtant autorisé par la loi, mais qu’il estimerait contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles ou éthiques.

Sauf urgence, le médecin n’est pas tenu de pratiquer un acte médical. Mais conformément aux dispositions de l’article 47 du code de déontologie médicale, s’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir clairement le patient, dès la première consultation, et lui donner tous moyens et conseils pour qu’il puisse obtenir une prise en charge adaptée.

De plus, le médecin doit s’assurer que sa décision ne contrevient pas aux dispositions de l’article 7 du code déontologie médicale :  Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quelles que soient  leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances...

L’invocation de la clause de conscience ne doit pas pouvoir être interprétée comme une supposée discrimination.

Commentaires du CNOM (2011)
On exclura de la discussion les cas où le médecin peut, et doit, refuser ses soins pour des raisons évidentes de non compétence (art. L 1110-5 du CSP), de risques encourus injustifiés, d’atteinte à l’intégrité du corps humain (art. 16-3 du code civil) ...

Pour le médecin, la clause de conscience, c’est le droit de dire ‘’non’’ dans certaines circonstances, à condition d’apporter au patient une réponse pertinente sans pour autant être obligé d’exposer ses convictions intimes, sans prosélytisme, et en l’informant ‘’sans délai’’ des possibilités qui s’offrent à lui. Si la clause de conscience peut être évoquée systématiquement lorsqu’il s’agit de situations identiques, elle peut être aussi ‘’modulée’’ selon les circonstances par ceux qui entendraient l’invoquer (par exemple, on peut être hostile à l’exécution d’un acte d’une façon générale et accepter de le pratiquer dans des situations particulières).

Ce droit au refus de soins est assorti de devoirs complémentaires centrés sur ‘’une information claire, loyale et appropriée’’ (art. R.4127-35 du CSP). Le médecin doit prendre toutes dispositions et précautions pour pouvoir apporter la preuve qu’il a bien rempli sa mission. Dossier, courrier, document daté et signé, consentement éclairé, attestation de consultation précisant les décisions adoptées...

Mais cette clause de conscience au nom de son principe ne doit pas pour autant conduire à des abus (art. 7, refus de vaccinations obligatoires...).

Ce droit à dire ‘’non’’ devrait donc être conforme à l’éthique de chacun et reste le ‘’privilège’’ de celui qui l’invoque. Il peut concerner d’autres professionnels de santé.

Pour l’instant, dans les textes de la République, le principe n’est clairement exprimé que dans le cadre du refus de stérilisation (art. L2123-1 du CSP), d’IVG (art. L2212-8 du CSP), de recherche sur embryon (art. L2151-7-1 du CSP).

Mais le CNOM assimile dans ses commentaires l’article 47 du Code de Déontologie à une véritable clause de conscience.

Les textes

La loi Veil du 17 janvier 1975 sur l’IVG (article L2212-8 et L2123-1 du CSP) : possibilité de se récuser au motif de ce principe déjà édicté dans l’article 18 du code de déontologie médicale.
Décision 2001-446 du 27 juin 2001 : le Conseil constitutionnel reconnaît la liberté de conscience comme un principe fondamental.
La loi du 4 juillet 2001 sur l’IVG et la contraception : sans parler de ‘’clause de conscience’’, elle reconnaît le droit au refus de soins par le médecin.
La loi du 4 mars 2002 reconnaît au médecin le droit de se récuser à certaines conditions énoncées aux articles L1110-3, 7e alinéa, tout comme l’article 47 du code de déontologie médicale.

Enfin la loi du 7 juillet 2011 instaure une clause de conscience en vertu de laquelle aucun chercheur, aucun ingénieur, aucun technicien ou auxiliaire de recherche quel qu’il soit, aucun médecin auxiliaire médical n’est tenu de participer à quelque titre que ce soit aux recherches sur des embryons humains ou des cellules souches embryonnaires (art. L2151-7-1 du CSP).

Néanmoins, le code pénal (art. 223-6, alinéa 2) ne saurait tolérer qu’il puisse y avoir « omission de porter secours ».
La seule « clause de conscience » ne saurait donc être invoquée dans le cadre d’une urgence vitale.
Article R4127-47 du code de déontologie médicale :
Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée.
Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins.

* Rapport adopté lors de la session du Conseil national de l’Ordre des médecins du 16 décembre 2011
htpp://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/clause_de_conscience.pdf

Aumôniers en établissements de soins
Chaque établissement doit tenir à la disposition des praticiens une liste d’aumôniers et le moyen de les contacter dans des délais raisonnables.

Il est donc recommandé pour les soignants d’avoir recours aux aumôniers pour toute demande particulière ou toute difficulté dans la délivrance des soins en rapport avec des convictions religieuse supposées ou exprimées (refus de soins, décès...). L’aumônier n’est pas un soignant, mais il peut être amené à avoir connaissance d’informations couvertes par le secret médical : il est donc nécessaire de formaliser un engagement de sa part à respecter ce secret.

Établissements publics
Document basé sur la charte nationale des aumôneries relevant de la fonction publique hospitalière (Circulaire n°DGOS/RH4/2011/356 du 5 septembre 2011).

Cette charte s’inscrit dans le cadre constitutionnel de la Loi du 9 décembre 1905, qui ‘’assure le libre exercice des cultes dans les établissements publics’’. Elle répond aux principes de la charte du patient hospitalisé (6 mai 1995) : ‘’L’établissement de santé doit respecter les croyances et convictions des personnes accueilles. Un patient doit pouvoir, dans la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion (recueillement, présence d’un ministre du culte, nourriture, liberté d’action et d’expression). Ces droits s’exercent dans le respect de la liberté des autres’’.

Les aumôniers sont désignés par les autorités cultuelles dont ils relèvent et recrutés par les établissements s hospitaliers, sociaux et médico-sociaux. Ils ont la qualité d’agents contractuels. En l’absence d’autorité cultuelle clairement identifiée, il ne peut être donné droit à une demande de mise en place d’un service d’aumônerie. Les aumôniers exercent au sein d’une institution dans laquelle s’applique le principe de laïcité. Recrutés au nom et pour le culte qu’ils représentent, ils y assurent une fonction, qui, par essence, relève du religieux et du spirituel.

Ils ont la charge d’assurer dans les établissements, le service du culte auquel ils appartiennent et d’assister les patients qui en font la demande par eux-mêmes ou par l’intermédiaire de leur famille ou lors de leur admission. Ils accompagnement aussi les familles et proches qui les souhaitent. Les personnels soignants sont attentifs à repérer et à transmettre d’éventuelles demandes.

Au-delà du rôle de visite au patient qui le demande, ou le cas échéant, d’ordonnateur de rituels mortuaires, l’aumônier apporte son concours à l’équipe soignante. Sa présence, par la dimension éthique qu’il porte, est enrichissante pour tous. L’aumônier éclaire, le cas échéant, l’équipe médicale et soignante, sur les implications que peuvent avoir certaines de leurs décisions au regard des convictions et pratiques religieuses des patients. Sa démarche doit être cohérente avec la démarche de soins, (Charte nationale des aumôneries du 5 Septembre 2011 – extraits).
L’organisation du travail, le statut et le recrutement des aumôniers est fixé par une circulaire de 2006 : Circulaire DHOS/P1 n° 2006-538 du 20 décembre 2006 relative aux aumôniers des établissements mentionnés à l’article 2 de la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière
(http://www.sante.gouv.fr/fichiers/bo/2007/07-02/a0020043.htm).

Établissements privés
Pour ce qui concerne les établissements privés, il n’existe pas de textes réglementaires spécifiques.
Les textes évoqués restent la base pour la présence d’aumôneries.

Toutefois, la FHP a publié une Charte de la laïcité en cliniques et hôpitaux privés où est précisé : Une liste des représentants des différents cultes est tenue à disposition des patients qui demandent à entre en contact avec l’un ou plusieurs d’entre eux. (http://www.fhp.fr/fichiers/20120712180733_charte_laicite.pdf)

Certificat de virginité ou de « défloration »
Le CNOM considéré que, n’ayant aucune justification médicale et constituant une violation du respect de la personne et de l’intimité de la jeune femme (notamment mineure) contrainte par son entourage de s’y soumettre, un tel examen ne relève pas du rôle du médecin. Celui-ci doit donc refuser l’examen et la rédaction d’un tel certificat, contraire à la dignité de la femme.

L’attitude qui consisterait à ne pas examiner la jeune femme et à certifier qu’elle est vierge, ou à certifier qu’elle est vierge alors qu’elle ne l’est pas, est une faute punie par le Code pénal (articles 441-7 et 441-8) et le Code de déontologie (article 28) qui sanctionne les faux certificats et les certificats de complaisance.

La situation est toute autre lorsque l’examen est effectué à des fins médico-légales. Les demandes sont alors de deux types :

  • La jeune femme désirant faire constater sa virginité en vue d’une éventuelle annulation de son mariage pour non-consommation lors d’une procédure civile de divorce ou, pour l’église catholique, dans le cadre d’une procédure ultime devant la juridiction romaine de la Rote ; il est conseillé de demander que l’examen et le certificat viennent d’un collège de médecins, par exemple un gynécologue et un médecin légiste.
  • Une jeune femme vierge victime ou se disant victime d’une agression sexuelle : i s’agit alors d’un certificat de constatations de violences sexuelles, qui doit être établi selon les normes médico-légales et s’accompagner des prélèvements et examens biologiques nécessaires.

Dans le cadre de suspicion de violences sexuelles à mineurs (ou majeurs protégés), le médecin est tenu de faire un signalement aux autorités judiciaires.
(http://www.conseil-national.medecin.fr/signaler-lamaltraitance-1258).

Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°105

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