État des lieux de l’ingénierie pédagogique mise en place en IFMK pour sensibiliser les étudiants à la violence faites aux femmes (VFF)

Publié le 10 May 2023 à 16:08

« Il y a une vérité universelle, applicable à tous les pays, cultures et communautés : la violence à l’égard des femmes n’est jamais acceptable, jamais excusable, jamais tolérable »

Ban Ki-moon, 2008

La violence faite aux femmes (VFF) est une violation des droits humains et une discrimination liée au sexe et à la domination historique masculine de l’homme sur la femme.

Elle se définit comme « des actes de violence, dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée » [1].

Elles sont dirigées spécifiquement contre les femmes du fait de leur genre, marquant ainsi l’inégalité existante entre les sexes telle que l’infériorité des femmes sur les plans juridiques social et économique [2]. Elles concernent toutes les femmes, quels que soient leur âge, leur catégorie socioprofessionnelle, culture, état de santé et handicap. Elles affectent leur santé physique, mentale et génésique, leur faisant perdre une à quatre années de vie en bonne en santé.

Les VFF prennent différentes formes : psychologiques, verbales, physiques, sexuelles, économiques, le plus souvent récurrentes et cumulatives. Elles s’exercent dans la sphère publique ou privée. En France, elles sont interdites et punies par la loi constituant une violation des droits de la personne humaine. La circonstance de l’infraction pénale de violence est aggravante lorsque l’auteur des faits est partenaire intime de la victime [3].

En France chaque année 219.000 femmes majeures déclarent avoir été victimes de violences physiques (soit 25 victimes par heure), dont 94.000 violées ou violentées sexuellement. Dans 90 % des cas, la victime connait son agresseur physique ou sexuel. 122 femmes sont tuées par leur conjoint ou ex-conjoint (1 femme tous les 3 jours). 95 % des personnes condamnées pour des faits de violence entre partenaires sont des hommes. 12 enfants ont été tués suite à des violences au sein du couple. Ainsi, les VFF constituent un véritable enjeu de Santé publique croissant, à l’échelle nationale et internationale [4].

Les professionnels de santé (PDS), identifiés comme acteurs de la chaîne d’intervention pour lutter contre les VFF, ont un rôle majeur à jouer de façon à sauver la vie de ces victimes. Des recommandations de bonne pratique ont d’ailleurs été publiées en juin 2019 par la Haute Autorité de Santé (HAS) pour sensibiliser les PDS au repérage et à la prise en charge des victimes.

Le masseur-kinésithérapeute occupe une place primordiale dans cette chaîne. Intervenant de façon récurrente dans le parcours de soins des patients, avec une certaine promiscuité physique liée à la nature même des actes qu’il prodigue, il est en mesure de repérer des signes de violences physiques et de souffrance psychologique. Prenant en charge les patients dans leur globalité, il accède à leur intimité et instaure un climat de confiance. Son approche étant structurelle, fonctionnelle et situationnelle.

À ce jour, les masseur-kinésithérapeutes manquent de connaissances sur le :

  • sujet notamment du repérage et de l’évaluation [5] ;
  • plan juridique de l’orientation et de la déclaration [5].

Ainsi ils appréhendent d’intervenir par crainte d’être intrusifs. Ils se sentent démunis face à ces situations, par manque de formation donc illégitimes pour le faire. Cette réalité limite de fait leur implication [5].

En octobre 2021, des formateurs d’IFMK ont été formés et outillés par la Mission Interministérielle pour la PROtection, des Femmes contre les violences et la lutte contre la traite des humains (MIPROF) au repérage et à l’évaluation des femmes victimes de violences, afin qu’ils sensibilisent à leur tour les étudiants à cette problématique. Ainsi ces professionnels en devenir, véritables acteurs responsables, pourront être associés à la démarche d’intervention, de repérage et d’accompagnement des victimes dans le cadre de leur exercice futur.

Un an après ce séminaire de formation, qu’en est-il ? Les IFMK ont-ils intégré cet enseignement à la formation des étudiants ? Quelle ingénierie pédagogique ont-ils mis en place pour sensibiliser et former les étudiants à cette problématique ?

Pour répondre à ces questions, un état des lieux des pratiques a été réalisé auprès des 49 IFMK français. Un questionnaire composé de 18 questions a été envoyé par mail via Microsoft Forms le 16 décembre 2022. 30 IFMK y ont répondu, le taux de participation est de 61 %. Les résultats obtenus montrent que :

  • 93 % des IFMK ont mis en place des séquences pédagogiques pour sensibiliser les étudiants à la VFF (figure 1) et pour la moitié d'entre eux, dès l’année universitaire 2021-2022. Les IFMK n’ayant pas encore intégré cette thématique à la formation des étudiants envisagent de le faire dès septembre 2023 (figure 2).

Le volume horaire dédié à cette formation est inférieur ou égal à 4 heures (64 % des instituts), jusqu’à 16 heures et plus (4 % des IFMK) (figure 3).

  • L’enseignement est réalisé majoritairement en quatrième année (43 %) et minoritairement en deuxième année (13 %) (figure 4). Programmé préférentiellement sur une année (64 %) voire deux (20 %) plus rarement sur 3 ou 4 années (8 %) (figure 5).

  • La formation est organisée préférentiellement au sein d’une Unité d’Enseignement (UE) (46 %), jusqu’à quatre UE (19 %) (figure 6). Elle est dispensée principalement au sein de l’UE 14 (28 %), et de l’UE 1 (24 %) (figure 7).

  • Le type d’activité pédagogique différente est compris entre un (49 %) et trois (14 %) (figure 8). Les activités pédagogiques proposées sont des cours magistraux (44 %), des travaux dirigés (26 %), groupes de parole (18 %), conférence éthique (8 %) (figure 9).

  • Les interventions sont réalisées à minima par un intervenant (36 %), jusqu’à quatre et plus (12 %) (figure 10). Les intervenants sont majoritairement masseur-kinésithérapeutes (46 %), mais aussi médecins (15 %), psychologues (15 %) (figure 11).

  • Le type de supports pédagogiques différents utilisés par les intervenants varient d’un (60 %) à trois (28 %) (Figure 12). Il s’agit de diaporamas (47 %), vidéos (24 %), articles (13 %) (figure 13).

  • Une évaluation des connaissances est organisée par 25 % IFMK (figure 14) à l’aide de QCM, d’oral de groupe et du service sanitaire (SSES) (figure 15).

Au vu des résultats de cette enquête nous constatons, que depuis peu, les IFMK ont majoritairement intégré au sein de leur programme de formation un temps de sensibilisation des étudiants aux VFF. L’ingénierie pédagogique mise en oeuvre diffère d’un institut à l’autre. Le faible recul dont les IFMK disposent peut laisser penser qu’ils sont encore en phase d’expérimentation. Quelles préconisations pourrions-nous faire ?

En référence aux recommandations de la HAS, il est attendu que les étudiants soient formés au repérage et à la prise en charge des victimes. Qu’ils soient capables de repérer les violences, d’évaluer la situation de violence, d’aborder le sujet avec les victimes de façon à les accompagner. Pour cela, de nombreux outils de formation et d’information, ayant pour vocation de définir la violence à travers son mécanisme, ses conséquences sur les victimes mais aussi de repérer, d’accompagner et d’orienter les victimes existent [6]. Ainsi sont disponibles sur le site :

  • De la HAS [3] :

Des fiches outils telles que « Comment repérer et évaluer » et « Comment agir », destinées à l’évaluation et au repérage des victimes.

  • D’« arrêtons la violence » [6] et « elu.es contre les VFF » (ECVF) [7].

Des courts-métrages accompagnés de fiches pédagogiques explicatives, illustrant différentes situations de violence, permettent de comprendre le cycle de la violence.

Des modèles d’attestation et de certificat médical, élaborés avec la contribution du Conseil National de l’Ordre des Masseur-Kinésithérapeutes, facilitent la rédaction des écrits professionnels de signalement et d’attestation de violence.

Des outils de prévention et de communication à type d’affiches, brochures, flyers, infographies, fiches de synthèse peuvent aider les PDS à communiquer sur le sujet avec les victimes.

  • De Déclicviolence.fr [8], solidaritéfemmes.org [9] :

Des informations relatives au signalement et à l’orientation des victimes vers des numéros d’aide et des associations.

Aussi, la connaissance des différents acteurs engagés dans le combat contre la VFF, à travers leur rôle et leurs missions, dans le respect de la législation, semble nécessaire pour orienter les victimes vers les correspondants adéquats.

Si la question de former les étudiants en IFMK aux VFF ne parait plus se poser, la façon de le faire semble d’actualité de par la récence de cette pratique. N’y aurait-il pas matière à mettre en place un travail de groupe inter institut sur le sujet ?

« La pierre n’a point d’espoir d’être autre chose qu’une pierre. Mais, de collaborer, elle s’assemble et devient temple » Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle, 1948.

Sylvie COCTON
IFMK Berck-sur Mer 62600

Références

[1] Assemblée Générale des Nations-Unies, Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, 85ème réunion plénière. Déc 1993. https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/declaration_1993.pdf

[2] Assemblée générale des Nations-Unies. Étude approfondie de toutes les formes de violence à l’égard des femmes. New York, Nations unies. 2006, 156 pages. http://www.observaction.info/wp-content/uploads/2014/07/N0641975.pdf

[3] Haute Autorité de Santé (HAS). Recommandations de bonne pratique. Repérage des femmes victimes de violences au sein du couple. Argumentaire scientifique. Juin 2019, 164 pages. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3104867/fr/reperage-des-femmes-victimes-de-violences-au-sein-ducouple

[4] La lettre de l’observatoire national des violences faites aux femmes. N°18 - Novembre 2022. https://arretonslesviolences.gouv.fr

[5] BOUILLON A.L. Kinésithérapie et lutte contre les violences conjugales entre recommandations de réalité de terrain. Mémoire d’initiation à la recherche. IFMK d’Alsace, 2022, 76 pages. [kinedoc.org/work/kinedoc/BOUILLON_AnneLaure_Kin_sith_rapie_et_lutte_contre_les_violences_ conjugales___entre_recommandations_et_realite__du_terrain.pdf

[6] République française. Je suis professionnel | Arrêtons les violences. https://arretonslesviolences.gouv.fr/je-suis-professionnel#outils_par_besoin.

[7] https://www.ecvf.fr/outil-ecvf/les-outils-de-la-miprof/

[8] https://declicviolence.fr

[9] https://www.solidaritefemmes.org

 

Article paru dans la revue « Syndicat National des Instituts de Formation en Masso-Kinésithérapie » / SNIFMK N° 13

 

 

L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

Publié le 1683727688000