Escarre & lésion médullaire

Publié le 05 Mar 2024 à 13:17
Article paru dans la revue « AJMER / AJMERAMA » / AJMERAMA N°5


Selon la définition de la HAS, tirée de celle établie en 1989 par le National Pressure Ulcer Advisory Panel, l’escarre (nom féminin) est une lésion cutanée d’origine ischémique liée à une compression des tissus mous entre un plan dur et une ou plusieurs saillies osseuses. Elle résulte de phénomènes de pression, friction ou cisaillement et de facteurs favorisants multiples. D’ailleurs les escarres sont aussi appelées « lésions de pression ».

Source de douleurs et d’infections parfois très graves, les escarres allongent la durée d’hospitalisation, dégradent la qualité de vie, l’image de soi et entraînent une consommation accrue de soins et ressources ayant un coût non négligeable. Or c’est une pathologie que nous pouvons prévenir, avec des mesures parfois très simples.

Définitions des différents stades de l’escarre (WHO-ICD 11, 2018 &

NPUAP)

  • Stade 2 : Altération de la surface cutanée avec perte d'épaisseur partielle de la peau touchant le derme. Le lit de la plaie est bien vascularisé, rose ou rouge, humide. L’escarre peut également se présenter sous la forme d'une vésicule (phlyctène) remplie de sérum (ou séro-sanglante) rompue ou non.

Escarre talon, stade 2

  • Stade 3 : Lésion avec perte de peau sur toute l’épaisseur. La graisse sous-cutanée peut être visible mais l'os, le tendon ou le muscle ne sont pas exposés. La profondeur varie selon l'emplacement anatomique : ils sont peu profonds dans les endroits où le tissu adipeux n’est pas très épais et à l’inverse peuvent être très profonds dans les zones où le tissu adipeux est plus important.

Escarre talon, stade 3

  • Stade 4 : Lésion de pression avec exposition directement palpable d'un tissu mou (muscle, tendon) ou d’un os à la suite d’une perte totale de l'épaisseur de la peau et du tissu sous-cutané. La profondeur varie selon l’endroit où se situe l’escarre.

Escarre talon, stade 4

Il existe ensuite de nombreux facteurs de risques qui favorisent le développement d’une escarre et qu’il faut impérativement rechercher. En voici une liste non exhaustive :

  • Mobilité limitée, faible niveau d’activité.
  • Antécédent d’escarre.
  • Diabète sucré.
  • Altération de la circulation sanguine, défaut de perfusion, oxygénation des tissus.
  • Dénutrition.
  • Milieu cutané humide, macération.
  • Augmentation de la température cutanée.
  • Âge.
  • Déficit de la perception sensorielle.
  • Intervention chirurgicale (durée d’immobilisation, durée de l’opération).
  • Durée d’hospitalisation en soins intensifs.

NB : Seules l’immobilisation et la dénutrition sont réellement des facteurs prédictifs du risque d’escarre selon la HAS.

Prise en charge (recommandation NPUA, 2019)

La prise en charge des escarres, telle que défi nie par la HAS lors de la conférence de consensus de 2009, repose sur une approche globale, alliant des interventions locales et générales, nécessitant une coordination pluridisciplinaire. L'adhésion de l'équipe soignante à un protocole de soins est cruciale, en tenant compte de sa faisabilité (ex : protocole complexe et/ ou très long) et des ressources disponibles.

Inspection

  • Décrire le nombre d’escarres, leur localisation, le stade, les mesures de la surface, de la profondeur de la plaie et l'aspect de la peau péri-lésionnelle.
  • Rechercher des signes d’infection (rougeur inhabituelle, œdème des bords de la plaie, écoulement purulent, etc.), une fistule et un éventuel contact osseux.

Principes du Protocole de Soins

  • Lavage au savon doux, éviter les nettoyants alcalins.
  • Prévention de la macération, protection contre l'humidité.
  • Utilisation de soins hydratants adaptés.
  • Pour les phlyctènes : percer, mettre à plat, recouvrir de pansement gras + hydrocolloïdes.
  • En cas de plaie fibrineuse ou nécrotique : réaliser une détersion avec des dispositifs médicaux tels que l'alginate ou l'hydrogel.
  • Test à la vitropression, évaluation de la vascularisation/perfusion des membres.
  • Rechercher et évaluer l’intensité de la douleur et son caractère permanent ou lié aux soins.

NB : Prendre des photos pour suivre l’évolution. Chez les personnes à peau foncée : évaluer température et humidité de la peau

Évaluation du mécanisme responsable

  • Évaluer le degré de mobilité, les habitudes de vie, l’état psycho-cognitif, l’autonomie. L’âge est important à prendre en compte également ainsi que l’état nutritionnel.
  • Recherche de points de pression, friction, cisaillement, macération.

Principes du Protocole de Soins

  • Lavage au savon doux, éviter les nettoyants alcalins.
  • Prévention de la macération, protection contre l'humidité.
  • Utilisation de soins hydratants adaptés.
  • Pour les phlyctènes : percer, mettre à plat, recouvrir de pansement gras + hydrocolloïdes.
  • En cas de plaie fibrineuse ou nécrotique : réaliser une détersion avec des dispositifs médicaux tels que l'alginate ou l'hydrogel.
  • Choix du pansement adapté au stade de l'escarre : hydrocolloïde pour le bourgeonnement, hydrocellulaire ou alginate en cas d'exsudation.
  • Autres thérapies :

▷ La thérapie par pression négative, en cas de taille modérée à importante, nécrose importante, exposition de parties molles ou osseuses1, 2.

▷ Chirurgie en cas de mauvaise évolution.

Ne pas oublier la gestion de la douleur liée à l'escarre et aux soins.

Focus sur l’utilisation des pansements en fonction du stade de l'escarre

  • Pansements hydrocolloïdes, hydrogel ou polymères pour les lésions de pression de stade II non infectées.
  • Pansement hydrogel pour les lésions de pression non infectées de stade III et IV avec un minimum d'exsudat.
  • Pansements à base d'alginate de calcium pour les lésions de pression de stade III et IV non infectées avec un exsudat modéré.
  • Pansements super-absorbants à capacité d'absorption élevée pour les lésions fortement exsudatives.
  • Pansements en collagène pour les blessures de pression non cicatrisantes afin d'améliorer la cicatrisation.

NB : La faisabilité et l'adaptation du protocole de soins doivent être prises en compte en fonction de la réalité et des moyens disponibles, tout en incluant le patient comme acteur de sa prise en charge ainsi que son entourage.

Prévention

  • Utilisation de pansements silicone multicouches.
  • Éviter les vêtements et plis à risque de créer des frictions.
  • Prise en charge nutritionnelle individualisée.

Positionnement et facteurs spécifiques

  • Décharge des points d'appui, changement régulier de position (toutes les 3/4h idéalement).
  • Préférer le décubitus latéral de 30° à celui de 90° (hyperappui sur les trochanters3, 4).
  • Facteurs spécifiques dans certaines situations cliniques :

▷ Utiliser une surface d'appui pour la redistribution des pressions sur la table d'opération pour toutes les personnes présentant ou risquant de présenter des lésions de pression lors d’une intervention chirurgicale.

▷ Utiliser un matelas adapté au risque de lésion de pression : mémoire de forme, air, etc.

▷ Utiliser un coussin d’assise adapté au risque d’escarre individuel : coussin à mémoire de forme, répartition de pression, air.

▷ Au fauteuil : préférer une légère inclinaison du dossier, les jambes surélevées ou en appui confortablement au sol (ou sur des repose-jambes).

▷ Apprentissage d’auto-mobilisation dès que possible.

Focus nutrition

Objectif d’apport : 30-35/kcal/kgs chez les patients à risque et 1.2 à 1.5 g de protéine/kg.

Favoriser la consommation d’aliments riches en zinc, arginine et antioxydants. La prescription de compléments nutritionnels oraux (CNO) doit être encouragée chez les patients ayant une escarre, étant à risque ou ayant des critères de dénutrition et/ou si l’apport oral des repas est insuffisant.

Une nutrition entérale ou parentérale peut également se discuter si les apports oraux malgré les CNO sont trop faibles par rapport aux objectifs fixés.

Focus sur quelques situations cliniques, certains facteurs sont plus spécifiques

  • En neurologie, orthopédie et traumatologie, on peut retenir trois facteurs de risque fondamentaux : la pression, la perte de mobilité et le déficit neurologique auxquels s’ajoutent la spasticité, l’incontinence, le risque peropératoire et le manque de coopération du patient.
  • En cas de chirurgie reconstructrice, l’âge, le tabagisme, la corticothérapie, le diabète, les troubles de la microcirculation et de la coagulation sont péjoratifs pour la cicatrisation.
  • En gériatrie, la fragilité particulière de la peau et du tissu sous-cutané et l’insuffisance d’apports protido-caloriques augmentent le risque d’escarre notamment en cas de maladie cardio-vasculaire, d’hypotension artérielle ou d’hyperthermie.
  • En soins intensifs, la fréquence des collapsus, la gravité de l’état initial, l’incontinence fécale, l’anémie et la longueur du séjour sont des facteurs prédictifs du risque d’escarre.

Échelles de risque et évaluation

  • Utilisation d'échelles (Norton, Waterloo, Braden) pour évaluer le risque.
  • Importance de l'échelle de Braden, bien validée par la littérature.

Focus sur

Différents types de coussins pour fauteuil
Garnis de mousse (mémoire de forme), de gel ou bien d’air. Pleins ou Alvéolés.
Différentes formes (ex : rectangulaire, en U).

Le choix d’un coussin de fauteuil roulant se base sur les mêmes critères que précédemment : le poids du patient, le degré de mobilité et le temps passé au fauteuil ainsi que les facteurs de risque d’altération de l’état cutané.

Différents types de matelas

  • Classe 0 : Matelas statique (en mousse, gaufrier avec système de plots, visco-élastique, à eau)
  • Classe 1 : Matelas en mousse à mémoire de forme (support statique en matériau qui se conforme au patient)
  • Classe 2 : Matelas à air statique
  • Classe 3 : Matelas à air dynamique

Coussin à air pour une prévention des escarres chez des personnes plus fragiles
et ne se mobilisant pas beaucoup.

Coussin à mémoire de forme standard pour prévention primaire des escarres
(en haut avec housse, en bas sans la housse)

Le coussin Vicair ® est composé de plusieurs compartiments dans lesquels on réparti des berlingots d’air afin de répartir comme il convient les pressions et également jouer un rôle sur le positionnement du bassin au FRM

Particularités chez le Blessé Médullaire3, 2, 5

  • Les escarres touchent environ un tiers à 45 % des blessés médullaires dans les 2 ans suivant l'accident.
  • Les chiffres varient dans la littérature (prévalence de 20 % à 85 % au cours de leur vie).
  • Taux d'incidence annuel en UK de 14,7 %, représentant jusqu'à 25 % des coûts de prise en charge des blessés médullaires.
  • Risque d'infection jusqu'à l'ostéite et l'ostéomyélite, pouvant entraîner le décès.

Pour aller plus loin

Prévention et traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé, conférence de consensus. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/escarresdef_long.pdf

Références

  • Lala D, Spaulding SJ, Burke SM, Houghton PE. Electrical stimulation therapy for the treatment of pressure ulcers in individuals with spinal cord injury: a systematic review and meta-analysis. Int Wound J. 13 avr 2015;13(6):1214-26.
  • Liu LQ, Moody J, Traynor M, Dyson S, Gall A. A systematic review of electrical stimulation for pressure ulcer prevention and treatment in people with spinal cord injuries. J Spinal Cord Med. nov 2014;37(6):703-18.
  • Groah SL, Schladen M, Pineda CG, Hsieh CH. Prevention of Pressure Ulcers Among People With Spinal Cord Injury: A Systematic Review. PM R. 2015 Jun;7(6):613-36. doi: 10.1016/j.pmrj.2014.11.014. Epub 2014 Dec 18. PMID: 25529614.
  • Zheng R, Guan B, Fan Y, Fu R, Yao L, Wang W, et al. A critical appraisal of clinical practice guidelines for management of four common complications after spinal cord injury. The Spine Journal. juin 2023;23(6):888-99.
  • Shiferaw WS, Akalu TY, Mulugeta H, Aynalem YA. The global burden of pressure ulcers among patients with spinal cord injury: a systematic review and meta-analysis. BMC Musculoskelet Disord. 29 mai 2020;21:334.
  • Dr Chloé PACTEA

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    Publié le 1709641057000