Actualités : Entretien avec une Équipe Mobile de la douleur et des Soins Palliatifs

Publié le 14 mars 2025 à 15:23
Article paru dans la revue « AFIHGE - Le journal des Jeunes gastro » / AFIHGE N°6

Entretien avec Dr Marie-Pierre SAFFON, Dr Olivia BOESPFLUG et Cécile PÉPION (infi rmière), de l'équipe mobile de la douleur et des soins palliatifs du Centre Hospitalier de Tarbes-Lourdes.

Un entretien enrichissant, pratique et, le plus important, humain, sur les soins palliatifs en France, avec une équipe mobile de la douleur et des soins palliatifs au centre hospitalier de Tarbes-Lourdes.

Comment définissez-vous les soins palliatifs ?

La SFAP (Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs) définit les soins palliatifs comme des soins actifs qui peuvent être proposés à un patient dès lors qu'il est atteint d'une maladie grave, évolutive, incurable, parfois dans une phase assez précoce de la maladie. Ils visent à améliorer la qualité de vie des patients sans chercher à agir sur la quantité de vie, en considérant que la mort est un processus naturel qui fait partie de la vie. Cette prise en charge s'inscrit dans une approche globale de la personne malade ; on parle d'une approche « biopsychosociale et spirituelle » :

• La dimension « Bio » : concerne tout l'aspect physique, c'est-à-dire la prise en charge des symptômes d'inconfort (la douleur, la dyspnée, les troubles digestifs, etc.) ;

• La dimension « Psycho » : concerne tout l'aspect psychique (l'anxiété, l'angoisse, etc.) ; 

• La dimension « Sociale » : cet aspect s'intéresse à la fois au retentissement professionnel (avec un intérêt majeur de l'accompagnement par une assistante sociale) et au retentissement familial (quel est l'impact de la maladie sur l'équilibre de la famille et quelle place occupe t-elle ?) ; 

• La dimension « Spirituelle » : elle n'est pas réductible à la religion. En effet, la maladie déclenche souvent un questionnement existentiel : les malades font le « bilan » de leur vie, s'interrogent sur ce qu'ils laissent derrière eux. Les soins palliatifs s'adressent au patient mais également à sa famille et aux équipes soignantes. Enfin, ils ont aussi une mission de formation et de recherche qu'il ne faut pas oublier. Selon la loi de 1999, tout patient a le droit à des soins palliatifs où qu'il soit : ces soins sont donc aussi bien déployés en institution qu'au domicile. Insistons sur l'aspect multidisciplinaire de la prise en charge : médecins, infirmiers, psychologues, assistante sociale, et bénévoles d'accompagnement formés (kiné, orthophoniste, ergothérapeute…).

À quel moment rencontrer un patient et comment vous présentez-vous ?

Dès lors que le médecin « spécialiste » a acté que l'on ne pourra pas guérir la maladie et qu'il l'a annoncé au patient et à sa famille. Il y a un outil développé par la SFAP sous forme de fiche : « Pallia10 » (avec une version gériatrique : « Pallia10 Géronto ») permettant de vérifier qu'un patient est éligible à la sollicitation de l'équipe mobile de soins palliatifs.

Comment nous présentons-nous ? Cette question a été posée et la réponse est très simple : nous nous présentons souvent comme « équipe mobile de soins palliatifs » puisque le patient et son entourage sont censés avoir été informés du caractère incurable de la maladie. Mais, cette présentation sera à moduler suivant les capacités du patient à « entendre » le stade palliatif de sa maladie.

Quelles sont les urgences palliatives ?

C'est un paradoxe qui existe : la douleur, la dyspnée, les vomissements incoercibles, les hémorragies cataclysmiques, la détresse psychique avec des angoisses de mort envahissant le malade sont de vraies urgences. La détresse respiratoire asphyxique reste l'urgence la plus fréquente et la plus grave et pose souvent l'indication d'une sédation immédiate. 

Très important : lors de l'entretien, il faut être pro-actif, poser beaucoup de questions et interroger activement le malade, notamment sur sa souffrance psychologique. 

En effet, certains patients pourraient ne pas exprimer leur souffrance spontanément et devant tous les membres de l'équipe, d'où l'intérêt aussi de communiquer avec ses collègues de l'équipe médicale et paramédicale du service.

On en est où de la fi n de vie en France ?

4 grandes lois régissent les soins palliatifs en France : 1999, 2002, 2005 et 2016.

La plus récente c'est la loi « Claeys-Leonetti » de 2016 qui permet « une sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès » devant des symptômes réfractaires, que le patient lui-même juge insupportables, si le pronostic vital est engagé à court terme, et à l'issue d'un processus réflexif qui s'appelle « procédure collégiale ». Ceci s'applique également pour des patients qui ne sont pas en capacité d'exprimer leur volonté.

En 2024, il y a eu un projet de loi qui visait à « aller plus loin » : suite à la convention citoyenne sur la fin de vie, 75 % des personnes interrogées étaient favorables à « une aide active à mourir ». Les textes prévoient 2 schémas différents : une option de « suicide assisté » et une option d' « euthanasie ». La discussion a été interrompue par les événements récents sur la scène politique (d'abord la dissolution de l'Assemblée nationale puis la motion de censure du gouvernement). Une reprise est prévue au premier trimestre de 2025.

Les limites des premières versions du texte sont : l'impossibilité aux pharmaciens d'utiliser leur clause de conscience en cas de refus de délivrance de la substance létale, la possibilité d'administration de la substance par la famille, le délai de réflexion de 48h…

Cependant, une grande question se pose : est-ce que toutes les ressources (médicamenteuses mais aussi psychologies et sociales) ont été mises à disposition du patient et de sa famille avant de leur ouvrir la possibilité d'une « aide active à mourir » ? On parle souvent de « liberté de choix » mais les patients ont-ils vraiment le choix entre « avoir mal » ou « vouloir mourir » ?

N'oublions pas l'impression de « fardeau pour la société » ressenti par les personnes âgées dépendantes : qu'offrons-nous aux gens vulnérables ? Jusqu'à quand ferons-nous le culte de la personne jeune, en bonne santé et rentable ? Pourquoi vieillir est-il « mauvais », mal vu, « indigne » ?

Dans les pays où l'euthanasie a été légalisée, il y a des dérives, une tendance à l'élargissement des critères d'éligibilité : la mort devient vite une prestation dans une société qui privilégie l'utilitarisme et la productivité.

Le débat est très complexe et dans tous les cas, les décisions doivent être collégiales et personnalisées, en gardant toujours en tête que la dignité est intrinsèque à l'être humain et non à ce qu'il pourrait apporter ou représenter pour la société.

Je suis interne de garde et je suis appelé par l'infirmière pour un patient que je ne connais pas, en soins palliatifs, qui présente une détresse respiratoire, comment devrais-je agir ?

Un maître-mot : l'anticipation. Anticiper l'échange et l'information du malade et de sa famille. Anticiper la discussion collégiale dans l'équipe dès lors qu'un patient est atteint d'une maladie grave et qu'il est susceptible de présenter un événement aigu. Mais surtout, anticiper les prescriptions. Prescrire de la morphine et du midazolam en « si besoin ». Ne pas avoir peur de prescrire ces médicaments  : le TRANXENE et le VALIUM, médicaments à demi-vie longue, sont régulièrement utilisés au détriment de l'HYPNOVEL qui fait paradoxalement peur alors que sa demi-vie est plus courte et sa maniabilité plus facile (et pourtant, ils font tous partie de la famille des benzodiazépines). Il faut démystifier son utilisation.

Si une sédation profonde n'a pas été validée en discussion collégiale et s'il n'y a pas de prescription anticipée, un compromis consisterait à prescrire des médicaments visant à soulager au maximum les symptômes présents (anxiolytiques par exemple avec un pousse-seringue de MIDAZOLAM à 0.2 mg/h ou de la morphine à faible dose si le patient est polypnéique) pendant la nuit, sans viser, d'emblée, une sédation profonde du patient.

Comment bien orienter un malade en soins palliatifs à la sortie d'hospitalisation ?

C'est le quotidien dans les services. L'organisation des soins palliatifs est dépendante des départements.

Pour faire simple : 

• Un patient en soins palliatifs mais avec peu de soins techniques et peu de risque de présenter un événement aigu au domicile : discuter une inclusion dans un réseau de soins palliatifs. En pratique, il faut appeler le « DAC » (Dispositif d'Appui à la Coordination) qui nous met en lien avec le réseau de soins palliatifs. Il faut également avoir l'aval du médecin traitant et des infirmières libérales qui restent au centre de la prise en charge du patient au domicile. Une visite au domicile est organisée. L'assistante sociale qui instruit le dossier met en place des aides qui sont opérationnelles très rapidement. Le réseau de soins palliatifs n'est pas effecteur de soins, mais a un rôle de conseil.

• Un patient en soins palliatifs mais avec des soins techniques (exemples : oxygénothérapie, nutrition artificielle, PCA, etc.) et/ou qui est à risque de présenter un événement aigu au domicile : appeler l'HAD (Hospitalisation à domicile) qui vient évaluer le patient au cours de l'hospitalisation et qui mettra tout en place ; le médecin et les infirmiers de l'HAD accueilleront le malade le jour de la sortie. À la différence du réseau de soins palliatifs, l'HAD est effectrice de soins.

• Si un retour au domicile n'est pas possible de manière temporaire ou définitive (isolement socio-familial important, impossibilité pour la famille…), une institutionnalisation peut être discutée. Les orientations sont nombreuses et dépendent à la fois du profil du patient et de son pronostic. Si le patient n'est pas « soulagé », un séjour en service de SMR (Service Médicale de Réadaptation) doté de LISP (Lits Identifiés de Soins Palliatifs) voire à l'USP (Unité de Soins Palliatifs, si l'inconfort du malade est majeur) peut être organisé. Ces structures peuvent également accompagner les malades en fin de vie. Ensuite, si l'objectif c'est une rééducation en vue d'un retour au domicile avec reprise possible d'un traitement spécifique (chimiothérapie par exemple), un séjour en SMR devra être anticipé. Enfin, pour les personnes âgées sans retour au domicile possible et sans indication à une rééducation, une demande de placement peut être faite (EHPAD pour Etablissements d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes ou USLD pour Unité de Soins de Longue Durée).

Dans tous les cas, ne pas hésiter à solliciter les équipes mobiles de la douleur et des soins palliatifs : elles sont présentes dans toutes les structures, elles sont accessibles, et ont l'habitude de la prise en charge multidisciplinaire.

À gauche, Dr Marie-Pierre SAFFON et à droite, madame Cécile PEPION IDE, de l'équipe mobile de la douleur et des soins palliatifs du centre hospitalier de Tarbes.

Comment se former aux soins palliatifs ?

• Pour les médecins : la formation spécialisée transversale (FST) de soins palliatifs accessible notamment aux internes en hépato-gastro-entérologie. 

• Pour les infirmières : une formation institutionnelle à l'IFSI (Institut de Formation aux Soins Infirmiers) avec 2 fois 2 journées de formation faites par l'EMSP et une formation continue au sein du centre hospitalier. 

• Et pour la formation continue : les DU/DIU (diplômes universitaires et inter-universitaires) et le congrès annuel de la SFAP ouvert à tous les professionnels de santé et aux bénévoles ; il y a également des journées de formation régionales. Il faut se renseigner auprès des acteurs locaux.

Pour conclure, même si cela paraît évident, une règle d'or :

Apprendre à écouter le patient, l'aborder dans sa globalité. Mais aussi, en tant que professionnel, savoir demander de l'aide, connaître ses limites, faire appel à des collègues, être réactif, savoir anticiper. Et surtout, ne pas oublier que la mort fait partie de la vie, et l'accepter soi-même afin de pouvoir y être confronté quand on exerce des soins palliatifs.

EL HACHEM Sami
Toulouse

Publié le 14 mars 2025 à 15:23