Endocrinologie - Traitement du diabète gestationnel diagnostiqué précocement en cours de grossesse

Publié le 26 Mar 2024 à 08:18
Article paru dans la revue « AIGM / Gynéco Med » / AIGM N°2


Treatment of Gestational Diabetes Mellitus Diagnosed in Early Pregnancy
• Simmons et al., The New England Journal of Medecine, 8 Juin 2023

Mots-clés
Gestational diabetes ; early screening ; immediate treatment ; adverse neonatal outcomes

Le diabète gestationnel (DG) est une pathologie gravidique fréquente pouvant être à l'origine de complications materno-fœtales (pré-éclampsie, macrosomie, hypoglycémies néonatales…) (1). En France son dépistage repose actuellement sur la réalisation d'une glycémie à jeun au premier trimestre et/ou une hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO) entre la 24e et la 28e semaine d'aménorrhée chez les femmes présentant au moins un facteur de risque de DG (critères OMS 2013).
Plusieurs études de cohortes ont mis en évidence un risque élevé de mortalité périnatale en cas de diagnostic précoce de DG avant 20 semaines d'aménorrhée (SA) (2). Cependant, aucun essai contrôlé randomisé n'avait évalué l'impact d'une prise en charge précoce. Cette étude a comparé les issues cliniques selon que le traitement du DG ait été initié précocement avant 20 SA ou différé entre 24 et 28 semaines.

Matériel et Méthodes

Les auteurs ont réalisé une étude contrôlée, randomisée, multicentrique dans 17 hôpitaux de 4 pays (Australie, Autriche, Suède, Inde).

Les critères d'inclusions étaient  : âge ≥ 18 ans, grossesse unique entre 4 et 19 semaines d'aménorrhée et 6 jours, présence d'au moins un facteur de risque de DG (antécédent personnel de diabète gestationnel ou de macrosomie, âge ≥ 40 ans, IMC > 30 kg/m², antécédent familial au 1er degré de diabète, syndrome des ovaires polykystiques, ou origine non européenne).

Les participantes incluses présentaient un DG dont le diagnostic reposait sur le résultat d'une HGPO réalisée sur 2h avant 20 SA. Les seuils considérés étaient ceux de l'OMS. Les participantes étaient exclues en cas de diabète préexistant.

Les patientes ont été randomisées pour recevoir soit un traitement immédiat pour le DG à l'issue de la première HGPO, soit un traitement différé ou aucun traitement (groupe contrôle) selon le résultat d'une seconde HGPO réalisée entre 24 et 28 SA. Le traitement du DG reposait sur des conseils diététiques, l'apprentissage du contrôle des glycémies capillaires et la mise en place d'un traitement médicamenteux (insuline, metformine) en cas de contrôle insatisfaisant.

Cet essai comportait 3 critères de jugement principaux : un premier critère composite constitué de plusieurs issues néonatales défavorables (prématurité < 37 SA, Poids à la naissance ≥ 4500g, évènement traumatique à la naissance, détresse respiratoire, photothérapie, MFIU ou décès néonatal, dystocie des épaules), un deuxième critère portant sur l'hypertension artérielle gravidique, la pré-éclampsie ou l'éclampsie et un troisième critère évaluant la masse maigre à la naissance. Les critères de jugements secondaires portaient sur les issues maternelles (gain pondéral total, césarienne, lésions périnéales, hypoglycémies notamment) et néonatales (poids à la naissance, macrosomie, petit poids pour l'âge gestationnel (PAG), hypoglycémies néonatales sévères).

Résultats

Entre mai 2017 et mars 2022, 802 femmes ont été randomisées dans le groupe traitement immédiat (50,6  %) ou dans le groupe contrôle (49,4  %). 793 femmes ont été incluses dans les analyses après exclusion des grossesses interrompues précocement.

Dans le groupe contrôle, le DG était confirmé sur la 2e HGPO réalisée entre 24 et 28 SA pour 67,0 % des femmes, qui ont donc été traitées par la suite. L'utilisation d'insuline était plus fréquemment retrouvée dans le groupe traitement immédiat que dans le groupe contrôle (58,1 % vs 41,4 %).

Concernant le critère de jugement principal, les résultats étaient en faveur d'une incidence discrètement plus faible du critère composite réunissant les issues néonatales défavorables : 94/378 (24,9 %) dans le groupe traitement immédiat vs 113/370 (30,5 %) dans le groupe contrôle, avec une différence moyenne ajustée de -5,6 (IC 95% -10,1 à -1,2), p = 0,02  et un risque relatif ajusté de 0,82 (IC 95% 0,68- 0,98). Le nombre de sujets à traiter pour prévenir un évènement était de 18. En revanche, il n'y avait pas de différence pour le critère hypertension gravidique/pré-éclampsie/ éclampsie avec 40/378 (10,6  %) dans le groupe traitement immédiat vs 37/372 (9,9  %) dans le groupe contrôle, différence moyenne ajustée de 0,7 (IC 95% -1,6 à 2,9). Il en était de même pour la masse grasse néonatale (figure 1).

Il n'y avait pas de différence notable concernant les critères de jugement secondaire maternels et néonataux entre les deux groupes à l'exception des lésions périnéales sévères  : 0,8 % dans le groupe traitement immédiat vs 3,6 % (-2,8 (IC 95% -4,1 à -1,5)).

Les analyses en sous-groupes suggéraient un bénéfice plus marqué du traitement immédiat pour les patientes avec des taux de glycémie plus élevés ainsi que pour celles ayant réalisé l'HGPO avant 14 SA. En revanche, il n'y avait pas de différence dans le groupe ayant des glycémies plus basses, voire un risque plus élevé de PAG en cas de traitement précoce.

Discussion / Conclusion

Les résultats de cet essai randomisé sont en faveur d'un impact statistiquement significatif mais modeste de la mise en place d'un traitement immédiat du DG sur un critère composite constitué d'issues néonatales défavorables chez les femmes à risque dépistées avant 20 SA. Aucune différence n'a été mise en évidence concernant l'hypertension gravidique et la masse grasse néonatale. Dans la population étudiée, pour un tiers des femmes ayant eu un diagnostic de DG avant 20 SA, celui-ci n'a pas été confirmé par l'HGPO répétée entre 24 et 28 SA.

Les essais randomisés précédemment réalisés concernant principalement les DG diagnostiqués entre 24 et 28 SA, cette étude a permis d'apporter de nouvelles données robustes sur l'impact de la mise en place précoce de mesures thérapeutiques. Toutes les participantes ayant eu un diagnostic de DG confirmé après la 2nde HGPO ont bénéficié d'une prise en charge thérapeutique, et les différences observées étaient donc attribuables à son instauration précoce. Toutefois, la prise en charge du DG n'était pas standardisée dans cet essai.

Les analyses en sous-groupes suggèrent une variation de l'impact du traitement précoce selon les taux de glycémies chez les patientes avec un DG, avec un bénéfice en cas de glycémies élevées mais un possible effet néfaste pour les glycémies plus basses.

La réalisation d'études ultérieures permettrait d'établir des seuils diagnostiques pour le DG en cas de diagnostic précoce, car les résultats de cet essai interrogent sur l'applicabilité en début de grossesse des critères OMS définis pour une HGPO réalisée entre 24 et 28 semaines. De plus, les objectifs thérapeutiques pourraient également différer selon le stade de la grossesse.

Enfin, des études avec de longues durées de suivi permettraient d'évaluer le devenir de ces enfants, notamment sur le plan métabolique.

Take Home Messages

Impact modeste du traitement immédiat du DG en cas de dépistage précoce avant 20 semaines chez les femmes présentant des facteurs de risque.

  • Pas de différence sur le risque d'hypertension artérielle gravidique/ pré-éclampsie/éclampsie ou sur la masse maigre néonatale en cas de prise en charge thérapeutique précoce du DG.
  • Diagnostic de DG non confirmé pour un tiers des patientes lorsque l'HGPO était répétée entre 24 et 28 semaines.


Ryma Bessa
Docteur Junior en
Gynécologie Médicale

Paris


Dr Sandrine Perol
Praticienne Hospitalière
en Gynécologie Médicale
à l'Hôpital Port-Royal
Paris

Références

ACOG practice bulletin no. 190: gestational diabetes mellitus. Obstet Gynecol 2018;131(2):e49-e64. 2. Immanuel J, Simmons D. Screening and treatment for early-onset gestational diabetes mellitus: a systematic review and meta-analysis. Curr Diab Rep 2017;17:115.

 

Publié le 1711437525000