Encart historique - Des bactéries aux CAR-T…

Publié le 04 Apr 2024 à 12:21
Article paru dans la revue « AIH-Revue Sang » / AIH Sang N°1


Au-delà de la rime, les premières sont bel et bien à l’origine des secondes. En effet, au siècle dernier, le chirurgien W. Coley a été le premier à mettre en exergue le potentiel du système immunitaire dans la lutte contre le cancer, observant la régression de tumeurs des tissus mous après une infection bactérienne. Dans les années 1970, l’immunologiste J. Miller identifie le thymus comme le lieu de développement des lymphocytes T (LT)(1). En 1982, J.P. Allison décrit le récepteur des LT (TCR) comme une unité de reconnaissance d’antigène constituée de chaînes α et β, associées aux chaînes de transduction du signal CD3γ, δ, ε et ζ(2).

Les premières allogreffes ont eu lieu dans les années 1950 avec un succès notable mais identifié comme étant médié par le pouvoir des T, dans le rejet du greffon contre l’hôte (3). En découle le développement ultérieur de deux types de thérapies cellulaires adoptives : les LT infiltrant la tumeur (TIL) et les LT génétiquement modifiés pour exprimer un récepteur chimérique à l’antigène (CAR-T).

Initiés en 1988 par S. Rosenberg à l’Institut national du cancer, les premiers essais avec des TIL isolés de patients atteints de mélanome métastatique ont montré une régression tumorale chez des patients après amplification in vitro et réinjection dans un milieu riche en interleukine 2 (IL-2). L’ajout d’une lymphodéplétion avant le transfert des TIL a amélioré les taux de réponse complète. Cependant, les TIL présentent des limites, notamment leur spécificité restreinte, leur absence dans certains cancers, et l’influence négative du microenvironnement tumoral sur les cellules T (4). Pour surmonter cela, des lymphocytes T génétiquement modifiés ont été conçus pour cibler un antigène tumoral spécifique sans dépendre des molécules HLA.

En 1989, les immunologistes israéliens Z. Eshhar et G. Gross ont créé les premières cellules T génétiquement modifiées en utilisant une molécule chimérique combinant le TCR et l’immunoglobuline (Ig). Ils ont substitué les régions variables (Vα et Vβ) des chaînes TCR par les homologues des chaînes lourde (VH) et légère (VL) (5). Cependant, bien que cette approche contournât la voie de reconnaissance du système HLA, la production de ces récepteurs chimériques demeurait une procédure complexe impliquant une double transfection virale. C’est pourquoi des méthodes plus simples, basées sur des fragments variables à chaîne unique (scFv, fragment variable à chaîne unique), ont été privilégiées.

La première version de ces CAR-T cells a été développée par Eshhar et son équipe en 1993. Ils ont fusionné un domaine scFv provenant d’un anticorps monoclonal spécifique du carcinome ovarien avec la sous-unité CD3ζ du TCR (6). Cependant, ce premier CAR, reposant uniquement sur la molécule de cotransduction du signal, a montré des failles en termes d’expansion et de cytotoxicité des CAR-T.

Pour favoriser une fonction optimale et prolongée des cellules T, des domaines de costimulation ont été ajoutés, entraînant une amélioration de la prolifération, de la sécrétion cytokinique et de l’activité antitumorale. Les CAR-T de deuxième génération, actuellement utilisées en clinique, intègrent les domaines de costimulation CD28 ou 4-1BB (7). Une troisième génération de CAR, comprenant deux domaines de costimulation associés à un domaine d’activation, a été développée in vitro, elle n’a pas encore été validée in vivo. L’idée de la modulation de ces domaines ITAM-CD3 est d’obtenir une combinaison idéale, intermédiaire entre la capacité de prolifération et la différenciation (8). Enfin, des CAR dits de nouvelle génération sont actuellement en pleine expansion mais restent là aussi du domaine de la recherche fondamentale (9).

Une limitation notable des CAR-T cells autologues réside dans leur délai de fabrication, souvent nécessitant une période de thérapie d’attente et de réduction de la masse tumorale. De plus, un temps de fabrication plus court pourrait préserver in vivo la qualité des lymphocytes (“stemness”) qui en serait altérée par l’expansion in vitro. Réduire le temps de manufacturing semble être une voie d’amélioration de l’efficacité des CAR-T cells. Un essai visant au raccourcissement du délai d’obtention de CAR-T cells a utilisé YTB323 (un CAR-T antiCD19) dont le temps de fabrication était de 2 jours (11). Aussi, la possibilité d’utiliser des CAR-T cells « académiques » permettrait non seulement de réduire les coûts, mais aussi de raccourcir le temps de fabrication, puisque celle-ci aurait lieu directement dans le centre. Dans cette lancée, une étude préliminaire turque a donné de bons résultats (12).

Une autre alternative est l’utilisation de CAR-T cells allogéniques mais les manipulations génétiques comprenant la nécessité de supprimer le TCR et le CD52 ne sont pas si simples dans les faits. Ces CAR-T cells allogéniques provenant de lymphocytes T vierges, n’ayant subi aucune chimiothérapie préalable, auraient de toute évidence une efficacité meilleure (13).

Enfin, en place du fragment de reconnaissance scFV synthétique, murin ou lama utilisé en pratique clinique, utiliser pour reconnaissance de l’antigène un fragment humanisé permettrait d’obtenir une meilleure persistance des CAR-T cells (14).

D’autres axes visant à améliorer l’efficacité des CAR-T cells sont en cours de développement. Cela inclut l’induction de la sécrétion autocrine de cytokines ou de chimiokines, ainsi que l’inhibition des molécules de points de contrôle immunitaire présentes dans les CAR et le microenvironnement. C’est en ce sens qu’ont été développées les CAR-T cells de 4ème génération appelées aussi CAR armées ou TRUCKs (15).

Des stratégies de régulation des effets indésirables ont également été proposées, telles que l’activation ou l’inactivation (switch on/ off) des CAR-T cells par incorporation d’un “interrupteur” (comme les gènes suicide en utilisant les techniques CRISPR/Cas9 (16)) ou d’un CAR SMASh (small-molecule-assisted shutoff) dans les cellules T génétiquement modifiées (17). Comme autre exemple, des CAR-T cells sont programmées pour exprimer un analogue du CD20 en surface pour être éliminés en cas de syndrome de relargage de cytokines (CRS) sévère, par l’administration de RITUXIMAB (18).

Time for (CAR) T


1960 - Eva et George Klein montrent que les cellules immunitaires peuvent contrer le cancer chez la souris. Les types de cellules immunitaires impliqués ne sont pas totalement élucidés.


1961 - L’immunologiste Jacques Miller, alors qu’il prépare son doctorat à l’Université de Londres identifie le thymus comme site de développement des lymphocytes T.


1973 - Début de l’allogreffe et premiers principes de l’effet GVL : les lymphocytes T du donneur tuent les cellules cancéreuses chez le receveur. Beaucoup considèrent qu’il s’agit de l’une des premières immunothérapies réussies.


1986 - Steven Rosenberg et ses collègues traitent les patients par des lymphocytes infiltrant la tumeur. Ces cellules sont prélevées d’une tumeur et développées en laboratoire avant d’être redonnées au patient en grand nombre. Quelques patients sont guéris d’un cancer avancé, ce qui montre déjà que les propres cellules immunitaires d’une personne peuvent combattre le cancer.


1992 - L’immunologiste Michel Sadelain commence à utiliser des outils de génie génétique nouvellement développés, en particulier des vecteurs rétroviraux, pour introduire des gènes dans les cellules T, dans le but de fabriquer des traitements anti-cancer. Cette idée portera ses fruits dans les années à venir ;)


1993 - L’immunologiste Zelig Eshhar, en Israël, conçoit des lymphocytes T avec la première molécule chimérique, une partie d’un anticorps fusionné à une partie d’un récepteur de lymphocyte T. Ceux-ci seront connus sous le nom de CAR de première génération. Bien qu’ils soient technologiquement innovants, ces CAR précoces ne persistent pas dans l’organisme et ne sont pas cliniquement efficaces.


1994 - Le domaine fait un pas en avant lorsque des scientifiques apprennent à isoler des lymphocytes T spécifiques des virus pour les utiliser dans les greffes de cellules souches. Ces cellules aident à prévenir les infections post-greffe et les cancers causés par le virus chez les patients, et limitent également la maladie du greffon contre l’hôte.


1998 - Le Dr Sadelain et ses collègues montrent que l’introduction d’une molécule co-stimulante dans les lymphocytes T modifiés leur permet de persister et de rester actifs dans l’organisme, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle génération de CAR.


2003
- Un article précurseur montre que les cellules CAR-T humaines dirigées contre le CD19 peuvent tuer les cellules leucémiques dans un modèle murin. C’est la première fois que le CD19 s’avère être une cible efficace pour les cellules CAR-T. Le peloton suit rapidement.


2009 - Le Dr Sadelain et ses collègues, dont Isabelle Rivière, publient les détails de leur procédé de fabrication des cellules CAR-T CD19, qui seront utilisées chez les patients atteints de leucémie chimio-récidivante ou réfractaire.


2013 - Le médecin-chercheur Renier Brentjens et ses collègues publient les résultats d’un essai clinique utilisant des cellules CAR-T CD19 chez des adultes atteints de leucémie aiguë lymphoblastique (LAL). Il s’agit de la première étude publiée utilisant des CAR pour traiter la LAL chez l’homme.


2015 - Les scientifiques construisent des cellules CAR-T qui produisent d’autres molécules, appelées « CARs armées ». Les cellules sont testées comme traitement du cancer de l’ovaire.


2017 - Il est montré que l’outil d’édition du génome CRISPR peut être utilisé pour placer un CAR à un emplacement génétique spécifique dans les lymphocytes T, afin d’améliorer son fonctionnement. La FDA approuve les cellules CAR-T dirigées contre CD19 (Kymriah) pour le traitement des LAL R/R chez les enfants et les jeunes adultes.


2018 - L’EMA approuve les CAR-T pour traiter les LAL R/R. La FDA les approuve en traitement du DLBCL et PMBCL en R/R.


2021 - Un CAR-T pour traiter les maladies dysimmunes comme le lupus. ABECMA est approuvé par la FDA pour le myélome multiple en R/R.


2023 - CAR-T cells disponibles à ce jour.

État des lieux sur les CAR-T

En 2023, dans le DLBCL, « quelles car-t cells, pour qui et quand ? »

3 CAR-t cells

La différence entre ces CAR-T cells repose essentiellement sur le domaine de costimulation :

  • 4-1BB pour Tisa-cel et Liso-cel
  • CD28 pour Axi-cel

Aussi, les vecteurs utilisés pour Tisa-cel et Liso-cel (vecteurs lentivirus) et Axi-cel (vecteur ϒ-rétroviral) présentent une différence notable.

Ce qui a été évalué – résumé des essais par CAR-T cells/indication

  Axi-cel (YESCARTA) Tisa-cel (KYMRIAH) Liso-cel (BREYANZI) Patients en 1ère rechute dans les 12 mois après traitement de 1ère ligne chez les patients éligibles à une autogreffe de CSP ZUMA-7(23) BELINDA(24) TRANSFORM(25) Patients en 1ère rechute dans les 12 mois après traitement de 1ère ligne chez les patients non éligibles à une autogreffe de CSP ALYCANTE(26)   PILOT(27) Patients adulte en rechute/réfractaire après 2 lignes de traitement systémique ZUMA-1(28) JULIET(29) TRANSCEND(30) Patients adulte de haut risque en 1ère ligne ZUMA-12(31)    


Ce qui est effectivement possible

  Axi-cel (YESCARTA) Tisa-cel (KYMRIAH) Liso-cel (BREYANZI) Patients en 1ère rechute dans les 12 mois après
traitement de 1ère ligne chez les patients
éligibles à une autogreffe de CSP   Patients en 1ère rechute dans les 12 mois après
traitement de 1ère ligne chez les patients non
éligibles à une autogreffe de CSP     Patients adulte en rechute/réfractaire après
2 lignes de traitement systémique


Mais quelles sont les meilleures ?

Dans la cohorte de vie réelle DESCART (Figure 5), Emmanuel Bachy et ses collègues ont comparé Axi-cel et Tisa-cel en les appariant sur le score de propension. La mPFS est de 8,2 mois versus 3,1 mois en faveur du traitement par Axicel. Le taux de PFS à 1 an est de 46,6 % versus 33,2 %, toujours en faveur d’Axi-cel. Il en est de même pour la médiane de survie globale, qui est non atteinte chez les patients recevant Axi-cel versus 11,2 mois pour les patients recevant du Tisa-cel. Le taux de survie globale à 1 an est de 63,5 % pour Axi-cel versus 48,8 pour Tisa-cel.

Figure 5 : Comparaison de la survie globale du traitement par Axi-Cel et Tisa-cel en conditions
de vie réelle

Et en termes de tolérance ?
Chez le sujet éligible à l’autogreffe

Comparaison des toxicités évaluées dans chacune des études pivots des CAR-T cells chez les adultes en rechute/ réfractaire après 2 lignes de traitement systémique,

gr≥3 ZUMA-1 JULIET TRANSCEND CRS (%) 11 17 2 ICANS (%) 30 11 10 Cytopénie >3mois (%) 17 16,5 17 Infection (%) 28 20 12


Dans la cohorte de vie réelle DESCART, (32)

gr≥3 (%) Axi-cel Tisa-cel CRS (%) 5,3 9,1 ICANS (%) 13,9 2,9 Cytopénie >3mois (%) 11,5 3,8


Chez le sujet non éligible à l’autogreffe (27, 33)

Dans l’essai ALYCANTE, l’âge médian de 70 ans (49-81 ans) avec 11 % des patients de plus de 75 ans, la tolérance est similaire à ZUMA-7.

Dans l’essai PILOT, l’âge médian est de 74 ans (53-84 ans) et 46 % des patients ont plus de 75 ans. Il est recensé 2 % de CRS de grade 3 et 3 % d’ICANS de grade 3. Les infections de grade au moins égal à 3 sont évaluées à 7 %. Le taux de mortalité non liée à la pathologie est évalué à 3 %.

À l’avenir

Les CAR-T cells pourraient avoir une place dès la première ligne. Ainsi, l’étude ZUMA-23 compare chez les DLBCL IPI 4 ou 5, une première cure de chimiothérapie puis la réinjection des CAR-T-cells versus le traitement standard (24).


Bénédicte PIRON
Interne en Hématologie
CHU de Nantes

L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

Publié le 1712226101000