Effet de la colchicine en post infarctus du myocarde, l’étude covert-mi

Publié le 25 May 2022 à 09:08


UNE RÉUSSITE FRANÇAISE PRÉSENTÉE À L’ESC 2021 !

Échange entre le Pr Nathan Mewton (CHU Lyon, investigateur principal de l’étude) et le Dr Charles Fauvel (Rouen, membre du CCF).

Le congrès ESC 2021 de la société Européenne de Cardiologie vient de se terminer. Comme chaque année, plusieurs études ont été présentées et parmi elles, l’étude COVERT-MI pour « COlchicine for Left VEntricular Remodeling Treatment in Acute Myocardial Infarction ». Le Pr Nathan Mewton, investigateur principal de cette étude randomisée, multicentrique, Française et qui a présenté les résultats à l’ESC, a bien voulu répondre à nos questions.

C.F. : Bonjour Pr Mewton et merci d’avoir accepté de participer à cette interview pour le journal du collège des cardiologues en formation ! Pouvez-vous tout d’abord nous rappeler dans quel contexte et comment a été designée cette étude ?
N.M. : Cette étude se situe dans le cadre de la cardioprotection et de la recherche de nouvelles voies permettant de limiter les lésions myocardiques post-infarctus. Maintenant que nous savons reperfuser l’artère coronaire coupable dans plus de 95 % des cas, la frontière s’est déplacée sur le sauvetage maximal du myocarde ischémique. Notre objectif est toujours de limiter au maximum les lésions ischémiques et celles qui surviennent après la reperfusion. Après avoir connu plusieurs échecs avec la cyclosporine A ou le post-conditionnement ischémique, nous nous sommes concentrés sur la réaction inflammatoire qui suit la reperfusion. Une étude préliminaire avec des résultats prometteurs montrant l’efficacité de la colchicine sur la taille d’infarctus avait été publiée en 2015 par Deftereos et al. et nous avons cherché à approfondir et confirmer ces résultats.

L’objectif de l’étude Covert MI, étude académique prospective multicentrique randomisée contre placebo, était d’évaluer l’efficacité d’un traitement oral de 5 jours par colchicine débuté au moment de la reperfusion sur la taille d’infarctus et le remodelage ventriculaire évalués en IRM cardiaque.

Cette étude a pris un relief particulier avec les résultats positifs des études Colcot et Lodoco2 présentés en 2019 et 2020, montrant l’efficacité de la colchicine au long cours, en post-infarctus différé pour réduire la survenue d’événements ischémiques. Toutefois, la cible thérapeutique de ces deux dernières études était très différente : Colcot et Lodoco2 ciblent l’inflammation chronique résiduelle associée au développement de l’athérosclérose coronaire.

C.F. : Pour ceux qui n’auraient pas eu la chance d’assister à la présentation de l’étude à l’ESC, quels sont les résultats principaux à retenir en pratique clinique ?
N.M. :
Nous avons inclus 192 patients à la phase aiguë d’un premier infarctus avec sus décalage du segment ST dans 10 centres en France sur une période de 3 ans. Un traitement oral par colchicine de 5 jours débuté au moment de la reperfusion avec une posologie de 0,5 mg de 2 fois par jour était testé contre placebo. Le critère de jugement principal était la taille d’infarctus mesurée en IRM à 5 jours sur le rehaussement tardif. Dans les critères de jugement secondaires nous avions le remodelage ventriculaire gauche entre 5 jours et 3 mois en IRM ainsi que la présence d’un thrombus intraventriculaire gauche.

Le résultat principal est que la taille d’infarctus n’est pas modifiée par la colchicine en comparaison au placebo. Le remodelage ventriculaire gauche était absent dans les deux groupes chez plus de 75 % des patients, sans différence significative entre les deux groupes.

Enfin, nous avons constaté un résultat inattendu, avec une augmentation très significative du taux d’incidence de thrombus ventriculaire gauche (taux d’incidence multiplié par trois) dans le groupe colchicine par rapport au placebo. Il ne semblait pas y avoir de surrisque d’AVC induit par la présence de ce thrombus.

En pratique clinique, notre étude vient apporter une note de prudence pour l’utilisation de la colchicine en post-infarctus. A la phase aiguë, la colchicine donnée à 1 gramme/ jour ne réduit pas les lésions myocardiques. Pire, elle pourrait les aggraver et promouvoir la formation de thrombus intraventriculaire gauche. Ces résultats négatifs doivent cependant être confirmés dans d’autres études.


Analyse en sous-groupes pour le critère de jugement principal : Taille d’infarctus mesurée en IRM à 5 jours sur le rehaussement tardif (d’après Mewton N et al. Circulation 20211).

C.F. : La recherche clinique peut prendre différentes formes néanmoins, l’essai clinique contrôlé randomisé multicentrique reste l’étude avec le plus haut niveau de preuve. Ce n’est d’ailleurs pas tous les ans qu’une équipe Française a la chance de présenter ces résultats à l’un des plus grands congrès mondiaux de cardiologie qu’est l’ESC.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le côté très pratique des essais cliniques : écriture du CRF, recrutement et inclusions des centres, suivi et analyse des data, etc. ?

N.M. : Cette question est très importante.

Elle met l’accent sur tout le matériel et le personnel compétent nécessaire qu’il faut pour pouvoir réaliser une étude de ce type. La plupart des cliniciens n’ont pas conscience de cette infrastructure nécessaire. En France, les cliniciens doivent bien souvent faire de la recherche clinique en plus de leur propre activité clinique. Et ils doivent souvent bricoler tout seuls.

On peut comparer la recherche à une forme d’alpinisme. Si vous ne mettez pas les moyens en temps, en argent et en organisation, sans entraînement particulier, vous ne ferez qu’une bonne balade du dimanche dans le parc de ville ou en moyenne montagne. Pour une recherche plus ambitieuse et structurée, on peut comparer cela à l’alpinisme dans l’Himalaya : cela demande du temps, des moyens humains et financiers, de la motivation et de l’entraînement. L’expérience permet également d’être pragmatique et de mettre en adéquation l’ambition avec les moyens présents sur le terrain. Beaucoup de projets de recherche en France échouent à cause d’une mauvaise évaluation de ce qui est demandé par le protocole sur le terrain, et les moyens présents sur le terrain.

J’ai la chance d’avoir une partie de mon temps dédié à la recherche clinique, et de m’appuyer sur une structure professionnelle en recherche clinique avec le centre d’investigation clinique (CIC). Avec le CIC, nous avons des chefs de projet, des assistants de recherche clinique, un ingénieur de relecture des images, un département de data management et des statisticiens. Tous les ingrédients indispensables pour conduire une étude du type de Covert MI. Sans oublier un ingrédient tout aussi indispensable : un investigateur principal motivé dans chaque centre participant. Avec la chance que nous avons en France de pouvoir obtenir des financements dans le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique national, cela nous donne les moyens pour financer une partie de cette infrastructure.

D’autres organisations fortes en France se sont développées ces 15 dernières années en recherche clinique de Cardiologie, comme le groupe Action et le réseau FACT à Paris, ou le réseau INI CRCT à Nancy. Elles ont acquis une culture et ont les infrastructures pour conduire ce type de projet.

C.F. : Enfin, avez-vous quelques conseils à donner à nos lecteurs, avant de se lancer dans une telle aventure ?
Oui ! Plein !
> Soyez motivés, soyez curieux, lisez régulièrement les articles dans les journaux de haut rang en cardiologie.
> Développez une culture/compétence recherche en passant votre diplôme de bonne pratique clinique, en participant à des essais académiques et industriels ambitieux. Dans nos essais académiques, nous avons toujours besoin de bonnes énergies pour exploiter les montagnes de données accumulées pour publier des études secondaires.
> Ne réinventez pas le fil à couper le beurre ! Débarrassez-vous des bases excel, des CRFs montés sur word ou autre, et des analyses stat sur SPSS en regardant le tuto YouTube ! Allez rencontrer/questionner les structures professionnelles de vos centres (CIC/CRC) pour définir des objectifs, construire des projets pragmatiques, obtenir des financements. Allez voir les investigateurs de votre centre qui ont publié dans Circulation/JACC/EHJ, etc. et posez-leur des questions.
> Soyez patients !

J’en aurai beaucoup d’autres, mais je m’arrête ici et si vous en avez d’autres mon mail est ouvert : [email protected].

Merci d’avoir pris le temps de nous répondre ! L’étude COVERT-MI est à retrouver en détail à l’adresse suivante : https://www.ahajournals.org/doi/10.1161/CIRCULATIONAHA.121.056177

Référence

  • Mewton N, Roubille F, Bresson D, Prieur C, Bouleti C, Bochaton T, Ivanes F, Dubreuil O, Bière L, Hayek A, Derimay F, Akodad M, Alos B, Haider L, El Jonhy N, Daw R, De Bourguignon C, Dhelens C, Finet G, Bonnefoy-Cudraz E, Bidaux G, Boutitie F, Maucort-Boulch D, Croisille P, Rioufol G, Prunier F, Angoulvant D; COVERT-MI Study Investigators. Effect of Colchicine on Myocardial Injury in Acute Myocardial Infarction. Circulation. 2021. doi: 10.1161/CIRCULATIONAHA.121.056177.
  • Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°14

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