Éditeur en chef d’un journal à impact factor

Publié le 24 May 2022 à 20:53


Retour sur plus de 12 ans d’expérience avec ses difficultés et ses joies

Pr Ariel Cohen

Interview du Professeur Ariel Cohen, président de la Société Française de Cardiologie et chef du service de Cardiologie de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, qui a été Editeur en chef des Archives of Cardiovascular Diseases de leur naissance en 2008 jusqu’en 2020, date à laquelle il a passé le flambeau au Professeur Yves Juillière tout en restant Deputy Editor.

Antonin Trimaille (AT) : Pouvez-vous nous présenter les Archives of Cardiovascular Diseases (ACVD) ?
Professeur Ariel Cohen (AC) : Jusqu’en 2007, l’organe d’expression de la Société Française de Cardiologie était le journal Archives des maladies du coeur et des vaisseaux, publié en langue française, peu sélectif et doté d’un Impact Factor d’environ 0.3. Pascal Guéret et Jean-Claude Daubert, présidents de la Société Française de Cardiologie, ont eu l’idée de lancer un appel d’offre pour la création d’un nouveau journal ayant pour cahier des charges une expression en langue anglaise, un format numérique non exclusif et un Impact Factor > 2 dans les 5 ans. Parallèlement, il a créé une revue dédiée à la Formation Médicale Continue des cardiologues français nommée Archives des maladies du coeur et des vaisseaux pratique sans objectif de citation.

Dans ce contexte, j’ai répondu à l’appel d’offre avec un projet reposant sur plusieurs principes.

Tout d’abord, je souhaitais garder une part d’expression en langue française et j’ai donc proposé que chaque article, complétement rédigé en anglais, soit accompagné d’un abstract écrit en français. De plus, j’ai eu l’idée d’ajouter, en plus du processus de reviewing classique avec des reviewers spécialistes de la thématique d’intérêt, un reviewing statistique et un editing complet en langue anglaise pour chaque article. Bien qu’ayant conscience de l’impact en termes de temps de reviewing, cette double contrainte permettait de s’assurer que la méthodologie des articles publiés soit irréprochable et validée sur le plan statistique, et que l’anglais utilisé dans l’article soit parfaitement compréhensible afin de permettre une diffusion internationale.

Mon projet a été choisi et le journal est né en 2008. Depuis, l’Impact Factor a progressivement augmenté pour atteindre 2.434 en 2019 (Figure 1).


Figure 1. Evolution de l’Impact Factor de différentes revues spécialisées en Cardiologie.

Le délai de reviewing diminue, le flux d’articles est en progression constante et la diffusion s’accroît d’année en année : plus de 30 000 téléchargements d’articles de Archives of Cardiovascular Diseases ont lieu actuellement chaque mois (Encadré 1) !

Encadré 1 : Les Archives of Cardiovascular Diseases en quelques chiffres. • Impact factor = 2.434.

  • Environ 450 articles soumis chaque année.
  • Classement des pays soumettant le plus d’articles : Chine, France, Turquie, États-Unis.
  • 83 % de taux de rejet des articles soumis.
  • Plus de 30 000 articles téléchargés tous les mois.
  • Classement des pays téléchargeant le plus d’articles : Etats-Unis, Chine, France, Grande-Bretagne, Japon, Allemagne.

AT : Comment vous y êtes-vous pris pour augmenter l’Impact Factor ?
AC : Le mode de calcul de l’Impact Factor (Encadré 2) fait qu’il y a deux possibilités pour l’augmenter : accroître le nombre de citations des articles ou diminuer le nombre d’articles publiés. En ce sens, j’ai pris au cours de mes fonctions d’Editeur en chef plusieurs initiatives visant à améliorer l’Impact Factor :

  • Accélération du processus de reviewing avec renforcement des critiques dans le bon sens du terme pour obtenir la meilleure version de chaque article.
  • Augmentation du nombre de revues générales qui ont tendance à être davantage citées.
  • Élargissement de la communauté des personnes soumettant dans le journal.
  • Création d’une rubrique de revues translationnelles de la littérature.

Actuellement, nous travaillons encore sur des voies d’amélioration sous la direction d’Yves Juillière, le nouvel Editeur en chef depuis cette année, qui a renouvelé pour partie le Comité de rédaction, avec pour objectif en particulier d’augmenter la sélectivité des articles et de renforcer les soumissions venant de l’étranger.

Encadré 2 : Mode de calcul de l’Impact Factor d’une revue scientifique

AT : En quoi consiste le processus de reviewing d’un journal à Impact Factor ?
AC :
Le processus de reviewing comporte plusieurs étapes (Figure 2). La première étape après la soumission d’un article est la décision de l’Editeur en chef d’accepter ou non de le faire reviewer par des experts qu’il a choisi.

Le délai moyen entre la soumission et cette première décision est actuellement de 0,6 semaine (soit environ 4 jours).

Si l’article est reviewé, il faut/est essentiel d’inviter des reviewers spécialistes de la thématique. Il faut savoir que près d’un tiers des reviewers invités ne répondent pas et qu’il faut solliciter jusqu’à six reviewers pour en avoir au moins deux qui au final effectueront un reviewing du papier. Ensuite, il faut attendre leurs critiques sur le travail soumis et leur proposition : rejet, modifications mineures, modifications majeures ou accepté en l’état. Le délai moyen entre la soumission et le premier reviewing est en moyenne de 5,7 semaines dans notre revue. Le plus souvent, les reviewers proposent des modifications qui nécessitent un travail important des auteurs pour répondre aux critiques et effectuer les modifications nécessaires. Quand les auteurs ont renvoyé leur travail modifié, celui-ci est transféré au Reviewer statistique puis l’Editeur en chef prend la décision finale d’accepter ou de rejeter l’article. S’il est accepté, il passe encore l’étape de l’editing de l’anglais, qui vérifie également la cohérence de l’article et des références, puis l’article est publié en ligne, en amont de sa publication, dans un numéro de la revue.

Ainsi, chacune de ces étapes peut être limitante. Actuellement, le délai moyen entre la soumission et la décision éditoriale finale est de 9 semaines, ce qui est comparable aux délais des « grandes » revues dans notre spécialité.

Figure 2. Processus d’édition d’un article par les Archives of Cardiovascular Diseases.

AT : Comment devient-on Editeur en chef des Archives ?
Comment est nommé l’Editorial Board ?
AC : Statutairement, l’Éditeur en chef est élu par le conseil d’administration de la Société Française de Cardiologie, après avoir présenté un projet. Une fois élu, il propose au conseil d’administration une équipe pour constituer son Editorial Board et le conseil d’administration valide ou non cette équipe. C’est une recherche des spécialistes de chaque thématique doivent être choisis et des équilibres doivent être respectés, entre thématiques, en veillant à la disponibilité et à l’implication des membres du Comité de rédaction. Concrètement, en 2008, j’ai fait une proposition d’Editorial Board au conseil d’administration de la Société Française de Cardiologie. Par la suite, l’Editorial Board finalement nommé a été reconduit à deux reprises, pour partie renouvelé. Quand Yves Juillière m’a succédé, il a fait de même pour constituer son Editorial Board.

AT : Le rôle d’un Editeur en chef comporte aussi des difficultés comme l’a mis en évidence l’affaire récente du « Lancet Gate » par exemple. Comment s’assurer de ne pas publier des articles plagiés ou comportant des données falsifiées ?
AC : Immédiatement après la soumission, chaque article bénéficie d’une analyse par un logiciel de duplication qui permet de mesurer un taux de répétition par rapport à ce qui est déjà publié dans la littérature. Tout article comportant plus de 20 % de duplication est systématiquement et immédiatement rejeté.

Par ailleurs, plusieurs verrous permettent de s’assurer qu’il n’y a pas eu de falsification de données : analyse par des reviewers spécialistes de la thématique de l’article, analyse statistique par un méthodologiste, analyse par l’Editeur en chef. Néanmoins, comme l’a mis en lumière le « Lancet Gate », ces verrous ne permettent pas toujours de détecter une fraude.

AT : Pour finir, avez-vous un message sur la Recherche et la publication scientifique à destination des jeunes cardiologues ?
AC : Depuis le début de mes fonctions d’Editeur en chef des Archives et tout au long de mon engagement au sein de la Société Française de Cardiologie, j’ai toujours défendu l’idée d’une prime à la jeunesse et au nécessaire renouvellement. Dans cette démarche, j’ai proposé la création d’un « Parcours Jeunes » lors des Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie ainsi que la gratuité de l’abonnement au site Cardio-Online et surtout aux Archives of Cardiovascular diseases. Je lance donc un appel à tous mes jeunes collègues : saisissez-vous de cet extraordinaire outil qu’est VOTRE journal, Archives of Cardiovascular Diseases ! Abonnez-vous (c’est gratuit pendant votre parcours d’interne !), soumettez vos meilleurs travaux et citez ses (vos !) articles au maximum quels que soient les journaux où vous soumettrez vos papiers, toujours dans le but de promouvoir la recherche cardiovasculaire française.

Faites de cette revue VOTRE revue !

Pour aller plus loin sur la recherche cardiovasculaire et son expression en France

  • Bouleti C, Danchin N, Iung B, Daubert C. Cardiovascular research in France: Evolution of scientific activities and production over the last decade. Arch Cardiovasc Dis 2019;112:241-252. DOI: 10.1016/j.acvd.2018.11.003.
  • Alos B, Akodad M, Avinee G, Bouleti C, Chemaly P, Desnos C, Didier R, Garcia R, Mirabel M, Mika D, Lattuca B, Le Ven F, Probst V, Gilard M. Safeguarding continuing cardiovascular research excellence and quality publications in France: A working document from the French Society of Cardiology. Arch Cardiovasc Dis 2019;112:234- 240. DOI: 10.1016/j.acvd.2018.11.002.
  • Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°12

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