Interview du Pr ARBEILLE, de la Terre à l’espace !
THOMAS rentré en juin dernier de sa mission de 6 mois à l’ISS. Entre deux sorties dans l’espace, il s’est prêté, le 18 avril dernier, à une échographie à distance avec le Pr ARBEILLE*, directeur de l’unité de médecine et de physiologie spatiale de l’université de Tours.
Le Pr Arbeille est le concepteur d’un système d’échographie à distance.
H.- Comment s’est passée cette télé échographie spatiale le 18 avril ?
Pr. Arbeille. - Très bien ! Thomas Pesquet positionnait la sonde selon mes indications puis je procédais aux réglages fins (rotation et inclinaison de la sonde) depuis la France grâce à une réplique de la sonde. Chacun de mes mouvements était ainsi “copié” à bord de l’ISS.
H.- Thomas Pesquet était-il allongé comme pour une échographie en France ?
Pr. A.- Non, ce n’était ni nécessaire ni intéressant pour lui ! Il était en position presque foetale, position la plus confortable dans l’espace.
H.- Combien de temps a duré cet examen ?
Pr. A.- La télé échographie a duré 45 minutes au lieu de 20 minutes sur Terre. Nous avons perdu un peu de temps car l’équipe découvrait le matériel. Nous l’avions pourtant envoyé le 19 novembre sur l’ISS via une fusée japonaise de ravitaillement mais les astronautes n’avaient pas eu le temps d’ouvrir notre paquet.
H.- Dans quelle langue communiquiez-vous ?
Pr. A.- En anglais, y compris lors de mes échanges directs avec omas Pesquet ! D’une part parce qu’il est raaché à l’Agence spatiale européenne dont la langue est l’anglais mais aussi parce qu’il s’agissait d’un projet international avec les Canadiens et la NASA. C’est d’ailleurs la NASA qui gère la ligne de liaison entre l’ISS et la Terre.
H.- Avez-vous rencontré des difficultés ?
Pr. A.- La principale difficulté fut la transmission du mouvement en temps réel de ma sonde, sur Terre, à celle de l’ISS. Nous avions trois secondes de décalage et c’est très long ! Mais, en manipulant lentement, l’échographie à distance peut être réalisée parfaitement. En France, en télé échographie avec les déserts médicaux même les plus isolés, nous avons, au maximum, une seconde de délai.
H.- En quoi cette télé échographie spatiale était une nouveauté ?
Pr. A.- Il eut déjà des télé échographies avec l’ISS mais le rôle du médecin sur Terre se limitait à guider oralement l’astronaute et son opérateur dans le positionnement de la sonde. Avec notre outil, c’est le médecin qui commande la sonde depuis la Terre ainsi que toutes les commandes de l’échographe pour un examen bien plus précis, rapide et approfondi.
H.- Quelle furent les organes échographiés ce 18 avril ?
Pr. A.- Il en eut quatre : la veine-porte, la vésicule biliaire, la carotide et la veine jugulaire. Le but était de quantifier les mouvements liquides et la redistribution du sang dans le corps. La gravité de l’espace modifie la circulation et la pression sanguine avec des conséquences sur l’organisme. On a constaté que la moitié des astronautes se plaignaient de troubles visuels au retour de leur mission, troubles liés à la formation d’un oedème dans l’oeil. Plus récemment nous avons observé chez les astronautes un épaississement et une rigidification des parois des grosses artères assimilables à un vieillissement de 20 à 30 ans sur Terre.
On parle de missions spatiales plus longues, comme pour aller sur Mars, donc il faut évaluer les risques à long terme d’un oedème au niveau du fond d’oeil et au niveau cérébral et du vieillissement accéléré des artères.
H.- Comment le projet a commencé ?
Pr. A.- Il y a trois ans, je suis allé présenter l’échographe que j’avais développé avec Sonoscanner (Paris) et Vermon (Tours) et financé par le CNES à une réunion de la NASA à Houston. Je défendais l’efficacité de notre outil face à son concurrent de General Electric qui avait déjà placé un de ses échographes dans l’ISS. J’ai réussi à convaincre les experts américains alors que ce n’était pas gagné !
H.- Que s’est-il passé entre 2014 et 2017 ?
Pr. A.- Dès 2015 nous avons lancé une expérience de télé échographie en France entre le CHU de Tours et la maison de santé de Richelieu en Indre-et-Loire auprès de 200 patients. Le bilan fut un succès technique et médical (aucune erreur de diagnostic) mais aussi plébiscité par les patients et les médecins généralistes du « désert médical ». Malheureusement, le projet a dû être arrêté car l’acte de télé échographie n’est – aujourd’hui - pas remboursé comme tel par l’assurance médicale…
L 'ACTE DE TÉLÉ ÉCHOGRAPHIE N 'EST - AUJOURD 'HUI - PAS REMBOURSÉ COMME TEL PAR L' ASSURANCE MÉDICALE
LA TÉLÉMÉDECINE EN FRANCE
Des actes toujours pas codifiés et très encadrés
Si la télémédecine est bien reconnue comme une pratique médicale, elle n’est toujours pas codifiée par l’Assurance-maladie. Une téléconsultation est ainsi remboursée au même titre qu’une consultation… L’activité de télémédecine est très encadrée, elle doit être soit définie dans un programme national ; soit inscrite dans un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens ; faire partie d’un contrat particulier entre le directeur de l’ARS et le professionnel de santé libéral ou tout organisme ayant une activité de télémédecine… Enfin, elle doit tenir compte de l’offre de soins dans le territoire et « faire appel à des professionnels de santé exerçant régulièrement, dont les compétences sont reconnues », précise le décret de 2010. On ne sait jamais…
Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°17