Droit et gynécologie : décisions Judiciaires

Publié le 11 May 2022 à 20:57

Nous avons choisi de vous présenter deux commentaires d’arrêts de juridictions administratives provenant de deux cabinets d’avocats différents : Maître Georges LACOEUILHE et Maître Hannah CHEREAU d'une part, et Maître Olivier LECA d'autre part, qui ont l’amabilité de collaborer avec notre revue.
Ils éclairent de façon différente et complémentaire l’information que nous devons apporter à nos patientes en cas de décision d’accouchement par voie basse.
Comme vous le verrez les magistrats distinguent les accouchements à bas risque de ceux présentant un risque particulier dont nous devons avertir nos patientes.

Dr BOYER de LATOUR
Dr Bertrand de ROCHAMBEAU

Rien ne sert de prescrire... Le suivi impératif des prescriptions données
Dans le cadre d’un suivi de grossesse, un gynécologue, craignant un risque d’accouchement prématuré, prescrivait à sa patiente, un test de dépistage du streptocoque B, dont les résultats auraient révélé la présence d’un streptocoque du groupe B.
Toutefois, aucune trace de ces résultats ne se trouvait au dossier médical de la parturiente lorsque celle-ci accouchait, deux mois plus tard, en clinique, avec l’aide d’un autre médecin gynécologue.
Dès le lendemain, l’enfant présentait une septicémie et une méningite à streptocoque B, dont il gardait par la suite d’importantes séquelles.
Ses parents engageaient alors une procédure judiciaire à l’encontre du gynécologue ayant prescrit le test de dépistage, et de son assureur de responsabilité civile professionnelle.
Ces derniers appelaient en garantie la clinique où avait eu lieu l’accouchement, ainsi que le laboratoire biologique dans lequel le test avait été réalisé.
Dans un arrêt en date du 6 novembre 2014, la Cour d’Appel de Douai retenait la responsabilité exclusive du praticien prescripteur et condamnait son assureur à réparer le préjudice subi par les parents et leur enfant.
L’assureur du praticien formait alors un pourvoi en cassation aux termes duquel il critiquait la décision du juge d’appel d’avoir retenu la responsabilité exclusive du praticien prescripteur.
Selon lui, la responsabilité de la clinique devait aussi être engagée dans la mesure où il lui incombait, en vertu de son obligation d’assurer une continuité des soins, de regrouper dans le dossier de la parturiente mis à la disposition du personnel médical présent à la date de l’accouchement, tous les résultats des analyses prescrites par le gynécologue au cours de la grossesse, ce d’autant qu’en l’espèce, ces résultats avaient été transmis directement à la clinique par le laboratoire.
L’argument de l’assureur du praticien prescripteur répondait à une certaine logique, et l’on aurait pu supposer que la Cour de Cassation choisisse de concilier les obligations du médecin prescripteur et de l’établissement pour retenir un partage de responsabilité écarté par les juges du fond. C’était sans compter sur l’intransigeance des juges du fond, confirmée par la Cour de Cassation dans son arrêt de rejet du pourvoi en date du 3 février 2016 : l’auteur d’une prétention, en l’espèce l’assureur du praticien alléguant une faute de la clinique, devait démontrer la faute de l’établissement à l’origine de l’absence des résultats dans le dossier médical tenu par la clinique.
Or en l’état, s’il était acquis que le laboratoire avait bien adressé les résultats à la clinique, aucune faute formelle de l’établissement n’était authentifiée du seul fait de l’absence des résultats au dossier

En pratique, l’on peut raisonnablement se demander comment le praticien et son assureur auraient pu démontrer la faute précise commise par le personnel de l’établissement… L’intransigeance des juges s’explique ici, sans nul doute, par l’appréciation sévère qu’ils ont portée sur le comportement du praticien entre la prescription des analyses et l’accouchement : en effet, alors qu’il revoyait la parturiente à plusieurs reprises, il ne s’enquérait pas des résultats des analyses qu’il avait pourtant prescrites en raison d’un risque d’accouchement prématuré.
C’est l’occasion aussi de rappeler aux praticiens l’impérieuse nécessité d’une traçabilité des éléments médicaux : lors du procès, rien ne sera présumé en faveur du praticien. Tenter d’imputer une partie de sa responsabilité à un tiers nécessite de prouver particulièrement sa carence.
Cour de cassation (1 ère Chambre Civile) 3 février 2016, n°15-10.228

Accouchement par voie basse : le périmètre de l’information due
Depuis longtemps déjà, le défaut d’information est l’argument subsidiaire des demandeurs lorsqu’ils ne peuvent pas démontrer une faute à l’encontre du praticien : cela est valable pour les procédures ayant trait à un accouchement par voie basse.
Dans sa décision du 24 janvier 2017, le demandeur excipait d’un défaut d’information du praticien sur les risques de l’accouchement par voie basse et ce faisant l’éventualité d’une césarienne préventive.
Les faits étaient simples : lors d’un accouchement naturel, l’obstétricien était confronté à une dystocie des épaules et réalisait en urgence les manœuvres dites du poing suspubien et de Mac Roberts. L’accouchement était mené à son terme, mais l’enfant présentait une lésion du plexus brachial gauche.
Les parents saisissaient alors la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales, qui, après des opérations d’expertise confiées successivement à deux experts médicaux, rendait un avis de rejet.
Les parents saisissaient alors le Tribunal Administratif de Toulouse d’une demande provisionnelle dirigée à l’encontre du centre hospitalier où la grossesse et l’accouchement avaient été pris en charge par le gynécologue obstétricien, praticien hospitalier.
Ils reprochaient à ce dernier d’avoir manqué à son obligation d’information sur les risques de l’accouchement par voie basse et l’alternative possible de césarienne, et d’avoir également commis une faute dans la réalisation des manœuvres d’extraction lors de l’accouchement.
Dans son jugement du 19 juin 2014, le Tribunal administratif rejetait leurs demandes, et les parents relevaient alors appel de cette décision devant la Cour raison Administrative d’Appel de Bordeaux.
Dans sa décision, la Cour rappelle tout d’abord les termes de l’article L 1111-2 du Code de la santé publique qui fait état d’une obligation d’information sur les risques et alternatives que comportent “les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposées”.
On comprend aisément que l’application de ce texte dans le cadre d’un accouchement par voie basse, peut sembler discutable, puisqu’un accouchement naturel n’est pas, par essence, une solution diagnostique, thérapeutique ou préventive proposée par un médecin.
C’est pourquoi la Cour va exposer, dans un esprit de synthèse louable, le cas spécifique de l’obligation d’information de l’obstétricien envisageant un accouchement naturel : “La circonstance que l'accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins, en application de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, de l'obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu'il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir. En particulier, en présence d'une pathologie de la mère ou de l'enfant à naître ou d'antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d'accouchement par voie basse, l'intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention”.
L’information sur les voies d’accouchement n’est donc due qu’en cas de pathologie maternelle ou fœtale, ou d’antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d’accouchement naturel. La solution est logique, et la jurisprudence, administrative et judiciaire, désormais constante sur ce point. Au cas présent, la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux confirmait le jugement déféré, aux motifs qu’il n’existait aucun risque particulier à l’accouchement naturel de cette parturiente. Du reste, elle rappelait qu’aucun défaut d’information ne pouvait non plus être retenu “au moment du travail”, compte tenu de l’urgence liée au risque d’anoxie fœtale.
Notons en outre que la Cour écartait toute faute technique dans les manœuvres réalisées, rappelant d’ailleurs que les lésions du plexus brachial apparaissent généralement dès la séquence de traction de la tête, autrement dit avant les manœuvres d’extraction réalisées en urgence. Cette décision sur l’information liée aux voies d’accouchement éclaire, en filigrane, la nécessité d’une tenue exemplaire du dossier de suivi de grossesse : celui-ci sera, en pratique, le meilleur outil de défense médico-légale de l’obstétricien, sur qui pèse la charge de la preuve de l’information donnée…
Cour administrative d’appel de BORDEAUX, (2 ème chambre (formation à 3)) 24 janvier 2017, n°14BX02494

Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°109

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