Nous avons choisi de vous présenter des commentaires d’arrêts de juridictions administratives et judiciaires provenant du cabinet d’avocats de Maître Olivier LECA qui a l’amabilité de collaborer avec notre revue. Il éclaire de façon différente et complémentaire l’information que nous devons apporter à nos patientes.
Dr BOYER de LATOUR
Dr de ROCHAMBEAU
Le procès des laboratoires SERVIER et de l’ANSM : l’affaire du Mediator s’ouvre à Paris
Maître O. LECA*
Neuf ans après le retentissant scandale et six ans d’instruction sur le Mediator, un antidiabétique tenu pour responsable de centaines de morts, le procès des laboratoires Servier et de l'Agence du médicament s'ouvre lundi à Paris pour plus de six mois.
Il s’agit de l’affaire de santé publique la plus importante depuis celle dite du « sang contaminé ».
Sur le banc des prévenus : le groupe pharmaceutique et neuf filiales, ainsi que l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et plusieurs de ses membres mis en cause pour leurs liens avec Servier.
En face, les avocats des parties civiles représentant les milliers de plaignants et qui exigent "réponses et réparation".
Jusqu'au 30 avril 2020, date à laquelle doit prendre fin ce procès pénal hors norme devant le tribunal correctionnel, une question animera les débats : comment ce médicament mis sur le marché en 1974, largement détourné comme coupe-faim, a-t-il pu être prescrit pendant 33 ans malgré les alertes répétées sur sa dangerosité ?
Pourtant, dès 1971, l’OMS décide de classer le SE780 des laboratoires Servier comme « anorexigène », en raison de sa proximité avec les amphétamines, substances toxiques pour le cœur.
Mais Servier obtient que le médicament reste classé dans les antidiabétiques.
Pour les victimes, "le laboratoire a délibérément menti et caché les propriétés dangereuses du médicament", par "profit", évalué à plus d’un milliard d’euros.
Le groupe Servier s'en défend : "il n'est pas apparu de signal de risque identifié avant 2009" et son retrait du marché.
Rien n’explique que le Mediator soit resté commercialisé en France après le signalement de cas de valvulopathies et d'HTAP dès 1999, et alors même que Servier le retire du marché suisse en 1998, espagnol en 2003 puis italien en 2004.
Le groupe use de tous les moyens de droit et de communication, et a notamment déposé trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui seront examinées avec d'autres demandes de nullité dans la semaine. La première journée sera uniquement consacrée à l'organisation du procès et à l'appel de la centaine de témoins. Parmi eux, le Docteur Irène Frachon, pneumologue à Brest, qui avait, la première, alerté sur les risques du Mediator et publié un livre-enquête en juin 2010.
10 ans plus tôt, c’est le Docteur Georges Chiche qui est le premier, en France, à avoir pris la mesure des dangers du benfluorex, le principe actif du Mediator.
Il en avait alors alerté le centre régional de pharmacovigilance de Marseille. Son dossier avait été transmis à Paris, avant d'être classé sans suite.
Le Docteur Jacques Duhault, pharmacologue découvreur du médicament en 1966, sera également cité comme témoin. Il explique que « Dans les années 60, la règle de base en matière de recherche était de trouver une molécule aboutissant à une diminution de prise alientaire sans avoir d’effet stimulants centraux ».
Le Professeur Jean Charpentier, neurochirurgien entré chez Servier en 1968 a réalisé, en 1971, des études toxicologiques du médicament. Il a avoué aux enquêteurs avoir été « beaucoup étonné de voir le Mediator sortir comme atidiabétique car ça n’a rien à voir sur le plan expérimental, ni sur le plan clinique. C’est vrai, il diminue la faim ».
Jusqu'à son retrait du marché le 30 novembre 2009, le Mediator a donc été utilisé par cinq millions de personnes en France. Il est à l'origine de graves lésions des valves cardiaques (valvulopathies) et d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), une pathologie rare et mortelle, et pourrait être responsable à long terme de 2.100 décès, selon une expertise judiciaire.
Le procès concernera essentiellement des faits de "tromperie aggravée", l'instruction pour "homicides et blessures involontaires" étant toujours en cours, même si les cas de 91 victimes, dont quatre sont décédées, pour lesquelles les expertises ont conclu à un lien de causalité certain entre les pathologies et la prise de Mediator, ont été joints à l'audience.
Toutefois, une grande partie de ces victimes corporelles a accepté des accords transactionnels d'indemnisation avec Servier, en vertu desquels elles se désisteront de la procédure pénale, indique Jean-Christophe Coubris, avocat de 1.650 parties civiles.
Plus de 24 millions d’euros ont déjà été versés par Servier. Malades, loin, désabusées, désargentées, de nombreuses victimes ne feront pas le déplacement.
Onze personnes morales et douze personnes physiques comparaîtront au total. Cinq mis en cause sont décédées lors de l'instruction dont le principal protagoniste, le fondateur des laboratoires Jacques Servier, est mort en 2014 à 92 ans, au grand dam des victimes qui auraient "souhaité qu'il s'explique à la barre".
Le groupe Servier devra répondre de sept infractions, dont "escroquerie" au préjudice de la sécurité sociale et des mutuelles.
A son côté, l'ANSM, qui a remplacé l'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) après le scandale, sera jugée pour "homicides et blesures involontaires" par "négligences", pour avoir tardé à suspendre le médicament, malgré une accumulation d'alertes sur les risques depuis le milieu des années 1990. Représentant l'ANSM au procès, son directeur général Dominique Martin assure qu'il participera aux débats "dans la transparence la plus totale afin de concourir à la manifestation de la vérité et d'assumer sa responsabilité de directeur d'établissement public".
Parmi les personnes prévenues figurent l'ex-numéro deux du groupe, Jean-Philippe Seta, des médecins membres de commissions de l'Afssaps également rémunérés comme consultants pour les laboratoires, ou encore l'ex-sénatrice Marie-Thérèse Hermange, soupçonnée d'avoir rédigé en 2011 un rapport favorable à Servier.
Le groupe Servier et l'ANSM encourent des amendes et l'indemnisation de nombreuses victimes
L’information préanesthésique et l’objectif du consentement dit éclairé sur les alternatives et les risques
Maître O. LECA
L’information donnée au patient doit permettre à celui-ci d'exprimer son consentement éclairé.
Le principe est rappelé par le Conseil d’État dans le cadre d’une instance disciplinaire.
CE, 1er juillet 2019 n°411263
L’affaire portait sur le cas d’une parturiente décédée lors de son accouchement des suites d'une rachianesthésie réalisée pour pratiquer une césarienne, alors qu’initialement il était prévu un accouchement par voie basse sous péridurale. Le conjoint avait porté plainte auprès de l'Ordre des médecins.
En première instance, la Chambre Disciplinaire infligeait à l’anesthésiste une sanction d'interdiction d'exercer la médecine pendant trois mois, dont deux mois assortis du sursis, pour non-respect du devoir d'information de la patiente et de recueil de son consentement éclairé.
Il était reproché notamment l’absence d’information sur les risques spécifiques à la rachianesthésie.
En appel cette décision est infirmée car pour la chambre nationale, le devoir d'information du praticien avait été accompli lors de la consultation préanesthésique.
La motivation de la chambre nationale précisait que : « en dépit des différences entre les deux actes anesthésiques, leurs risques sont identiques. ».
Cependant la motivation de cette décision va être censurée pour erreur de droit par le Conseil d’Etat, celui-ci estimant que la chambre disciplinaire nationale n'avait pas recherché si, pour exprimer son consentement à la césarienne et à la rachianesthésie qui y était associée, la patiente avait été informée des risques présentés par cette méthode d’intervention, notamment au regard d’autres modalités comme l'anesthésie péridurale.
Ainsi, en dépit de risques jugés ici « identiques » par la chambre nationale, il aurait dû être vérifié par elle que l’information complète entre les deux alternatives d’anesthésies soit retrouvée au dossier.
« En statuant ainsi, sans rechercher si, pour exprimer son consentement à la césarienne et à la rachianesthésie qui y était associée, Mme B... avait été, soit informée des risques qui s'attachaient à la rachianesthésie, soit informée de ce que cet acte comportait, si tel était le cas, les mêmes risques que ceux qui lui avaient été exposés sur l'anesthésie péridurale, la chambre disciplinaire nationale a entaché sa décision d'une erreur de droit. ».
Cette sanction de pur droit ne préjuge pas de l’issue du litige qui sera de nouveau appréciée par la chambre nationale du conseil de l’Ordre des médecins, mais la formulation interpelle et influera nécessairement la qualité de la traçabilité de l’information préanesthésique dans les maternités de France.
Les faits datent certes de 2012, mais ils indiquent que l’évolution vers des formulaires d’information plus complets sur les modes d’anesthésie, les alternatives et les risques, est devenue impérative à l’occasion de la consultation préanesthésique.
Précision des règles de prescription en matière de responsabilité médicale
Le Conseil d’État précise utilement dans cette décision qu’en ce qui concerne les victimes d'accidents médicaux subis en établissement hospitalier public, l'action en réparation se prescrit par 10 ans à compter de la consolidation, nonobstant toute autre règle de droit public.
CE, 17 juin 2019 n°413097
De nouveau les faits portent sur la matière obstétricale. Une parturiente est prise en charge en urgence dans un centre hospitalier en raison de douleurs et de saignements, puis pour une intervention chirurgicale motivée par un diagnostic d'hémopéritoine. En cours d’intervention, une grossesse extra-utérine est diagnostiquée et nécessite l'ablation chirurgicale de la trompe droite. Estimant fautifs les soins qui lui ont été dispensés, elle présente auprès du centre hospitalier une réclamation préalable tendant à l'indemnisation de ses préjudices. Cette requête précontentieuse est rejetée par une décision expresse qui lui est notifiée.
Deux mois plus tard, elle saisit le juge des référés du tribunal administratif et obtient partiellement satisfaction après expertise.
Le centre hospitalier conteste cette décision, motif pris du non-respect du délai de recours contentieux qui est de deux mois.
Le Conseil d’État va saisir l’occasion de ce litige pour faire un véritable cours de procédure.
En effet, le droit administratif n’autorise les administrés qu’à pouvoir contester des « décisions » de l’administration.
Or, dans le cadre d’une recherche de responsabilité d’un hôpital public, il n’existe pas à proprement parler de décision matérielle d’une administration.
Il appartient donc classiquement à l’administré de la provoquer en sollicitant l’administration par un recours préalable, qui provoquera soit une décision de refus exprès, soit une décision de refus tacite, après écoulement d’un délai de deux mois sans réponse.
Le recours contentieux contre un hôpital public doit donc toujours être précédé d’un recours préalable non contentieux.
Ce sont les dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administrative.
Dans un avis récent, le Conseil d’État a d’ailleurs précisé que la régularisation restait possible en cours de procédure, et ce jusqu’à ce que le juge du Tribunal administratif statut :
« Les termes du second alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative n’impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l’existence d’une décision de l’administration s’apprécie à la date de son introduction », que « cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l’administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle » et que « par suite, l’intervention d’une telle décision en cours d’instance régularise la requête, sans qu’il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l’administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l’absence de décision ».
CE Avis du 27 mars 2019
La confusion persistait toutefois avec l’existence en parallèle du délai contentieux de 2 mois, dans lequel l’administré doit agir pour contester cette décision, exprès ou tacite, de l’administration.
En effet, à compter de la décision de refus, l’administré dispose classiquement d’un délai de deux mois pour former sa requête contentieuse devant le Tribunal administratif compétent.
Le Conseil d’Etat rappelle de nouveau que pour faire courir ce délai : « la notification de la décision par laquelle un établissement public de santé rejette la réclamation d’un patient tendant à l’indemnisation d’un dommage doit indiquer non seulement que le tribunal administratif peut être saisi dans le délai de deux mois mais aussi que ce délai est interrompu en cas de saisine de la commission de conciliation et d’indemnisation ». Par ailleurs, « si elle (la décision) ne comporte pas cette double indication, la notification ne fait pas courir le délai imparti à l’intéressé pour présenter un recours indemnitaire devant le juge administratif ».
Ce sont ni plus ni moins que les dispositions des articles R. 421-5 du code de justice administrative et L. 1142-7 du code de santé publique.
Néanmoins, en application du principe de sécurité juridique, le destinataire d’une telle décision administrative individuelle doit, s’il entend obtenir l’annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an.
CE, 13 juill. 2016, n°387763
Ainsi, classiquement, soit la notification de l’administration contient les voies de recours et les mentions obligatoires, et l’administré dispose alors d’un délai de deux mois pour agir, soit la notification de l’administration est incomplète, et dans ce cas l’administré doit agir dans le délai d’un an.
Mais, l’enseignement du Conseil d’État n’est pas là, puisque jusqu’à présent il ne s’agissait que de reprendre des dispositions règlementaires et jurisprudentielles connues.
Dans cet arrêt du 17 juin 2019, le Conseil d’État nous explique que le délai butoir de deux mois pour agir en contentieux ne trouve pas à s’appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique.
En effet, si ces recours doivent bien être précédés d’une réclamation auprès de l’administration, ils ne tendent pas à l’annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais bien à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés.
Ainsi, pour la Haute juridiction, la prise en compte de la sécurité juridique est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l’article L. 1142-28 du code de la santé publique.
Cet article L.1142-28 du code de santé publique est fondamental en droit de la responsabilité puisqu’il intitulé le délai de prescription de 10 ans, à compter de la consolidation du dommage.
Avec cet éclairage du Conseil d’État, nous savons qu’au-une autre règle de procédure administrative ne peut venir contrarier ce principe.
Affaire du Distilbène : des juges censurés pour dénaturation du rapport d’expertise
Maître O. LECA
Ici la Cour de cassation censure des juges de cour d'appel qui avaient dénaturé le rapport d'expertise.
En effet, ceux-ci avaient relevé qu'il n'était pas exclu que l'hypoplasie utérine dont souffrait la demanderesse puisse être liée à un utérus cloisonné, alors même que le rapport ne faisait aucunement état d'un lien entre ces deux éléments physiopathologiques.
Cass. 1re civ., 19 juin 2019, n° 18-10.380
Sur le fond, la demanderesse soutenait avoir été exposée in utero au diéthylstilbestrol (DES) et avait assigné le laboratoire UCB pharma (société ayant repris les droits et les obligations de la société ayant exploité le Distilbène), afin d’être indemnisée du préjudice résultant d’anomalies physiologiques de l’utérus.
Les juges du fond ont rejeté sa demande considérant qu’elle n’apportait pas la preuve d’une exposition au DES et d’une imputabilité de ses anomalies à cette exposition.
En l’espèce, les éléments rapportés n’ont pas été regardés comme pouvant constituer des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes, les anomalies présentées par la plaignante ne devant avoir, selon là cour, une autre étiologie que celle d’une exposition au DES, ce que la plaignante n’avait pu démontrer.
Mais la juridiction versaillaise a été censurée surtout pour avoir dénaturé le rapport d’expertise.
S’arrêter sur cette motivation est intéressant car le grief est rarement admis dans le contentieux de la responsabilité, même s’il est souvent invoqué en cassation par les parties, en raison du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.
Ce grief trouve sa source par une référence à un principe général du droit procédural, à savoir « l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis », principe tiré de l’adage interpretation cessatin claris, en vertu duquel lorsque les termes d’un écrit versé à la procédure sont clairs et précis, toute interprétation contraire caractérise une dénaturation.
Plus particulièrement, la cour d’appel de Versailles avait inventé une réponse de l’Expert à un dire du Laboratoire pour fonder une partie de sa décision…
« Attendu que, pour retenir qu'une exposition au DES ne peut être déduite de l'existence d'une hypoplasie utérine, après avoir énoncé que Mme F J présentait un utérus cloisonné qui n'était pas imputable à une exposition au DES ainsi qu'une hypoplasie utérine, l'arrêt relevé qu'interpellés par la société UCB Pharma dans un dire sur l'existence d'un lien entre l'utérus cloisonné et l'hypoplasie, les experts n'ont pas exclu un tel lien ; Qu'en statuant ainsi, alors que les experts n'avaient pas répondu au dire de la société UCB Pharma sur l'éventualité d'un lien entre l'hypoplasie et l'utérus cloisonné, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise et violé le principe susvisé ; ».
Les juges du fond sont logiquement censurés pour avoir dénaturé le rapport d’expertise, en ayant relevé qu’il n’est pas exclu que l’hypoplasie utérine dont souffre la demanderesse soit liée à un utérus cloisonné, alors que le rapport ne faisait aucunement état d’un lien entre ces deux éléments physiopathologiques.
Ce principe général du droit contient certaines promesses pour les plaideurs, à voir respectées les données scientifiques exposées (ou non) dans les rapports d’expertises et au travers des pièces des parties, afin de circonscrire le pouvoir d’appréciation des juges, sous peine de sanction de leur décision pour motif de dénaturation.
Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°118