Droit et Gynécologie : Décisions administratives et judiciaires

Publié le 13 May 2022 à 22:15

Nous avons choisi de vous présenter des commentaires d’arrêts de juridictions administratives et judiciaires provenant du cabinet d’avocats de Maître Olivier LECA qui a l’amabilité de collaborer avec notre revue. Il éclaire de façon différente et complémentaire l’information que nous devons apporter à nos patientes.

Dr BOYER de LATOUR
Dr de ROCHAMBEAU

Perte du dossier d’hospitalisation, quand la clinique endosse la faute d'un chirurgien libéral

Maître O. LECA

L’institution de soins ou le praticien ont une obligation légale de conserver le dossier médical mais, dans certaines situations ce dossier médical est introuvable (incendie, déménagement, disparition…).
La perte du dossier médical conduit à inverser la charge de la preuve et à imposer à l'établissement de santé de démontrer que les soins prodigués ont été appropriés, sur la base de l’article R 1112-7 du code de la santé publique. Dans les faits de l’espèce, une patiente présentait, dans les suites d’un accouchement pratiqué dans une clinique privée par un obstétricien exerçant à titre libéral, une lésion du périnée.

Cass. 1ère civ. 26 septembre 2018 n°17-20143
Saisi d’une demande d’indemnisation, une commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CCI) es- time, après instruction de la réclamation, que la réparation des préjudices incombait à la clinique et à son assureur, en raison de la perte du dossier de l’accouchement et du séjour de la victime.
En raison du refus de l’assureur d’indemniser celleci, l’ONIAM se substituait à lui, puis, au titre de sa subrogation légale, assignait la polyclinique et son assureur en remboursement des sommes versées.
L’Office conclut à la responsabilité pleine et entière de l’établissement, en raison de la faute commise dans l’organisation des soins, la perte du dossier médical interdisant de déterminer si les soins du médecin libéral avaient été conformes aux règles de l’art.
La Clinique, quant à elle, rappelle qu’elle ne répond pas des conséquences des actes pratiqués par un praticien exerçant en son sein à titre libéral : la perte du dossier médical, si elle constitue une faute de sa part, ne peut avoir pour effet de substituer la responsabilité de l’éta- blissement à celle du gynécologue-obstétricien.
Pour le juge, la perte du dossier médical caractérise un défaut d’organisation et de fonctionnement de la clinique, qui, en l’espèce, place le patient ou ses ayants droit dans l’impossibilité d’accéder aux informations de santé concernant celui-ci, et, le cas échéant, d’établir l’existence d’une faute dans sa prise en charge ; “dès lors, elle conduit à inverser la charge de la preuve et à imposer à l’établissement de santé de démontrer que les soins prodigués ont été appropriés”.
En l’espèce, il appartenait à la clinique de fournir les éléments permettant de retracer le déroulement précis de l’accouchement et de rapporter la preuve qu’il avait été réalisé dans les règles de l’art.
Dans ces conditions, la clinique et son assureur sont condamnés à rembourser l’ONIAM à hauteur de 75% au titre de la perte de chance subie par la victime d’obtenir la réparation de son préjudice corporel.
La Cour de cassation tire cependant une conclusion in- téressante puisque la question de la faute du praticien ayant réalisé l’accouchement ne pouvant être discutée, le débat ne pouvait porter sur la responsabilité de ce dernier.
De même la qualification d’aléa thérapeutique ne pouvait être directement rapportée par le demandeur.
La responsabilité de l’établissement vient donc éteindre les discussions autour des qualifications de faute civile et d’aléa thérapeutique.
La solution retenue par cet arrêt est conforme à l’esprit de la loi et à la jurisprudence.

Souvenez vous d’ailleurs de l’arrêt portant sur la perte du tracé du rythme cardiaque fœtal par l’établissement de soins.
La Cour d’appel avait tranché comme suit :
“Le praticien exerçant au sein d'un établissement de santé ne peut être tenu pour responsable de la perte du dossier médical détenu par l'établissement qui, seul, doit répondre de cette perte”.
La Cour de cassation validait le raisonnement : “En l’ab- sence de faute imputée au gynécologue dans la conservation du dossier médical, seule de nature à inverser la charge de la preuve, la cour d’appel a pu, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumenta- tion, déduire de ses constatations que l’existence d’une faute du praticien n’était pas établie”.

Cass. 1re civ., 14 avr. 2016, n°15-14629
Dans cette affaire, en l'absence des enregistrements du rythme cardiaque du fœtus, qui seuls auraient permis de caractériser une faute du praticien, les juges ont considéré que l’erreur de diagnostic ne pouvait être qualifiée de fautive.
La patiente ne rapportait donc pas la preuve qui lui in- combait, que le médecin avait commis une faute en ne se donnant pas les moyens d'établir le bon diagnostic. Finalement, dans ces deux affaires, bien que les soins li- tigieux concernaient le praticien libéral en premier lieu, celui-ci n’avait lui même commis aucune faute dans la conservation du dossier patient.
Les éléments litigieux qui étaient manquant apparte- naient au dossier hospitalier.
La Clinique endosse donc toute la responsabilité pour faute, du fait de la perte du dossier, puisqu’elle entraîne une impossibilité pour les parties de déterminer la qua- lification du dommage.
La solution pourrait tout à fait être différente en cas de perte du dossier personnel du praticien libéral, comme par exemple son dossier de consultation pré- ou post-opératoire.
Tenir un dossier est une obligation légale et déontologique pour le médecin.
La Cour d’appel de Paris l’a encore rappelé dans un arrêt du 6 mai 2016, considérant qu’un praticien avait manqué à ses obligations en ne conservant pas la fiche personnelle du patient, prévue à l’article R. 4127-45 du code de la santé publique, document qui aurait permis de donner de meilleures informations à l’expert judiciaire.

Cour d'appel de Paris, 6 mai 2016, n° 14/15881
Dans cette décision, le médecin partageait sa responsa- bilité, du fait de la perte de ses notes de consultations personnelles, avec l’établissement qui lui avait également perdu le dossier hospitalier.
Cet arrêt aurait cependant mérité un pourvoi en cassa- tion concernant la responsabilité du médecin, puisque la lettre de l’article 45 du code de déontologie dispose que les fiches personnelles du médecin concernant ses patients, sont intransmissibles et inaccessibles, et suivent ainsi un régime qui est différent de celui du dossier médical :
“Indépendamment du dossier médical prévu par la loi, le médecin tient pour chaque patient une fiche d'observation qui lui est personnelle ; cette fiche est confiden- tielle et comporte les éléments actualisés, nécessaires aux décisions diagnostiques et thérapeutiques.
Les notes personnelles du médecin ne sont ni transmis- sibles ni accessibles au patient et aux tiers.
Dans tous les cas, ces documents sont conservés sous la responsabilité du médecin.”
La conclusion, en dehors de la discussion propre à ses fiches personnelles, est qu’il reste vivement conseillé aux professionnels de santé d’être particulièrement rigoureux dans la tenue et la conservation de leurs dos- siers patient

Contraceptifs : les effets nocifs constatés peuvent être de nature à caractériser un défaut du produit

Maître O. LECA

Une notice accompagnant un contraceptif qui comporte une mise en garde contre le risque thromboembolique et l'évolution possible vers une embolie pulmonaire ne suffit pas à écarter la responsabilité du fabricant.
La Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi introduit par l’ONIAM contre un arrêt de la cour d’appel de Lyon ayant mis hors de cause le fabricant d’un médicament contraceptif, soupçonné d’être à l’origine du décès par embolie pulmonaire d’une jeune femme, la défectuosité du produit n’ayant pas été retenue.
Par une décision du 26 septembre 2018, la Haute juridiction judiciaire casse partiellement l’arrêt, en ce qu’il a écarté la responsabilité civile du laboratoire pharmaceutique.
En l’espèce, la cour d’appel a estimé que le contraceptif ne peut être considéré comme défectueux, dès lors que la notice l'accompagnant comporte une mise en garde contre le risque thromboembolique et l’évolution possible vers une embolie pulmonaire.
La Cour de cassation reproche cependant aux juges du fond de ne pas avoir également recherché si la gravité du risque thromboembolique encouru et la fréquence de sa réalisation excédaient les bénéfices attendus du contraceptif en cause et si, par suite, les effets nocifs constatés n'étaient pas de nature à caractériser un défaut du médicament au sens de l'article 1245-3 du code civil. On rappellera en effet que le défaut de sécurité d’un médicament peut être non seulement extrinsèque (défaut de présentation découlant de la notice destinée aux utilisateurs ou du résumé des caractéristiques du produit destiné aux professionnels de santé), mais également intrinsèque.
Dans ce dernier cas, il est généralement admis que c’est l’inversion du rapport bénéfices sur risques présenté par le principe actif du médicament qui permet aux juges de caractériser le défaut intrinsèque du produit.
En l’occurrence, il faudra suivre cette affaire devant la Cour d’appel de Lyon, désignée comme cour de renvoi, pour savoir si elle accepte de retenir un tel défaut.
Il faut préciser d’une part que la pilule oestro-progestative mise en cause dans cette affaire bénéficie toujours d’une autorisation de mise sur le marché, ce qui présuppose que son rapport bénéfices sur risques est encore favorable.
D’autre part, il est par ailleurs acquis en droit qu’un pro- duit ne saurait être regardé comme défectueux au seul motif qu’il est nocif ou dangereux.

Cass. 1re civ., 5 avr. 2005, n° 02-11947
La Cour d’appel de Lyon pourra toujours s’inspirer du contentieux du vaccin contre l’hépatite B, puisque la Cour de cassation a rappelé qu’il appartenait aux juges du fond, au vu des éléments de preuve apportés par la victime d’un dommage, de juger qu’il existait des pré- somptions susceptibles d’imputer le dommage au pro- duit administré et d’apprécier si ces mêmes éléments de preuve permettent de considérer le produit comme défectueux.

Cass. 1re civ., 18 oct. 2017, n° 15-20791
Plainte ordinale : les faits visés dans une plainte ne limitent pas le procès

Maître O. LECA *

Une juridiction disciplinaire de l'Ordre des médecins, saisie d'une plainte contre un praticien, peut évoquer l'ensemble du comportement professionnel de l'intéressé, sans se limiter aux faits, objet de la plainte.

CE 24 octobre 2018 n°404660
Nous sommes à Ajaccio, dans une clinique privée où un chirurgien-orthopédiste refuse au dernier moment de pratiquer une intervention programmée sur une patiente âgée de 82 ans, alors qu’il avait confirmé la tenue de cette intervention auprès de sa patiente et fait venir un confrère anesthésiste-réanimateur en le laissant procéder à une anesthésie générale.
Parallèlement, sachant par avance qu’il ne pourrait disposer d’une aide opératoire pour cette opération, il avait convoqué un huissier afin que celui-ci constate que cette absence l’empêchait de travailler dans des conditions satisfaisantes.
La clinique porte plainte contre le praticien devant le Conseil de l’Ordre.
La Chambre disciplinaire ira au-delà des griefs évoqués dans la plainte en retenant que le praticien a, par son comportement, mis en danger sa patiente en l’utilisant pour servir ses intérêts personnels vis-à-vis des personnels d’assistance opératoire, malgré des rappels à l’ordre de la clinique.
La Chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins inflige au praticien une interdiction d’exercer la médecine pendant 6 mois, dont 3 mois avec sursis, sanction confirmée par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins.
Le pourvoi du praticien est rejeté et contient la confirmation d’un principe important qui est que la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins peut légalement se fonder, pour infliger une sanction à un médecin, sur des griefs nouveaux qui n’ont pas été dénoncés dans la plainte soumise à la chambre disciplinaire de première instance, à condition toutefois d’avoir mis au préalable l’intéressé à même de s’expliquer sur ces griefs.
Le Conseil d’Etat indique que la Chambre disciplinaire n’est, en revanche, pas tenue de communiquer préalablement aux parties le choix, qui lui incombe, de la qualification juridique des griefs au regard des dispositions du code de déontologie médicale.

Retard de diagnostic: Seule la faute caractérisée engage la responsabilité du médecin

Maître O. LECA *

La Cour de cassation rappel, s’il était besoin, que la preuve d’une faute en matière de diagnostic, ne peut résulter d’un raisonnement hâtif.

Cass. 1ère civ. 12 septembre 2018 n°17-22311
Dans le cas d’espèce, un médecin généraliste prescrivait à son patient, victime d’un malaise, un bilan neurologique et la prise d'un médicament, pour traiter des troubles de la mémoire et d'un vertige positionnel. Constatant la persistance des troubles, il faisait réaliser quelques jours plus tard un doppler carotidien et un scanner cérébral. Mais à son retour à domicile, le patient présentait un accident vasculaire cérébral dont il gardait d'importantes séquelles. Après expertise, il recherche la responsabilité de son médecin, auquel il reproche une erreur de diagnostic.
Au fond, les juges retiennent l'existence d'une erreur fautive de diagnostic imputable au praticien, qui n'a envisagé qu'une démence de type Alzheimer.
En outre, il lui est reproché d’avoir ordonné une consultation neurologique sans la prévoir en urgence, et d’avoir négligé les problèmes de vertige positionnel, les troubles de mémoire et l'existence d'un facteur de risque d'accident ischémique constitué.
Le préjudice s’analyse en une perte de chance, que les juges évaluent à 50%, pour tenir compte des difficultés du diagnostic également relevées par l’expert. Cependant, cette décision est cassée, au visa de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis, de l'article L. 1142-1, I, al. 1er du code de la santé publique qui impose la preuve d’une faute, et du principe de la réparation intégrale.
En effet, si l’expert avait relevé un retard de diagnostic, il avait préalablement retenu que les soins prodigués par le praticien avaient été attentifs et conformes aux don- nées acquises de la science.
Pour les experts, le médecin ne disposait pas, lors de la consultation, de tous les éléments pour établir un diagnostic notamment sur le trouble de la parole, si bien qu’il ne pouvait être tenu pour fautif dans le défaut de diagnostic du handicap du patient.
L’arrêt est donc cassé, et la question de responsabilité du médecin renvoyée à la Cour d’appel de Pau qui tranchera le litige à la lumière de ce puissant rappel de la Haute juridiction.

Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°115

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