Droit et gynécologie : commentaires de jurisprudences

Publié le 11 May 2022 à 23:59

Cette solution aboutit donc à une transcription partielle des actes d’états civils étrangers, à laquelle la Cour de cassation apporte elle même la solution : l’adoption pour le conjoint du père.

O .LECA*

Evolution de la Cour de cassation sur la GPA : un rappel, un principe, un revirement
1 - D’abord un rappel. Dans une première série de deux cas, des couples français avaient obtenu des enfants de gestatrices étrangères. Les actes de naissance des enfants, établis dans leur pays de naissance, désignent comme parents l’homme et la femme français qui demandent en France la transcription des actes sur les registres français d’état civil. Jusqu’en 2015, la Cour de cassation refusait la transcription demandée en raison de la fraude à la loi résultant de la Gestation Pour Autrui (GPA).
Par deux décisions du 3 juillet 2015, la Cour de cassation opérait un revirement de jurisprudence pour considérer que “la convention de gestation pour autrui conclue ne faisait pas obstacle à la transcription desdits actes”.
Cass., ass. plén., 3 juill. 2015, n°14-21323 et 15-50002 Elle acceptait ainsi la transcription des actes dans la mesure où ils sont conformes à la réalité aux termes de l’article 47 du code civil selon lequel : “tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si… les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité”. En ce qui concerne la paternité, dès lors que l’acte indique comme père le géniteur, le père biologique, la mention relative à la paternité peut être transcrite. En ce qui concerne la maternité, la transcription de la mention désignant la mère porteuse comme mère est autorisée, puisque c’est elle qui a accouché de l’enfant.

Restait donc à préciser le sort de la mention attribuant la maternité à la mère d’intention qui, par définition, n’a pas mis l’enfant au monde. Ce qui nous renvoie à la réelle définition d’une maternité “conformité à la réalité ?

2 - Ce sont les arrêts du 5 juillet 2017 qui ont tranché la question en faveur de la réalité charnelle de l’accouchement : “concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l'accouchement”.
Cass., 1ère civ., 5 juill. 2017, n°15-28597 ; n°16-16901 ; n°16-16495 ; n°15-20052 ; n°16-16455
En dehors de toute considération éthique, l’argumentaire de la Cour de cassation interpelle.
D’une part, la réalité de l’accouchement n’est plus une référence de la maternité depuis très longtemps (adoption, accouchement sous X…), et d’autre part il apparaît léger de justifier la transcription de la paternité tirée d’une convention toujours jugée illégale aujourd’hui, au seul constat d’une “conformité à la réalité”.
Pourtant, pour justifier que seule la mention de la paternité peut être transcrite la Cour de cassation se contente d’affirmer que les actes qui désignent la mère d’intention comme mère ne sont donc pas conformes à la réalité. Elle défend cette position au regard de l’intérêt de l’enfant : “le refus de transcription de la filiation maternelle d'intention […] résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu'il tend à la protection de l'enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil”.
Cette solution aboutit donc à une transcription partielle des actes d’états civils étrangers, à laquelle la Cour de cassation apporte elle-même la solution : l’adoption pour le conjoint du père.
En effet, la Cour poursuit dans sa démonstration par l’absurde en expliquant que cette solution ne crée aucune dis crimination puisque : “l'adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l'épouse de leur père”.
L’ensemble de cette motivation laisse quelque peu interrogatif.
Il apparaît difficile de soutenir que l’absence de transcription globale poursuit le même but légitime de protection de l'enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique de la Gestation Pour Autrui.
Pourquoi le refus de transcription de l’une des branches porte atteinte à l’intérêt de l’enfant et non l’autre ? La réponse reste inconnue, et les arguments renvoyant le justiciable à la “conformité à la réalité” et à l’adoption simple ne sont pas aboutis.

3 - Cependant, en l’état du droit, le plus important dans ces décisions du 5 juillet c’est finalement cet accord que donne la Cour de cassation à l’adoption de l’enfant par le conjoint du père.
Il s’agit d’un revirement important car la Cour de cassation accepte que l’adoption vienne achever le processus de conception d’un enfant privé d’une branche de sa filiation pour être rendu adoptable. Par le passé la Cour estimait que l’adoption demandée dans ces conditions réalisait “un détournement de l’institution de l’adoption”, n’étant “que l’ultime phase d’un processus d’ensemble destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer d’un enfant, conçu en exécution d’un contrat tendant à l’abandon à sa naissance par sa mère”.

Cass. Ass.plén., 31 mai 1991, n°90-20.105
Cass. 1re civ., 29 juin 1994, n°92-13.563

Selon cette nouvelle jurisprudence, “le recours à la gestation pour autrui à l'étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l'adoption, par l'époux du père, de l'enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l'adoption sont réunies et si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant”.
Cette décision s’inscrit dans la continuité des avis favorables donnés en 2014 à l’adoption par la conjointe de la mère de l’enfant né d’une insémination à l’étranger.

Cass. avis, 22 sept. 2014, n°150010 et 15011

Ces décisions sont finalement très hésitantes car elles se trouvent au carrefour d’une évolution contraignant les Juges à osciller entre le constat forcé de l’existence de ces pratiques libérales et la prise en compte du dernier avis du Comité consultatif national d’éthique. Ce dernier estime toujours avec fermeté qu'il ne peut y avoir de GPA éthique en rappelant les “principes qui justifient la prohibition de la GPA : respect de la personne humaine, refus de l’exploitation de la femme, refus de la réification de l’enfant, indisponibilité du corps humain et de la personne humaine”.

Applications de la notion de perte de chance

1 - Si l'absence ou le retard fautif de diagnostic ou de traitement d'une affection ne peuvent être indemnisés qu'au titre de la perte de chance…
Les fautes commises par un médecin et le personnel d’un établissement ne peuvent être indemnisées qu'au titre de la perte de chance dans la mesure où il n'est pas certain que l'enfant n'aurait présenté aucune lésion même en étant pris en charge correctement.
Il s’agit ici d’un simple rappel malheureux illustré par le cas d’un nourrisson né prématurément, présentant une infirmité motrice cérébrale imputée à la survenue d’une infection amniotique à streptocoque B.
Au fond, l’accoucheur et l’établissement sont condamnés à réparer les conséquences :
 - Pour le chirurgien : du fait de l’absence de contrôle de l’exécution de prélèvements bactériologiques permettant de déceler l’infection, mais également de son arrivée tardive lors de l’accouchement et d’un défaut d’instructions quant à la prise en charge de l’enfant ;
 - Pour l’établissement : il était reproché un défaut d’organisation des soins, avec une absence de réactivité de la sage-femme qui avait constaté l’anomalie du rythme cardiaque fœtal et un appel tardif à un pédiatre, entraînant une absence de soins donnés à l’enfant avant son transfert.
Pour les juges, ces fautes ont joué un rôle causal majeur et sont en lien direct avec le dommage, la réalisation d’une IRM ayant permis d’exclure toute pathologie anténatale. Ils relèvent également que si les prélèvements bactériologiques omis par le chirurgien avaient été effectués, Ils auraient probablement permis de prendre des décisions limitant les conséquences de l’amniotite à streptocoque B pour l’enfant en traitant l’infection.
Sur pourvoi de l’établissement et du médecin, l’arrêt est cassé en ce qu’il a condamné le médecin et l’hôpital à indemniser la totalité des conséquences dommageables. En effet, pour la Cour de cassation, il résultait des constatations de la cour d’appel que même si l’infection avait été décelée et que si la mère et l’enfant avaient été correctement pris en charge, il n’était pas certain que celui-ci n’aurait présenté aucune lésion. Dès lors, les fautes commises ont seulement fait perdre une chance à la victime de ne subir aucune séquelle ou des séquelles moins graves.

Cass. 1re civ., 24 mai 2017, n°16.13513

2 - la perte d’une simple éventualité favorable suffit à justifier l'existence d'une perte de chance.
Le régime de la perte de chance est ici assoupli puisqu’il n’est plus recherché une certitude de perte de chance, mais une simple éventualité.
De nouveau des parents, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom de leurs deux filles, recherchaient la responsabilité d’une clinique et des accoucheurs à laquelle ils imputaient les séquelles subies par leur bébé résultant d’une souffrance fœtale.
Les juges rejetaient la responsabilité en relevant que malgré l’existence d’une faute, liée à l’intervention tardive du gynécologue obstétricien ayant procédé en urgence à la césarienne, ils considéraient que son impact sur les séquelles n’était pas techniquement démontré.
Les demandeurs n’apportaient notamment pas la preuve qu’une intervention plus précoce, ici dans le meilleur des cas, dix minutes plus tôt, aurait été de nature à réduire les séquelles. Les juges se fondaient sur l’argumentaire habituellement retrouvé, “seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d’une éventualité”. Cependant, la décision est cassée par la Cour de cassation sur la base d’un raisonnement inversé. Pour elle, la réparation d’une perte de chance ne peut être écartée que s’il peut être tenu pour certain que la faute n’a pas eu de conséquence sur l’état de santé du patient.
Il s’agit donc d’une inversion de l’approche classique, défavorable aux intérêts des praticiens.

Cass. 1re civ., 22 juin 2017, n°16.21296

Le rôle causal du Distilbène dans la survenue de la pathologie ne peut être présumé
Il faut d’abord rappeler qu’en 2009 la Cour de cassation avait procédé à un renversement de la charge de la preuve de l’administration du diéthylstilbestrol (DES) à la mère de la plaignante – en raison des faits souvent très anciens. Cette solution avait pour but de transférer aux laboratoires pharmaceutiques la charge de démontrer que leur produit n’avait pas été administré aux mères des femmes atteintes d’infertilité ou de carcinomes de l’utérus.

Cass. 1re civ., 24 sept. 2009, n°08-16305

Ceci dit, si les plaignantes sont déchargées du fardeau de la preuve de la prise du médicament par leur mère, elles n’en demeurent pas moins soumises à l’exigence de démontrer le rôle causal du DES dans la survenance de leur dommage. Dans la présente affaire, invoquant avoir été exposée in utero au DES lors de la grossesse de sa mère, une femme introduisait une action en indemnisation contre la société UCB Pharma.
La Cour d’appel de Versailles condamnait le laboratoire au paiement de dommages-intérêts en se contentant de relever que l’exposition au DES n’était pas contestée.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation casse justement l’arrêt sur ce motif estimant que la preuve du rôle causal du DES, administré à la mère, dans la survenue de la pathologie tumorale de la fille, n’était pas apportée.

Cass. 1re civ., 22 juin. 2017, n°16-19047 et n°16- 23033

Nous pouvons préciser que ce lien de causalité peut être reconnu, selon les expertises, à partir de présomptions graves, précises et concordantes, dont la valeur et la portée sont appréciées souverainement par les juridictions du fond. Mais ici la Cour de cassation vient rappeler que ces dernières ne peuvent se borner, sauf à dénaturer les faits, à admettre une présomption de causalité qui deviendrait irréfragable pour le laboratoire défendeur.
Cette solution est parfaitement en ligne avec la jurisprudence récente de la Cour de justice sur l’application de la directive sur les produits défectueux.

CJUE, 21 juin 2017, aff. C-621/15

Cette dernière considère en effet que la règle de la charge de la preuve du lien de causalité entre le défaut d’un médicament et un préjudice se trouve méconnue si les juges du fond se contentent de preuves peu pertinentes ou insuffisantes, ou si les présomptions avancées par le demandeur présentent un caractère quasi-automatique, plaçant le défendeur dans l’obligation systématique de devoir les renverser.

Article parue dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°110

Publié le 1652306364000