INTERVIEW
“ L’engagement humanitaire a redonné un sens à mon métier „
Marc Delpech est anesthésiste-réanimateur à l’hôpital de Mende. Il a choisi de partir en mission avec le Comité international de la Croix-Rouge. Il nous raconte la gestion de l’urgence médicale et du stress en zone de combat.
H.- Comment avez-vous intégré le Comité international de la Croix- Rouge (CICR) ?
Marc Delpech.- Je voulais m’engager dans l’humanitaire. J’étais déjà réserviste du Service de Santé des Armées. Un collègue m’a parlé du CICR, je me suis alors inscrit en ligne. C’était en 2010.
H.- Comment avez-vous pu concilier votre poste hospitalier et ces missions ?
M.D.- J’ai quitté mon poste en réa au CHU pour pouvoir partir en mission une fois par an. J’ai pris un poste à 60% à l’hôpital de Mende avec une activité polyvalente à la fois en anesthésie et en réanimation.
H.- Quelle fut votre dernière mission ?
M.D.- Je suis parti trois mois en Irak en 2017, au moment de la libération de la ville irakienne de Mossoul ; combats de haute intensité avec bombardements aériens et tirs de missiles, aggravés par des combats urbains dans une ville dont les 2 millions d’habitants étaient pris au piège. Nous étions derrière la ligne de front pour récupérer et soigner les civils. Je faisais partie d’une équipe mobile chirurgicale du CICR (5 personnels soignants).
H.- Quelles furent les conditions de travail sur place ?
M.D.- Nous avions établi un hôpital de campagne près du check-point où affluaient les civils évacués de la ville par camions. Ils étaient en état de choc, dénutris, reclus depuis des semaines. J’avais l’impression de revivre un génocide. Leurs blessures de guerre étaient souvent infectées. La prise en charge était compliquée par le froid et le manque de structures d’aval.
H.- Qu’est-ce qui fut le plus dur lors de cette mission ?
M.D.- L’afflux massif de victimes : nous étions constamment à flux tendu, cela n’arrêtait pas. Une grenade lancée dans un camion de civils fait 10 blessés graves, vous devez les stabiliser avant de les évacuer vers l’arrière. A peine fini, une roquette tombe sur un regroupement de civils... Vous ne pensez plus à rien. Vous êtes concentré sur les gestes techniques.
H.- Comment faisiez-vous pour tenir le choc ?
M.D.- Nous prenions un moment pour parler en équipe, chaque soir, pour évacuer ce stress et éviter le repli sur soi. Cela nous permettait d’exprimer nos frustrations et de rester soudés. Savoir aussi que ma famille, en France, me soutenait, me donnait des forces.
H.- Quel est votre sentiment quand vous devez quitter une mission ?
M.D.- C’est un sentiment mitigé. Je suis à la fois soulagé de rentrer chez moi et triste de quitter la mission, notamment le personnel soignant local : il y a un sentiment de trahison, même si le CICR organise les relèves !
H.- Qu’est-ce qui vous fait repartir en mission ?
M.D.- Un sentiment humaniste qui a besoin d'être nourri d’engagements et d'espérances en l’avenir de l’humanité ! La décision doit être mûrement réfléchie, à cause des risques encourus pour soi et ses proches. Ces missions ont redonné du sens à mon métier. A ma vie d’homme aussi.
Propos recueillis par Vanessa Pageot
Un sentiment humaniste qui a besoin d'être nourri d’'engagements et d'espérances en l’'avenir de l’'humanité !
INTÉGRER L’ÉQUIPE MÉDICALE DU CICR
Le CICR recrute régulièrement des médecins pour travailler sur le terrain. Ce n’est pas du bénévolat : vous signez un CDD (missions de 3 à 6 mois). Avant de partir, les médecins reçoivent une formation à Genève afin de se familiariser avec les protocoles, le matériel, les conditions de sécurité, etc.
+ d’infos sur https://www.icrc.org/fr/qui-nous-sommes/travailler-pour-le-cicr
Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°21