Dossier santé mentale des soignants

Publié le 25 May 2022 à 18:24


La santé mentale des soignants, une lutte au quotidien

La santé des soignants est un sujet brûlant depuis plusieurs années. En 1998, déjà, Martin WINCKLER l’évoquait dans son livre La Maladie de Sachs, «  La médecine est une maladie qui frappe tous les médecins de manière inégale. Certains en tirent des bénéfices durables. D’autres décident un jour de rendre leur blouse parce que c’est la seule possibilité de guérir – au prix de quelques cicatrices. Qu’on le veuille ou non, on est toujours médecin. Mais (…) on n’est pas non plus obligé d’en crever. ». Des chiffres de plus en plus inquiétants émergent sur la santé des professionnels de santé, et notamment des jeunes médecins.

Dans une enquête publiée en 2016, le conseil national de l’Ordre des médecins a mis en évidence une profonde souffrance des jeunes médecins, (24,2 % des 8000 participants), 14 % des répondants ont déclaré avoir déjà eu des idées suicidaires

Une étude internationale publiée dans le JAMA fin 2016 (Rotenstein & al) a annoncé comme chiffres : 11,1 % de risques suicidaires chez les étudiants en médecine et 27,2 % de dépression, prévalence qui est triple par rapport à la population générale, avec un effet direct sur la prise en charge des patients.
De nombreux facteurs de risque peuvent être retrouvés, parmi lesquels on peut citer  :
• Un temps de travail trop important, avec 60 % des internes répondants à l’étude du Conseil National de l’Ordre des Médecins déclarant travailler plus que les 48 heures hebdomadaires imposées par la directive européenne.
• Le stress engendré par l’impossibilité de contrôler le volume et le rythme de son travail (Smith, 2001).
• La jeunesse, les salariés les moins expérimentés étant les plus sujets à l’épuisement professionnel (Freudenberger & Cherniss).
Cependant, les déterminants psychosociaux restent encore à éclaircir

Enquête AFFEP
En 2015, l’AFFEP a lancé une enquête santé mentale centrée sur les internes en psychiatrie, en collaboration avec les référents de ville et les coordonateurs de DES, pour établir un état des lieux de la situation, des recours lors de difficultés, et ouvrir des pistes de réflexion sur un plan d’action coordonné. Les résultats ont été présentés au CFP 2015, et ont fait l’objet d’une communication par poster.

Introduction
• L’internat est considéré comme une période de stress chronique élevé pour les étudiants en médecine qui doivent relever le défi d’apprendre à travailler en équipe, de devenir des médecins compétents, responsables et empathiques, dans un climat parfois compétitif. Des travaux récents retrouvent une prévalence de la dépression d’environ 30 %1 ainsi qu’une augmentation significative de la prévalence du burn-out et des symptômes d’anxiété au cours de l’internat2 .
• Contexte : Les internes en souffrance psychique ou qui souffrent de troubles psychiatriques se tournent peu vers les professionnels de santé3 et l’aggravation des symptômes retentit sur leur fonctionnement, notamment professionnel4,5. Actuellement, il n’existe pas en France de recommandations claires relatives à la prise en charge médicale et universitaire des internes en souffrance.
• Objectifs : Evaluer la prévalence des internes du DES de Psychiatrie en situation de souffrance psychique. Décrire les modalités de prise en charge sanitaire et universitaire mises en place pour ces internes. Proposer des options de prise en charge consensuelles.

Materiel et méthode
• Enquête par questionnaire GoogleForm (15-20 minutes).
• 3 populations sondées :
  - Internes référents de l’Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie (AFFEP) de chaque subdivision d’internat (n = 28) (figure 1) ;
  - Coordonnateurs locaux du Diplôme d’Etudes Spécialisées de Psychiatrie (n = 28) ;
  - Coordonnateurs locaux du Diplôme d’Etudes Spécialisées Complémentaire de Pédopsychiatrie (n = 21).



Figure 1. Carte des 28 subdivisions d’internat en France. Le réseau national de l’AFFEP comporte 28 référents locaux soit 1 interne par subdivision.

Résultats
Taux de réponse
Référents AFFEP : 100 % (n = 28) Coordonnateurs : 37 % (n = 18; DES + DESC Pédopsychiatrie)
• Prévalence des internes en situation de souffrance psychique
Prévalence sur 2 ans : 2013-2014 et 2014-2015 ; n = 86 internes répartis dans 24/28 subdivision ; Répartition homogène sur les 4 années de DES (figure 2)


Figure 2. Répartition du nombre d’interne en situation de souffrance psychique en fonction de l’année de DES (n = 86).


Figure 3. Conséquences professionnelles déclarées par les 24 référents des 24 subdivisions concernées. Les trois conséquences les plus fréquemment rapportées étaient : difficultés en stage (déclaré par 21 référents) ; arrêt de travail (déclaré par 18 référents) ; absentéisme (déclaré par 10 référents). Les résultats obtenus dans le groupe des coordonnateurs étaient comparables.

  • Rencontre avec le coordonnateur local de DES


Figure 4. A. Proportion d’internes en difficulté ayant rencontré ou non le coordonnateur local de DES ; NSP : ne sait pas. B. à gauche : Proportion des internes référents AFFEP (n=28) qui pensent que la rencontre avec le coordonnateur local de DES est nécessaire ou non ; B. à droite : Proportion des coordonnateurs locaux (DES + DESC ; n=18) qui pensent que la rencontre avec le coordonnateur local de DES est nécessaire ou non

Connaissance du dispositif des comités médicaux


Figure 4. A1. à gauche : Proportion d’internes référents AFFEP (n=28) qui connaissent ou non le dispositif des comités médicaux ; à droite : Parmi les référents qui connaissent le dispositif, répartition de ceux qui en connaissent ou non le rôle. A2. Résultats A1 chez les coordonnateurs locaux (DES + DESC ; n=18). B1. Proportion des internes référents AFFEP (n=28) qui pensent ou non que le comité médical est un dispositif utile à la prise en charge des internes en souffrance psychique ; B2. Proportion des coordonnateurs locaux (DES + DESC ; n=18) qui pensent ou non que le comité médical est un dispositif utile à la prise en charge des internes en souffrance psychique.


Figure 5. Premier intervenant impliqué toutes situations confondues. Internes = association locale des internes, co-interne de stage, interne en difficulté lui-même ; Médecins = chef de service ou du pôle, PH ou CCA ou Assistant de l’unité ; Proche = famille, amis ; NSP = ne sait pas.

  • Temporalité des mesures d’aide mises en place

Mesures immédiates les plus fréquemment rapportées par les internes référents AFFEP (n = 24) : arrêt de travail (déclaré par 10 référents) ; invalidation de stage (déclaré par 8 référents) ; aménagement des gardes (déclaré par 6 référents).

Mesures à moyen terme les plus fréquemment rapportées par les internes référents AFFEP (n = 24) : aménagement des gardes (déclaré par 7 référents) ; réorientation (déclaré par 5 référents) ; interdiction de prescriptions non séniorisées (déclaré par 5 référents) ; invalidation du stage (déclaré par 5 référents


Figure 6. A. Proportion des internes en difficulté pour lesquelles des mesures d’aide ont été mises en place ou non immédiatement (n = 86) ; B. à gauche : Proportion des cas où des mesures d’aide ont été mises en place à moyen terme (non/oui) ou non (non/non) lorsque cela n’était pas fait immédiatement. B. à droite : Proportion des cas où des mesures d’aide ont été mises en place à moyen terme (oui/oui) ou non (oui/non) lorsque cela était fait immédiatement. NSP : ne sait pas ; NSAP : ne s’applique pas.

  • Intervenant à solliciter en premier


Figure 7. A. Intervenant qui serait à solliciter en premier dans la prise en charge d’un interne en difficulté du point de vue des internes référents AFFEP (n = 28) ; B. Intervenant qui serait à solliciter en premier dans la prise en charge d’un interne en difficulté du point de vue des coordonnateurs locaux (n = 18 ; DES + DESC).


Figure 8.A. Mesure d’aide professionnelle la plus importante qui serait à mettre en place du point de vue des internes référents AFFEP (n = 28) ; B. Mesure d’aide professionnelle la plus importante à mettre en place du point de vue des coordonnateurs locaux (n = 18 ; DES + DESC).

Conclusion
Les cas d’internes en DES de Psychiatrie en souffrance psychique ne sont pas rares.
Les conséquences professionnelles et personnelles sont potentiellement graves (suicide).
Les internes sont fréquemment sollicités et sont très souvent les premiers impliqués dans la prise en charge de leurs pairs.
Il existe une méconnaissance et une inefficacité des dispositifs d’aide et de prise en charge conventionnels (comité médical, médecine du travail et universitaire).
Le rôle perçu du coordonnateur local apparaît central dans l’initiation de mesures d’aide, de même qu’une prise en charge précoce des internes en difficulté.
Les mesures d’aménagement du temps de travail et la séniorisation semblent être les principales mesures d’aide souhaitées par les internes et les coordonnateurs.
La constitution d’un groupe de réflexion entre les internes et les universitaires (AFFEP-CNUP) pourrait permettre d’élaborer des recommandations consensuelles et spécifiques aux internes du DES de Psychiatrie en souffrance psychique. Ces recommandations pourraient servir une réflexion plus large sur la santé mentale des internes quelle que soit leur spécialité.

Références bibliographiques :
1. Mata D.A., et al., Prevalence of Depression and Depressive Symptoms Among Resident Physicians : A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA. 314, 2373 (2015).
2. I. Ahmed, H. et al., Cognitive emotions : depression and anxiety in medical students and staff. Journal of critical care. 24, e1–e7 (2009). 3. Chew-Graham C.A. et al., “I wouldn”t want it on my CV or their records’: medical students’ experiences of help-seeking for mental health problems. Medical education. 37, 873–880 (2003).
4. Fahrenkopf A.M. et al., Rates of medication errors among depressed and burnt out residents : prospective cohort study. BMJ. 336, 488–491 (2008).
5. Pereira-Lima K. et al., Burnout, anxiety, depression, and social skills in medical residents. Psychol Health Med. Epub 2014 Jul 17. 5.

Enquête Nationale santé mentale jeunes médecins

Ces réflexions des internes sur leur propre santé s’est étendue à l’ensemble des spécialités, ainsi qu’aux externes. Les structures jeunes  : ISNI (Intersyndicat Nationale des Internes), ISNAR-IMG (Intersyndicale National Autonome Représentative des Internes de Médecine Générale), ANEMF (Association Nationale des Etudiants en Médecine de France), INSCCA (Intersyndicat National des Chefs de Clinique et Assistants) se sont emparés de la question, et ont lancé, à l’initiative de l’ISNI, le 31 janvier dernier, une grande enquête nationale sur la santé mentale des jeunes médecins, dont vous pouvez trouver l’affiche ci-dessous.

Pour mieux comprendre les enjeux de cette enquête sans précédent en France, le psy déchainé est allé à la rencontre de deux internes membres de l’équipe en charge de l’étude : Leslie GRICHY (LG), interne en psychiatrie à Paris, Vice-Presidente en charge des questions sociales à l’ISNI, et Guillaume AH-TING (GAT), interne en santé publique à Paris.

Comment vous est venue l’idée ?
LG : L’idée nous est venue en constatant le faible nombre d’études sur le sujet en France. En effet, la plupart des études ne concerne qu’une partie de la population : souvent les internes de médecine générale, ou alors n’étudie qu’une région. Il nous a paru important de pouvoir avoir des données plus complètes qui concerneraient l’ensemble des jeunes médecins de France.
GAT : D’autre part, on sait - on voit - que nos camarades sont à bout, on lit la presse et ses histoires dramatiques, et on se dit qu’on doit essayer quelque chose. 

Quels sont vos objectifs ?
GAT  : L’idée globale, c’est d’améliorer le bien-être des jeunes médecins. Mais cela se fait en plusieurs étapes.
LG  : Le premier objectif est d’avoir une estimation de la prévalence des troubles anxieux et dépressifs chez les jeunes et futurs médecins en France. Le deuxième est de pouvoir identifier les facteurs de risque qui sont associés aux troubles anxieux et dépressifs. Le troisième est de lancer un plan de prévention des risques psycho-sociaux chez les jeunes médecins à partir de ces données objectives.
GAT  : Enfin, nous souhaitons aussi, via cette enquête, sensibiliser les jeunes médecins, chez qui il faut déstigmatiser la souffrance psychique  ; leurs supérieurs hiérarchiques & les décideurs « politiques », à qui il faut montrer les drames qu’ils engendrent. 

Comment vous êtes-vous synchronisés pour travailler ensemble ?
LG & GAT : Nous avons beaucoup échangé par mail et par téléphone. Nous nous sommes vus en présentiel mais de façon ponctuelle puisque nous n’habitons pas la même ville

Avez-vous été confrontés à des difficultés particulières ?
 LG  : Les difficultés sont surtout liées aux contraintes de temps. Nous souhaitions pouvoir lancer l’enquête en janvier 2017. Les relectures multiples prennent beaucoup de temps. Malgré les dizaines de relectures, il restait des erreurs sur la version finale qu’il est difficile de corriger si nous ne voulons pas biaiser les résultats. 
GAT : L’enquête a été repoussée à cause de l’enquête santé jeunes médecins du Conseil National de l’Ordre des Médecins, avec qui nous étions en désaccord.

Combien de réponses avez-vous déjà reçu ? Y a t-il une tendance qui se dessine ?
17881 réponses mais nous ne pouvons pas donner de résultats pour le moment.

Avez-vous des pourcentages de réponses en fonctions des spé ? Qui sont les « meilleurs élèves », c’est-à-dire ceux qui ont le plus répondu, et où se situe la psychiatrie ?
La psychiatrie est la 5ème spécialité qui a le plus répondu parmi les internes (9.87 % des internes alors qu’ils représentent environ 6.7 % des internes). Les quatre spécialités ayant eu le plus grand nombre de répondants parmi leurs effectifs sont dans l’ordre : les oncologues, les pédiatres, les santé pub et les hématologues.

Pour ce qui concerne les chefs et assistants, les 5 spécialités ayant le plus grand nombre de répondants sont dans l’ordre : l’oncologie, l’ORL, la psychiatrie, la chirurgie générale et la néphrologie. 13.24 % des chefs ayant répondu à l’enquête sont psychiatres.

Merci à tous les deux d’avoir répondu à nos questions. Pour ceux d’entre vous qui n’ont pas encore répondu à l’enquête, rendez vous sur http://santementale.isni.fr/ Et n’hésitez pas à la diffuser autour de vous.

En conclusion, l’attention semble désormais enfin portée sur la santé des jeunes médecins, et nous pouvons espérer que des réflexions communes émergeront de ces enquêtes, et que les médecins de demain puissent s’épanouir dans leur métier.

Des réseaux d’entraide se sont mis en place sur le plan régional et national (rapport IGAS 2016)  : association les mots, association pour les soins aux soignants, ARENE (Association Regionale d’Entraide du Nord-Est), ASRA (Association aux soignants de Rhones Alpes), ASPS (Association Soins aux professionnels de Santé), les cellules SOS Internes, etc. Mais une restructuration en profondeur de la formation et des pratiques semble nécessaire, ainsi qu’un travail de prévention spécifique.

Audrey FONTAINE

Addictions atypiques des adolescents

Je m’appelle Guillaume Jeanne et je suis un interne montpellierain. J’ai choisi à l’occasion d’une présentation dans le service en pédopsychiatrie de m’intéresser aux addictions atypiques des adolescents. On m’a ensuite proposé d’écrire un article afin de faire une revue de la littérature au sujet de ces nouvelles pratiques encore peu connues. Je vous propose de faire un bref résumé de l’article ainsi que de présenter un de ces produits

Les habitudes de consommation des adolescents ont profondément évolué ces quinze dernières années. Plusieurs nouveaux produits ont été développés ou synthétisés et cette population, particulièrement vulnérable, y est largement exposée. Si le tabac, l’alcool et le cannabis restent les trois principaux produits les plus expérimentés durant l’adolescence, d’autres substances psychoactives sont aujourd’hui souvent utilisées et imposent une attention particulière.

L’objectif de cette revue était donc de faire une synthèse des connaissances actuelles sur ces substances en se basant sur les plus récentes publications sur le sujet, de comprendre leurs modes d’utilisation, leurs mécanismes d’action, d’évaluer les risques liés à leur consommation afin de permettre un repérage précoce et une réponse adaptée.

Divers produits y ont été étudiés : après un bref rappel sur la cocaïne et les amphétaminiques, nous nous sommes intéressés aux inhalants, aux champignons hallucinogènes et aux nouveaux produits de synthèse que sont les cathinones et les cannabinoïdes de synthèse.

Nous nous sommes ensuite penchés sur le mésusage de médicaments, pour enfin aborder le cas particulier du « purple drank ». Il en est ressorti que les habitudes de consommation des adolescents ne sont pas équivalentes en termes d’effets et de conséquences. De multiples produits sont disponibles et les plus récents sont également les plus inquiétants, tels que les nouveaux produits de synthèse ou le « purple drank », qui présentent des risques de complications médicales sévères à court terme.

En effet, la mode du « purple drank » est un bon exemple de nouvelle pratique à risque  :

Cette boisson violette, largement promue par la culture rap américaine, est un mélange de sirop pour la toux contenant le plus souvent de la codéine ou du dextrométhorphane, associé à de la prométhazine, du soda (ou boissons énergisantes) et des bonbons pour la couleur et la texture. Elle est appelée Purple Drank, ou « Drank » ou encore « syrup » et connaît un véritable essor aux États-Unis depuis 2005. Ce phénomène est arrivé en France depuis 2013, et semble susciter un engouement chez les adolescents français, malgré les risques manifestes. Plusieurs des rappeurs qui l’ont promu sont aujourd’hui décédés suite aux complications aiguës de ce mélange (entre autres Dj Screw, Pimp C et plus récemment ASAP Yams).

La codéine et le dextrométhorphane sont des opiacés mais ce dernier n’a pas d’activité sur les récepteurs opioïdes et est un antagoniste aux récepteurs NMDA, ayant un effet dit « dissociatif » à forte dose, comme la kétamine ou le phéncyclidine (PCP).

L’antihistaminique a pour rôle d’éviter les effets secondaires gênants de la codéine tel que le prurit et potentialiserait les morphiniques à forte dose.

Les effets sont très variables : ils apparaissent habituellement moins d’une heure après l’ingestion et durent jusqu’à 6 heures. Ils dépendent de la composition du mélange et de l’individu, car les métabolismes de la codéine et du dextrométhorphane peuvent être très différents d’un sujet à l’autre. De plus, les sirops utilisés contiennent parfois d’autres molécules, comme le paracétamol, qui peuvent s’ajouter à la toxicité du mélange.

Les effets recherchés les plus décrits sont une sédation, une sensation de bien-être, une altération des perceptions voire des hallucinations.

Ces molécules combinées et à forte dose sont très dangereuses. Le risque principal à court terme est la dépression respiratoire suite à l’intoxication aiguë mais il y a aussi des complications cardiaques (en particulier troubles du rythme) et psychiatriques (agitation aiguë, symptômes psychotiques ou épisode maniaque ont été retrouvés). Plusieurs témoignages d’utilisateurs rapportent un important potentiel addictogène et de forts symptômes de sevrage à l’arrêt, même s’ils sont encore peu documentés dans la littérature. Plusieurs cas récents d’actes hétéro ou auto agressifs lors d’intoxication massive au dextrométhorphane ont été rapportés.

Heureusement, contrairement aux États-Unis, il n’existe pas de spécialité combinant codéine et dextrométhorphane en un seul sirop en France. La plupart des adolescents s’orientent alors sur les sirops codéinés. Ils sont en vente libre et ont fait l’objet de plusieurs alertes de la part de l’OFDT et de l’ANSM (Agence Nationale de Santé et du Médicament) afin de sensibiliser les professionnels de santé. Les pharmaciens sont alors encouragés à restreindre la délivrance en cas de doutes et à signaler les demandes suspectes à la pharmacovigilance.

Guillaume JEANNE
Interne de psychiatrie à Montpellier
Article écrit en collaboration avec le service de MPEA (Médecine
Psychologique Enfants et Adolescents) et le service d’Addictologie et de
Médecine Interne du CHU Saint Eloi.

Les petites cases

Quand je suis arrivée en médecine, j’avais un certain a priori sur la psychiatrie : mélange de littérature de bureau de tabac farcie de psychologie de bas étage et fascination intellectuelle teintée de classe dont Hannibal Lecteur pourrait avoir été l’instigateur premier. Dans tous les cas je m’attendais à une discipline assez fouillie, farfelue, avec une nette prédilection pour le brassage inutile des pensées, des interprétations fumeuses aux notes érotisées.
Devant cette définition personnelle franchement attirante de la discipline, je me suis donc empressée de me dégoter un stage en psychiatrie dès la 3ème année d’externat.

 J’ai pris soin de choisir un service assez lourd, cliché asilaire, histoire de commencer directement dans le vif du sujet et de ne pas y aller par quatre chemins. Et là, quelle délicieuse surprise, pour mon esprit cartésien de jeune carabine, j’ai fait la connaissance des cases diagnostiques, des classifications internationales type CIM, DSM... bref, des cases !

Oh, elles m’étaient familières ces cases, depuis 4 ans, comme tous les autres étudiants, nous tentions de les empiler savamment dans nos esprits sans qu’elles ne s’écroulent. On nous a appris tout notre cursus que les petites cases étaient nos amies.

Question de prof : « Quels sont les critères ECG de l’hyperkaliémie ? » « Allez-y, tirez les tiroirs, toujours le même, ça doit devenir automatique dans vos esprits, pas besoin de réfléchir ! ». Il fallait absolument caser les choses, les classer...

Et c’est totalement vrai, c’était drôlement rassurant en fait ces petites cases, on s’y trouvait bien au chaud, tranquille... Elles étaient bien rangées, ordonnées, la pile tenait a peu près droit avec un peu de pratique. Si la réponse n’était pas dans cette case, elle était forcement dans une autre. Un peu comme quand on cherche son plat à gratin dans les cartons de déménagement et qu’on ne le trouve pas dans les assiettes, on finira bien par le trouver sans doute dans le carton à verres.

Bref, toujours est-il que je pensais que les petites cases, c’était une question de vraie médecine, et que la psychiatrie, pendant simpliste et vétérinaire de la psychologie, n’en utilisait pas par manque de rigueur. Et puis en fait donc, il y en avait des petites cases en psychiatrie. Hyper chouettes aussi, classées, rangées, claires.

Alors je me suis dit que si petites cases il y avait, c’est clairement que la psychiatrie c’était de la médecine aussi, de la vraie. Ça m’a fait un sacré choc

Les petites cases m’ont fait m’intéresser à la psychiatrie (et oui, j’avais fait des études de médecine, je voulais devenir médecin, pas caresseuse de pensées, fallait que ça reste de la médecine pour que je m’y intéresse).

Je m’y suis donc vautrée corps et âme dans ces petites cases, tellement elles étaient intéressantes. On pouvait vraiment aider les patients puisqu’on pouvait les ranger, les classer, c’est-à-dire savoir ce qu’ils avaient. Si bien qu’après tergiversions mentales, mensonges intérieurs, doutes existentiels non résolus, j’ai choisi d’en faire ma spécialité.

Et là, au début, ça a été la crise intérieure. En fait ces cases, elles me soûlaient. Elles fixaient les patients dans quelque chose qui semblait rigide, étroit, pas du tout le réel des patients. En plus, je n’arrivais plus à classer les gens. En devant le faire soi-même, on se rend compte que parfois, en fait, c’est difficile de dire ce qu’a le patient. Moi qui jusque là n’avait rêvé que d’ordre, je me prenais à rêver de pouvoir pratiquer le brassage inutile des pensées, faire des interprétations fumeuses pourquoi pas aux notes érotisées, bref, réfléchir aux patients autrement que par ces cases insupportables et trop étroites. Et le DSM m’ennuyait, la CIM aussi. « Les cases ne veulent rien dire, maintenant tout le monde est schizophrène tellement ça regroupe plein de trucs différents, les critères sont trop larges » telles étaient mes pensées vaguement aigries.

Mais du coup, j’ai fait comme tout le monde, j’ai un peu mis les cases de coté, pour voir ce que c’était la psychiatrie, sans les cases. Et je me suis rendue compte qu’en psy, on avait cette force là : On a beau mettre les patients dans des cases, on arrive toujours à en sortir pour voir un chouilla plus loin. Parce que quand même, au-delà de la case, il y a le patient, et on est bien obligé de s’en rendre compte quand on commence à passer de la théorie à la pratique. Que ces cases elles nous servent à baliser les choses, à parler le même langage entre professionnels, patients du monde entier.

Qu’elles nous servent à avoir une ligne directrice sur les traitements chimiques, et surtout sur le reste du soin. Et c’est tout (et c’est déjà pas mal). On a réussi à faire des ponts entre chaque case, et on ne se laisse pas enfermer dedans, parce que de toute façon ce n’est pas possible (et pas intéressant).

 Comme dans toute discipline scientifique, les cases sont amenées à évoluer, et parfois même à s’élargir sur le recoupement de critères communs. Par exemple, la théorie de l’évolution a elle aussi amené à élargir les cases : avant, l’humain était un être à part, chaque animal constituait sa propre case, etc.

Depuis la théorie de l’évolution, l’humain fait partie de l’énorme case « animal », et ça a justement permis d’accepter la pluralité de l’animal, la richesse et les différences de chaque individu pourtant regroupés sous un même nom

Mais pourquoi ça nous fait encore peur, ces cases qui s’élargissent en psychiatrie ? Au-delà du fait qu’elles sont moins rassurantes car moins carrées, aux limites plus floues, c’est parce que c’est pas simple à justifier et expliquer à un patient, à son entourage...

Peut-être parce que, (toujours pour l’exemple de la schizophrénie), ça fait plus d’annonces diagnostiques pas sympas à faire, parce que les patients ne se reconnaissent pas dans le flou de ces cases trop larges, les gens ne savent plus qui pointer du doigt puisque c’est trop varié. Parce qu’il y a le risque que les vieilles cases restent dans les représentations des gens, c’est-à-dire de la société, et par conséquent entraînent l’amalgame de plus de monde...

C’est donc la société qui est un peu comme un carabin de première année. Elle empile les cases mais pas forcement très bien, ça se casse la gueule sans arrêt, parce que foutre de l’ordre avec des matériaux qu’on a pas l’habitude d’utiliser, c’est vite la galère. Et sur des cases aussi fragiles que celles concernant la psychiatrie, ça fait vite des dégâts. La psychiatrie c’est quand même encore un sujet sensible dont tout le monde parle, et qui concerne beaucoup de monde, mais qui est encore bien maltraitée. Ça parle quand même de l’esprit humain, le truc le plus fondateur qui concerne tout individu dans la société, et qui encore trop mal connu

Mais bon, comme un carabin, la société peut apprendre si on lui donne des conseils, il n’y a pas de raison. Il faut juste que quelqu’un aide un peu. Et c’est sans doute à ceux qui savent faire de montrer l’exemple. Donc c’est à nous de le faire.

Et c’est là que je m’arrête, parce que je sais pas comment faire.

Par contre, depuis, je les aime bien ces petites cases, ou même ces grandes cases, pour ce qu’elles sont : des facilitatrices de vie pour plein de choses, donc elles ne m’irritent plus, on s’est réconcilié. Mais j’aime bien les laisser dans un coin aussi, de temps en temps.

Voilà, c’est finalement assez vide tout ça, et ça se termine en queue de poisson. Ce sont juste des mots sur un ressenti, et dont il manque des tas d’aspects. Ça ne se veut pas du tout une vérité, mais juste une réflexion. Et c’est probablement typique d’un brassage inutile des pensées et farcie d’interprétations et de métaphores fumeuses, mais c’était sympa à écrire.

Gaëlle SOUESME

 Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°19

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