Dossier : Humanitaire

Publié le 27 Sep 2022 à 16:42

 

ON NE SAIT JAMAIS À QUOI S'ATTENDRE AVANT DE L'AVOIR VÉCU
Urgentiste à Rouen, le Dr Cédric Dassas est aussi médecin référent en médecine d’urgence pour MSF. Il nous raconte sa dernière mission en Ukraine, ce que lui apporte son engagement humanitaire et il fait le point sur les qualités et les défauts nécessaires sur le terrain.

Pouvez-vous décrire votre dernière mission ?
Dr Cédric Dassas.-
C’était en Ukraine, une semaine après le début du conflit. C’était une mission dite exploratrice. Je rejoignais une équipe sur place, composée d’un logisticien, d’un chef de projet, d’une infirmière et d’un pharmacien (roumain). L’équipe était basée en Moldavie à la frontière pour étudier les besoins en renforts auprès des réfugiés ukrainiens. Mais il se trouve que les réfugiés étaient soignés rapidement et gratuitement puis transférés par bus dans plusieurs pays d’Europe.

Quelle fut la suite de votre mission ?
Dr C.D.-
Nous sommes allés à Odessa, qui n’était pas encore touchée par la guerre mais qui s’y préparait. Les gens étaient sous-pression. Nous sommes allés voir les hôpitaux pour estimer leurs besoins. J’ai découvert un service public de qualité, avec des soignants nombreux et des équipements de qualité. Le seul bémol était leur stock en médicaments pour seulement 2/3 semaines. Ils avaient besoin d’être régulièrement approvisionné. C’est ce que nous avons mis en place et c’est ce que nous faisons toujours. MSF fournit les hôpitaux de Marioupol (région du Donetsk) et Kharkiv (proche de la frontière Ouest avec la Russie).

Quels sont les risques pour les équipes humanitaires en Ukraine aujourd’hui ?
Dr C.D.-
Il y a le risque chimique et nucléaire en plus de l’armement classique. Sans compter la communication quasi inexistante avec les autorités russes ! D’habitude, dans une zone de conflit, les deux parties nous reconnaissent et nous laissent travailler. C’est plus compliqué en Ukraine… Toutefois, MSF ne fait pas prendre de risques inconsidérées à ses équipes. Il y a une structure interne qui évalue en permanence le risque sur le terrain et se questionne sur ce que l’on peut faire pour limiter ce risque.

Que vous ont apporté les missions avec MSF ?
Dr C.D.-
Toutes ces missions sont humainement très riches ! Il faut savoir que 80 % des équipes de MSF sont des locaux.
On a l’opportunité d’échanger beaucoup sur nos missions. On revient aussi à un exercice épuré de la médecine par des protocoles en adéquation avec les moyens sur place.
Enfin, j’ai découvert que l’on a tous les mêmes connaissances en médecine, quel que soit notre pays, que l’on soit un médecin afghan ou burkinabé !

Quelles qualités sont recherchées en mission ?
Dr C.D.-
Il faut être proactif, y compris en dehors du terrain médical. Il faut être polyvalent et s’adapter rapidement, être résistant au stress. Mon profil d’urgentiste convient particulièrement aux missions. Les urgentistes ont une grande capacité d’adaptation et sont polyvalents en pédiatrie ou en gynéco par exemple.

Quel est le défaut rédhibitoire sur le terrain?
Dr C.D.-
Le complexe de supériorité. Il faut être humble. Nous ne sommes pas les meilleurs parce que nous sommes médecins. Les autres sont tout autant importants : les infirmiers, les chefs de projets ou les logisticiens. Je me souviens d’une mission en Afrique dans le cadre du virus Ébola, il y a deux ou trois ans. Traiter les patients étaient super compliqués car nous perdions beaucoup de temps à revêtir la combinaison. Les logisticiens ont eu une idée brillante : installer une bulle autour du lit des patients pour que l’on puisse continuer à les soigner tout en étant protégé, sans combinaison. Cela a changé notre façon de travailler !

Si les internes ne peuvent pas intégrer MSF, quels sont vos conseils pour ceux qui aimeraient s’engager plus tard auprès de MSF ?
Dr C.D.-
Foncer et ne pas se donner de faux prétextes. Combien de fois ai-je entendu que ce n’était pas le bon moment : « les enfants sont petits », « je change de travail » ?
Enfin, un dernier conseil mais non des moindres : ne pas partir sur un terrain en guerre pour sa première mission.

Zoé Cavallier est chirurgien en maxillo-facial au CHU de Purpan (Toulouse) où elle est chef de clinique depuis 2020. Sa première mission avec Médecins du monde remonte à 2017 alors qu’elle était encore interne.

Zoé Cavallier sait ce qu’elle veut. « J’avais très envie de m’engager depuis des années, dès le début de mon internat », affirme-t-elle. Pour s’engager en humanitaire sa spécialité initiale, radiologie, est peu demandée sur le terrain. Un an après son début d’internat, elle fait valoir son droit au remords pour la chirurgie maxillo-faciale. Elle intègre ensuite le service du Dr Lauwers au CHU de Purpan (Toulouse). Zoé sait que le Dr Lauwers est aussi engagé auprès de Médecins du Monde en tant que chef d’équipe dans le cadre de l’Opération Sourire au Cambodge. Elle veut en faire partie. Quand elle apprend que l’équipe est déjà formée et complète, elle ne baisse pas les bras et insiste sur sa valeur ajoutée. À force de persuasion, elle rejoint l’équipe pour une première mission d’une semaine en juin 2017. Elle est chargée de faire un reportage photos et vidéo dans le cadre de l’Opération sourire. Elle part en confiance au sein d’une équipe exclusivement toulousaine : son chef de service le Dr Lauwers, un chirurgien plasticien, deux infirmières du bloc, un anesthésiste en pédiatrie et un neurochirurgien.

On ne sait jamais à quoi s’attendre
La mission1 a lieu au Cambodge, au Children’s Surgical Center (CSC). L’équipe du Dr Lauwers vient en renfort de l’équipe médicale locale trois semaines par an : une semaine en juin et deux semaines fin novembre/début décembre. Zoé savait-elle à quoi s’attendre avant de partir ? « Non, on ne sait jamais à quoi s’attendre tant que l’on ne l’a pas vécu. Mais ce centre chirurgical est loin des clichés : c’est une structure médicale bien établie dans un pays stable ». Pourtant, elle observe tout de suite les différences dans l’exercice chirurgical et médical. « On est confronté à des situations que l’on ne voit pas en France. Ce sont, par exemple, des tumeurs faciales à un stade très avancé ou une ankylose complète de l’articulation après une fracture de la mandibule non prise en charge. Le patient ne pouvait pas ouvrir la bouche ! ». Elle constate également une certaine "sobriété" chirurgicale, faire aussi bien avec moins. « On apprend une culture et un mode de travail différents et c'est à nous de nous adapter car quand on transmet aux soignants locaux, il faut qu’ils puissent utiliser à leur tour en autonomie ce que l'on fait ensemble. ».
Malgré un matériel médical moindre, l’équipe de Médecins du monde est chargée de chirurgies très techniques. Quand Zoé repart en 2019 pour deux semaines, toujours en tant qu’interne, elle aide à une chirurgie de lambeau libre. « Dans les conditions du CSC, c’est un sacré défi, souligne-t-elle. Ce genre d’opération prend 5 à 10 heures. Je me souviens que nous avions fi ni tard le soir et le reste de la soirée fut très tendue ». Une soirée tendue car toute l’équipe craint des complications pendant la nuit, « et personne n’est là pour intervenir… ». Heureusement, la patiente opérée n’a pas eu de complications.

« On apprend une culture et un mode de travail différents et c'est à nous de nous adapter car quand on transmet aux soignants locaux, il faut qu’ils puissent utiliser à leur tour en autonomie ce que l'on fait ensemble »

Les patients se remettent totalement au médecin
Zoé apprécie la proximité avec les patients et le lien qui se tisse à long terme. En effet, le format de ces missions avec Médecins du monde permet de suivre les patients de 6 mois en 6 mois, parfois sur plusieurs années. « Ce sont les médecins locaux qui anticipent notre prochaine venue en donnant rendez-vous aux patients. Certains viennent de très loin pour bénéficier de soins et d’une chirurgie car c’est entièrement gratuit pour eux », précise-t-elle.
Le lien se tisse aussi avec l’équipe soignante locale. « Nous restons en contact quand nous rentrons en France. Si besoin, les chirurgiens nous contactent par visio pour des conseils. ». Le fait de venir régulièrement permet d’organiser des échanges, tous les ans un interne cambodgien vient se former à Toulouse dans notre équipe, et des infirmiers viennent également régulièrement.

Pas de protocoles interminables, pas d’administratif
Le dispensaire manque de tout : de médicaments, de petits consommables, de matériel chirurgical. À chaque mission, l’équipe emporte du matériel et des moteurs chirurgicaux pour scier, forer ou fraiser. Cela n’empêche pas un rythme très dense d’opérations. Les 4 chirurgiens de l’équipe opèrent tous les jours. Mais Zoé ne s’en plaint pas. Au contraire. « J’opère autant de patients en une journée au Cambodge qu’en une semaine en France ! », constate-t-elle.
Car au Cambodge, elle ne se consacre qu’à la chirurgie. « Pas de protocoles interminables, pas d’administratif, pas de contrainte de créneau horaire pour le bloc… ». En ajoutant : « à chaque fois que je rentre en France toutes ces lourdeurs administratives me pèsent. Et cela pèse aussi aux autres membres de l’équipe. On se pose vraiment des questions sur l’efficacité de notre système de soins français… ».

L’HUMANITAIRE… EN France
Pas besoin de partir au bout du monde pour s’engager en tant que médecin ou interne. En France, deux associations s’engagent – médicalement - auprès des laissés-pour-compte : La Croix Rouge française et Médecins du monde. Les médecins interviennent auprès de personnes en grande difficulté, en situation d’exclusion, exilées / en transit. Les médecins travaillent au sein de centre d’accueil médico-sociaux, de bus itinérant ou se déplacent sur le terrain.

LES PROFILS DES MÉDECINS RECHERCHÉS
Les profils de médecins recherchés dans les associations humanitaires sont :
- Urgentiste
- Anesthésiste/réanimateur
- Chirurgien
- Pédiatre
- Psychiatre
- Généraliste
- Oncologue
- Médecine de catastrophe
- Maladies tropicales
- Épidémiologistes
- Santé publique.

COMMENT CANDIDATER À MSF ET MDM ?
Comment candidater à MSF ?
Les missions de MSF sont :
- Courtes, 1 à 3 mois pour les chirurgiens, anesthésistes, urgentistes ;
- Longues, de 3 à 6 mois pour les autres spé. Les missions sont rétribuées à hauteur de 1180 € net par mois (les médecins sont logés/nourris sur place). Dans la plupart desspé, la thèse et 2 ans d’expérience sont demandées. Toutefois les internes psychiatres peuvent postuler une fois 4 semestres validés.
- Candidature spontanée sur le site MSF.
- Les compétences techniques médicales sont validées par le référent ad hoc (Cédric Dassas valide par exemple les compétences des candidats urgentistes).
- 1er contact téléphonique pour voir si pas d’éléments bloquants comme la durée de la mission.
- Entretien en présentiel ou en visio.
- En cas de recrutement, une semaine de formation obligatoire pour connaître les protocoles MSF.
- Briefing avant le départ sur la mission, le pays.

Comment postuler à Médecins du monde ?
Toutes les missions de Médecins du monde sont courtes : entre 1 à 2 semaines. Ce sont des missions bénévoles. Les internes peuvent postuler.
- Candidature spontanée sur le site de Médecins du monde.
- Les profils sont vérifiés/contrôlés.
- Entretiens.
- Mise en relation avec les chefs d’équipe pour une potentielle intégration.
- Le bénévole est orienté vers une mission en fonction de sa spécialité, de ses envies et des besoins (chirurgie maxillo-faciale, séquelles de brûlures, fente labiopalatine, urologie, digestif, etc.).
- Briefing sur la mission par le chef d’équipe.

Dans le cadre de l’Opération Sourire, le recrutement est légèrement différent. C’est le chirurgien chef d’équipe qui est en charge du recrutement de son équipe pour chaque mission. Les profils sont là aussi vérifiés/contrôlés par Médecins du monde avant l’intégration du bénévole. Le bénévole reçoit un deuxième briefing, effectué par le Coordinateur du programme chirurgie de Médecins du monde.

NOTE DE LA RÉDACTION
Ce dossier met en valeur le parcours de deux médecins au sein de MSF et médecins du monde. La Croix Rouge française est aussi engagée dans des missions médicales au niveau international. Dans le n° 21 – Hiver 2018, nous avions donné la parole à Marc Delpech, anesthésiste-réanimateur au CH de Mende, parti en Irak en 2017 avec la Croix-Roug.

Article paru dans la revue “ Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes ” / ISNI n°29

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