Dossier 180 secondes pour innover : projets de participants

Publié le 25 May 2022 à 17:59


Nicolas RAINTEAU, Montpellier

Stigmatisation & schizophrénie

Il nous faut environ 1s pour identifier un mot, et à peine plus pour y associer des idées, des émotions, voire des actions. Au CFP 2016 à Montpellier il m’a été donné 180s pour parler de mon projet, 180s pour parler de stigmatisation, 180s pour stresser, 180s pour être complètement dissocié et au final 180s pour quand même bien m’éclater !

Le projet, il est simple : évaluer l’impact du mot schizophrénie sur les relations interpersonnelles via une tâche de synchronisation motrice. Bon ok, quand on lit le titre on peut avoir des doutes… En fait, le terme « schizophrénie » est de plus en plus contesté par les cliniciens, les chercheurs, les patients et leur famille. Dans ce contexte, de nombreuses personnes réclament un changement de nom, considérant le terme actuel comme stigmatisant et nuisible. Le Japon et La Corée ont d’ailleurs déjà passé le cap en modifiant ce terme. Mais le problème c’est qu’avant de débattre et de proposer des nouveaux noms, tout ce petit monde a oublié de vérifier si le mot à lui seul avait un impact sur le comportement du grand public à l’égard des patients souffrant de schizophrénie. Si ce n’est pas le cas, le changer ne servira à rien ! C’est donc ce que j’ai voulu vérifier. Après l’idée, il fallait trouver la méthode. Et là le but était d’innover. Impossible d’interroger les gens sur leurs idées et actes stigmatisant par un questionnaire. A cause du phénomène de désirabilité sociale, les réponses seraient faussées (et oui les gens assument mal d’être stigmatisant). Ainsi, le but était de trouver une tâche que les gens ne pourront pas maîtriser, et qui sera un reflet d’une interaction interpersonnelle. La tâche de synchronisation fut la clef ! De manière très schématique, mieux on se synchronise avec une personne, mieux on interagit avec elle.

Ainsi, chaque participant pense réaliser une tâche de synchronisation motrice avec trois individus différents (un sujet sain, un sujet souffrant de schizophrénie, et un sujet souffrant d’un trouble de l’interaction neuro-émotionnelle), consistant à aligner un point à l’aide d’un joystick, à un autre point se déplaçant sur un écran. Le point à suivre se déplace selon 5 trajectoires enregistrées au préalable et qui sont les mêmes pour chacune des trois conditions. Avant le début de la tâche, la condition est affichée sur l’écran. Le participant ne sait pas qu’il interagit en réalité avec un ordinateur.

Et les premiers résultats sont surprenants ! De manière significative, les sujets se synchronisent moins bien lorsqu’ils pensent interagir avec un patient souffrant de schizophrénie. Le terme « Schizophrénie » a donc un effet sur notre comportement, avec des conséquences négatives sur les interactions interpersonnelles, indépendamment des symptômes des patients. Si de tels résultats sont retrouvés pour une tâche derrière un écran, on peut imaginer les conséquences dramatiques sur une interaction réelle !

Cette étude s’inscrit dans un projet global de travail et de lutte contre la stigmatisation des patients souffrant de schizophrénie que j’ai entamé il y a environ deux ans. Grâce à une année recherche (dans le cadre d’un master 2 de Sciences Humaines et Sociales), j’ai également pu travailler sur une approche qualitative de la vision de la schizophrénie par le grand public. La psychiatrie de demain, c’est nous, internes de psychiatrie, qui la construirons. Je ne peux qu’encourager chacun d’entre nous à innover et sortir des sentiers battus.

La recherche n’est pas que l’affaire des futurs universitaires. Bien sûr que la recherche fondamentale existe, mais nous avons, je crois, la chance d’évoluer dans une spécialité laissant encore une grande place à la recherche clinique, celle qui est concrète et qui permet d’agir directement et immédiatement sur le bien-être de nos patients. Alors, si tu as une idée, lance toi ! Et si le New England ou le Lancet ne te remercient pas, tes patients le feront à coup sûr !

Pour finir, je voulais remercier l’équipe de 180SPI (Chloé, Yann, Charlie et Ismaël) qui a créé et porté ce projet. Le succès fut au rendez-vous lors du CFP 2016 et il le sera j’en suis certain au CFP 2017 ! Et même si c’est probablement le truc le plus stressant que j’ai fais de ma vie, je conseille à tous de tenter l’aventure !

Ps : si travailler sur la stigmatisation de la schizophrénie t’intéresse, contactes moi ! Tu ne seras pas de trop !

Nicolas RAINTEAU
[email protected]

Theo KORCHIA, Marseille

Génotype, Phénotype, & thérapeutique

Intérêts du phénotype et du génotype dans la thérapeutique, l’amélioration immédiate, le pronostic au long cours, et le coût dans la prise en charge des patients en psychiatrie.

Mon travail consistait à montrer les avantages de prescrire les dosages sanguins permettant de déterminer les génotypes et phénotypes des cytochromes P 450 de nos patients, notamment ceux atteints de schizophrénie.

En effet, connaître ce métabolisme facilite la démarche thérapeutique pour les soignants, améliore le pronostic clinique à moyen et long terme pour les patients, et diminue les coûts de la prise en charge (le dosage coûte environ le prix d’une journée d’hospitalisation en CHU).

Ce dosage, couramment utilisé dans d’autres disciplines (notamment en cancérologie), n’est encore que peu utilisé quotidiennement dans nos services. C’est pourtant un dosage de réalisation facile après accord écrit du patient (comme tout examen génétique en France), et aux résultats extrêmement fiables et reproductibles, concrètement et potentiellement utile dans l’arsenal de nos prises en charge !

En cas de résistance aux traitements, ou d’effets indésirables pour des doses faibles, ou encore de résultats inattendus pour les dosages de médicaments, ce simple examen peut fournir de précieuses réponses qui orienteront directement la thérapeutique...

Ce n’est pas de la recherche fondamentale mais du concret prêt à l’emploi !

Je trouvais dommage qu’en dépit de ces nombreux avantages, ces dosages soient si peu utilisés.

J’ai donc fait ce travail lorsque j’étais dans le service du Dr ZENDJIDJIAN, dans l’unité gérée par le Dr TESTART qui m’a encouragé et aidé, avec les conseils du Dr DUPOUEY. Je profite de ces lignes pour les remercier chaleureusement, ainsi que le Dr FARISSE qui m’avait donné envie de m’intéresser au sujet avec le Pr LANÇON.

J’ai essayé de résumer le plus rapidement possible toutes ces données importantes pour ne pas dépasser nos 180 secondes... Et c’était sur le gong !

Theo KORCHIA
Interne en psychiatrie à Marseille

Baptiste PIGNON, Lille

Hallucinations & déficits sensoriels

Corrélats sociodémographiques et cliniques des symptômes psychotiques en population générale.

Contexte : La prévalence et la valeur clinique des hallucinations des enfants de moins de 7 ans sont mal connues. Il existe des arguments cliniques, physiopathologiques et épidémiologiques en faveur d’une prévalence d’hallucinations plus élevée parmi les enfants souffrant de déficits sensitifs, ainsi que parmi ceux avec un ou des ami(s) imaginaire(s) (AI), ou encore un défaut en théorie de l’esprit. Dans cette étude, nous avons cherché à déterminer l’influence des déficits sensoriels (visuels et auditifs), de la présence d’AI, ainsi que des défauts en théorie de l’esprit de premier ordre (dTE1) et de deuxième ordre (dTE2).

Méthodes : Tous les enfants en 3ème section de maternelles de la région Nord-Pas-de-Calais ont été évalués par un médecin scolaire, en présence de leurs parents. Nous avons comparé les prévalences des hallucinations visuelles (HV), auditives (HA) et des hallucinations audiovisuelles (HA-V) selon la présence de déficits auditifs et visuels, celle d’AI et celle de dTE1 et de dTE2. Les analyses statistiques ont été ajustées sur l’âge.

Résultats : 1087 enfants âgés entre 5 et 7 ans ont été inclus. Les prévalences des HV, des HA et des HA-V étaient, respectivement, de 12.5 %, 15.8 %, and 5.8 %. Ces prévalences n’étaient pas différentes selon les déficits sensoriels. Elles étaient significativement plus élevées parmi les enfants avec un ou des AI. Les prévalences des HA et des HA-V étaient significativement plus élevées parmi les enfants avec un dTE1. Celles des HV et des HA-V étaient plus élevées parmi les enfants avec un dTE2.

Discussion : Les associations entre hallucinations et déficits sensoriels retrouvées chez les adultes pourraient ne concerner que les déficits de longue durée. L’association statistique avec la présence d’AI confirme les données de précédentes études expérimentales sur des enfants sur la probabilité de percevoir des mots parmi des stimuli auditifs informes. Les relations entre hallucinations, théorie de l’esprit et de potentielles futures transitions psychotiques doivent être confirmées par des études longitudinales.

Diagramme bâtons des prévalences avec les intervalles de confiance (95 %) selon la présence de déficits sensoriels, d’ami(s) imaginaire(s) et de la théorie de l’esprit
1a, 1b, 1c : Prévalence des hallucinations visuelles, auditives et audio-visuelles selon la présence de déficits visuel, auditif et sensoriel.
2a, 2b, 2c : Prévalence des hallucinations visuelles, auditives et audio-visuelles selon la présence d’ami(s) imaginaire(s).
3a, 3b, 3c : Prévalence des hallucinations visuelles, auditives et audio-visuelles selon la présence d’un défaut théorie de l’esprit de premier ordre.
4a, 4b, 4c : Prévalence des hallucinations visuelles, auditives et audio-visuelles selon la présence d’un défaut théorie de l’esprit de deuxième ordre.

Baptiste PIGNON & Pr R. JARDRI

Camille RINGOT, Lille

Eatline

Prévention de la rechute par recontact téléphonique dans l’anorexie mentale après une première hospitalisation : EATLINE, si l’absence de rechute ne tenait qu’à un coup de fil ?

L’anorexie mentale c’est 10 % de mortalité.

Au cours d’une vie, environ 2 % de la population souffrira de cette maladie.

Parmi ces malades, 50 % présenteront une rémission totale après une prise en charge spécialisée, 20 % garderont des séquelles et 20 % évolueront vers une chronicisation de leur trouble.

Le taux de rechute est quant à lui estimé à plus de 30 % l’année suivant une première prise en charge.

Notre objectif serait d’intervenir sur cette rechute afin d’éviter les complications du trouble, sa chronicisation, mais aussi d’agir sur la mortalité !

Dans la littérature, on retrouve plusieurs interventions préventives différentes : des programmes de TCC basés sur internet, des recontacts par sms de patientes boulimiques dans les suites d’une prise en charge spécialisée, mais aussi des suivis par vidéoconférences de patientes anorexiques sortant d’hospitalisation.

Toutes ces interventions ont pu montrer une efficacité, ou au moins un intérêt, dans la prévention de la rechute des troubles du comportement alimentaire.

Cependant, aucune étude n’a utilisé le recontact téléphonique dans l’anorexie mentale, alors même que celui-ci a pu montrer une efficacité dans la prévention de la récidive suicidaire.

Notre idée serait donc de réaliser une étude évaluant l’efficacité d’un dispositif de veille par recontact téléphonique chez des patientes anorexiques, en les rappelant régulièrement pendant un an, dans les suites de leur première hospitalisation, afin d’évaluer l’impact sur la rechute, mais aussi l’impact sur le suivi habituel et le retentissement socio-économique.

Camille RINGOT
Interne 7ème semestre

Pauline MASCAREL, Lille

Prazodream

Évaluation de l’efficacité de la prazosine sur les cauchemars traumatiques chez des patients souffrant d’un syndrome de stress post-traumatique.

Le trouble stress post-traumatique est caractérisé par la survenue de symptômes dans les suites d’une exposition à un événement traumatique. Parmi ces symptômes, on retrouve en particulier les cauchemars traumatiques et les troubles du sommeil, dont la prévalence est élevée : 70 à 87 % des patients rapportent un sommeil fragmenté et 71 % des cauchemars. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, traitement médicamenteux de première intention dans le TSPT, n’ont qu’une efficacité modérée sur ces symptômes.

Depuis une dizaine d’années, plusieurs études ont montré que la prazosine permet de diminuer significativement les cauchemars traumatiques et d’améliorer le sommeil dans le TSPT.

Cette molécule antagoniste des récepteurs alpha 1 adrénergiques, initialement utilisée pour son action anti hypertensive, a démontré une diminution des effets de la noradrénaline sur le système nerveux central lorsqu’elle est administrée de façon périphérique. Ainsi, elle réduirait l’hyperréactivité noradrénergique, responsable des mécanismes d’hyperencodage et de consolidation amnésique en particulier au niveau amygdalien, et normaliserait le sommeil ; de même elle permettrait d’obtenir une normalisation partielle des phases de sommeil à mouvements oculaires rapides (REMS).

Bien que les données actuelles de la littérature concluent à l’efficacité de la prazosine sur les cauchemars traumatiques, elles sont issues en majorité d’études portant sur de petits échantillons et sur les traumatismes de guerre ; les patients étant, pour la plupart, des soldats de sexe masculin.

Actuellement, il persiste des incertitudes concernant les modalités de prescription de la prazosine, en particulier la durée de traitement et la posologie adéquate chez une population de civils.

C’est dans ce contexte que nous avons mis en place un projet de recherche clinique, ayant pour but d’évaluer, dans un essai randomisé et contrôlé, l’effet de la prazosine sur la diminution des cauchemars traumatiques.

L’objectif de cet essai est de répondre aux questions liées aux modalités de prescription de la prazosine, en particulier la durée de traitement et sa posologie chez une population de civils.

A ce jour, la prazosine, prescrite hors AMM dans les consultations de psychotraumatisme, semble constituer une alternative thérapeutique prometteuse dans les cauchemars traumatiques.

Pauline MASCAREL
Interne à Lille

Pierre ELLUL, Paris

Implication du rétrovirus endogène humain de type W dans la schizophrénie

Equipe Développement et adaptation des circuits neuronaux, Institut interdisciplinaire de neuroscience, CNRS UMR 5297, Université de Bordeaux, France. Inserm U955, équipe 15, psychiatrie translationnelle, Créteil, France.

Pôle psychiatrie des hôpitaux universitaires Henri Mondor, AP-HP, université Paris-Est, DHU PePSY, hôpital Albert Chenevier, 40, rue de Mesly, 94000 Créteil, France.

La schizophrénie (SCZ) est une maladie psychiatrique complexe résultante de l’interaction entre des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux. Depuis quelques années de nombreuses études mettent en lumière le rôle important que jouent les anomalies immuno-inflammatoires dans la physiopathologie de la SCZ comme en témoigne l’importance des comorbidités auto-immunes présentées par ces patients. De plus, certains cas de psychoses ont également pu être mis en évidence comme étant directement liés à l’action d’autoanticorps anti-synapses, ces derniers étant réversibles sous traitement immuno-modulateur adapté. Ces indices ont poussé les chercheurs à s’intéresser plus avant aux mécanismes immuno-inflammatoires en jeu dans la SCZ et plus précisément dans certains sous-groupes que nous pourrions considérer comme des « psychoses inflammatoires ». Une piste prometteuse permettant de faire le pont entre facteurs génétiques, environnementaux et immunité a vu le jour depuis quelques années avec la mise en évidence du rôle possible de la réactivation d’un rétrovirus humains endogènes de la famille W (HERV-W) chez ces patients.

En effet, en 1984 Crowe a avancé que la SCZ pourrait résulter d’une intégration rétrovirale à proximité du gène cérébral de la latéralité (Crow, 1984). Quelques années plus tard, Deb-Rinker et al ont mis en évidence, pour la première fois, la présence de la séquence du rétrovirus endogène humain de type W (HERV-W) chez trois paires de jumeaux monozygotes discordants pour la SCZ (Deb-Rinker et al., 1999). Depuis, plusieurs études se sont intéressées à la recherche des HERVs dans les échantillons cérébraux de patients. Parmi elles, il a été proposé l’existence d’une surexpression de HERV-K pol chez les patients SCZ par rapport aux témoins mais sans différence en ce qui concerne les HERV-W (Frank et al., 2005). D’autres retrouvent (i) une augmentation de 45 % de l’expression de HERV-W pol dans le cortex frontal des patients SCZ (ii) une augmentation de l’activité reverse transcriptase dans le cervelet des patients SCZ (Yolken et al., 2000). De plus, une diminution de l’expression de HERV-W gag a pu être mise en évidence dans le cortex cingulaire antérieur et l’hippocampe des patients SCZ (Weis et al., 2007). A première vue, ces résultats peuvent paraître discordants.

Cependant il existe de nombreuses limites à ces études : (i) Elles ne se sont pas toutes focalisées sur la recherche des mêmes HERVs, (ii) elles n’utilisaient pas les mêmes techniques d’analyses, et (iii) elles ne prennent pas en compte les variables confondantes telles que l’utilisation de drogue, d’alcool ou d’antipsychotiques de seconde génération, qui peuvent modifier l’expression des HERVs (Weis et al., 2007). Le HERV-W a également été détecté dans le LCR de 29 % des patients entrant dans la SCZ (EDS) durant la phase aigüe contre aucune copie chez les témoins sains (Karlsson et al., 2001). Par ailleurs, plusieurs études ont cherché à mettre en évidence la présence des HERVs dans le sérum des patients. Par exemple, l’expression de HERV-W gag a été trouvé augmentée dans le sérum de patients EDS comparés aux témoins (Karlsson et al., 2004). Cette augmentation a également été retrouvée dans les PBMCs des EDS avec une augmentation relative de l’expression de HERV-W gag de 2 fois par rapport aux témoins (Yao et al., 2008). Il semble de plus qu’il existe une corrélation inverse entre le niveau d’expression du HERV-W et la durée de la maladie (Yao et al., 2008). Une augmentation du niveau de Env a été également mis en évidence chez les sujets SCZ (Perron et al., 2012). De plus, cette sur expression a été associée à une augmentation de l’activité reverse transcriptase de 35.6 % (Huang et al., 2011). Par ailleurs, l’antigénémie pour les antigènes codés par HERV-W gag et Env a été retrouvée positive respectivement chez 49  % et 47 % des patients SCZ (Perron et al., 2008). D’autres rétrovirus ont également pu être isolés, comme des séquences proches de ERV-9 pol. Il est intéressant de noter que ce dernier partage une importante homologie avec HERV-W, et a été rapporté comme étant co-exprimé avec celui-ci. Des anticorps présentant des réactions croisées avec des rétrovirus animaux ont même pu être isolés chez des EDS mais pas chez des patients ayant présentés plusieurs épisodes de SCZ (Dickerson et al., 2012). Le fait que la durée de la maladie soit une variable confondante importante ainsi que l’absence de renseignements concernant les traitements des patients inclus peuvent être des explications à l’apparente hétérogénéité de ces résultats.

Notre équipe a postulé que la réactivation du HERV-W dans la SCZ se déroulerait selon un modèle à deux temps. Le «  premier temps  » prendrait place durant la grossesse. En effet de nombreux évènements durant la grossesse tels que les infections par des virus (CMV) ou des parasites (T.gondii) ont été associés à une augmentation du risque de développement ultérieur de la SCZ.

Notons que ces mêmes pathogènes ont également le potentiel de réactiver le HERV-W. Une infection durant la grossesse réactiverait donc les HERV-W entraînant ainsi leur rétro-transposition dans différents gènes cibles et en particulier, ceux du neuro-développement. Cette rétro-transposition in utero entraînerait donc une prédisposition neurodéveloppementale chez l’enfant à naître. Le «  second temps  », lui, se placerait plus tard dans la vie du sujet, à la faveur d’une nouvelle infection par ces mêmes agents. Celle-ci, ou celles-ci, réactiverait les HERVs entraînant alors la synthèse de la protéine d’enveloppe du HERV-W. Cette enveloppe, via son interaction avec le récepteur majeur de l’immunité qu’est le TLR-4, entraînerait l’activation d’une cascade immunitaire pro-inflammatoire entraînant un état de neuroinflammation et de neurotoxicité retrouvé dans certains cas de SCZ menant alors à l’éclosion de la maladie.

Au total, la réactivation des HERV-W semble impliquée approximativement dans 50  % des SZ ainsi que dans les TB. Cette approche innovante de la physiopathologie des psychoses pourrait mener au développement des nouvelles stratégies thérapeutiques, ciblant plus spécifiquement les mécanismes étiologiques sous-jacents et permettant le traitement de sous-groupes de patients identifiés par des taux élevés d’antigènes de HERVs. Etant donné la corrélation inverse semblant exister entre les niveaux de HERVs et la durée de la maladie, une prise en charge pharmacologique ciblée, dès les premières manifestations de la maladie semble être essentielle.

Une meilleure caractérisation des patients, basée sur la présence de biomarqueurs spécifiques, présentant une signature biologique témoin de la réactivation de HERVs permettrait d’identifier des sous-groupes spécifiques. Chez ces patients, pourrait être testé l’effet thérapeutique de la neutralisation de ces rétrovirus humains endogènes conduisant à une prise en charge thérapeutique plus ciblée sur les mécanismes physiopathologiques sous-jacents, ouvrant ainsi la voie vers la psychiatrie personnalisée

Pierre ELLUL
Interne à Paris

Sarah TEBEKA,

Paris Interaction gène environnement de la dépression du post-partum

La dépression du post-partum est une des pathologies du post-partum parmi les plus fréquentes. Sa prévalence est classiquement estimée entre 10 et 20 % des jeunes accouchées.

La dépression du post-partum est largement sous diagnostiquée et insuffisamment prise en charge en dépit de ses conséquences délétères. Les facteurs de risque nécessitent d’être mieux compris et connus afin d’améliorer son dépistage et sa prise en charge. Les changements biologiques et sociaux survenant durant cette période de la vie augmentent fortement le risque de dépression, et plus particulièrement encore chez les femmes vulnérables. De plus, la survenue d’une dépression pourrait résulter de l’interaction entre des facteurs génétiques et certains facteurs environnementaux. Ainsi, Caspi et al. (2003) a, le premier, montré qu’un polymorphisme fonctionnel situé dans le promoteur du gène codant pour le transporteur de la sérotonine (5-HTTLPR) pouvait moduler l’impact des événements de vie stressants sur la vulnérabilité à la dépression. Depuis, ce type d’étude a été répliquée de façon spécifique à la dépression du post-partum. Nous formulons l’hypothèse que certains polymorphismes de gènes, à la fois candidats à la dépression et impliqués dans la régulation du stress et les modifications hormonales du post-partum sont associés à la dépression du post-partum, et que ces polymorphismes jouent un rôle plus important en présence de facteurs de stress environnementaux de la période du péri-partum dans le développement d’une dépression du post-partum.

L’objectif de notre travail est de mettre en évidence le rôle de polymorphismes de gènes candidats dans le risque de dépression du post-partum ainsi que l’interaction entre la survenue d’événements de vie stressants dans la période limitée au péri-partum et une vulnérabilité génétique à la dépression.

Pour cela, nous nous appuierons sur une cohorte de plus de 3300 femmes accouchées dans 8 maternités de l’Ile-de-France, suivies de façon prospective à partir de leur accouchement puis à 8 semaines et un an. Ces femmes sont évaluées aux trois temps, sur des facteurs socio-démographiques, les antécédents psychiatriques personnels au cours de leur vie et dans les mois qui précèdent l’évaluation (DIGS  pour Diagnostic Interview for Genetic Studies, basé sur les critères DSM-5 de pathologies psychiatriques), les antécédents familiaux (via la FISC pour Family Informant Schedule and Criteria), ainsi que sur les événements de vie de l’enfance, de la grossesse et du post-partum (Childhood trauma questionnaire, échelle de Paykel et échelle spécifique des événements obstétricaux). Le prélèvement sanguin est effectué à la maternité en vue de l’analyse génétique.

 Les cas correspondent aux femmes qui ont présenté une dépression à 8 semaines post-partum. Les patientes déprimées sont comparées à des sujets dits «  super contrôles  », caractérisés par une absence de pathologie psychiatrique sur la vie entière et jusqu’à un an post-partum. Nous avons choisi cette population contrôle afin de s’affranchir d’une possible vulnérabilité génétique commune entre différents troubles psychiatriques.

Il s’agit de la plus importante cohorte de femmes dans le post-partum au niveau mondial. La perspective de cette recherche est de repérer et d’étudier l’interaction entre les facteurs de risque par un relevé de la vulnérabilité dépressive (rôle de certains polymorphismes de gènes candidats, antécédents personnels et familiaux de dépression) et des événements de vie stressants psychosociaux et obstétricaux de la période du péri-partum, prédictifs de la dépression du post-partum, à l’aide du type de mesure le plus pertinent (clinique, antécédents thymiques, biologique) afin d’améliorer la mesure du risque puis la prévention de la dépression du post-partum.

Sarah TEBEKA
Interne à Paris

Solène FRILEUX, Paris

Impact de l’abstinence précoce en alcool sur la reconnaissance des émotions faciales

Etude prospective réalisée à l’Hôpital Louis Mourier, dans le service du Pr Dubertret, sous la supervision du Dr Yann Le Strat, entre 2014 et 2016.

La consommation chronique d’alcool est associée à une perturbation de la cognition sociale1 . Or, l’amélioration des relations interpersonnelles est un des enjeux majeurs de la prévention de la rechute chez le sujet présentant un trouble lié à l’usage d’alcool2, 3.

Parmi les déficits observés chez ces patients, on retrouve notamment une altération de la reconnaissance des émotions faciales4 . Cependant, il n’existe aucun consensus actuel sur ce sujet, le nombre d’articles ayant étudié ce paramètre étant insuffisant. De plus, aucune étude n’a étudié ce paramètre durant l’abstinence précoce. Enfin, on constate une absence de test standardisé pour l’évaluation de la reconnaissance des émotions faciales chez les patients présentant une addiction à l’alcool, rendant la comparaison des différents articles dans ce domaine peu réalisable5 .

 Nous avons donc décidé d’étudier de façon prospective et dynamique avec un modèle test-retest la faculté de reconnaissance des émotions faciales, au sein d’une unité d’addictologie, durant les trois premières semaines suivant l’arrêt de l’alcool.

Nous avons inclu 29 patients présentant un trouble lié à l’utilisation d’alcool, ne présentant ni comorbidités neurologiques, ni déficience intellectuelle. Notre population contrôle a inclu 28 soignants, ne présentant aucune addiction ni histoire familiale d’addiction.

Au deuxième jour d’hospitalisation (t1) et la veille de la sortie des patients (t2), après un recueil de données sociodémographiques, nous leur avons fait passer le Reading the Mind in the Eyes Test (RMET). Il s’agit d’un test mis au point par Baron Cohen6 , composé de 36 questions, demandant au sujet de choisir parmi 4 émotions celle correspondant au visage représenté.


Figure 1 : 1ère question du RMET


Figure 2 : 2ème question du RMET

Avec ce test, nous avons aussi demandé aux sujets de répondre à l’Interpersonal Reactivity Index7 , un autoquestionnaire évaluant l’empathie de façon globale, ce en tant que tache contrôle.

Les sujets contrôles ont été soumis au même protocole que les patients, ce qui permet de s’assurer de l’absence d’influence du modèle test-retest de l’étude, sur l’amélioration dans la performance au RMET.

Notre hypothèse principale était celle d’une interaction temps/groupe, avec l’observation de t1 à t2 d’une évolution significativement différente du score au RMET entre les deux groupes. Notre hypothèse secondaire était celle d’une amélioration significative du score au RMET dans la population des patients, avec l’amendement de la différence inter-groupe à t2. Les résultats de cette étude feront l’objet d’un article original dans une revue internationale, et ne peuvent donc être révélés ici.

Nous comptons à travers cette étude mettre en évidence une amélioration spontanée de la faculté à décoder les émotions faciales chez les patients présentant un trouble lié à l’utilisation d’alcool, dès l’abstinence précoce, ce qui n’avait encore jamais été étudié.

De plus, l’on observera une évolution qui n’est pas décelée à l’IRI index ni aux tests plus simples de reconnaissance des émotions faciales utilisés dans les autres études5 . Nous recommandons l’utilisation standardisée du RMET, afin d’étudier de façon sensible ce composant de la théorie de l’esprit qu’est la reconnaissance des émotions faciales, qui dans certaines études a été prédictif des rechutes chez les patients avec addiction à l’alcool8 . Enfin, nous préconisons la distinction des paramètres de cognition sociale évoluant spontanément du fait de l’abstinence, des autres paramètres nécessitant une remédiation cognitive ciblée, sur lesquels le travail devra s’axer en pratique clinique.

Solène FRILEUX
Interne à Paris

  • Uekermann, J. & Daum, I. Social cognition in alcoholism: a link to prefrontal cortex dysfunction ? Addict. Abingdon Engl. 103, 726–735 (2008).
  • Larimer, M. E., Palmer, R. S. & Marlatt, G. A. Relapse prevention. An overview of Marlatt’s cognitive-behavioral model. Alcohol Res. Health J. Natl. Inst. Alcohol Abuse Alcohol. 23, 151–160 (1999).
  • Uekermann, J., Daum, I., Schlebusch, P. & Trenckmann, U. Processing of affective stimuli in alcoholism. Cortex J. Devoted Study Nerv. Syst. Behav. 41, 189–194 (2005).
  • Maurage, P. et al. The ‘Reading the Mind in the Eyes’ test as a new way to explore complex emotions decoding in alcohol dependence. Psychiatry Res. 190, 375–378 (2011).
  • Donadon, M. F. & Osório, F. de L. Recognition of facial expressions by alcoholic patients : a systematic literature review. Neuropsychiatr. Dis. Treat. 10, 1655–1663 (2014).
  • Baron-Cohen, S., Wheelwright, S., Hill, J., Raste, Y. & Plumb, I. The ‘Reading the Mind in the Eyes’ Test revised version: a study with normal adults, and adults with Asperger syndrome or high-functioning autism. J. Child Psychol. Psychiatry 42, 241–251 (2001).
  • Gilet, A.-L., Mella, N., Studer, J., Grühn, D. & Labouvie-Vief, G. Assessing dispositional empathy in adults: A French validation of the Interpersonal Reactivity Index (IRI). Can. J. Behav. Sci. Can. Sci. Comport. 45, 42–48 (2013).
  • Foisy, M.-L. et al. Impaired emotional facial expression recognition in alcohol dependence: do these deficits persist with midterm abstinence ? Alcohol. Clin. Exp. Res. 31, 404–410 (2007).
  • Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°19

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